⇒ACAGNARDER, verbe trans.
A.— Emploi trans., pop., rare. [Le compl. est un n. de pers.]
1. Rendre cagnard, c.-à-d. paresseux comme un chien.
2. P. ext. Accoutumer qqn à une vie oisive ou libertine.
B.— Emploi pronom. [Gén. suivi d'un compl. de lieu introd. par dans, à, sur, chez, plus rarement sous ou contre]
1. S'installer de manière à mener une vie paresseuse. Synon. cagnarder, fainéanter :
• 1. — À la bonne heure! Voilà comme j'aime à vous voir! Evohé! Vive la jeunesse! cria Marius, lançant en l'air son chapeau et le rattrapant au vol, — et dire qu'à cette heure il y a des gens chauves, des bourgeois rhumatisants, qui s'acagnardent dans leur lit et calomnient la rosée du matin! Stupides vieillards!
A. THEURIET, Le Mariage de Gérard, 1875, p. 92.
• 2. Il s'acagnardait maintenant chez eux, lutinait Irma, la belle-sœur de son ami, une petite folle qui chantait à tue-tête, gaminait ou cousait, le taquinait sur son air chagrin, était, quelque temps qu'il fît, d'humeur également réjouie.
J.-K. HUYSMANS, Les Sœurs Vatard, 1879, p. 285.
• 3. Il s'acagnarda dans ce Londres fictif, heureux d'être à l'abri, écoutant naviguer sur la Tamise les remorqueurs qui poussaient de sinistres hurlements, derrière les tuileries, près du pont.
J.-K. HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 177.
• 4. Il rentra, au plus vite, ses bras dans le lit, s'acagnarda sous ses couvertures.
J.-K. HUYSMANS, Là-bas, t. 1, 1891, p. 117.
• 5. Aussi vivait-il seul, à l'écart, dans ses livres, mais la solitude qu'il supportait bravement quand il était occupé, quand il préparait un livre, lui devenait intolérable lorsqu'il était oisif. Il s'acagnardait des après-midi dans un fauteuil, s'essorait dans des songes...
J.-K. HUYSMANS, En route, t. 1, 1895, p. 36.
• 6. Et il fut pris par le charme de cette église, par son silence, par l'ombre qui tombait dans l'abside, du haut de ses palmiers de pierre, et il finit par s'anonchalir, par s'acagnarder sur une chaise, par n'avoir plus qu'un désir, celui de ne pas rentrer dans la vie de la rue, de ne pas sortir de son refuge, de ne plus bouger.
J.-K. HUYSMANS, En route, t. 1, 1895 p. 256.
• 7. « Soumis, toujours content quand il pouvait en pantoufles s'acagnarder au logis, c'était lui qui époussetait les meubles, nettoyait les lampes et vidait les eaux dans les plombs ». (Camille Lemonnier).
FRANCE 1907.
— Région. 1. S'acagnarder au coin du feu :
• 8. Il s'acagnarde au coin du feu. Cette expression est familière...
E. MOLARD, Le Mauvais langage corrigé, 1810, p. 6.
• 9. Acagnardir, s'acagnardir. S'accoutumer à mener une vie paresseuse; dites, s'acagnarder. (Il s'acagnarde au coin du feu)...
E. MOLARD, Le Mauvais langage corrigé, 1810, p. 6.
2. Au fig. :
• 10. On s'acagnarde dans ses propres habitudes, et l'on désapprend le libre jeu de sa propre vie. Pour maintenir sa souplesse, il faut l'exercer; pour dépendre moins des choses, il faut modifier souvent son milieu, et désarticuler son calendrier.
H.-F. AMIEL, Journal intime, 30 mars 1866, p. 203.
Stylistique — Relevant d'abord du vocab. théol. et moral (cf. étymol. et hist.), puis poét. (Ronsard), acagnarder glisse rapidement vers la lang. pop. et fam. S'il contient, surtout au XVIIe s. et au XVIIIe s., les not. de paresse et de débauche (souvent synon. de (s') acoquiner : s'acagnarder au cabaret, la mauvaise compagnie l'a acagnardé, etc.), il retrouve à l'époque mod. un sens moins vulg. : s'acagnarder auprès du feu, dans un fauteuil, auprès d'une femme, « mener une vie oisive et casanière, se confiner dans un coin » (cf. ex. 1 et 4). Il est remarquable que l'adj. ait pu prendre le sens, stylistiquement plus neutre, de appuyé, acculé, accoté (cf. ex. 5). Acagnarder connaît une certaine vitalité. Un écrivain comme Huysmans, qui cultive l'esthétique du mot rare et parfois déconcertant, l'emploie volontiers (cf. ex. 2, 3, 4, 6, 5). Néanmoins, tant dans la lang. écrite que parlée, il reste très rare et présente le plus souvent une coloration dépréc., surtout en raison de son suff. à nuance péj. L'emploi trans. paraît actuell. inusité.
Prononc. ET ORTH. — 1. Forme phon. :[]. 2. Dér. et composés : cf. cagnarder. 3. Hist. — Le mot apparaît sous sa forme actuelle au XVIe s. (cf. étymol.) et il est attesté régulièrement sous cette forme à partir d'Ac. 1762. De NICOT 1606 à Trév. 1752, le mot est noté avec redoublement de c. Trév. 1771, tout en maintenant la forme accagnarder en vedette, précise : ,,Il vaudrait mieux écrire acagnarder``. Au XVIe s., on relève les var. graph. suiv. : accaignarder (cf. ex. de Calvin, ds HUG.), acangnarder (ibid.), acanihardis (cf. étymol.), ign, ngn et nih étant des graph. pour noter le n mouillé (cf. aussi la graph. anhiao pour agneau chez Meigret, citée d'apr. THUROT Prononc. t. 2 1883, p. 346). Pour les différentes graph. de [] et leur prononc., cf. THUROT Prononc. t. 2, pp. 345-353. Cf. aussi BOURC.-BOURC. 1967, § 199. Acagnarder, écrit avec un seul c, constitue une exception parmi les mots commençant par ac(c)- (cf. a-1).
Étymol. ET HIST.
I.— Acagnarder. 1. av. 1564 trans. « accoutumer à la paresse, à l'inaction » (CALVIN, Lettres, 3150 ds HUG. : Il n'y a rien au monde qui acangnarde plus les gens que les jeux, voire jusques à tenir leurs sens captifz, comme une espece de sorcellerie); 2. av. 1564 pronom. « s'accoutumer à la paresse, à l'inaction » (CALVIN, Serm. sur le liv. de Job, 20 (XXXIII, 253) ds HUG. : Voila un homme que s'il se vouloit advancer, il est assez sage, mais il est trop nonchalant, il ne demande qu'à s'accaignarder là sans se mettre au hazard).
II.— S'acagnarder pronom. 1592 « s'amollir, s'accoutumer à la paresse, à l'inaction » (MONLUC, Comment. L. VI (III, 142) ds HUG. : Ces Gaulois s'estoient tant acanihardis après les femmes et les richesses qu'ilz avoient gaignées, qu'ilz entrarent en peur et n'ausoient sortir de la ville).
Sens I : la dér. de acagnarder semble plus vraisemblable à partir de cagnard adj. qu'à partir de cagnard subst. (FEW t. 2, 1, p. 187a), d'une part du point de vue sém. le rapport étant plus immédiat entre les 2 mots, d'autre part du point de vue géogr. acagnarder et cagnard adj. étant tous deux du fr. du nord; cependant en fr. mod. acagnarder reflète à la fois le sémantisme de l'adj. et celui du subst.; préf. a-, suff. -er. Sens II : terme dial., attesté pour l'ensemble de l'aire gallo-rom. (FEW t. 2, 1, p. 186b), dér. de cagnard adj.; préf. a-, suff. -ir.
STAT. — Fréq. abs. litt. :7.
BBG. — GAMILLSCHEG (E.). Französische Etymologien. Z. rom. Philol. 1920, t. 40, n° 2, p. 152, 153 [Cr. ROQUES (M.). Romania. 1921, t. 47, p. 618-620]. — RHEIMS 1969.
acagnarder [akaɲaʀde] v. tr.
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I V. tr. Vx. Accoutumer (qqn) à la fainéantise, et, par ext., à une vie oisive.
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II V. pron. || S'acagnarder. Vx ou régional.
1 Se confiner dans une vie oisive, s'installer de façon à mener une vie paresseuse.
2 S'installer dans un coin tranquille, discrètement. S'installer en carrant son corps et en le ramassant sur lui-même.
1 Les choses vont ainsi jusqu'à cette heure de froidure qui est l'avant-coureur de l'aurore. Alors chacun s'acagnarde dans son petit herbage, et dès qu'il ne rit plus, il dort.
R. Töpffer, Voyages en zig-zag, « Aux Alpes et en Italie », 3, p. 19.
2 Je ne serais pas rattrapé. Je pris un billet pour Gournay et m'acagnardai dans un compartiment de troisième, persuadé que tous les voyageurs lisaient sur mon visage la double indignité du séquestré et du fugueur.
M. Tournier, le Roi des Aulnes, p. 68.
♦ Fig. || S'acagnarder dans ses habitudes.
3 Il s'acagnardait des après-midi dans un fauteuil, s'essorait dans des songes (…)
Huysmans, En route, p. 24.
Encyclopédie Universelle. 2012.