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MÉCANISME
MÉCANISME

Le mécanisme est une philosophie de la nature selon laquelle l’Univers et tout phénomène qui s’y produit peuvent et doivent s’expliquer d’après les lois des mouvements matériels. « Ma philosophie, écrivait Descartes à Plempius, ne considère que des grandeurs, des figures et des mouvements comme fait la mécanique. » La formule sera constamment reprise en son siècle: tout dans la nature se fait par « figures et mouvements ».

Car l’essor du mécanisme a eu lieu au XVIIe siècle. Il a permis la naissance et le développement de la science classique. Son avènement fut, on l’a dit parfois, « une révolution », en ce sens qu’il proposa une idée du monde radicalement neuve et en rupture avec les représentations de la nature jusqu’à lui reçues. Sans être lui-même une théorie scientifique, il établit une nouvelle rationalité et fonda une nouvelle appréhension des phénomènes, sans lesquelles la science vraie eût été impossible. En somme, le mécanisme est une réforme fondamentale de l’entendement, grâce à quoi le monde se trouve autrement perçu et connu.

Son éclosion a été assez brusque et inattendue. L’époque précédente ne l’avait guère laissé prévoir. Le mécanisme paraît au contraire introduire dans l’histoire de l’idée de nature une discontinuité. Il n’a pas eu de précurseurs immédiats. Plusieurs mécanistes toutefois se cherchèrent des antécédents et se réclamèrent des philosophes atomistes, mais Démocrite, Épicure ou Lucrèce leur ont apporté un modèle plus qu’une source de doctrine. Et, de toute façon, le mécanisme n’est pas lié nécessairement à l’atomisme ; ainsi celui de Descartes, le plus célèbre.

Le terme « mécanisme » ne peut donc s’employer que génériquement pour désigner des mécanismes divers dans ce qu’ils ont de commun, la volonté de n’expliquer les phénomènes de la nature que par des lois des mouvements de la matière, qui est sans âme et sans vie. Il recouvre des doctrines différentes, mais qui toutes s’entendent pour dégager l’explication du monde des physiques animistes, qualitatives et finalistes. Le mécanisme cartésien lui-même n’est qu’un mécanisme parmi les autres, et c’est à tort qu’on ferait de Descartes le fondateur unique de la nouvelle conception du monde.

Mais le cartésianisme a pris son importance après la mort de Descartes, survenue en 1650. À partir de 1660, la philosophie de Descartes voit son influence croître, ou plutôt devient une sorte de référence commune, le nom de ce dernier couvrant souvent de son patronage un mécanisme général et diffus, qui, cartésien de nom et de source, ne l’est pas toujours de contenu. Mais c’est ainsi que le mécanisme aura été fécond, et non seulement dans le monde des philosophes et des savants. Le nom, sinon la philosophie de Descartes, a puissamment aidé à sa vulgarisation. En grande partie grâce au cartésianisme – mais non à lui seul –, l’idée mécaniste du monde devient une idée reçue bien au-delà des cercles scientifiques; elle a beaucoup contribué à réformer la vision commune de la nature. Né dans la première moitié du XVIIe siècle, le mécanisme a non seulement entraîné de grands développements ultérieurs de la science, mais encore il a produit une réforme totale de la conscience que l’homme a du monde.

1. La naissance du mécanisme

L’Antiquité

Très tôt dans l’histoire de la pensée grecque, on voit se constituer une école de philosophes atomistes, l’école d’Abdère. On ignore tout du fondateur de cette école, Leucippe, mais on connaît par quelques textes la pensée de son disciple Démocrite, un contemporain de Socrate. L’atomisme fut repris et développé par Épicure (341-271), puis, au premier siècle avant J.-C., il s’introduisit à Rome, où Lucrèce (97-55) lui consacra son grand poème, le De rerum natura .

Dans l’Antiquité, les atomistes restèrent des isolés qui n’eurent guère de disciples et le Moyen Âge les ignora ou ne voulut pas les connaître parce qu’ils faisaient figure d’impies. Mais, au XVIIe siècle, la doctrine retrouva un regain de faveur grâce à plusieurs des philosophes mécanistes, tels Galilée, qui se référa à Démocrite, et Gassendi, qui écrivit une vie d’Épicure et se déclara épicurien. Ils reprirent à leur compte l’idée d’une composition atomique de la matière; elle leur permettait de se débarrasser de la physique aristotélicienne et des philosophies naturelles de la Renaissance. En faisant des corps des conglomérats d’atomes unis par hasard, en expliquant les qualités sensibles comme produites par ces corpuscules qui sont en eux-mêmes sans qualités, en relativisant l’espace, c’est-à-dire en rejetant l’idée d’un haut et d’un bas absolus, les atomistes repoussaient toute physique qualitative et toute idée finaliste ou panpsychique de la nature. Le monde, et le monde tout entier – car il n’y avait pas pour eux de distinction à faire entre le monde sublunaire et le monde astral –, était fait d’une matière inerte. On conçoit donc que les mécanistes aient été séduits par cet atomisme antique qui leur apportait une cosmologie et une physique beaucoup plus en accord avec leurs propres perspectives que la philosophie d’Aristote. Ce matérialisme démystifiait les prestiges de la nature et pouvait aider puissamment les hommes à en devenir « maîtres et possesseurs ».

Mais la possession du monde par la connaissance des lois qui le régissent n’était nullement dans l’intention des atomistes antiques. Bien au contraire, Épicure ou Lucrèce y eussent vu sans doute un renoncement, au moins partiel, à leur liberté, car leur but premier était moral, et leur physique n’était qu’un moyen de soutenir une éthique. La doctrine qui expliquait alors la nature par un agencement mécanique d’atomes était faite pour délier l’homme de toute puissance extérieure à lui; ni les choses d’ici-bas ni les astres d’en-haut ne pouvaient exercer d’influence sur lui. La nature ne devait ni l’effrayer ni le séduire. La physique atomiste était une pure théorie philosophique qui cherchait à fonder l’indépendance de l’homme et de sa liberté, à le délier de tout lien tyrannique, à le rendre 見嗀﨎靖神礼精礼﨟.

La revendication de liberté d’un Gassendi – et aussi d’un Descartes, qui, lui, a rejeté l’atomisme – est aussi forte que celle d’Épicure, mais ce n’est peut-être pas la même. Les mécanistes du XVIIe siècle réclament la liberté qui s’obtient en maîtrisant la nature; les atomistes antiques avaient cherché celle qu’on se procure en se préservant de la nature. Le mécanisme que Gassendi a trouvé chez Épicure n’avait pas pour fin la connaissance du monde, alors que celui du XVIIe siècle est lié à une soif de découverte. L’atomisme grec n’a pas contribué comme le mécanisme européen de l’époque classique à fonder un essor des sciences.

Les fondateurs: Galilée, Descartes

On parle souvent de l’époque de Descartes comme si le nom du philosophe suffisait à lui seul à désigner la « révolution mécaniste ». C’est n’avoir qu’une vue très simplifiée de cette période. On oublie ainsi non seulement Galilée, mais encore une multitude de personnages qui, sans avoir le génie et l’importance du savant italien, ont néanmoins contribué à fonder et à répandre la théorie mécaniste.

Descartes, au contraire, apparut souvent à ses contemporains comme un penseur solitaire, difficile à comprendre, parfois décevant, souvent contesté et combattu, que son exil volontaire tenait un peu à l’écart des débats d’idées. Une grande partie de l’histoire du mécanisme pourrait même s’écrire sans qu’y soit cité Descartes. La volumineuse correspondance de Mersenne est un excellent témoin de l’histoire des idées philosophiques et scientifiques de son époque. Par l’intermédiaire de ce religieux, qu’on a appelé le « secrétaire de l’Europe savante », des échanges se font, des controverses s’instaurent, et – pour ne citer que quelques noms – des Italiens comme Torricelli et Ricci, des Anglais comme Hobbes et Cavendish, des Hollandais comme Constantin Huygens (dont on possède aussi l’abondante correspondance avec son ami Descartes) et son jeune fils au talent précoce, Christian, des Français comme Gassendi et Roberval, véritables savants ou simplement amateurs éclairés, exposent leurs théories ou font le récit de leurs expériences. Le père Mersenne lui-même traduit ou adapte en français des ouvrages de Galilée. Bref, sa cellule du couvent des Minimes de Paris est, pour ainsi dire, le lieu d’échange d’une Internationale mécaniste, à laquelle Descartes participe, mais de manière sporadique et lointaine, plus soucieux, semble-t-il, de préserver sa solitude et sa tranquillité d’esprit que de se mêler à des débats sans fin, et peut-être peu enclin à remettre en cause ses certitudes.

Le philosophe du doute méthodique manifeste en effet souvent, et sans doute plus que quiconque, son assurance à l’égard de ses propres idées. Cette confiance n’est pas un simple trait de caractère, elle ressortit à la doctrine: la pensée cartésienne est dogmatique. Le doute a permis de retrouver les vérités premières à partir desquelles se fonde une science certaine. C’est sur ce point que se place l’opposition essentielle entre les mécanismes, entre le mécanisme cartésien et la plupart des autres.

Il existe, certes, des différences fondamentales de doctrine sur la constitution de l’univers et de la matière. On sait que fut très vive au XVIIe siècle la controverse sur l’existence du vide et très ardentes les luttes entre plénistes et vacuistes. Descartes est le champion des premiers, le vide étant inconcevable et impossible dans sa physique. Mais le reproche le plus profond fait à Descartes est son apparente indifférence à l’expérience. Descartes est un théoricien et l’expérimentation n’est jamais pour lui un moyen de chercher, mais une manière de confirmer la théorie et, pour ce faire, il se contente souvent d’en appeler à des expériences faites par d’autres. Parfois même, il les juge inutiles, parce qu’il en prévoit, sans aucunement douter, le résultat. Pour prendre un exemple célèbre, il se vante après l’expérience barométrique du puy de Dôme d’avoir indiqué à l’avance à Pascal lui-même ce qu’il trouverait. Pour beaucoup de ses contemporains, en particulier pour Gassendi, Descartes encourt ainsi le reproche d’être un nouvel Aristote, la science cartésienne semblant être le renouvellement d’une physique par les principes premiers. Le sens de l’observation et de l’expérimentation de Galilée paraît plus moderne et plus sûr.

En fait, les critiques de Descartes tombent souvent dans le piège d’un empirisme stérile. Si le cartésianisme pèche, ce n’est pas par une régression jusqu’à Aristote, ni par un défaut de modernité; il serait plutôt coupable de pousser à l’excès l’idée d’une mathématisation totale du réel: la science de la nature doit pouvoir se construire a priori comme la géométrie. Par là, Descartes et Galilée sont sans doute plus proches l’un de l’autre que beaucoup de contemporains ne l’ont cru; la différence est que Descartes agit en métaphysicien et mathématicien qui impose à la nature un modèle géométrique, Galilée en physicien qui mathématise sa physique. On ne peut pas opposer l’« expérimentateur » Galilée au « théoricien » Descartes: pour l’un comme pour l’autre, les mathématiques doivent donner au mécanisme un langage universel. Et, s’ils sont l’un et l’autre les fondateurs géniaux de la science classique, c’est à leur capacité d’abstraction et à leur effort théorique qu’ils le doivent. Croire qu’on pourra expliquer mécaniquement le monde en se contentant de collectionner les faits est une erreur que n’ont pas évitée tous les partisans du mécanisme. Cette erreur ne leur permettait pas de mesurer la profondeur de la coupure produite par la physique galiléenne et la pensée cartésienne; elle était bien plutôt la fille d’une philosophie naturelle du passé. Sans Galilée et Descartes, le mécanisme n’aurait peut-être pas longtemps vécu.

Plus que Galilée, Descartes a été en son temps parfois méconnu et souvent critiqué au nom même du mécanisme; c’est pourtant chez lui, qui eut le génie de « la clarté et de la distinction », qu’on trouve les formules les plus fermes et les plus fortes pour définir la théorie mécaniste, dont beaucoup de ses contemporains se sont réclamés de manières fort diverses et multiples. Cette force du langage cartésien a fait son succès dans la seconde partie du XVIIe siècle, mais elle ne doit pas faire oublier qu’à l’époque même où Descartes écrivait son œuvre, le mécanisme, autour de Gassendi, Roberval ou Mersenne, se cherchait d’autres voies en se voulant plus proche de l’expérience immédiate. Et ce mécanisme empiriste trouva alors beaucoup d’échos.

2. La doctrine mécaniste

De la notion de Cosmos à celle d’Univers

Le mécanisme n’est pas né seulement de la volonté de mieux expliquer les phénomènes que l’homme découvre dans son expérience quotidienne sur la Terre; il est lié assez étroitement aux découvertes qui ont été faites dans le ciel, aux bouleversements qu’a connus l’astronomie. L’un de ses postulats est que la physique céleste est la même que la physique terrestre. Il est aujourd’hui difficile de concevoir tout ce que cette idée pouvait avoir de radicalement neuf, de révolutionnaire. Elle exprime « la substitution à la notion de Cosmos – unité fermée d’un ordre hiérarchique – de celle de l’Univers: ensemble ouvert lié par l’unité de ses lois » (A. Koyré). Est évacuée la représentation de corps célestes immuables et incorruptibles que toutes les cosmologies antiques et médiévales, à quelques rares exceptions près, ont tenue pour une vérité première. Surtout, l’idée d’une hiérarchie des essences est remplacée par celle d’une matière homogène et la conception d’une causalité physique, d’être individuel à être individuel, par celle d’une nécessité rationnelle exprimée dans un système conceptuel de lois. L’astrologie, qui au XVIe siècle avait retrouvé un regain de faveur, et la magie naturelle, qui était tenue à la Renaissance pour un savoir positif, ont été totalement disqualifiées dans l’univers mécaniste. Mais une physique construite sur la notion aristotélicienne de causalité ne pouvait pas non plus y avoir cours. Le Cosmos, cette hiérarchie ontologique close, a disparu au moment de la « révolution mécaniste », au profit d’un monde indéfiniment ouvert et régi partout par les mêmes lois.

Les lois de la Nature

« Sçachez donc premièrement, écrit Descartes dans Le Monde , que par la Nature je n’entens point icy quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire; mais je me sers de ce mot, pour signifier la Matiere mesme en tant que je la considere avec toutes les qualitez que je luy ai attribuées, comprises toutes ensembles, & sous cette condition que Dieu continuë de la conserver en la mesme façon qu’il l’a créée. Car de cela seul qu’il continuë ainsi de la conserver, il suit de nécessité, qu’il doit y avoir plusieurs changements en ses parties, lesquels ne pouvant, ce me semble, estre proprement attribuez à l’action de Dieu, parce qu’elle ne change point, je les attribuë à la Nature; & les règles suivant lesquelles se font ces changements, je les nomme Loix de la Nature. » Dans la suite de son traité, puis plus tard dans les Principes , Descartes formule ces lois. Elles sont fondées pour lui sur le principe métaphysique de la conservation par Dieu de sa création, et particulièrement de la quantité de mouvement. De là vient que, au nombre de trois, elles sont dominées par le principe d’inertie, dont les deux premières lois, si l’on suit l’ordre du texte des Principes , donnent un énoncé exact. La troisième, très tôt démentie par les travaux de Christiaan Huygens sur le choc, est la loi de la « rencontre des corps ». La loi suprême de l’univers cartésien est donc une loi de la « persistance » (A. Koyré). Dans la nature, « aucune chose ne change que par la rencontre des autres » (Principes , IIe part., art. 37). Aucune ne peut d’elle-même modifier sa figure, aucune surtout ne peut commencer de se mouvoir elle-même si elle est en repos, aucune cesser de se mouvoir si elle est en mouvement, la notion de mouvement étant alors réduite, ainsi que Descartes l’indique lui-même, à ce que les philosophes appellent le mouvement local.

Les lois de la Nature définies ainsi par Descartes ne sont donc pas autre chose que les règles qui régissent dans un espace homogène, tel que le conçoivent les géomètres, le jeu du mouvement créé une fois pour toutes. Ce mouvement n’est plus jamais produit; il ne fait que se transmettre ou se modifier par contact des corps les uns sur les autres. Ce n’est donc pas seulement l’image structurelle de l’Univers qui se trouve profondément modifiée par le mécanisme, mais aussi l’idée même de son devenir et des changements constants qui se produisent en lui. La Nature n’invente rien; des phénomènes seulement y apparaissent, explicables par quelques lois simples et immuables. Et la relation entre Dieu et le monde est elle-même totalement changée. La notion d’un « premier moteur », par exemple, devient totalement incompréhensible: dans un univers où la quantité de mouvement demeure constante, l’idée d’une source originaire actuelle de la causalité est absolument étrangère. Aussi le Dieu de Descartes se définit-il comme le créateur du mouvement et la pensée fondatrice des lois intelligibles de la nature.

La machine humaine

Par son corps, l’homme fait partie de la nature mécanique. Corporellement, il n’est que matière et tous les processus biologiques s’expliquent comme les phénomènes physiques par « la figure et le mouvement ». C’est dire qu’une biologie mécaniste proprement dite n’existe pas, puisqu’elle se définirait comme une biologie sans l’idée de vie. Dans la préface des Principes où il décrit l’arbre du savoir, Descartes parle d’une « médecine ». Il s’agit d’une médecine dont les principes généraux se trouvent dans une théorie générale des animaux-machines, qui ne fait elle-même qu’appliquer aux corps vivants les lois universelles de la physique mécaniste. Le corps de l’animal et de l’homme ne fonctionne pas autrement, sinon de manière plus complexe, que n’importe quelle machinerie fabriquée par les hommes. Dans le traité de L’Homme , Descartes nous en avertit, proposant lui-même des modèles: horloges, fontaines, moulins, orgues. « Ainsi que vous pouvez avoir veu, dans les grottes & les fontaines qui sont aux jardins de nos Roys que la seule force dont l’eau se meut en sortant de la source est suffisante pour y mouvoir diverses machines, & mesme pour les y faire jouër de quelques instrumens, ou prononcer quelques paroles, selon la diverse disposition des tuyaux qui la conduisent.

« Et véritablement l’on peut fort bien comparer les nerfs de la machine que je vous décrits, aux tuyaux des machines de ces fontaines; ses muscles et ses tendons, aux autres divers engins & ressorts qui servent à les mouvoir; ses esprits animaux à l’eau qui les remuë, dont le cœur est la source, & les concavitez du cerveau sont les regars... »

Par son corps, l’homme n’est donc qu’une petite partie de l’Univers aux lois duquel il est soumis; d’ailleurs, L’Homme de Descartes, édité après la mort de son auteur, était prévu pour venir à la suite du traité du Monde dont il ne devait que constituer une partie. Mais ces lois, c’est l’homme aussi qui les pense. Par la pensée, il comprend la machine qu’est son corps et la mécanique du monde. Pour Descartes, la médecine mécaniste, comme la physique, se fonde sur la distinction de la pensée et de l’étendue. Mais cette distinction de l’esprit et de la matière n’est pas seulement cartésienne. Pascal, par exemple, n’est pas loin de Descartes sur ce point: « Par l’espace, l’Univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. » Chez plusieurs des premiers mécanistes, la mécanisation de l’homme suppose une métaphysique, ou tout au moins l’idée que l’homme par sa pensée peut devenir « maître et possesseur » de l’univers corporel tout entier, précisément grâce à sa mécanisation radicale. En pensant que son corps est une machine intégrée à la grande machine de l’Univers, l’homme assure sa dignité. La mécanisation des choses et de lui-même répond chez l’homme du XVIIe siècle à une volonté de parvenir à l’intelligibilité la plus totale.

3. L’expansion

Les développements de la science

L’importance du mécanisme dans l’histoire de la pensée est considérable; grâce à lui, s’est ouverte l’ère de la science classique. Mais l’influence des premiers mécanistes est beaucoup moins due aux résultats qu’ils ont obtenus dans les disciplines scientifiques particulières qu’au changement de mentalité qu’ils ont provoqué ou, pour mieux dire, à la nouvelle appréhension du réel que leur œuvre a produite. Ils n’ont pas eu d’authentiques disciples dans les sciences, ou du moins ceux qui ont voulu se dire leurs continuateurs n’ont pu le faire très souvent qu’au prix de grandes infidélités, voire en réfutant sur bien des points ceux qu’ils considéraient comme leurs devanciers. C’est particulièrement net dans le cas de Descartes, dont bien des énoncés scientifiques, telles les lois du choc, se sont rapidement révélés faux. Dans la seconde partie du XVIIe siècle, les meilleurs cartésiens, sauf peut-être Rohault, disparu trop jeune pour donner toute sa mesure, n’ont pas été des hommes de science, mais des métaphysiciens. C’est Malebranche, lui-même beaucoup plus métaphysicien et théologien que savant, qui sans doute a prétendu le plus défendre, affiner et développer la physique de Descartes. Il n’y est parvenu qu’en rectifiant profondément les données cartésiennes; et ce qui chez lui, au regard des autres théories scientifiques de son temps, mérite de demeurer, comme sa théorie des couleurs, est plus le fruit de son propre génie que de sa fidélité à Descartes.

Mais Malebranche indique très bien le lien le plus solide qui l’attache à Descartes: « J’avoue cependant que je dois à M. Descartes ou à sa manière de philosopher les sentiments que j’oppose aux siens et la hardiesse de le reprendre. » Même lorsqu’il critique Descartes, le malebranchisme est une manière originale d’être fidèle au cartésianisme. Le mécanisme cartésien par lui s’épanouit.

Leibniz, lui, s’oppose vivement à ce dernier. Il a construit son œuvre en grande partie contre Descartes, mais, sans Descartes, Leibniz n’aurait sans doute pas été Leibniz. Même s’il n’a découvert le vrai Descartes que tardivement, lui devant très peu pour sa formation personnelle, sa critique de la physique cartésienne a beaucoup du parricide, auquel, selon Platon, est contraint quiconque veut penser par soi-même. Le meurtre du père est le signe ambigu d’un attachement à lui. Mettre en cause le mécanisme était un moyen non seulement de rectifier les erreurs qu’il contenait, mais une manière de le délivrer de ses outrances et des impasses auxquelles il conduisait. La critique leibnizienne en quelque sorte achève, dans les deux sens du terme, le mécanisme des prédécesseurs; elle le finit et l’accomplit; ce qui meurt demeure.

On a un bon exemple des impasses du mécanisme dans l’opposition des cartésiens au newtonianisme, qui leur a paru remettre en cause totalement la science nouvelle et faire retourner la pensée en deçà des conquêtes du mécanisme. L’obstacle réside dans le fait que, chez Descartes, il ne peut y avoir mouvement que par contact et impulsion; l’action à distance, l’attraction, comme le dira Fontenelle, ne peut être qu’un retour à une physique des sympathies et des qualités occultes. « Il est certain que si on veut entendre ce qu’on dit, il n’y a que des impulsions, & si on ne se soucie pas de l’entendre il y a des attractions et tout ce qu’on voudra; mais alors la nature nous est si incompréhensible qu’il est peut-être sage de la laisser là pour ce qu’elle est », écrit un oratorien malebranchiste, le père Le Brun. De cette façon, on ne mène pas avec Newton une controverse scientifique; on le disqualifie pour obscurantisme. C’est ainsi que le milieu des savants français résistera longtemps à la théorie newtonienne, ou plutôt voudra l’ignorer; et les Principes ne seront traduits que fort tardivement par Mme du Châtelet. Mais ce mécanisme qui fait obstacle au progrès scientifique est un mécanisme figé. Newton contredit sans doute moins le mécanisme qu’il ne propose, en provoquant une rupture, un autre modèle de mécanisation de la physique où d’autres mouvements que ceux que produit l’impulsion sont possibles. Vulgarisé, le newtonianisme permettra encore aux hommes du XVIIIe siècle de se représenter le monde comme une grande machine: ainsi l’image de l’horloge et de l’horloger chez Voltaire.

La vulgarisation du mécanisme

Le cartésianisme s’est largement répandu hors des cercles scientifiques, qui, au contraire, s’opposaient souvent à lui. « Le cartésianisme est à la fois triomphant dans l’opinion et persécuté dans les écoles » (Paul Mouy). L’école cartésienne a été surtout représentée par des professeurs et des compilateurs qui ont fait connaître Descartes aux gens du monde bien plus que par des hommes de science. Mais le terme de cartésianisme qui désigne cette philosophie, diffusée alors largement, recouvre plutôt un mécanisme général peu élaboré et peu approfondi que la pensée spécifiquement cartésienne. C’est une doctrine aisément assimilable par des non-philosophes, faite d’un fonds cartésien et d’apports étrangers à Descartes, tels que l’atomisme de Gassendi conjugué à son empirisme de méthode, que des professeurs cartésiens comme Régis ont intégrés. Cette doctrine, parce qu’elle ne demande pas un effort de compréhension trop ardu, va aisément se répandre et faire pénétrer très largement dans l’opinion la nouvelle représentation de la nature. Ce mécanisme, dont on trouve des échos dans les comédies de Molière ou les sermons de Bossuet, va fonder bien autre chose que la pure recherche scientifique. Il provoque une curiosité pour les merveilles de la physique et les machines à surprises que peut construire l’homme. Il sert à critiquer les faux prodiges produits par les charlatans et à ruiner les pratiques superstitieuses. Le Mercure galant , un « journal » destiné aux dames et aux demoiselles, est rempli de débats sur des questions de ce genre, auxquels de graves philosophes comme Malebranche ne dédaignent pas de participer. Des problèmes théologiques aux faits divers, toute question peut être prétexte au développement et à l’application de la doctrine mécaniste. À l’aube du XVIIIe siècle, l’idée mécaniste est devenue une idée commune qui, au moins dans certaines classes de la société, imprègne, pour ainsi dire, la vie quotidienne.

Le mécanisme connaît donc son apogée au XVIIIe siècle. Mais il est difficile de dire qu’au cours de ce même siècle se place sa fin. Si l’on peut assez nettement fixer le commencement de l’époque mécaniste, il n’est guère possible de lui assigner un terme. En un sens, nous vivons encore du mécanisme puisqu’il est à l’origine de l’essor des sciences et des techniques; en un autre sens, il a disparu, parce que les sciences anciennes pour se renouveler, les nouvelles pour se fonder, ont dû rompre avec lui. Si le mécanisme a permis un très important développement de la physique, il n’a guère favorisé la chimie ou les sciences de l’être vivant. Il a fallu mettre en lumière, pour que de nouveaux objets scientifiques apparaissent, ce qu’il occultait. C’est comme philosophie de la nature, comme théorie générale du monde qu’il a été fécond, en donnant à l’homme un autre regard sur l’Univers, non dans son application au détail des phénomènes. N’est-ce pas ce que Pascal déjà entrevoyait: « Descartes. Il faut dire en gros: cela se fait par figure et mouvement. Car cela est vrai, mais de dire quelles et composer la machine, cela est ridicule. Car cela est inutile et incertain et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. » Le mécanisme n’a pas disparu brusquement; il s’est plutôt lentement effacé, laissant les sciences particulières, à mesure qu’elles se déterminaient et se spécifiaient, prendre le terrain qu’il leur avait ouvert. Il avait donné aux sciences un élan initial; il ne pouvait pas se substituer à elles dans l’élaboration rigoureuse de leurs méthodes et de leurs objets propres; elles devaient même pour y parvenir très souvent le contredire. Mais cette disparition du mécanisme est en un sens la marque de sa réussite. Il a engendré ce qui a pu et même dû se développer sans lui. L’époque des grandes philosophies mécanistes n’a pas dépassé les premières années du XVIIIe siècle; le monde mécaniste a duré plus longtemps qu’elle, mais a peu à peu disparu. Cependant quelque chose de l’intuition mécaniste est demeuré jusque dans la pensée de l’homme contemporain.

mécanisme [ mekanism ] n. m.
• 1701; lat. mechanisma
I
1Combinaison, agencement de pièces, d'organes, montés en vue d'un fonctionnement d'ensemble. mécanique (II, 3o). Mécanisme d'une machine, d'une horloge. Démonter le mécanisme d'un fusil. Fonctionnement, réglage, remontage d'un mécanisme.
Par ext. (1791) Le corps humain est un mécanisme délicat, perfectionné. machine, mécanique. Fig. Le mécanisme économique, administratif. « Le vieillissement de l'esprit, l'ankylose des mécanismes dont l'esprit se sert » (Romains).
2(mil. XVIIIe) Mode de fonctionnement de ce qu'on assimile à une machine. Mécanismes biologiques, organiques. processus. (Abstrait) Le mécanisme de la pensée, de la parole.
3(1867) Mus. La partie du talent qui n'a trait qu'à l'habileté, dans l'exécution. « Ce qu'on appelle “mécanisme” lui faisait complètement défaut et je crois qu'il aurait trébuché dans une simple gamme » (A. Gide).
II(1867) Philos. Théorie philosophique admettant qu'une classe ou que la totalité des phénomènes peut être ramenée à une combinaison de mouvements physiques. Mécanisme matérialiste. atomisme, matérialisme. ⊗ CONTR. Dynamisme, finalisme.

mécanisme nom masculin (de mécanique 1) Dispositif constitué par des pièces assemblées ou reliées les unes aux autres et remplissant une fonction déterminée (entraînement, freinage, verrouillage, etc.). Littéraire. Jeu des organes : Le mécanisme du corps humain. Enchaînement des opérations propres à une fonction ; processus : Mécanisme du langage. Les mécanismes bancaires. (Cette étude fait essentiellement intervenir la cinétique chimique et l'analyse structurale. Les étapes d'une réaction peuvent être homolytiques et/ou hétérolytiques.) Philosophie de la nature qui s'efforce d'expliquer l'ensemble des phénomènes par les seules lois de cause à effet. Synonyme de antimentalisme. ● mécanisme (expressions) nom masculin (de mécanique 1) Mécanisme de réaction, description des diverses étapes qui peuvent intervenir au cours d'une réaction chimique. Mécanisme au foyer, processus complexe de rupture dans les roches, correspondant à un relâchement brutal de contraintes et provoquant un séisme. ● mécanisme (synonymes) nom masculin (de mécanique 1) Enchaînement des opérations propres à une fonction ; processus
Synonymes :
- processus
Synonymes :
- antimentalisme

mécanisme
n. m.
d1./d Agencement de pièces disposées pour produire un mouvement, un effet donné. Mécanisme d'une montre, d'un engin explosif.
|| Par ext. Le mécanisme du corps humain.
d2./d Manière dont fonctionne un ensemble complexe, manière dont se déroule une action. Mécanisme du langage, de la pensée. Les mécanismes de la propagande.
d3./d PHILO Système qui explique la totalité ou une partie des phénomènes physiques, biologiques, psychophysiologiques, etc., par le mouvement. Le mécanisme de Descartes.

⇒MÉCANISME, subst. masc.
A. — 1. Combinaison de pièces, d'organes agencés en vue d'un mouvement, d'un fonctionnement d'ensemble; ce fonctionnement lui-même. Mécanisme compliqué; mécanisme d'horlogerie; démonter un mécanisme; le(s) mécanisme(s) d'une machine. L'homme qui me l'a vendu [le revolver] m'a soigneusement expliqué le mécanisme (COLETTE, Cl. s'en va, 1903, p.300). Le mécanisme s'étant dérangé, la barrière avait pu s'ouvrir à l'étage où elle était, alors que l'ascenseur était resté en bas (BERGSON, Deux sources, 1932, p.125). Qui ouvre la porte aux clients? — Personne. Ils tirent le bouton et un mécanisme ouvre la porte. Les malades entrent dans une antichambre où ils attendent (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p.79).
En partic. [En parlant de phénomènes physiques] Sous l'influence de la lumière et d'énergies dont le mécanisme nous échappe, les plantes absorbent et décomposent les corps chimiques (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p.13). Si l'on connaissait le mécanisme de l'émission par une source lumineuse on pourrait en fournir la raison exacte (PRAT, Opt., 1962, p.38). Mécanisme de conduction de l'électricité dans les solides (Hist. gén. sc., t.3, vol.2, 1964, p.329).
ÉN. NUCL. Mécanisme de commande. ,,Dispositif utilisé pour déplacer les éléments de commande d'un réacteur nucléaire`` (Nucl. 1975).
2. P. anal., MUS. Ensemble des procédés assurant l'habileté, la virtuosité dans l'exécution musicale; technique (d'apr. Mus. 1976). L'étude du mécanisme. Ce pianiste a un bon mécanisme (Ac. 1935). Le mécanisme du passage du pouce dans l'exécution des arpèges nécessite un fléchissement du poignet un peu plus accusé que pour les gammes (CORTOT, Techn. pianist., 1928, p.27). Il faudra (...) qu'il travaille le mécanisme et l'harmonie (COLETTE, Sido, 1929, p.134).
B.P. anal. Ensemble d'éléments, de structures dont l'organisation assure une fonction, une activité; ce fonctionnement, ce processus lui-même.
1. [En parlant d'un être humain]
a) BIOL., MÉD. Mécanisme endocrinien, hormonal, nerveux, physiologique. Mon corps peut avoir réagi bien avant ma conscience, par les mécanismes de régulation thermique, tels que la transpiration, qui fonctionnent inconsciemment (RUYER, Cybern., 1954, p.8).
b) PSYCHOL. ,,Combinaison des éléments constitutifs d'un processus psychologique, saisi dans son fonctionnement`` (D.D.L. 1976). Mécanisme des sensations; mécanisme mental, psychologique. L'effort de Marcel Proust alla justement en sens inverse du mécanisme cérébral des autres hommes, qui tend à refouler dans l'inconscient tout souvenir inutilisable (MAURIAC, Du côté de chez Proust, 1947, p.214). L'introspection, au contraire, révèle le mécanisme intime de la pensée individuelle mise en action au moment de l'expérience (Hist. sc., 1957, p.1659).
Mécanisme de défense. Opération inconsciente telle que le refoulement, la régression par laquelle le moi se défend contre une agression, une angoisse. Cependant elle se reprenait un peu; l'excès même du désespoir empêche le renoncement absolu; un mécanisme automatique de défense s'engrêne aux gouffres de l'être (ARNOUX, Rêv. policier amat., 1945, p.299).
Mécanisme de dégagement. Processus qui tend à la réalisation des possibilités d'un sujet en proie à un conflit défensif, quitte à risquer une augmentation des tensions internes (d'apr. Méd. Biol. t.2 1971).
2. [Dans la société] Mécanisme administratif, d'épargne, financier, gouvernemental, institutionnel, monétaire. Rôle qui est exercé dans la réalité par des individus que le libéralisme met au centre du mécanisme économique (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p.100). Mécanismes sociaux qui conditionnent l'inégalité culturelle (ANTOINE, PASSERON, Réforme Univ., 1966, p.208).
3. LING.Le mécanisme (du langage) (Ac.). ,,La structure matérielle des éléments de la parole, l'arrangement des mots et des phrases`` (Ac. 1835-1935). En fait d'optique on voit tout d'un coup-d'œil: que ne peut-on même tout peindre d'un seul trait! Mais le mécanisme des langues n'est pas si prompt que l'organe de la vue (DUSAULX, Voy. Barège, t.1, 1796, p.302). Tant que l'on ne s'en rend pas bien compte, on ne connaît pas totalement le mécanisme du discours dans des langages aussi compliqués que les nôtres (DESTUTT DE TR., Idéol. 2, 1803, p.200). On passe au mécanisme de la langue française. À ce propos, Tourguéneff dit à peu près cela: «Votre langue (...) m'a tout l'air d'un instrument dans lequel les inventeurs auraient bonnassement cherché la clarté, la logique, le gros à-peu-près de la définition (...)» (GONCOURT, Journal, 1874, p.975).
En partic.
a) Mécanisme des vers, de la prose (Ac.). ,,La composition des parties du vers ou de la phrase, suivant le rythme qui est propre à l'un ou à l'autre`` (Ac. 1798-1878).
b) LING. GÉN. (et pour les gramm. formelles). ,,La grammaire est un mécanisme fini capable de générer un ensemble infini de phrases grammaticales auxquelles elle associe automatiquement une description structurelle`` (Ling. 1972).
c) [En didact. des lang.] ,,Exercice ou série d'exercices tendant à faciliter l'apprentissage d'un fonctionnement grammatical particulier, lui-même décrit comme relativement mécanique`` (D.D.L. 1976).
C.PHILOS., MÉD. Théorie admettant qu'une classe de faits, ou même l'ensemble des phénomènes, peut être ramené à un système de déterminations mécaniques (d'apr. LAL. 1968). Mécanisme causal. D'un côté, Descartes affirme le mécanisme universel (...) mais d'autre part (...) Descartes croit au libre arbitre de l'homme (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p.344). Au début du XVIIIe siècle, l'Europe médicale est partagée entre deux doctrines, le mécanisme et l'animisme (ROUSSY ds Nouv. Traité Méd. fasc. 5, 2 1929, p.13).
REM. Mécanicisme, subst. masc., philos., méd., synon. (supra C). Mécanicisme et vitalisme doivent être rejetés au même titre que tout autre système (CARREL, L'Homme, 1935, p.38). Le déterminisme a mille fois raison ... dans le détail, comme le mécanicisme est la seule attitude sérieuse et la seule méthode féconde, positive, efficace par rapport à la vie (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p.74).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1740: mécha-; dep. 1762: -ca-. Étymol. et Hist. A. 1. 1701 «structure d'un organisme naturel ou artificiel et action combinée de ses parties» (FUR.); 2. av. 1755 «déclenchement automatique d'un comportement échappant à la volonté» (MONTESQUIEU ds Lar. 19e); 1758 «processus moral ou psychologique, en tant qu'il révèle le fonctionnement des sentiments» (HELVÉTIUS, De l'Esprit ds GOHIN, p.355); 3. 1760 «toute action concertée et machinée en vue de l'obtention d'un résultat» (MIRABEAU, Théorie de l'impôt, 68 ds BRUNOT t.6, p.94, note 4); 4. 1868 mus. (LITTRÉ). B. 1747 philos. (MAIRAN, Eloges des académiciens, Eloge de l'abbé de Molières ds LITTRÉ). Dér. de mécanique; suff. -isme. Fréq. abs. littér.:2 371. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 1 644, b) 1 754; XXe s.: a) 2 657, b) 6 143. Bbg. FURET (F.), FONTANA (A.). Hist et ling. Langages. Paris, 1968, n°11, pp.129-134.

mécanisme [mekanism] n. m.
ÉTYM. 1701, Furetière; du lat. mechanisma.
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I
1 (1701). Combinaison, agencement de pièces, d'organes, montés en vue d'un fonctionnement d'ensemble. Mécanique (II., 3.). || Mécanisme d'une machine (cit. 3), d'une horloge, d'un automate, d'un jouet (→ Engin, cit. 3). || Mécanisme délicat, compliqué, simple, robuste. || Démonter le mécanisme d'un fusil. || Fonctionnement, réglage, remontage d'un mécanisme. || Mécanisme qui s'enraye, se dérange, se détraque. || Divers types de mécanismes : accélérateur, compteur, déclic, échappement, embrayage, engrenage, modérateur, roulement…
REM. Un mécanisme se distingue de la machine dont il fait partie, et qui peut en comporter plusieurs. De plus, le terme de machine a rapport à un but, celui de mécanisme aux moyens par lesquels la machine peut remplir son office. Machine.
1 (…) pour agir, nous commençons par nous proposer un but; nous faisons un plan, puis nous passons au détail du mécanisme qui le réalisera.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 44.
2 Le mécanisme règle et transforme un mouvement dont l'impulsion lui est communiquée. Mécanisme n'est pas moteur (…) Naturellement, des mécanismes peuvent être combinés, par superposition ou par composition.
G. Canguilhem, la Connaissance de la vie, p. 126.
(1791). Par ext. Machine. || Le corps (cit. 16) humain, mécanisme infiniment perfectionné.
Fig. || Le mécanisme économique (→ Entrepreneur, cit. 9), administratif. || Les mécanismes psychologiques de l'esprit (→ Lourd, cit. 16).
3 (…) l'administration est devenue comme une machine sans âme qui accomplirait les œuvres d'un homme. La France est trop portée à supposer qu'on peut suppléer à l'impulsion intime de l'âme par des mécanismes et des procédés extérieurs.
Renan, l'Avenir de la science, Œ. compl., t. III, p. 750.
4 (…) un arrêt net brise tous les rouages de ce mécanisme compliqué (une armée en cours de mobilisation), et les rend pour longtemps inutilisables.
Martin du Gard, les Thibault, t. VI, p. 212.
2 (Mil. XVIIIe). Mode de fonctionnement (d'une machine, ou de ce qu'on assimile à une machine). || Le mécanisme d'une action physique (→ Géographie, cit. 2). || Je ne suis pas habitué au mécanisme de cette machine, de cette serrure.Par ext. || Mécanismes biologiques, organiques. Processus.
5 Comme nous le savons, les mécanismes adaptifs qui nous protègent contre les microbes et les virus varient suivant chacun de nous.
Alexis Carrel, l'Homme, cet inconnu, VII, IV.
(1758, Helvétius). Abstrait. || Le mécanisme de la pensée (→ Critique, cit. 11), de la parole (→ Langue, cit. 12). || Comprendre le mécanisme d'une action. Comment (subst.).
Didact. Se dit de certains types de processus psychologiques, notamment en psychanalyse. || Mécanismes de défense, de dégagement.
5.1 Le terme mécanisme est utilisé d'emblée par Freud pour connoter le fait que les phénomènes psychiques présentent des agencements susceptibles d'une observation et d'une analyse scientifique (…)
D. Lagache oppose les mécanismes de dégagement aux mécanismes de défense : alors que ceux-ci n'ont pour fin que la réduction urgente des tensions internes, conformément au principe de déplaisir-plaisir, ceux-là tendent à la réalisation des possibilités, fût-ce au prix d'une augmentation de tension.
J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Voc. de la psychanalyse.
3 (1867). Mus. La partie du talent qui n'a trait qu'à l'habileté, à la virtuosité dans l'exécution. || Ce pianiste, ce violoniste a un remarquable mécanisme. || Études de mécanisme transcendantes.
6 (…) il semblait pétrir le piano. Son jeu ne rappelait rien que j'eusse jamais entendu (…) ce qu'on appelle « mécanisme » lui faisait complètement défaut et je crois qu'il aurait trébuché dans une simple gamme (…)
Gide, Si le grain ne meurt, I, VI, p. 161.
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II (1867; « principe d'explication des phénomènes naturels » 1747, Mairan). Philos. Théorie philosophique admettant qu'une classe de faits, ou l'ensemble des phénomènes, sont susceptibles d'être ramenés à une combinaison de mouvements physiques. || Mécanisme matérialiste. Atomisme, matérialisme. || Le mécanisme cartésien expliquait les phénomènes « par les figures et les mouvements ». Machinisme (vx). || Mécanisme et dynamisme ou énergétisme en physique. || Mécanisme et finalisme (cit.) en biologie.
7 Le mécanisme radical implique une métaphysique où la totalité du réel est posée en bloc, dans l'éternité, et où la durée apparente des choses exprime seulement l'infirmité d'un esprit qui ne peut pas connaître tout à la fois.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 39.
CONTR. Dynamisme, finalisme.
DÉR. (De mécanisme, II.) Mécaniste.
COMP. Iatromécanisme (V. Iatr-), servomécanisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.