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MALTE
MALTE

Petit archipel situé à 80 kilomètres au sud de la Sicile, à la jonction des deux Méditerranées, Malte, du fait de sa position géographique, a longtemps fait l’objet de spéculations de la part des préhistoriens: on y voyait en effet l’inévitable relais dans la transmission des influences orientales (les techniques architecturales, le mégalithisme, les religions méditerranéennes et leurs idoles, la métallurgie) vers les terres d’Occident. La recherche moderne a eu du mal à se dépouiller de ces concepts diffusionnistes et à mieux saisir la nature de la Malte préhistorique et son rôle vis-à-vis des terres voisines. Car la préhistoire maltaise est hautement originale. Le point fort en est certainement la période des temples mégalithiques, centrée sur les IVe et IIIe millénaires et qui semble correspondre à une phase d’apogée des sociétés préhistoriques de l’archipel. En ce qui concerne les époques précédentes, les informations demeurent encore peu fournies.

À la fin du IXe siècle avant J.-C., les Phéniciens fondèrent à Malte d’importantes colonies. Deux cents ans plus tard, les Grecs commencèrent à s’installer dans l’archipel dont le nom semble provenir du grec, soit de 猪﨎凞晴, miel, soit de 猪﨎凞晴精精見, abeille.

Tous ceux qui avaient des intérêts en Méditerranée essayèrent de mettre la main sur l’île: Carthaginois et Romains, musulmans d’Afrique du Nord et Normands de Sicile, auxquels succédèrent les Angevins de Naples d’abord, le roi d’Aragon ensuite, qui eurent à lutter contre les Ottomans pour la garder. Les chevaliers de l’ordre de Malte, en majorité originaires de France, devenus les seigneurs de Malte, permirent aux Français d’avoir une grande influence sur l’île, mais ceux-ci la perdirent définitivement dans la tourmente révolutionnaire, après la destruction de leur flotte à Aboukir. Leur vainqueur, la Grande-Bretagne, après l’avoir longtemps convoitée, l’emportait donc sur la Russie des tsars qui avait aussi des visées sur l’île et surveilla à partir de cette retraite sûre tout le commerce méditerranéen dont l’importance crût beaucoup après la percée du canal de Suez. Les Maltais, cependant, se sont lassés de dépendre toujours de puissances extérieures: ils ont enfin obtenu leur indépendance en 1964.

Les données historiques et géographiques fondamentales pourraient expliquer la nature des problèmes politiques, économiques et sociaux avec lesquels sont confrontés les Maltais. La réalité est, toutefois, beaucoup plus complexe. La situation de Malte dans le monde et son régime politique actuel ne peuvent être compris sans tenir compte des caractères spécifiques de la société maltaise dans son ensemble, ces caractères étant d’ailleurs, en partie, le résultat d’influences exogènes.

1. Préhistoire

Les premiers Maltais furent-ils des marins et des paysans siciliens?

C’est au Ve millénaire (site de Skorba: 4190 梁 160 et 3810 梁 200 av. J.-C., datations par le radiocarbone) que remontent les plus anciennes traces humaines actuellement connues sur les îles. Il s’agit de populations paysannes cultivant du blé, de l’orge et des lentilles, élevant des moutons, des chèvres et des bœufs. Elles occupent des grottes (Ghar Dalam) ou vivent dans des établissements de plein air (Skorba). La présence d’un système économique déjà élaboré, orienté vers la production, correspond manifestement à un processus d’importation. Les céramiques de ces premiers agriculteurs maltais ont des affinités certaines avec la céramique sicilienne (civilisation de Stentinello) et il est vraisemblable qu’il faut chercher sur la grande île l’origine des premiers Maltais connus. L’utilisation de l’obsidienne dès la fin du Ve millénaire, dont l’origine peut être Lipari ou Pantelleria, confirme l’existence de relations maritimes. À une époque où la navigation connaît en Méditerranée un essor rapide, il n’est pas impensable que des traces d’un Néolithique plus ancien, voire celles d’un peuplement épipaléolithique ne soient à terme révélées par la recherche.

À partir du moment où on a identifié les populations insulaires, leur évolution paraît s’effectuer sans pression externe essentielle. Le IVe millénaire est marqué par des styles céramiques originaux – dont témoignent des louches, des coupes à pied, des vases à col cylindrique – caractérisés d’abord par une dominante grise, puis par une dominante rouge. Au cours de cette troisième phase (Red Skorba ), datée de 3225 梁 150 sur le site éponyme, les influences sud-italiques sont à nouveau sensibles. On trouve en effet dans le coloris des poteries maltaises comme dans leurs éléments de préhension («trompettes», «bobines») des affinités avec la civilisation de Diana, vaste complexe installé en Sicile et dans une grande partie de l’Italie péninsulaire qui commercialise jusqu’à Malte l’obsidienne provenant des gisements de Lipari.

Hypogées et monde des morts

Un nouveau stade est atteint vers la fin du IVe millénaire (phase de Zebbug). Les styles céramiques se modifient sensiblement: on modèle des tasses, des plats tronconiques, des urnes décorées de faisceaux de lignes droites ou courbes. Cet horizon est daté de 3190 梁 150 et de 3050 梁 150. Les affinités les plus sensibles sont encore à chercher en Sicile, où le style de San Cono Piano Notaro connaît des formes parfois proches et un décor de lignes incisées. Mais, dans ce cas, les dates proposées sont généralement plus tardives et, jusqu’à plus ample information, il ne semble pas qu’il y ait concordance parfaite entre ces deux complexes. Les premiers hypogées connus, ceux de Ta Trapna, apparaissent à Malte au IVe millénaire. Creuser dans le roc des tombes collectives pour y déposer les défunts de la communauté devient vite l’un des traits culturels marquants de la Malte préhistorique.

Une évolution typologique de ces tombeaux pourrait être mise en évidence: à l’origine petites poches creusées en terrain calcaire à Ta Trapna, ensuite chambres plus complexes de la nécropole de Xemxija présentant parfois des plans polylobés originaux (tombe 5), enfin vaste complexe hypogéique à plusieurs étages et à nombreuses chambres de Hal Saflieni. L’hypogée de Hal Saflieni est l’une des plus importantes tombes artificielles de la Méditerranée. On suppose qu’il fut en même temps un vaste caveau et un lieu de culte. Ici furent déposés les cadavres de plusieurs milliers de personnes, accompagnés de bijoux, d’amulettes, de céramiques. Mais la tombe fut aussi, à sa façon, une sorte de temple. On alla jusqu’à tenter une assimilation aussi parfaite que possible avec les temples en plein air en sculptant dans la roche piliers, linteaux ou poutres tels qu’on peut les voir dans l’architecture des principales constructions de l’archipel. Une salle, le «Saint des Saints», est de ce point de vue un chef-d’œuvre inégalé. En ces lieux vénérés furent déposées des déesses obèses d’albâtre ou de calcaire, des têtes modelées de prêtres ou de pèlerins et surtout une petite statuette de terre cuite, la Dame endormie , au corps charnu livré au sommeil. De même que la plupart des constructions «aériennes», cet hypogée eut une longue vie. On commença à l’aménager dès la fin du IVe millénaire; on continua à l’agrandir par la suite en y ajoutant de nouvelles salles, de sorte qu’il était encore en usage plusieurs siècles après les débuts de son creusement.

Les temples mégalithiques

Ce sont à coup sûr les temples qui font la renommée de la Malte préhistorique. Mais on ignore si cette fonction de temple fut d’emblée affirmée. Peut-être ces importantes constructions de pierre furent-elles au début de simples sépultures? C’est en tout cas l’opinion de quelques chercheurs qui rapprochent leur plan tréflé, caractéristique, des lobes de certaines grottes sépulcrales artificielles plus anciennes (Xemxija). Quelle qu’ait été la raison de leur construction, la gestion de ces imposants bâtiments, leur entretien, le rôle qu’ils ont dû jouer dans la société maltaise devaient certainement être pris en charge par un corps social spécialisé dans le domaine du spirituel. La répartition des temples, qui sont tantôt isolés, tantôt groupés par deux, par trois ou par quatre, montre à l’évidence qu’ils étaient les lieux de culte des diverses communautés rurales disséminées dans l’archipel. En dépit de cette distribution variée sur l’ensemble du territoire, les constructions présentent toutes certains canons architecturaux spécifiques. Ce sont notamment les façades courbes, les plans tréflés, l’utilisation de piliers épais parfois disposés perpendiculairement. On a tenté d’établir une évolution typologique de ces monuments. L’entreprise est périlleuse car certains temples ont été modifiés, réaménagés, ont subi des transformations qui ne permettent pas de saisir convenablement leurs états successifs. Certains chercheurs attribuent les plus anciens monuments à la phase de Mgarr, datée de 2710 梁 150 avant J.-C., sur le site éponyme. D’autres archéologues, partisans d’une chronologie plus contractée, pensent que ce n’est qu’à la phase suivante (dite de Ggantija), vers 2600 avant J.-C., qu’il faut attribuer les monuments primitifs. Quelle que soit la fourchette retenue, plusieurs monuments présentent des traces évidentes d’archaïsmes: plans lobés (Tarxien ancien, Mgarr) ou tréflés (Ggantija-Sud, chambres profondes, Mgarr, Kordin III), murs à blocs empilés (Mgarr, Ggantija-Sud); ils relèvent des premiers stades du mégalithisme maltais. D’autres caractères apparaîtront par la suite et on aura des temples à cinq chambres, et même dans un cas (Tarxien) à sept. Le temple de Ggantija (cf. le plan) en particulier témoigne de l’évolution progressive d’un site: temple tréflé primitif auquel on adjoignit deux pièces antérieures, puis construction au nord d’un deuxième temple à cinq pièces, enfin édification d’un mur général d’enceinte englobant les deux monuments. La conservation partielle de la façade en appareil cyclopéen donne une assez bonne idée du caractère monumental de telles constructions.

L’emploi d’un appareil mieux travaillé, plus régularisé (surtout lorsqu’on a utilisé un matériau plus facile à sculpter, le calcaire à globigérines) a donné parfois des bâtiments d’une grande pureté architecturale. Les deux temples de Mnaidra, certaines parties du temple – sans doute très remanié par rapport à son plan primitif – de Hagiar Kim, sont de véritables chefs-d’œuvre dans l’art de la pierre: appareil régularisé, taille impeccable des supports et des linteaux, assemblage des blocs sur les façades ou dans l’agencement des murs incurvés, portes rectangulaires découpées dans un seul bloc, autels, tabernacles, motifs sculptés, etc. La question de la couverture des temples a fait l’objet de nombreuses discussions. Malgré l’incurvation de leurs murs, on ignore absolument si les temples de Malte étaient réellement voûtés; on pense généralement que la partie terminale était plane, comme semble l’indiquer le «toit» du «Saint des Saints» de Hal Saflieni.

Le bâtiment le plus complexe, le plus vaste aussi, est manifestement celui de Hal Tarxien. Il s’agit en fait du regroupement de trois temples bâtis successivement, puis imbriqués dans une même enceinte à une époque plus récente. Une datation 14 C pour la période «tarxienne» de la civilisation maltaise a indiqué 2430 梁 150 avant J.-C. L’importance du bâtiment qui, par endroits au moins, pouvait comporter un étage, laisse penser qu’il s’agissait peut-être d’une sorte de temple-marché, et que l’on s’orientait déjà ici vers une phase palatiale à la manière des systèmes helladique et minoen.

La fin d’un âge d’or

Pendant toute cette longue période de la civilisation maltaise, incluse entre 2700 et 2300 en chronologie radiocarbone, entre 3500 et 3000 en chronologie réelle, la culture matérielle évolue assez peu. Des changements sont perceptibles dans les styles céramiques où apparaissent pourtant quelques originalités (vases portant un cordon en relief placé près de la base et à décor incisé de la phase Ggantija, anses à perforations incluses dans la paroi des récipients du stade tarxien). Mais, curieusement, l’outillage quotidien reste de pierre. C’est d’ailleurs avec des instruments rudimentaires de pierre et de matières végétales (cales, leviers, cordages, ciseaux, râpes, maillets) que furent construits ou sculptés les temples préhistoriques. À ce titre, l’exemple de Malte est remarquable: l’évolution sociale pyramidale y a permis l’émergence d’un mégalithisme original sans que pour autant cette société ait connu la métallurgie, facteur considéré parfois comme essentiel pour l’accélération sociale. Un autre trait de cette époque réside dans la sculpture ou le modelage de nombreuses statues ou idoles dont les formes adipeuses, très extériorisées, paraissent se rattacher aux cultes agraires du monde paléo-méditerranéen.

On ne sait trop pour quelle(s) raison(s) cet âge d’or disparut dans la seconde moitié du IIIe millénaire. Dans les ruines du temple tarxien, un cimetière fut aménagé par de nouvelles populations dont les racines ne sont pas connues (sud de l’Italie? Sicile? monde égéen?). On les a un temps considérées comme les destructeurs de leurs brillants prédécesseurs, mais on pense aujourd’hui que leur arrivée sur l’archipel, vers 2000 avant J.-C., est en fait assez nettement postérieure à la disparition de la civilisation des temples. Les nouveaux venus incinèrent leurs morts et les déposent dans des urnes. Ils connaissent le travail du bronze et fabriquent notamment des haches plates et des poignards à rivets. On leur attribue la construction et l’utilisation des quelques tombes en gros blocs rencontrées dans l’archipel. Puis, vers le milieu du IIe millénaire, les populations s’installent dans des sites de hauteur fortifiés (par exemple Borg in Nadur). Les meilleurs rapprochements sont encore à chercher du côté de la Sicile. Dès cette époque, Malte entretient des relations commerciales avec Mycènes, comme en témoigne la découverte de céramique mycénienne sur l’île. La phase suivante (Bahrija) semble recouvrir la fin du IIe et les débuts du Ier millénaire.

Le développement de la préhistoire maltaise est caractérisé essentiellement par une évolution locale à laquelle se superposent des influences issues des terres les plus proches (Sicile, Italie du Sud). Le mythe du bastion ou du comptoir égéen vers les terres occidentales a vécu. On peut mettre en parallèle avec le monde égéen (Cyclades, Crète, Grèce continentale) cette société insulaire très tôt productrice d’une architecture monumentale spécifique, avec les implications sociales (hiérarchie, classes) que cela sous-entend. En revanche, le retard apparent en matière de métallurgie assimilerait plutôt Malte à certains modèles de la Méditerranée occidentale, aire où, toutefois, le métal apparaît souvent nettement plus tôt que dans le petit archipel. De même, la fin subite, au IIIe millénaire, de cette civilisation évoluée, est comparable à la décadence rapide de certaines cultures de la Méditerranée occidentale à l’âge du cuivre, et pourrait être un caractère plus occidental qu’oriental. Ce n’est que plus tard, au Ier millénaire, que Malte entrera définitivement dans l’orbe des cultures pan-méditerranéennes en passant sous le contrôle des Phéniciens, puis des Carthaginois, avant de s’intégrer au monde romain.

2. Vicissitudes historiques

Antiquité et Moyen Âge

Appartenant à Carthage (au Ve siècle), Malte devint ensuite enjeu de la lutte entre Carthaginois et Romains. Ceux-ci la prirent en 218, et Rome disposa ainsi d’une base rapprochée de Carthage. Les Romains récompensèrent les Maltais de leur aide dans les opérations contre la grande ville punique en les reconnaissant pour alliés (socii ). Malte profita alors de la «paix romaine». La christianisation se répandit après le naufrage de saint Paul (58 ou 60), qui, d’après les Actes des Apôtres, vécut trois mois sur l’île. Il semble que Malte ait pu échapper aux premières invasions barbares, celles des Goths et des Vandales, et qu’elle ait vécu paisible jusqu’à l’arrivée des Arabes en 870.

L’invasion arabe marque pour l’archipel maltais le début du Moyen Âge. C’est une expédition partie de Tunis qui s’empara de l’île. La majorité des habitants semblent être demeurés sur place. Pour éviter l’esclavage, les Maltais se convertirent à l’islam. Les Arabes firent de Malte un nid de corsaires, d’où ils rayonnaient vers les pays chrétiens et ramenaient de nombreux captifs qui étaient ensuite vendus. Malte commença ainsi à jouer le rôle qui resta le sien pendant près de mille ans: base de course et centre d’esclavage. La domination arabe, toutefois, ne dura que deux cents ans. En 1090, le comte normand Roger s’empara de Malte: son père, Tancrède de Hauteville, en revenant d’un pèlerinage en Palestine, avait conquis l’Italie du Sud, et lui-même était, depuis cinq ans déjà, maître de la Sicile.

La conquête normande porta un coup très grave à la domination arabe en Méditerranée en coupant les communications entre les États arabes de l’Est (Égypte, Syrie) et ceux de l’Ouest (Espagne, Maroc), mais elle n’entraîna pas le départ des populations arabo-berbères fixées dans l’archipel. Un recensement de 1240 montre qu’à cette époque les musulmans et les juifs étaient encore plus nombreux à Malte que les chrétiens. Plusieurs poètes musulmans vécurent alors sur l’île. Aussi n’est-il pas étonnant que la toponymie de l’archipel soit restée arabe et que la langue maltaise, qu’elle dérive du phénicien ou de l’arabe, soit demeurée sémitique.

C’est l’empereur germanique Frédéric II qui expulsa les musulmans de l’archipel entre 1240 et 1250. Pour éviter l’exode, beaucoup se convertirent au christianisme; ainsi se perpétuèrent dans l’archipel des coutumes islamiques telles que la claustration des femmes, qui persista jusqu’au XIXe siècle, et l’usage, par celles-ci, de se voiler en public, en portant la faldetta , qui n’a pas totalement disparu de nos jours.

Après la mort de Frédéric II et le règne de son fils Conradin, Malte passa sous la domination de Charles d’Anjou, frère de Saint Louis (1266). Mais le massacre des Vêpres siciliennes (1282) mit fin à l’occupation française. Les souverains d’Aragon se rendirent maîtres de la Sicile et de Malte et restèrent souverains de l’archipel maltais jusqu’à la donation des îles à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, par Charles Quint, en 1530.

Ces changements fréquents de suzeraineté ne modifièrent guère le mode de vie de la population, tout entier tourné vers la mer. L’exiguïté des îles et leur quasi-stérilité ne permettaient guère à l’agriculture et à l’élevage d’être rentables. Les grands seigneurs furent des corsaires ou des pirates, les riches bourgeois des armateurs et des marchands qui trafiquaient avec tous les pays riverains de la Méditerranée. Jusqu’au XIXe siècle, la course a d’ailleurs été la fidèle compagne du commerce, assortie de razzias à l’intérieur des terres. Ainsi les Maltais débarquent-ils périodiquement dans l’île de Djerba, sur les côtes tunisiennes (1388, 1432), alors que les Arabes viennent faire des rafles à Malte (1412, 1422, 1423).

La majorité des habitants était donc composée de marins. Les cultivateurs ne semblent avoir jamais connu le servage. Le sol était divisé dès cette époque en de nombreuses petites exploitations où l’on cultivait le blé, le coton et le cumin. Les artisans étaient groupés, dans les villes, en corporations dont la plus importante était celle des tailleurs de pierre. En effet, le calcaire blanc de Malte se travaille facilement et on exportait des cubes de pierre taillée jusqu’en Afrique. La corporation des orfèvres était aussi réputée, par ses travaux en filigrane, qui sont, encore aujourd’hui, une spécialité de Malte. Les bourgeois étaient peu nombreux; ils habitaient les deux villes, Città Notabile (ou Vecchia) et le Borgo (ou Bourg), à côté de l’actuel fort Saint-Ange.

Pour la population maltaise, le problème capital était celui du ravitaillement, car déjà à cette époque l’archipel n’arrivait pas à nourrir ses habitants. C’est surtout pour assurer le ravitaillement que fut créée la curieuse institution appelée Université, organisme administratif et économique dont la fonction essentielle consistait dans l’achat des grains en Sicile et en Italie et leur répartition entre les habitants. L’italien était la langue des classes cultivées, le maltais étant relégué à l’état de patois.

L’archipel aurait sans doute évolué vers une fusion encore plus profonde avec l’Italie si, depuis la fin du XVe siècle, il n’avait été de plus en plus sérieusement menacé par les Turcs. Ceux-ci ont pris Constantinople en 1453; en 1522, ils ont chassé de Rhodes les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui avaient fait de cette île un puissant bastion de la chrétienté en Méditerranée orientale; en 1526, ils débarquent à Malte, mettent à feu et à sang le village de Mosta, et se retirent avec quatre cents captifs. La question se pose alors de savoir si les forces espagnoles seront capables de défendre Malte qui, par suite de l’inquiétante expansion turque, prend une valeur stratégique de premier ordre pour la défense de la Chrétienté.

La citadelle des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem

Au moment précisément où Malte était menacée, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem cherchaient une nouvelle base. L’ordre de Saint-Jean avait été fondé vers 1050 pour soigner et protéger les pèlerins qui se rendaient en Palestine. Après la perte de la Terre sainte, ils s’installèrent à Chypre (1291), puis à Rhodes (1308). C’est dans cette dernière île que se fixèrent leurs institutions. Ils se recrutaient exclusivement parmi les plus nobles familles catholiques de l’Europe. Ils devaient prononcer le triple vœu de chasteté, d’obéissance et de pauvreté et s’engager à défendre perpétuellement l’Église sans jamais «abaisser la bannière», demander quartier, reculer ou se rendre. L’ordre était divisé en huit «langues», dont trois françaises (Provence, Auvergne et France), aussi les chevaliers se sont-ils recrutés en majorité en France jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Chaque «langue» possédait, dans les régions où elle se recrutait, des domaines ou commanderies, groupés en bailliages et en grands prieurés. Ces domaines fournissaient à l’ordre les ressources dont il avait besoin pour vivre et pour lutter contre les infidèles. À la tête de l’ordre, le grand maître était élu à vie par les chevaliers. En 1522, c’était un Français, Villiers de l’Isle-Adam; il demanda au pape Clément VII un nouvel asile pour l’ordre.

Le jeune empereur Charles Quint lui céda, le 24 mars 1530, l’archipel maltais «en fief perpétuel, noble et franc». Le 22 juin 1530, les délégués du Grand Conseil de Malte reconnurent le grand maître comme seigneur et feudataire. Les îles reçurent des institutions nouvelles, notamment en ce qui concerne la justice; les droits et privilèges de l’Université furent restreints et les chevaliers commencèrent à fortifier l’archipel.

Effectivement, les Turcs se renforçaient sans cesse. Charles Quint retarda leurs assauts contre Malte par des opérations offensives auxquelles participèrent les chevaliers: il attaqua Alger en 1541. Mais les Turcs, alliés du roi de France François Ier, débarquèrent à Malte en 1547 et ravagèrent trois villages. Nouvelles attaques en 1551 et en 1555. Il fallait protéger l’île par de puissantes fortifications, sinon elle risquait de subir le même sort que Rhodes. Ce fut l’œuvre du grand maître Jean Parisot de La Valette, élu le 21 août 1557, mais avant que le Borgo et la Senglea fussent complètement munis, le 18 mai 1565, cent trente-huit galères turques débarquaient trente-huit mille hommes et cinquante canons. Pour défendre l’île, il y avait cinq cent quatre-vingt-douze hommes de milice, deux mille cinq cents soldats et marins. Les Turcs tenaient à s’emparer d’abord des forts et commencèrent alors le premier siège de Malte, demeuré fameux (18 mai-26 août 1565). Avec l’arrivée d’un corps expéditionnaire envoyé de Syracuse, les chevaliers finirent par avoir raison des Turcs. Cette victoire, premier coup d’arrêt porté à l’expansion des Turcs, fut célébrée avec éclat dans toute la Chrétienté. Le Borgo, qui avait vaillamment résisté à tous les assauts turcs, reçut le nom de Città Vittoriosa. Six ans plus tard, à la bataille de Lépante, la flotte turque fut entièrement détruite (7 oct. 1571). Bien que les Turcs n’eussent plus le contrôle de la Méditerranée, les fortifications de Malte furent continuées. La Valette entreprit la construction, sur le mont Sceberras, d’une ville fortifiée inexpugnable qui porta son nom. La pierre partout présente et facile à travailler permit d’élever des édifices somptueux, «auberges» des différentes «langues», palais du grand maître, bibliothèque, église Saint-Jean.

Ces gigantesques murailles furent inutiles: les victoires de Malte et de Lépante avaient mis fin aux attaques turques. L’activité de l’ordre de Malte se borna désormais à protéger les bâtiments chrétiens contre la course «barbaresque», soit en attaquant des navires barbaresques, soit en menant des razzias avec enlèvement d’Arabes et de Berbères qui servaient de monnaie d’échange ou devenaient esclaves à Malte.

Malte sous les chevaliers de l’ordre et l’influence française

Les chevaliers de Saint-Jean tiraient leurs revenus des propriétés de l’ordre disséminées dans les pays les plus riches d’Europe et de l’activité de la guerre de course contre les Turcs. Malte fut durant le XVIIe et le XVIIIe siècle le principal centre du corso chrétien en Méditerranée (tabl. 1). Les prises assuraient non seulement des biens, mais aussi des captifs, ramant sur les galères ou employés au port.

Tout en continuant de représenter de 10 à 20 p. 100 des armements sous le pavillon de Saint-Jean, la course perdit progressivement de son importance. Dans les deux dernières décennies du XVIIIe siècle, l’esprit belliqueux céda peu à peu le pas aux facilités du négoce pour les uns, aux frivolités de cour pour les autres.

L’influence espagnole, prépondérante jusqu’en 1680, fut remplacée par celle de la France. Dans la stratégie navale française, l’île joue un rôle essentiel: ravitaillement, réparations navales, abri sûr du port. En 1765, le roi de France décida que «les habitants des îles sous la domination de l’ordre de Malte seraient tenus pour régnicoles dans le royaume de France».

Les Français fournissaient les deux tiers des effectifs des chevaliers, le plus grand nombre des quarante-quatre grands maîtres qui se succédèrent à la tête de l’ordre, plus de la moitié des revenus, les trois quarts des navires entrés dans le port. L’île souffrait des exactions des chevaliers, du surpeuplement relatif (qui fournissait de marins maltais les grands ports méditerranéens), des ravages des épidémies. Le divorce s’affirma entre les habitants et l’ordre, de moins en moins rigoureux dans ses principes, de plus en plus oppressif dans son administration tatillonne.

Les derniers grands maîtres, notamment Emmanuel de Rohan Polduc (1776-1797), s’efforcèrent de restaurer la situation en luttant contre les abus, en promulguant le code de lois, en cherchant surtout à développer les activités maritimes pacifiques: fonction d’escale de quarantaine pour les navires européens revenant du Levant, réparations navales, redistribution commerciale avec l’Afrique du Nord.

Ce fut le dernier éclat. L’ordre paraissait perdu lorsque éclata la Révolution française. Les biens français furent confisqués en septembre 1792. L’affaiblissement de l’influence de la France réveilla les convoitises anciennes. Le Royaume-Uni en prévoyait la conquête en remplacement de sa base de Minorque (1794). Le tsar Paul Ier créait de nouvelles commanderies et se posait en nouveau protecteur de l’ordre.

La conquête de Malte par la France (décidée en principe en septembre 1797) fut effectuée par Bonaparte, grâce à la trahison du grand maître, l’Allemand Hompesch, et au refus de combattre d’une partie des chevaliers et des Maltais. Le 12 juin 1798, les Français étaient maîtres de l’île, de ses dépôts d’armes, du trésor de l’ordre. Malte, annexé en fait à la France, reçut de nouvelles institutions de Bonaparte, pendant son court séjour d’une semaine. À son départ, il la confia au général Henri Vaubois avec quelque 4 000 hommes.

Le régime français se rendit vite odieux. Réquisitions, impôts, mesures anticléricales soulevaient les habitants, encouragés par les agents anglais. Ils formèrent un gouvernement provisoire et réunirent une Assemblée législative.

Bloquée par les croisières anglaises, attaquée par la population, minée de l’intérieur par les dissensions et la maladie, la garnison française capitula après deux ans de siège (5 sept. 1800).

Le traité d’Amiens (25 mars 1802) stipula la restauration de l’ordre de Malte malgré la forte protestation des Maltais, qui y voyaient le prélude du rétablissement de l’influence française.

L’Assemblée de Malte dans une Déclaration des droits appela (art. 1er) le roi d’Angleterre à établir sa souveraineté sur l’île à la double condition que soit observée la constitution qu’elle se proposait de voter et que soit maintenue la religion catholique romaine. En 1813, ces conditions furent acceptées, et le gouvernement britannique reconnut les Maltais comme sujets britanniques. Le traité de Paris (30 mars 1814) ratifia ce véritable contrat entre la Grande-Bretagne et les habitants des îles.

Malte, colonie britannique (1814-1974)

Essor et épanouissement

Pendant quelques années, Malte avait été transformée en entrepôt de marchandises qui étaient redistribuées plus ou moins licitement dans l’Europe napoléonienne fermée, en principe, aux produits anglais par le blocus continental.

Cette prospérité factice ne dura guère. Une crise brutale frappa l’île en 1813-1815. La peste la ravagea, enlevant près de 5 000 habitants. La levée du blocus et le rétablissement des relations maritimes navales firent s’effondrer le commerce. La misère s’étendait, offrant un terrain propice aux épidémies; le choléra de 1837 fit 4 252 victimes.

Aux difficultés économiques et sociales s’ajoutait le malaise politique. Les Maltais réclamaient les libertés promises. Il leur fallait attendre 1835 pour que soit créé un conseil consultatif du gouvernement, composé de membres nommés par les autorités anglaises.

La liberté de la presse ne fut accordée qu’en 1836. Elle ouvrait moins une nouvelle période politique qu’elle n’offrait une tribune aux revendications libérales d’une élite encouragée par les réfugiés politiques italiens.

Le grand essor de Malte, qui débute dans les années 1840, va, pendant près d’un demi siècle, transformer ses structures matérielles, sociales et intellectuelles. La relative prospérité que connaît l’île est due à ses nouvelles fonctions de port d’entrepôt, de station charbonnière et d’escale, au rôle de l’émigration et de ses remises, à l’importance de la base navale que les Anglais y entretiennent.

Les premiers services de navigation à vapeur en Méditerranée se croisent à Malte. Ils y apportent d’abord passagers et dépêches, puis les marchandises redistribuées par les voiliers vers les petits ports voisins.

Produits coloniaux venus d’Orient et d’Extrême-Orient, blés arrivés de mer Noire et de Turquie s’accumulent dans les entrepôts et les silos pour être revendus en période de hauts prix et de rareté frumentaire. La guerre de Crimée (1854-1856) et les années qui précèdent l’ouverture du canal de Suez marquent l’apogée de cette fonction d’entrepôt et de redistribution.

Elle est favorisée par le réseau de correspondants que l’émigration a essaimé dans tous les ports méditerranéens. L’accroissement rapide de la population (tabl. 2) sur une île aux réserves agricoles réduites et à l’industrie nationale limitée (cotonnades) oblige à chercher subsistance ou fortune dans les pays voisins.

Les remises des émigrants contribuent fortement à rééquilibrer une balance commerciale largement déficitaire. En 1901, quelque 65 000 Maltais – soit plus du tiers de la population totale des îles – sont éparpillés dans tout le bassin méditerranéen, surtout en Égypte et en Afrique du Nord française.

Malte est devenu, depuis le milieu du XIXe siècle, un des premiers ports charbonniers du monde (tabl. 3). Nœud des navigations à vapeur, La Valette devient, après 1870, l’escale de la route de l’Extrême-Orient. Chaque année, environ 20 p. 100 des navires qui y touchent traversent le canal de Suez.

L’île est enfin devenue la principale base militaire anglaise en Méditerranée, au détriment de Gibraltar. D’importants travaux sont effectués dans le port dont les possibilités de radoub et de carénage sont périodiquement augmentées. Les effectifs de la garnison s’accroissent régulièrement, passant de quelque 3 000 dans les années 1840 à plus de 10 500 en 1901. À cette date, avec les équipages de la flotte de guerre basée à La Valette (11 000), les militaires anglais atteignent près de 12 p. 100 de la population de Malte. La base fournit une grande partie des emplois (4 000) et un revenu annuel considérable (1,3 million de francs or).

Parallèlement, le régime anglais s’est libéralisé. La Grande-Bretagne a concédé des constitutions – en 1849 et en 1887 surtout – par lesquelles la représentation élue des Maltais au Conseil législatif a été progressivement accrue (8 sur 17, puis 13 sur 19). Toutefois, la Constitution de 1903, bien qu’élargissant le corps électoral, sembla marquer un recul et déplut à l’opinion publique.

L’ère des difficultés, 1903-1947

Les concessions politiques de l’Angleterre apparaissaient en effet insuffisantes face à la montée du nationalisme maltais. Les revendications s’affirment au tournant du siècle; d’ordre linguistique: le développement de l’enseignement qui s’accélère (35 p. 100 d’analphabètes en 1870, 18 p. 100 en 1900) pousse les Maltais à réclamer que leur langue, et non l’italien ou l’anglais, soit langue officielle. D’ordre administratif: l’élite demande une plus large participation à l’administration et la parité des salaires.

L’opposition politique se renforce d’un malaise économique et social croissant. Malte, comme tous les ports d’entrepôt méditerranéens, voit son rôle d’intermédiaire décroître. Comme dépôt de charbon, La Valette est de plus en plus concurrencé par Port-Saïd. Les importations de charbon de soute diminuent de moitié entre 1885 et 1910 (400 000 t). Les effectifs de la base sont réduits; la vieille industrie textile a peine à survivre, les constructions navales diminuent.

Ces difficultés économiques et l’agitation en faveur d’une réforme constitutionnelle conduisent aux violentes émeutes de La Valette du 7 juin 1919. Elles poussent l’Angleterre à concéder la Constitution de 1921 instaurant un véritable Parlement. Celle-ci est jugée insuffisante par les nationalistes qui, désormais, réclament l’indépendance. L’Italie fasciste s’efforce d’utiliser à son profit le mécontentement (ouverture le 2 juin 1924 de la maison de l’Italie à Malte, essai de mobilisation à son profit de l’influence de l’Église catholique, rôle du journal italien Malta ). Devant l’agitation croissante, Londres suspend la Constitution le 24 juin 1930. Les nationalistes entraînés par Ugo Mifsud et Enrico Mizzi se proclament ouvertement séparatistes.

Le gouvernement anglais riposta en 1936 par de rigoureuses mesures anti-italiennes et par la promulgation, le 26 février 1939, d’une nouvelle Constitution.

La Seconde Guerre mondiale fut terrible pour l’île, pratiquement isolée, et soumise à de violents bombardements aériens: 2 500 attaques firent 5 000 victimes civiles et provoquèrent d’importantes destructions (17 000 bâtiments).

L’accession à l’indépendance, 1947-1974

À la fin de la guerre, la lutte pour l’indépendance reprit. L’Angleterre accorda le self government en 1947. Les problèmes économiques et sociaux marquèrent cette période. La très forte émigration, vers l’Angleterre et le Canada surtout (38 311 départs entre 1946 et 1953), ne fit que ralentir une extraordinaire poussée démographique (260 000 habitants en 1936, 312 000 en 1950, 325 000 en 1955).

Le déclin de l’île comme base stratégique et la diminution progressive des effectifs anglais aggravèrent la situation. Pour le Parti travailliste maltais, majoritaire aux élections de 1947 à 1955, la solution résidait dans l’intégration au Royaume-Uni. En 1956, un référendum dégagea en sa faveur une majorité de votants (75 p. 100) mais une minorité d’électeurs (44,5 p. 100). Le vote ne parut pas assez net au gouvernement britannique qui réserva son accord, tout en proposant que les îles disposent de trois sièges aux Communes. En 1959, le projet fut abandonné, et Malte continua d’être «une colonie de la Couronne» jouissant d’une autonomie complète: seule la Défense et les Affaires extérieures demeuraient du domaine réservé à la métropole.

Aux élections générales de février 1962, le Parti nationaliste l’emporta. L’Assemblée proclama l’indépendance de l’État de Malte le 3 mars, le gouvernement demanda en août la reconnaissance par Londres de cette pleine indépendance. Elle fut accordée en mai 1964 et, après référendum (65 000 oui, 54 000 non, 36 000 abstentions), proclamée le 21 juillet 1964.

L’accord anglo-maltais du 21 juillet avait prévu le maintien de l’île dans le Commonwealth, un régime monarchique dont le souverain était la reine d’Angleterre représentée sur place par un gouverneur général, la fourniture par Londres d’une aide financière considérable pour aider à la reconversion économique de La Valette, la possession par la Grande-Bretagne d’une base navale et l’assurance de bénéficier dans l’île «en temps de paix comme en temps de guerre» de nombreuses facilités de défense. Le produit national dépendait alors encore pour près de 60 p. 100 de l’activité des bases navales et aériennes britanniques.

Les élections législatives de 1966 virent la victoire du Parti nationaliste conservateur, celles de 1971 celle du Parti travailliste maltais animé par la forte personnalité de Dom Mintoff. Premier ministre, celui-ci entreprit de parachever l’indépendance. Les derniers liens institutionnels avec Londres furent rompus par l’adoption par le Parlement, le 13 décembre 1974, d’une Constitution républicaine. Les accords de défense furent dénoncés en juin 1977 et la base britannique entièrement évacuée en mars 1979.

3. Malte de 1974 à 1985

L’archipel maltais (Malte, Gozo, Comino, Cominotto et Fiefla) ne couvre que 316 kilomètres, avec 360 000 habitants environ, soit une des densités les plus élevées du monde (1 138 hab./km2).

La population continue d’augmenter mais faiblement (0,4 p. 100 par an) par suite d’une baisse rapide et forte de la natalité passée de 30 p. 1 000 dans les années soixante à moins de 16 p. 1 000 en 1988. L’émigration s’est également ralentie, tombant de 9 000 personnes en 1964 à 2 500 en 1970 et quelque 1 000 à 1 500 dans les années quatre-vingt. La conurbation portuaire attire les trois quarts de la population autour du noyau central de La Valette, parée de son prestige de capitale administrative et politique, de cœur religieux d’une île restée fortement marquée de catholicisme pratiquant, de foyer intellectuel d’où rayonne le renouveau de la culture maltaise. Autour de ce noyau s’étendent en auréoles les quartiers résidentiels, puis les faubourgs industriels.

La population possède une forte originalité formée par le double jeu des invasions successives et de l’insularité. La langue est le plus significatif de ces traits spécifiques. Le maltais, très proche de l’arabe, s’écrit avec des caractères latins. L’italien est demeuré en partie langue de culture, l’anglais langue des affaires; le maltais, langue officielle, est de plus en plus utilisé dans la production intellectuelle.

Fortement marqués par la religion catholique, religion officielle de la République maltaise, qui intervient dans tous les domaines de la vie quotidienne, et encadrés par son puissant clergé populaire, les Maltais laborieux et dotés d’une subtile habileté en affaires ont su relever les défis d’une nature somptueuse mais de pauvres ressources, d’un climat typiquement méditerranéen dans sa relative sécheresse et ses caprices d’une année à l’autre.

Les conditions naturelles peu favorables d’une île «où la terre semble s’être effacée au profit de la pierre» et l’exode rural ont fait tomber la population occupée à l’agriculture à 20 p. 100 dans les années soixante-dix et 5 p. 100 en 1990 (4 p. 100 seulement pour l’île de Malte). Il s’agit plus de jardinage que de culture. La dépendance alimentaire est forte: pour les quatre cinquièmes, Malte doit avoir recours aux importations pour se nourrir.

Un gros effort a été fait dans le domaine industriel qui employait 24 p. 100 de la population en 1964, 34 p. 100 en 1982, près de 40 p. 100 en 1988. La reconversion des installations militaires largement aidée par des fonds britanniques a été une réussite. La modernisation et l’ampleur des équipements assurent à Malte une place importante en Méditerranée dans la construction et la réparation navales, la maintenance des navires de servitude et des plates-formes de forages pétroliers. Les chantiers navals ont su maintenir leur clientèle traditionnelle mais surtout attirer les unités de bon nombre de jeunes flottes de commerce – et de guerre – des pays riverains du Sud ayant des moyens maritimes en pleine expansion mais manquant encore d’infrastructures nationales suffisantes.

À l’instigation de la Malta Development Corporation, un secteur actif de petites industries s’est renforcé: industries textiles traditionnelles rénovées (50 p. 100 du marché de transformation), usines chimiques, électriques et électroniques. Ces industries demeurent toutefois fragiles. Elles dépendent en majeure partie de l’étranger pour les capitaux (70 p. 100 des investissements totaux), pour certains cadres, pour l’énergie entièrement importée. La main-d’œuvre, certes habile, demeure peu qualifiée. Elles sont très sensibles à la conjoncture et ont été durement frappées en 1979-1980 et en 1987. Le taux de chômage demeure élevé (8 p. 100 en 1988), le produit national, après avoir stagné ou régressé, remonte depuis 1987 (tabl. 4).

Le tourisme, comme dans la plupart des îles méditerranéennes, a semblé être la panacée. Il démarre dans les années soixante, décuple en une décennie (tabl. 5). Mais l’exiguïté d’une île sururbanisée n’offre que des possibilités relativement limitées. L’infrastructure est en partie déjà désuète. Après un maximum en 1980, le tourisme eut tendance à stagner.

Aussi bien la balance des comptes, en équilibre grâce aux remises, aux services, au tourisme, se dégrade. Les importations s’accroissent sensiblement plus rapidement que les exportations (tabl. 6).

D’abord résolument européenne, avec l’accession, le 25 janvier 1965, au Conseil de l’Europe, les accords avec le Royaume-Uni, la France et l’Italie, Malte inclina, à partir de 1972-1974, sous l’influence de Dom Mintoff, vers le neutralisme, puis vers l’alliance privilégiée avec les pays arabes et surtout la Libye avec laquelle se multiplient dans les années quatre-vingt les échanges et les accords conduisant à la signature d’un traité d’amitié en novembre 1984.

La démission de Mintoff le 22 décembre 1984, remplacé par Carmel Mifsud Bonicci, le maintien de relations commerciales dominantes avec l’Europe (70 p. 100 des échanges), l’évolution de l’opinion publique ramènent la politique de Malte à une position plus modérée que confirme, en mai 1987, la victoire du Parti nationaliste conservateur (51,3 p. 100 des voix).

4. Le nouveau cours après 1985

La crise des années 1984-1986, marquée par une dégradation de la balance commerciale, l’accroissement du chômage, la chute brutale de la croissance au-dessous de 1 p. 100, a provoqué un changement de la politique économique et de la politique extérieure, stimulé par les transformations internationales.

Après les élections de mai 1987, le gouvernement libéral d’Eddie Fenech Adami succède à seize ans de régime socialiste et neutraliste. En avril 1989, Agatha Barbara est remplacée à la tête de l’État par Vincent Tabone. Les élections législatives anticipées du 22 février 1991 accroissent l’avance du parti nationaliste sur les travaillistes. Elles renforcent la nouvelle équipe au pouvoir confortée par une conjoncture internationale modifiée.

Le changement s’affirme d’abord dans le domaine économique, avec l’adoption de mesures libérales et le choix, de plus en plus marqué, de l’économie de marché. Par des mesures fiscales, le gouvernement s’est employé à stimuler les industries. Le chômage est resté limité à moins de 4 p. 100 de la population active. Les entreprises se sont multipliées, portant la croissance économique à 3 p. 100 en 1989, à 5 p. 100 en 1990 et à près de 6 p. 100 en 1991. Le revenu moyen annuel a augmenté de 50 p. 100 en quatre ans. Le problème aigu du ravitaillement en eau a été partiellement réglé grâce à l’importation régulière par tanker, qui permet de pallier un déficit considérable dû à la rapide et importante croissance de la consommation (liée en partie à l’essor du tourisme), 8 millions de mètres cubes en 1955-1956, 23 millions en 1980-1981, près de 35 millions en 1991.

Le gouvernement a surtout parié sur la vocation financière de l’île. Les programmes économiques rappellent ceux qu’applique avec succès Gibraltar: zone off shore, port franc, incitations fiscales aux investissements, développement des infrastructures (nouveau terminal aérien, amélioration portuaire, extension des télécommunications).

L’ambition est de faire de l’île un foyer de capitaux et de services. L’exploration pétrolière dans les eaux territoriales a été, depuis l’automne de 1990, largement développée (prospection sur 4 200 km2 au nord et à l’est).

Pour sa politique extérieure, dans le même temps, l’île se tourne de plus en plus vers l’Occident. Le gouvernement a pris ses distances à l’égard de la Libye, tout en renouvelant l’accord liant les deux pays en décembre 1989. Malte a renoué avec les États-Unis, avec Israël. Elle compte surtout sur l’Europe. L’île a officiellement demandé son adhésion à la Communauté économique européenne en juillet 1990. Les échanges se font désormais, pour plus de 80 p. 100, avec la Communauté, l’Italie ayant tendance à se tailler de plus en plus la part du lion avec près de 33 p. 100 des importations et 30 p. 100 des exportations.

Malte entend enfin jouer un rôle décisif dans la définition de la mise en place d’une «politique méditerranéenne». Le groupe dit 5 + 4 (les cinq pays du Maghreb et les quatre États latins du sud de l’Europe) l’a cooptée comme dixième membre en octobre 1991. L’île retrouve son rôle médian entre les deux groupes. L’accord en ce domaine existe entre les deux forces politiques majeures du pays. L’opposition travailliste s’est ralliée à l’idée européenne, le gouvernement nationaliste reste fermement attaché à la neutralité de l’île.

Depuis 1986, le gouvernement maltais et la Fondation pour les études internationales de La Valette organisent deux sessions d’université d’été euro-arabe, avec la participation de quelque quarante universités et d’une dizaine d’institutions méditerranéennes.

L’île, avec le soutien de l’U.N.E.S.C.O., est ainsi devenue le lieu privilégié des rencontres et colloques internationaux de coopération culturelle. Cette forme spéciale de tourisme, permettant, avec ses retombées financières, l’utilisation en hiver de l’infrastructure touristique, semble pour l’avenir un des atouts majeurs de Malte.

malté, ée [ malte ] adj.
• 1808; de malter
1Converti en malt. Orge maltée.
2Mêlé de malt. Farine maltée. Lait malté.

Malte
(croix de) croix à quatre branches égales allant en s'évasant et dont les bras se terminent par des pointes, insigne des chevaliers de Malte.
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Malte
(fièvre de). Syn. de brucellose.
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Malte
(ordre souverain militaire et hospitalier de) ordre religieux et militaire créé en 1099 et 1113 pour défendre les pèlerins de Terre sainte, et appelé alors hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Après la prise de Saint-Jean-d'Acre, les hospitaliers s'installèrent à Chypre (1291), puis à Rhodes (1308: chevaliers de Rhodes) et à Malte (1530-1798: chevaliers de Malte). L'ordre s'installa à Rome en 1834. Auj., sa fonction est seulement charitable.
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Malte
(république de) (Repubblika ta'Malta; Republic of Malta), état insulaire de la Méditerranée, membre du Commonwealth, situé entre la Sicile et la Tunisie; 316 km²; environ 345 000 hab.; cap. et port princ. La Valette. Nature de l'état: rép. parlementaire. Langues off.: maltais, anglais. Monnaie: livre maltaise. Relig.: cathol. Géogr. et écon. - île calcaire peu élevée (258 m), au climat méditerranéen sec, Malte doit produire l'eau douce dans des usines de dessalement d'eau de mer. Auj., la pop. s'accroît peu; l'émigration, autref. massive, s'est tarie. La densité est extrême: 1 100 hab./km². L'économie est diversifiée et assez prospère: agriculture (céréales, fruits, légumes), industries, tourisme. Hist. - En raison de sa position stratégique, l'île fut toujours disputée; Phéniciens, Grecs, Carthaginois et Romains l'occupèrent. Conquise par les Arabes (IXe s.) puis par les Normands de Roger de Sicile (1090), son histoire se confondit avec celle du royaume de Sicile jusqu' en 1530: Charles Quint la céda aux chevaliers de Rhodes, qui prirent le nom de chevaliers de Malte. L'île leur fut enlevée par Bonaparte en 1798. Les Anglais s'en emparèrent en 1800 et en firent une base militaire, plus importante encore après 1940. Malte accéda à l'indép. en 1964, dans le cadre du Commonwealth. De 1971 à 1987, le travailliste Dom Mintoff pratiqua le non-alignement; en 1972, il conclut avec la G.-B. la fermeture des bases, effective en 1979. En 1987, les libéraux, vainqueurs aux élections, orientèrent autrement la polit. et demandèrent en 1990 l'adhésion à la C.é.E.

malté, ée [malte] adj.
ÉTYM. 1808, in Höfler; de malter.
1 Converti en malt. || Orge maltée.
2 (Angl. malted). Mêlé de malt grillé. || Lait malté.

Encyclopédie Universelle. 2012.