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HAWAII
HAWAII

Les îles Hawaii, le plus tardivement découvert des grands archipels du Pacifique (Cook, 1778), sont aussi originales par leurs aspects physiques (climat très favorable à l’homme, énormes volcans basaltiques comme le Mauna Kea et le Mauna Loa, le plus grand volcan actif du monde) que par leur histoire, la diversité de leur population et leur remarquable prospérité économique fondée sur leur intégration aux États-Unis, dont elles constituent le cinquantième État (le seul non continental) depuis 1959. Les îles Hawaii, qui n’ont guère plus d’un million d’habitants, occupent, au début des années 1990, une position géopolitique considérable et s’affirment à la fois comme le point nodal de l’influence américaine dans le Pacifique et comme un point de pénétration privilégié pour les capitaux japonais.

Un grand archipel volcanique

L’archipel des Hawaii est isolé au cœur du Pacifique nord, juste au sud du tropique du Cancer (entre 220 10 et 180 55 N), à quelque 3 850 km de la Californie à l’est, à 6 200 km du Japon à l’ouest et, vers le sud, à près de 3 900 km des Marquises d’où sont venus les premiers colonisateurs polynésiens. Il s’allonge sur environ 650 km du nord-ouest au sud-est sur une puissante dorsale sous-marine récente (30 millions d’années) qui se prolonge vers le nord-ouest jusqu’à Midway. Formé de huit îles principales dont sept habitées, il couvre 16 706 km2 dont près des deux tiers pour la grande île d’Hawaii (10 458 km2). Les autres, et en particulier Oahu qui regroupe les trois quarts de la population, occupent des surfaces bien moindres (Maui 1 887 km2, Oahu 1 574 km2, Kauai 1 433 km2).

Les îles Hawaii sont constituées par de grands volcans basaltiques, éteints et en partie démantelés par l’érosion à l’ouest et au centre, mais encore actifs dans l’est de l’île d’Hawaii où se trouve le plus grand volcan actif du monde, le Mauna Loa (4 169 m), flanqué à l’est du plus petit Kilauea (1 248 m), aux fréquentes et spectaculaires éruptions. L’énorme empilement des coulées de basaltes, fluides lorsqu’ils sont en fusion, donne des cônes aux formes douces mais aux dimensions impressionnantes. Le Mauna Kea, point culminant de l’archipel (4 205 m), comme le Mauna Loa figurent parmi les montagnes les plus puissantes du globe si l’on considère qu’ils s’élèvent depuis un fond marin à 漣 5 000 m ou 漣 6 000 m. Dans l’île d’Hawaii et dans l’est de Maui (volcan Haleakala, 3 055 m), ce sont les paysages de construction volcanique qui l’emportent, même si quelques formes spectaculaires d’érosion apparaissent (vallée de Waipio au nord de l’île d’Hawaii). Dans les autres îles au contraire, à part quelques petits cônes de scories aux formes très fraîches qui témoignent d’une reprise très récente de l’activité (Diamond Head dominant Waikiki à Oahu), ce sont les paysages nés de la destruction des édifices volcaniques par l’érosion et les affaissements tectoniques qui dominent, avec de véritables canyons (Waimea à Kauai), de grandes falaises (nord de Molokai) et abrupts (pali ), plus ou moins verticaux sur des hauteurs considérables.

Les plaines sont réduites à un étroit liseré littoral discontinu, un peu plus large là où d’anciens récifs coralliens ont été légèrement soulevés comme au sud-ouest d’Oahu, autour de la grande «ria» de Pearl Harbor. Mais on trouve aussi des plateaux faiblement inclinés et offrant donc des possibilités de mise en valeur sur les flancs des volcans, par exemple entre deux édifices comme à Maui (Wailuku) et à Oahu (Wahiawa). Les côtes basses sont protégées par des récifs frangeants et souvent des récifs barrières, très peu développés dans l’île d’Hawaii où, à l’est notamment, la houle du Pacifique vient frapper directement les coulées basaltiques, donnant falaises et plages de sable noir (Kalapana). Même à Oahu, les barrières coralliennes sont discontinues: au nord de l’île, les grands systèmes de vagues qui déferlent sur la côte font de Sunset Beach, par exemple, l’un des hauts lieux du surf dans le monde.

Un climat tropical original

De par leur position au sud du tropique, les Hawaii ont un climat chaud, mais la chaleur est atténuée et uniformisée tout au long de l’année par l’influence océanique. À Honolulu par exemple, la moyenne du mois le plus chaud ne dépasse pas 26,20 et celle du mois le moins chaud 22,30. Mais c’est surtout la répartition et le régime des pluies qui sont originaux. En premier lieu, la barrière des montagnes volcaniques faisant face à l’alizé soufflant de l’est-nord-est donne naissance à une opposition entre versant au vent (windward ) et versant sous le vent (leeward ) qui prend ici une très grande ampleur. Dans l’île de Kauai par exemple, alors qu’il tombe plusieurs mètres de précipitations dans les districts du nord-est de l’île, et jusqu’à 15 mètres et plus (record du monde!) au sommet du mont Waialeale (1 569 m), dans la plaine sous le vent, à quelques dizaines de kilomètres seulement des points les plus arrosés, on descend à moins de 500 mm de pluie. On retrouverait des oppositions de même nature aussi bien à Oahu qu’à Maui, tandis que, dans l’île d’Hawaii, la situation est un peu plus complexe du fait de la présence des «géants» Mauna Loa et Mauna Kea. En second lieu, le régime des pluies est aux Hawaii, notamment sur les côtes sous le vent les moins arrosées, inverse du régime tropical classique: c’est l’été qui constitue la saison sèche, totalement sèche souvent, soit un régime proche de celui des Canaries ou rappelant celui du monde méditerranéen.

Au total, le climat des Hawaii est certainement l’un de ceux qui offrent les conditions les plus agréables à l’homme et, dans le monde tropical, celui peut-être qui garantit aux touristes les meilleures chances d’un séjour plaisant quelle que soit la saison. Certes, la nature aux Hawaii n’est pas totalement exempte de brutalité. Si les éruptions volcaniques fréquentes sont plus un somptueux spectacle qu’un danger réel, sauf parfois pour les cultures, l’onde de choc née des grands tremblements de terre de la périphérie du bassin pacifique peut engendrer sur les rivages hawaiiens, à plusieurs milliers de kilomètres de distance, des séries de vagues catastrophiques et meurtrières (tsunamis) contre lesquelles a été mis en place, d’ailleurs, un efficace système d’alerte à l’échelle de tout l’océan. En général, les Hawaii ne sont pas affectées par les cyclones tropicaux, mais elles peuvent épisodiquement être frappées par des tornades d’origine tempérée ou tropicale (cyclones Iwa en nov. 1982 et Iniki en déc. 1992, qui ont causé tous deux de grands dégâts dans l’île de Kauai). Toutefois, ce ne sont là que des phénomènes très rares et, si l’on ajoute au bilan positif pour l’homme l’absence dans l’archipel de toutes les plus grandes maladies endémiques du monde tropical, les Hawaii sont certainement l’un des milieux naturels répondant le mieux au stéréotype du paradis insulaire.

C’est aussi l’isolement des Hawaii dans le Pacifique nord qui a donné à la végétation et à la faune naturelles de l’archipel leurs caractères originaux. Avant l’arrivée des Européens, 96 p. 100 des espèces de plantes à fleurs, 98 p. 100 des insectes étaient endémiques, c’est-à-dire n’existaient qu’aux Hawaii, résultat d’une longue évolution sur place d’espèces apportées par le hasard des vents et des courants marins ou par l’intermédiaire des oiseaux, par exemple. Certes, à la fin du XXe siècle, flore et faune originelles ont été submergées par les plantes et les animaux introduits, volontairement ou non, pendant les deux siècles de contact avec le monde extérieur. Nombre d’espèces ont disparu; il en reste cependant assez pour faire des Hawaii un remarquable laboratoire d’étude des phénomènes d’évolution.

Un archipel polynésien tardivement découvert

Les îles Hawaii constituent l’extrémité nord-est de l’immense aire d’extension du peuplement polynésien dans le Pacifique. Les premiers colonisateurs semblent être arrivés des Marquises vers 600-700 après J.-C. Leur succédèrent plusieurs vagues de migrants tahitiens, avec un dernier contact entre les îles de la Société et les Hawaii au XIIIe siècle, commémoré par les voyages du catamaran traditionnel hokulea en 1976 et 1980. Depuis le XIIIe siècle, la civilisation polynésienne des Hawaii s’est développée de façon autonome, avec un partage de l’archipel en petits royaumes rivaux, une structure sociale parfois dite féodale, juxtaposant les castes de prêtres et de chefs (ali’i ) et le menu peuple des cultivateurs-soldats qui étaient tenanciers des nobles. Les activités de subsistance – culture du taro inondé, pêche, élevage des porcs, etc. – ne différaient qu’assez peu de celles du reste des îles hautes polynésiennes, mais laissaient assez de temps en tout cas pour une vie religieuse et sociale active, marquée par les danses (hula ) et les sports (surf, lutte, etc.). Au moment de leur découverte par les Européens, les îles Hawaii comptaient vraisemblablement entre 220 000 et 240 000 habitants (même si certains avancent aujourd’hui des chiffres très supérieurs), qui ne connaissaient ni l’écriture, ni les métaux, ni la poterie, ni la roue.

C’est James Cook qui, dans son troisième voyage destiné à explorer le Pacifique du Nord-Est et la côte nord américaine, encore inconnue entre la Californie et l’ouest de l’Alaska, découvrit les Hawaii le 18 janvier 1778, venant de Tahiti. Après plus de neuf mois de campagne dans le Pacifique nord, il y revint à la fin de novembre 1778, accueilli à nouveau comme un dieu. Mais, forcé de séjourner plus longtemps que prévu, Cook fut victime d’une échauffourée sur le rivage de la baie de Kealakekua (île d’Hawaii) le 14 février 1779. Aperçues par La Pérouse, visitées par Vancouver, les îles Hawaii furent unifiées au tout début du XIXe siècle sous l’autorité d’un monarque indigène, Kamehameha Ier, grâce aux techniques et aux conseillers européens. L’effondrement en 1819 de la religion traditionnelle fondée sur le respect des tabous fut presque aussitôt suivi (1820) par l’arrivée des missionnaires puritains venant de Nouvelle-Angleterre. Ceux-ci convertirent la régente et parvinrent un temps à établir une véritable théocratie puritaine, luttèrent contre la pénétration catholique, d’où plusieurs interventions de la marine française, et inspirèrent une vaste réforme foncière (Grand Mahele , 1849-1851, ou partage des terres attribuées en pleine propriété à la Couronne et au gouvernement, aux chefs et aux tenanciers) qui devait, par la suite, permettre un transfert d’une grande partie du patrimoine foncier aux plantations.

Les grandes transformations de l’archipel au XIXe siècle

Entre 1830 et 1870, c’est le rôle de point d’escale et d’hivernage pour les flottes baleinières du monde entier – mais surtout de Nouvelle-Angleterre – qui donna un premier essor économique à l’archipel. Le pas décisif fut franchi cependant en 1876 avec la signature du traité de réciprocité entre les États-Unis et le royaume d’Hawaii, qui ouvrit le marché américain, notamment la Californie, aux productions hawaiiennes, en particulier au sucre. On assista alors en quelques années à la prolifération des plantations de canne, le développement à partir des années 1880 des grands systèmes d’irrigation permettant de mettre en valeur les plaines et les bas plateaux sous le vent, secs mais ensoleillés. Le traité de réciprocité eut cependant une importance dépassant largement le cadre économique: d’abord il accentuait fortement la vocation américaine de l’archipel qui n’avait cessé de s’affirmer depuis l’essor fulgurant de la côte pacifique des États-Unis. Ensuite, les besoins en main-d’œuvre des plantations rendirent plus évident encore un phénomène essentiel au XIXe siècle aux Hawaii, l’effondrement démographique de la population indigène. Il n’y avait déjà plus que 71 000 Hawaiiens en 1853, mais, en 1900, on était tombé à 39 656, en y incluant quelque 9 850 métis! Tout développement économique reposait donc sur l’importation d’une main-d’œuvre extérieure à l’archipel. Mais, aux Hawaii, il y avait plusieurs conceptions de l’immigration, celle des planteurs voulant des coolies asiatiques dociles et bon marché, celle de la monarchie voulant en profiter pour revitaliser la race indigène déclinante, celle des tenants de l’américanisation de l’archipel pour qui il fallait des gens assimilables dans le creuset des États-Unis, de préférence des Blancs. Au total, de 1853 à 1933, arrivèrent ainsi par vagues successives 46 000 Chinois (avant 1898), 180 000 Japonais (jusqu’en 1907 pour les hommes et 1924 pour les femmes), 115 000 Philippins (à partir de 1907), 7 900 Coréens, 17 500 Portugais des îles de l’Atlantique surpeuplées, 8 000 Espagnols, 5 900 Portoricains, 2 450 Océaniens, 2 450 Russes, 1 300 Allemands, 615 Norvégiens... Si certains sont rentrés chez eux à l’expiration de leur contrat, si d’autres sont partis vers le continent américain (colonie japonaise de Californie), bon nombre sont restés et ont fait souche dans l’archipel, d’où l’extraordinaire complexité de la population actuelle.

Les Hawaii, territoire des États-Unis

Les dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par une distorsion de plus en plus accentuée entre la vie politique de l’archipel, qui reste centrée sur la monarchie indigène, même devenue constitutionnelle, et la réalité de l’évolution économique et humaine, qui concentre le pouvoir économique aux mains des étrangers blancs (haoles ) et qui submerge les indigènes sous les vagues successives d’immigrants. Contestée à plusieurs reprises déjà, la royauté, représentée en l’occurrence par la reine Liliuokalani, ne put faire face en 1893 à une nouvelle insurrection soutenue par le consul des États-Unis et quelques troupes. Même si le gouvernement américain refusa dans un premier temps l’annexion des Hawaii que lui proposaient les insurgés, ceux-ci attendirent simplement un changement politique sur le continent en instaurant une république (1893-1898). La victoire à Washington des républicains et le déclenchement de la guerre contre l’Espagne, qui mettait en valeur l’importance stratégique des Hawaii dans le Pacifique, leur donnèrent raison, et, en 1898, les Hawaii devenaient un territoire des États-Unis, administré pour l’essentiel par le Congrès de Washington et par un gouverneur nommé par le président.

L’affirmation définitive du destin américain des Hawaii se traduisit d’abord par le renforcement considérable de la puissance des plantations, avec deux piliers essentiels: la canne à sucre, qui, dès 1931, atteignit le million de tonnes de sucre brut, le dixième de la consommation américaine, et l’ananas pour la fabrication de conserves à partir des années 1910, pour laquelle les Hawaii acquirent un quasi-monopole qui dura jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale: les Hawaii fournissaient encore plus des trois quarts de la production mondiale de conserves d’ananas au début des années 1950. La canne à sucre était produite dans le cadre de grandes plantations de plusieurs milliers d’hectares, qui elles-mêmes étaient regroupées, d’une part, au sein de l’Hawaiian Sugar Planters’ Association (H.S.P.A.) qui gère une station expérimentale de réputation mondiale et, d’autre part, sous la dépendance de cinq grosses sociétés (Big Five) basées à Honolulu, qui contrôlaient en commun les transports vers la Californie (Matson Navigation Co.), le raffinage du sucre (Crockett dans la baie de San Francisco) mais aussi toutes les grandes activités économiques et services de l’archipel. Une partie des plantations d’ananas appartenait directement à de grands producteurs continentaux (Libby’s, Del Monte, etc.). Cette domination économique des «Big Five» dans les îles Hawaii était d’ailleurs le reflet de la domination, au sein d’une société fortement hiérarchisée et paternaliste, d’une aristocratie haole dont l’ossature était formée par les descendants des missionnaires puritains arrivés dans la première moitié du XIXe siècle. Cette société coloniale n’était cependant pas figée: l’éducation publique, par la généralisation de la pratique de l’anglais et par la promotion des valeurs fondamentales de la civilisation américaine, rencontra un très vif succès auprès des fils et petits-fils d’immigrés orientaux nés aux Hawaii, donc citoyens américains et désireux de s’américaniser au maximum; parallèlement, leur poids électoral commença à s’accroître de façon considérable dans les années 1930, au détriment notamment des Hawaiiens et des métis.

La Seconde Guerre mondiale et l’accession au rang d’État

La situation stratégique des Hawaii dans le Pacifique nord, reconnue depuis longtemps, avait amené les États-Unis à faire de Pearl Harbor, à l’ouest d’Honolulu dans l’île d’Oahu, la base navale essentielle pour la flotte du Pacifique. C’est donc tout naturellement là que les Japonais choisirent de frapper à l’aube du 7 décembre 1941. Placées brutalement au cœur de l’actualité, les Hawaii devaient rester pendant toute la guerre du Pacifique la base logistique fondamentale pour la lutte contre le Japon, où séjournèrent par centaines de milliers marins, aviateurs et soldats, mais aussi ouvriers des arsenaux. L’archipel retrouva d’ailleurs en partie cette activité fiévreuse lors des guerres de Corée et du Vietnam.

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale ont été considérables. Outre l’apport économique des activités militaires, l’archipel cessa d’être un monde clos et dut s’ouvrir de plus en plus largement aux influences et aux idées venant du continent. Cela se traduisit, par exemple, par le développement sur les plantations, juste après la guerre, de syndicats puissants et combatifs affiliés au syndicat des dockers du continent (I.L.W.U.). En quelques années, le système «paternaliste» classique des plantations disparut, l’I.L.W.U. devint l’interlocuteur direct des sociétés sucrières, et les ouvriers agricoles des Hawaii devinrent les mieux payés du monde. Cela ne fut possible que grâce à une mécanisation intégrale des opérations, qui, des années 1930 aux années 1980, ramena l’emploi dans les plantations et usines sucrières de quelque 50 000 à 7 000 personnes, pour une production tournant toujours autour de 1 million de tonnes de sucre brut. En revanche, l’industrie de l’ananas, où la mécanisation des plantations ne put être poussée aussi loin et qui se trouva à la fois moins protégée sur le marché américain et directement concurrencée sur les marchés mondiaux par de nouveaux producteurs asiatiques et africains, connut une situation difficile aboutissant peu à peu au retrait des grandes sociétés du continent et à l’abandon d’une partie des surfaces cultivées.

La Seconde Guerre mondiale est également responsable d’une accélération considérable de l’évolution politique, sociale et raciale de l’archipel. Les descendants d’immigrés orientaux, et plus spécialement les Japonais, firent preuve avec éclat, sur les champs de bataille d’Italie en particulier, de leur loyalisme à l’égard des États-Unis. Les anciens combattants comme D. K. Inouye jouèrent un rôle essentiel dans la promotion politique des habitants d’ascendance japonaise, qui, dans les années 1950, renversèrent la domination républicaine de l’Hawaii des planteurs et la remplacèrent par une large prépondérance démocrate. En même temps, Chinois, Japonais, Coréens profitaient pleinement des ouvertures nouvelles de l’économie hawaiienne vers les activités tertiaires (commerce, immobilier, assurances, transports) et connaissaient ainsi une promotion sociale correspondant à leur nouveau poids financier (Chinois, par exemple). Ces transformations allaient en fait dans le sens d’une conformité croissante au modèle continental et d’une intégration de plus en plus poussée dans l’ensemble américain. La conséquence logique en fut l’accession des Hawaii au rang de cinquantième État des États-Unis (en même temps que l’Alaska), après référendum, le 21 août 1959.

Les transformations récentes de l’économie hawaiienne

Les Hawaii, seul État non continental des États-Unis, ne sont ni le plus petit (47e rang) ni le moins peuplé (39e rang), mais leur originalité vient de leur niveau de vie très élevé, puisqu’en 1991, avec un revenu par habitant de 21 190 dollars, l’archipel arrivait au 10e rang des États américains. Cette prospérité, évidente pour le visiteur, même si pour le coût de la vie Honolulu arrive en tête des grandes métropoles américaines, est directement liée à une profonde transformation de l’économie de l’archipel, passée de la primauté des plantations à une domination écrasante des services. En 1990, l’emploi dans le secteur primaire (pêche, agriculture, y compris conserveries d’ananas et sucreries) n’excédait pas 20 000 personnes, soit 4 p. 100 du total, dans le secteur secondaire (y compris la construction) 49 000 (9 p. 100) et dans le tertiaire 455 000 (87 p. 100).

Ce dernier chiffre traduit bien la tertiarisation de l’économie hawaiienne et l’évolution respective des grands secteurs d’activité depuis la Seconde Guerre mondiale (cf. tableau).

L’agriculture aux Hawaii continue à reposer sur la canne à sucre (65 600 ha en 1990, dont une petite moitié récoltée chaque année, la canne poussant en deux ans aux Hawaii, avec une production de 743 000 tonnes de sucre brut, soit 704 000 tonnes équivalent raffiné) et sur l’ananas (12 500 hectares), dont les superficies cependant ne cessent de reculer par abandon des plantations marginales pour la canne à sucre (98 100 ha en 1968 encore) et par retrait massif pour l’ananas (29 900 ha en 1960). Le recul n’est que très partiellement compensé par l’essor d’autres cultures commerciales (ananas pour la vente de fruits frais, papayes, noix de macadamia, fleurs et plantes ornementales) et la modernisation d’activités anciennes (café, fruits et légumes pour le marché local, élevage bovin). En fait, au début des années 1990, la nouvelle ressource agricole rémunératrice est la production clandestine de marijuana, pour laquelle les Hawaii arrivent au deuxième rang des États-Unis, avec un chiffre d’affaires considérable puisque les seules destructions de plants ont représenté en 1990 une valeur potentielle à la vente au détail de 7 610 millions de dollars.

Au total donc, les activités agricoles légales ont fourni aux Hawaii, en 1990, 789 millions de dollars, 3 p. 100 du P.N.B. de l’État (contre 9,3 p. 100 en 1959 encore). Ce n’est pas négligeable (c’est plus que le P.N.B. de grands États africains comme la Mauritanie, le Togo, le Tchad ou le Centrafrique), mais c’est peu face au formidable développement des deux grands piliers de l’économie hawaiienne aujourd’hui, bases militaires et tourisme. En 1990, les bases militaires ont apporté 2 604 millions de dollars, 10 p. 100 du P.N.B. de l’État, et le tourisme 9 410 millions de dollars, 35 p. 100 du P.N.B.

Tourisme et bases militaires, fondements de la prospérité économique des Hawaii

Du fait de leur situation au cœur même d’un Pacifique nord dont l’importance géopolitique et économique ne cesse de croître, les Hawaii sont devenues véritablement la clef de voûte du système stratégique américain, le siège du haut commandement des forces armées des États-Unis dans le Pacifique, et la base d’une puissante flottille de sous-marins nucléaires. Cette fonction militaire des Hawaii signifie la présence en permanence dans l’archipel de près de 60 000 militaires et plus de 60 000 membres de leurs familles, le maintien de 20 000 emplois civils dans les arsenaux et les bases, et une injection massive de dollars à tous les niveaux.

Depuis une quinzaine d’années cependant, c’est le tourisme qui s’est affirmé comme première ressource économique de l’archipel, et son poids n’a cessé de se renforcer au fil des ans, malgré quelques fluctuations liées à celles de l’économie américaine et de la conjoncture internationale. Les Hawaii sont devenues un des très grands foyers touristiques du monde, avec, en 1991, 6 874 000 visiteurs y ayant séjourné au moins une nuit. Ce formidable essor du tourisme a deux causes, en dehors de la séduction insulaire: d’une part, le développement de l’aviation, et plus particulièrement des avions à réaction, ceux de la première génération à partir de 1960 (Boeing 707) et l’avènement des gros porteurs (jumbo-jets type Boeing 747 ou DC-10) à partir du début des années 1970 (Honolulu est aujourd’hui au 14e rang des grands aéroports américains, avec 22 millions de passagers en 1990); d’autre part, l’appartenance aux États-Unis, qui fait des Hawaii une destination à l’intérieur du plus grand marché touristique du monde. La clientèle américaine continue d’ailleurs à fournir la majorité des touristes (4,4 millions en 1990), mais ils ne sont plus seuls: en 1990, les Hawaii ont accueilli aussi 1 439 000 Japonais, 313 000 Australiens et Néo-Zélandais, 317 000 Coréens, 217 000 Asiatiques non japonais et 221 000 Européens. L’infrastructure hôtelière est impressionnante tant par la quantité que par la qualité: 74 100 chambres en 1991, dont un peu plus de 38 000 à Oahu (presque toutes dans l’énorme complexe touristique de Waikiki), et plus de 36 000 dans les autres îles, dont 18 200 à Maui (grands complexes de Kaanapali-Lahaina et de Wailea-Kihei). Les Hawaii bénéficient d’une intense activité touristique toute l’année.

Les autres activités économiques des Hawaii sont le plus souvent nées de la prospérité d’une population à haut niveau de vie et largement ouverte sur le monde extérieur: un peu d’industrie (raffinage pétrolier, impression de tissus hawaiiens, constructions), un commerce et des services très actifs. Quant aux grandes sociétés hawaiiennes (Big Five), elles sont devenues de très puissants groupes internationaux largement implantés aux États-Unis et dans le monde entier (Castle & Cooke, Amfac), mais qui ont de ce fait perdu en partie leur spécificité insulaire, voire ont disparu au sein de groupes continentaux. En revanche, les investissements étrangers, notamment japonais, se sont considérablement développés, dans les secteurs touristique, foncier (golf) et immobilier notamment.

La priorité écrasante des services dans l’économie des Hawaii a eu pour conséquence première l’accentuation des déséquilibres régionaux au profit d’Oahu, où sont les bases militaires, et de Waikiki: en 1965, 82,7 p. 100 de la population vivaient à Oahu (9,5 p. 100 de la surface de l’archipel). Depuis cette date, le développement de grands ensembles touristiques dans les autres îles a permis, malgré la disparition de nombreuses plantations, de renverser un peu la tendance, et Oahu ne représente plus, en 1990, que 75,5 p. 100 de la population résidente (militaires compris). Ensuite, l’intégration de plus en plus poussée de l’archipel dans l’ensemble américain et pacifique se traduit bien sûr par une dépendance accrue à l’égard du monde extérieur. Les Hawaii importent massivement du continent denrées alimentaires et produits manufacturés, et attirent investisseurs et spéculateurs du continent mais aussi du Japon. Elles ne contrôlent ni la politique militaire américaine ni l’évolution des marchés «producteurs» de touristes qui les font vivre. Il serait cependant tout à fait excessif d’y voir simplement une fragilité dangereuse pour l’avenir.

Honolulu

L’agglomération de Honolulu, avec plus de 800 000 habitants, est, au début des années 1990, de loin la plus grosse ville de l’archipel (la capitale de l’île d’Hawaii, Hilo, deuxième ville, ne dépasse guère 38 000 habitants) mais aussi de tout le Pacifique insulaire tropical sur lequel elle exerce une forte attraction. Née, dès la fin du XVIIIe siècle, de la possibilité d’ouvrir à travers la barrière corallienne un petit port accessible aux bateaux européens, Honolulu s’est développée dans la plaine sous le vent du sud-est d’Oahu, montant à l’assaut des planèzes du versant sud-ouest de la chaîne de Koolau, s’insinuant dans les vallées et débordant aujourd’hui largement sur le versant au vent au pied des Pali (Kaneohe-Kailua).

Honolulu est aujourd’hui une ville tripolaire, avec, au centre «downtown», le quartier des affaires dominé par les grandes tours de bureaux, flanqué à l’est du quartier administratif avec l’ancien palais royal et le nouveau capitole et à l’ouest par la Chinatown entièrement rénovée et les installations portuaires.

Deuxième pôle, vers l’ouest-nord-ouest, au-delà de l’aéroport international situé à 6 km environ du centre, commence l’énorme complexe militaire de Pearl Harbor, au-delà duquel, à l’extrémité sud-ouest de l’île, se trouvent les activités industrielles (raffinage pétrolier) de Barbers’ Point.

Enfin, à l’est, à 4 km du centre, le vieux village indigène de Waikiki au pied du cône de Diamond Head est devenu l’impressionnant complexe touristique dominé par les grands buildings hôteliers du front de mer.

Une société pluriethnique

La population des Hawaii comptait en 1990 environ 1 018 000 personnes, comprenant, il est vrai, 116 000 militaires et dépendants (dont la durée de séjour est de trois ans en moyenne). Ce qui est frappant dans cette population, pour des raisons historiques déjà évoquées, c’est son hétérogénéité. Si on se limite donc aux seuls civils (942 600 en 1988), ils se répartissent entre «Caucasiens» [Blancs] (191 500), Japonais (225 700), Philippins (118 700), Chinois (47 800), Coréens (10 700), etc., avec un très fort groupe de métis (314 500, avec 202 000 ayant du sang hawaiien) dont la complexité des mélanges rend la classification de plus en plus difficile. Ces derniers sont le signe du développement d’une véritable société multiraciale aux Hawaii, version insulaire du melting pot américain, qui a pu se développer dans le contexte de la prospérité de l’archipel et dans l’acceptation des valeurs fondamentales de la civilisation américaine.

Cela ne signifie certes pas la disparition totale des spécificités ethniques, ni des stéréotypes qualifiant chaque groupe aux yeux des autres, ni des inégalités de réussite économique et sociale. Qu’il suffise de rappeler que, par le biais du commerce, de l’instruction, de la politique, les Orientaux, Chinois, Japonais ou Coréens, ont remarquablement su s’insérer dans le nouveau contexte de la société hawaiienne tandis que d’autres groupes, métis d’Hawaiiens, voire Portugais, réussissaient souvent moins bien et voyaient ainsi leur position relative se dégrader. Cependant, la diversité même des origines et l’importance des mélanges ne laissent à aucune ethnie la possibilité de devenir vraiment dominante. Même en politique, la domination japonaise de l’époque des gouverneurs Burns et surtout Ariyoshi s’est largement atténuée avec l’élection du métis d’Hawaiien J. Waihee en 1986.

En fait, la diversité ethnique des Hawaii est devenue un atout considérable dans les rôles que tend de plus en plus à jouer l’archipel dans le Pacifique, celui d’une vitrine de la civilisation américaine et celui de pont culturel entre l’Orient et l’Occident. Le développement de la recherche, de l’université, de l’East West Center matérialisent aujourd’hui cette ambition.

Hawaii ou Hawaï
(îles) (anc. Sandwich) archipel volcanique du Pacifique (Polynésie), état des È.-U., formé de vingt îles, dont Hawaii, la plus grande (10 400 km², 92 200 hab.); 16 705 km²; 1 108 000 hab.; cap. Honolulu, dans l'île Oahu.
La pop. est formée en majorité de métis (brassage des Polynésiens autochtones avec des Japonais, des Chinois, des Philippins, des Nord-Américains). Princ. ressources: canne à sucre, ananas et, surtout, tourisme. Bases militaires, dont Pearl Harbor, la plus importante du Pacifique.
Découvert par Cook en 1778, l'archipel devint territ. amér. en 1898 et le 50e état de l'Union en 1959.
Les sculptures monumentales en bois (découvertes au XVIIIe s.) représentent le dieu de la Guerre Ku (British Museum, Londres).

Encyclopédie Universelle. 2012.