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HALOPHYTES
HALOPHYTES

Venant du grec halos (sel) et phyton (plante), le terme d’halophyte a été introduit en 1809 par Pierre Simon Pallas et attribué aux végétaux vivant sur des sols salés, c’est-à-dire contenant une solution trop riche en sels et par là impropres à recevoir des cultures. En fait, actuellement, on appelle halophyte toute plante qui est en contact par une partie quelconque de son organisme avec des concentrations anormalement fortes de sel: végétation marine; plantes de bords de mer, de déserts, marais ou lacs salés.

D’une manière rigoureuse, «halophyte» n’est pas synonyme de «plante halophile» qui étymologiquement signifie «plante aimant le sel». En effet certaines halophytes, bien que pouvant résister à d’importantes accumulations de sels dans le milieu extérieur, se comportent normalement sur des sols non salés et ne sont donc que des «halophytes facultatives» auxquelles il est difficile d’attribuer la qualité d’halophilie (certaines espèces d’Atriplex par exemple). Par contre, d’autres halophytes ne peuvent se développer complètement qu’en présence de fortes concentrations salines; ce sont des «halophytes obligatoires», qui doivent être considérées comme étant «halophiles» (salicornes par exemple).

Les halophytes s’opposent aux glycophytes, plantes des milieux non salés, par leur morphologie proche de celle des xérophytes (succulence des tiges ou des feuilles, réduction des appareils foliaires) et par des caractères physiologiques: pression osmotique, résistance à la nature et à la concentration des sels; ce degré de résistance conduit souvent du reste à la formation de ceintures de végétation caractéristiques.

Ces connaissances, liées à des techniques culturales particulières visant à maintenir l’équilibre ionique du sol par des irrigations et des drainages appropriés, ont permis la mise en culture de régions réputées incultes (polders, chotts); bien plus, l’irrigation par des eaux salées sur des terrains sablonneux a permis de valoriser certaines régions d’Israël.

1. Caractéristiques des halophytes

Le milieu

Les relations des plantes «halophiles» avec le milieu permettent de définir des halophytes submergées , plongées entièrement dans de l’eau salée (algues et plantes marines); des halophytes terrestres dont seuls les organes souterrains sont en contact avec des teneurs importantes de sel; des aérohalophytes recevant sur leurs parties aériennes des embruns ou des poussières salées (végétation des falaises, dunes littorales, déserts). Mais, le plus souvent, une même espèce végétale appartient tantôt à l’une, tantôt à l’autre de ces catégories ou à plusieurs de ces catégories à la fois. Ainsi les salicornes qui se développent à la limite des hautes mers moyennes sont des halophytes terrestres puisque leurs racines baignent constamment dans une vase salée; elles deviennent des halophytes submergées au moment des fortes marées et des aérohalophytes à marée basse.

Il faut encore constater que l’hétérogénéité des halophytes est augmentée du fait de la diversité des sels solubles présents. Si, au bord de la mer, les eaux et sols salés sont surtout riches en chlorure de sodium, il n’en est pas de même à l’intérieur des terres où de fortes concentrations salines peuvent être créées par l’accumulation de sulfates, de carbonates ou d’un mélange de plusieurs sels.

Les halophytes sont le plus souvent installées dans des milieux alcalins. Elles ne constituent cependant pas l’ensemble des végétaux «alcalinophiles» car un sol peut être fortement alcalin sans contenir une solution riche en sel. C’est le cas par exemple lorsque de fortes proportions de sodium et de potassium sont fixées sur les colloïdes du sol.

Données biologiques

Mis à part les algues et, parmi les végétaux supérieurs, les palétuviers arborescents et quelques plantes buissonnantes (tamaris, atriplex), la plupart des halophytes sont herbacées (salicorne, spartine, obione, diverses graminées) et présentent des organes aériens charnus. Cette succulence est due soit à une hypertrophie de certaines cellules qui, gorgées d’eau, forment un «tissu aquifère», soit à la formation d’un grand nombre d’assises cellulaires, soit aux deux phénomènes à la fois.

Sur les sables et les falaises littorales, au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la mer, la succulence disparaît et les caractères morphologiques et anatomiques les plus couramment rencontrés (racines très développées, organes aériens protégés par une cuticule épaisse, un revêtement pileux abondant) sont ceux que l’on observe en général chez les espèces des milieux secs (xérophytes).

L’implantation des halophytes dans les divers milieux salés se fait à partir de semences ou par bouturage naturel. Il est fréquent de constater que l’aptitude des semences à germer en milieu salé dépend de la température, du degré d’humidification du sol, de la nature des sels présents et surtout des conditions subies avant leur germination par les graines. Souvent leur séjour dans un milieu froid et humide pendant un ou deux mois augmente fortement leurs possibilités de germination en présence de sels, une fois la température devenue plus clémente. Ce séjour au froid des semences a d’ailleurs un effet très prolongé car il améliore ultérieurement la croissance des jeunes plantes.

Le bouturage naturel est fréquent chez les halophytes submergées (zostère, posidonie, cymodocée) et chez diverses halophytes terrestres par fragmentation des rhizomes. Le transport de ces fragments par les courants côtiers entraîne l’extension de telles espèces; ainsi la spartine de Townsend apparue en France en 1906 sur la côte normande entre Isigny et Carentan a envahi toute cette côte et s’étend à celle de Bretagne.

La résistance au sel

Du point de vue biochimique, les halophytes se caractérisent en général par une forte richesse de leurs tissus en sels. Une grande partie de ces sels étant dissoute dans le suc vacuolaire, il en résulte une pression osmotique élevée (jusqu’à 100 atmosphères chez des halophytes sahariennes, 60 à 70 atmosphères dans les cellules épidermiques des feuilles de palétuviers, 30 à 40 atmosphères chez divers Atriplex ) cette pression peut subir des variations rapides si la salinité du milieu extérieur est modifiée. Dans des conditions de vie normale, le suc vacuolaire demeure ainsi toujours légèrement hypertonique par rapport au milieu extérieur. L’absorption d’eau reste donc possible et la perte d’eau par transpiration, si elle peut paraître forte quand on la rapporte à l’unité de surface, est d’autant plus faible exprimée en fonction de l’unité de masse du végétal que celui-ci présente des organes plus charnus.

Bien que limitée, et cela grâce à des mécanismes divers (perméabilité réduite des cellules vis-à-vis des sels, faible mouillabilité des surfaces végétales par les solutions salines, sécrétion de sels au niveau de glandes spécialisées), l’accumulation des sels dans les tissus des halophytes est en général importante. Par conséquent la principale caractéristique des halophytes est de posséder une matière vivante capable de fonctionner activement en présence de fortes concentrations salines. C’est là l’aspect essentiel de leur résistance au sel dont la signification profonde reste mal connue. En comparant l’action du chlorure de sodium sur le comportement biochimique d’espèces résistantes aux sels et sur celui d’espèces non résistantes, il semble ressortir que chez les halophytes les acides nucléiques – dont dépend la synthèse des protides, donc celle de la matière vivante – sont peu touchés par la présence d’ions tels que le sodium, alors que chez les autres végétaux la présence de ces ions déclenche une rapide destruction des acides nucléiques. La résistance au sel est, en tout état de cause, une propriété qui se détermine à l’échelle moléculaire.

2. Les associations d’halophytes

Les halophytes sont représentées par de très nombreuses algues et par quelques espèces appartenant aux autres groupes végétaux. Dans les milieux salés, en dehors des Algues (cf. ALGUES, OCÉANS ET MERS), seules les Phanérogames appartenant à quelques familles (Chénopodiacées, Plumbaginacées, Graminées, Composées, Crucifères) forment des ensembles importants et caractéristiques dont on étudiera quelques exemples.

À la limite inférieure des basses mers se développent sur substrat sablo-vaseux les prairies de zostères. Le long des littoraux envasés et soumis aux marées s’observent des auréoles de végétation. Ainsi, dans les régions tempérées, en allant de la limite des marées hautes de morte-eau à celle des hautes mers d’équinoxe, on rencontre successivement:

– une population végétale ouverte, c’est-à-dire formée de touffes (salicornes ou spartine) ne couvrant pas la totalité du sol;

– un tapis continu dominé par l’obione, mais dans lequel on trouve quelques pieds de salicornes et de spartines;

– une véritable prairie salée formée par une graminée (Puccinellia maritima ) accompagnée par des espèces variées dont certaines ne se trouvent que dans les points les plus humides (Triglochin maritimum ) alors que d’autres (Festuca arenaria ) caractérisent les endroits secs.

Sous le climat tropical et subtropical, ces vases salées balayées par les marées sont occupées par une formation arborescente: la mangrove. Celle-ci est formée par de petits arbres, les palétuviers (Rhizophora Avicennia ) présentant des semences qui commencent à germer avant de tomber (phénomène de viviparie), des tiges feuillées non charnues et des racines dont les tissus internes sont en communication avec l’atmosphère grâce à un système plus ou moins compliqué de lacunes aérifères aboutissant à de larges lenticelles.

Les sables littoraux, lorsqu’ils ne sont pas envahis par l’eau salée, constituent un milieu relativement sec où s’installent de préférence des associations d’aérohalophytes. Sur les parties sableuses des côtes occidentales d’Europe, on peut typiquement définir:

– les hauts de plage correspondant à la limite des plus hautes mers et peuplés par quelques pieds de divers Atriplex , de Cakile et de Salsola ;

– les dunes embryonnaires, petits amas de sable constamment modifiés par le vent et quelque peu consolidés par une graminée du genre Agropyrum ;

– les dunes mobiles constamment soumises à un décapage ou à un ensablement et domaine d’une graminée, l’oyat;

– les dunes fixées échappant à l’ensablement et au décapage, ce qui permet l’installation de mousses (Tortula ruraliformis ) et de nombreuses espèces de Phanérogames (Armeria , Lagurus , Mibora minima , Veronica spicata ).

Enfin à l’intérieur des terres, au bord des lacs et sources salés, dans les zones désertiques où l’évaporation est plus importante que le lessivage (solontchak de l’Asie, chott et sebkha sahariens, salt-pans australiens) s’observent des ensembles très variés liés au climat, à la diversité des sols (argileux, sableux, rocailleux) et à la nature des sels présents dans ces sols (chlorures, sulfates, carbonates). Il est remarquable que sur sol chloruré on retrouve comme sur le littoral de nombreuses espèces succulentes alors que les plantes développées sur milieux sulfatés présentent toutes des organes non charnus souvent fortement lignifiés (type Frankenia ).

3. Intérêt économique

Même si l’on met à part les industries liées aux algues marines, l’intérêt économique des halophytes n’est pas négligeable. Une halophyte submergée comme la zostère peut être utilisée comme matériau d’isolation phonique ou thermique, comme garniture de matelas, ou pour fabriquer du papier. Aux Indes, les feuilles d’Enalus fournissent des fibres textiles, tandis que les tubercules et les fruits sont comestibles. En Israël, le jonc maritime, donc la matière sèche contient jusqu’à 55 p. 100 de cellulose, est cultivé pour fabriquer du papier.

Par ailleurs, la prairie à Puccinellia maritima sert de prairie de fauche ou de pâturage pour les moutons, les chèvres, les vaches, les oies, à condition de veiller à ce qu’il y ait un bon équilibre entre les possibilités de croissance de la végétation et les prélèvements qu’on y opère; ceux-ci ne s’effectueront qu’après le départ des oiseaux migrateurs pour lesquels les prairies littorales sont un lieu de repos indispensable. Si la spartine (Spartina Townsendi ) risque, par sa croissance exubérante, de perturber l’embouchure de certaines rivières au point que son élimination à l’aide d’herbicides (dalapon, fenuron, 2-4 D par exemple) doit être envisagée, elle n’en reste pas moins une espèce précieuse pour stabiliser les vases tout juste exondées et pour faciliter ainsi la conquête de nouvelles terres sur la mer.

Les plantes halophiles présentent surtout un intérêt économique dans la récupération et l’utilisation des sols salés. Si une fois mis à l’abri des incursions marines, un sol salé peut perdre ses sels solubles par lessivage à l’eau douce et le sodium adsorbé sur ses colloïdes par addition de gypse ou de soufre et de calcaire, il n’en faudra pas moins commencer par cultiver sur un tel sol (polder par exemple) des espèces peu sensibles au sel (palmier dattier, betterave, cotonnier) pour passer ensuite à des espèces de moins en moins résistantes (céréales, colza, eucalyptus, puis laitue, haricot, lin, enfin lentille, fraisier, pêcher). Fort heureusement, il existe, entre les halophytes et les glycophytes toute une série de plantes intermédiaires dont dépend la mise en culture de sols salés.

Dans de nombreuses régions désertiques, l’eau disponible pour l’irrigation contient des quantités assez importantes de sels dissous, quantités qui risquent d’être d’autant plus dangereuses que cette eau, une fois utilisée, va subir une évaporation souvent intense. Son emploi nécessite donc un certain nombre de précautions: déverser de grandes quantités d’eau pour limiter la concentration des sels dans le sol, maintenir la nappe phréatique à une profondeur assez grande pour empêcher la remontée des sels en surface, apporter des ions calcium si l’eau utilisée est sodique afin d’éviter la formation d’argile sodique, etc., et surtout cultiver des espèces résistantes aux sels.

Ces quelques exemples montrent l’importance économique des halophytes. Les sols et les eaux salés sont très répandus à la surface du globe et leur existence nuit beaucoup au développement agricole de certains pays (Israël, Indes, régions désertiques en général). De plus certaines espèces vivant en milieu salé sont très abondantes et peuvent être des sources de matières premières: par exemple, sur les côtes hollandaises, 1 500 ha sont recouverts de zostères; au Danemark, ces mêmes zostères fournissent chaque année 24 millions de tonnes de matière végétale fraîche, quantité supérieure à la production annuelle des herbages de ce pays.

Encyclopédie Universelle. 2012.