Akademik

hélas

hélas [ elas ] interj.
XIIe; de et a. fr. las « malheureux »
Interjection de plainte, exprimant la douleur, le regret. 2. las. « Hélas ! les beaux jours sont finis ! » (Gautier). « Ce n'est, hélas, que trop vrai » (Siegfried). Va-t-il mieux ? Hélas ! non. Loc. Hélas, trois fois hélas !

⇒HÉLAS, mot inv.
I. — En emploi interj. [Comme réaction à une situation ou à un propos que le locuteur présente (par l'énonciation même de hélas) comme pénibles ou douloureux]
A. — Vx, littér. [Comme réaction à un élément de la situation] Il vit un ange qui traversait les airs, planant au-dessus de la basilique et criant d'une voix lugubre : « Hélas! Hélas! Dieu a frappé Hilperik et tous ses fils! Pas un d'eux ne lui survivra et ne possèdera son royaume » (THIERRY, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 99) :
1. LA PRINCESSE : Le sceptre! (On le lui présente). Comment le tiendrai-je? (Au commandant). Vois cette main!
LE COMMANDANT : Hélas!
LA PRINCESSE : Hélas, dis-tu! J'ai été clouée par les mains...
LE COMMANDANT : Clouée!
LA PRINCESSE : Clouée comme un oiseau de nuit, comme l'arbre qu'on crucifie pour fructifier!
CLAUDEL, Tête d'Or, 1890, p. 165.
B. — [Comme réaction à un propos] Mme Évrard : Jeune encor, grâce au ciel, il mourut. Charle à part. : Hélas! Mme Évrard. Qu'avez-vous? Charle : Rien (COLLIN D'HARL., Vieux célib., 1792, I, 6, p. 16) :
2. MARCELINE, attendrie : Mon vieux Jef!
JEF : Oui, ton vieux Jef qui voudrait tant faire quelque chose pour toi!
MARCELINE : Hélas!
JEF : Je suis ton ami, tu le sais bien, ton vieux copain.
MARCELINE : C'est vrai.
ACHARD, J. de la Lune, 1929, II, 8, p. 21.
Loc. Hélas, trois fois hélas! Hélas, trois fois hélas! Le cheval se laisse aller et il inonde l'asphalte : à ce moment une première colonne du temple s'écroule (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 82). Où ma jeunesse quand j'aimais être malade Pour lire Fantomas votre absurde Iliade (...) Hélas trois fois hélas (COCTEAU, Clair-obscur, 1954, p. 132).
Emploi subst. Il fit de grands hélas (Ac.). Ernestine, répondit Cécile, ne me quitte pas de toute la soirée, car je ne veux pas avoir à écouter ses propositions cachées sous des phrases à hélas! entremêlées de soupirs (BALZAC, Député d'Arcis, 1847, p. 356). On rejoue avec elle une scène attendrie, On pousse des soupirs, des plaintes, des hélas! (BARBIER, Satires, 1865, p. 135). À la musique douce ou forte Ma peine mêle son hélas! (GAUTIER, Poés., 1872, p. 301).
II — [En fonction de commentaire affectif]
A. — [Pour signifier (à qqn) que le locuteur n'énonce une phrase rapportant un fait que parce que ce fait s'impose à lui, et ceci bien qu'il regrette ou se plaigne (qu'il puisse regretter ou se plaindre) des conséquences possibles pour lui-même ou pour quelqu'un d'autre]
1. [Dans une phrase assertive]
a) [Hélas se trouve en tête de prop.] — J'aimerais beaucoup, dit-elle, à être une religieuse d'hôpital. — Hélas! répliqua-t-il, les hommes n'ont point de ces missions saintes (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 78). Je n'ai pu achever hier ma lettre au gouverneur. Hélas! Impossible d'écrire, ni même de prendre des notes (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 745) :
3. J'ai dû le menacer de le planter là s'il persévérait une seconde de plus dans l'intention saugrenue de se déculotter en tapinois... Hélas, j'ai cette faiblesse de souffrir du « qu'en-dira-t-on »...
MARTIN DU G., Notes Gide, 1951, p. 1408.
b) [Hélas se trouve en fin de prop.] Nous resterons à Athènes quelques jours : on y est fort sûrement et fort bien, hélas! Parce que c'est le seul pays où les Turcs soient encore et maintiennent ordre et sécurité (LAMART., Corresp., 1832, p. 296). Il est indubitable que tu vogues déjà en pleine convalescence; cependant ta figure est restée bien maigre, hélas! Mais... courage! (LAUTRÉAM., Chants Maldoror, 1869, p. 288) :
4. Le Craonnais (...) est resté giboyeux. Le poil l'emporte sur la plume, hélas! car les perdreaux sont trop souvent empoisonnés par les bouillies arséniatées employées contre le doryphore.
H. BAZIN, Vipère, 1948, p. 67.
c) [Hélas est en incise dans la prop.] Il y a le pire égoïsme, une méconnaissance, si ce n'est un dédain absolu, de la réalité humaine : « la réalité, hélas, on la rencontre à chaque pas, dit-il... » (MASSIS, Jugements, 1923, p. 107) :
5. Cet affreux mal le travaille jour et nuit, ne lui laisse aucun repos, et il passe son temps à guetter les passants, ou même, hélas! à écouter aux portes.
BERNANOS, Crime, 1935, p. 852.
En partic.
[Construit avec un compl. introduit par pour indiquant la pers. qui subit les conséquences] C'étoit la lune dans une nuit orageuse (...) pure et inaltérable, elle s'avance tranquille au-dessus d'eux. Hélas! pour moi, tout me trouble et m'entraîne! (CHATEAUBR., Génie, t. 1, 1803, p. 459).
[La phrase assertive est une réponse] Ils causent; de quoi? Hélas! De tout ce qui n'est pas innocent (COURIER, Pamphlets pol., Réponses aux anon., 2, 1822, p. 161). Mme Simons m'aperçut la première et me cria : « Eh bien! Nous partons? — Hélas! Madame, nous n'en sommes pas là! (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 171) :
6. — Eh bien, ça marche l'examen? Êtes-vous contente? Avez-vous bientôt fini? — Hélas, je le voudrais! Mais j'ai encore à passer la physique-et-chimie...
COLETTE, Cl. école, 1900, p. 229.
2. [Dans une question rhét.] Il a cherché l'image de son bonheur futur, et il l'a trouvée! Lequel de nous, hélas! peut en dire autant? (VIGNY, Journal poète, 1841, p. 1158). J'ai des fourmillements mauvais par toute l'âme, Une inquiétude à la cervelle, au bout des doigts, Comme si... — qu'ai-je fait, hélas! Est-ce ma faute? (ROMAINS, Vie unan., 1908, p. 162) :
7. — Mon dieu! Je suis donc bien coupable? s'écria la vierge en se frappant la poitrine... Hélas! Que me reste-t-il à perdre, quand j'ai perdu la vue de Dieu...
COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 209.
3. [Dans une exclam.] Que cet instant fut court! Hélas! Qu'horrible Fut mon réveil! Je la cherchais en vain De mon regard dévorant et terrible (BOREL, Rhaps., 1832, p. 58). Enfin (...) je ne tardai pas à arriver près de ma chère maîtresse. Hélas! quel triste spectacle m'attendait! Je la trouvai penchée sur le sol, pâle, flétrie, mourante (MURGER, Nuits hiver, 1861, p. 200).
4. [Combiné à oui, non ou si qui reprennent, pour marquer un accord ou un désaccord, une prop. de l'interlocuteur] Avez-vous rapporté tous vos vouloirs, toutes vos actions à une idée?... — Hélas! non, dit Lucien (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 712). Lucile : Ah! Tu n'aimais pas George. Laure : Hélas! Si, je l'aimais, tendrement (PONSARD, Honn. et arg., 1853, III, 4, p. 72) :
8. « ... Oui, reprit-elle, un linceul pour la mère, un linceul pour l'enfant. » Et (...) elle ajouta : « C'est une bien triste mort! — Hélas! oui, ma chère Jenny, une bien triste mort : on devrait ne pas tuer une femme qui vient d'accoucher!... »
JANIN, Âne mort, 1829, p. 201.
En partic., p. ell. de oui, non ou si. Il y a six mois (...) tes amis t'auraient volontiers offert dix mille écus (...). Aujourd'hui, tu battrais tout Paris pour trouver quinze cents francs, et tu reviendrais bredouille. — Hélas! fit M. de Chameroy d'un air sombre (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 4, 1859, p. 77). Moi tu comprends j'ai horreur de la vanité. Alors je m'humilie. — Tu as l'air assez content de toi. — Hélas! Comme tu as raison! On n'en finit pas. On n'en sort jamais. Il soupira (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 166).
5. En partic. [Introduit une séquence rapportant un point de vue nouveau (celui d'un personnage et/ou de l'auteur...), un fait en contradiction avec ce qu'attend le personnage dans la séquence précédente]. Je voyais tourner une broche chargée d'un gigot (...) sur lequel les dames, par habitude, jetaient des regards très-coquets. Hélas! Elles s'adressaient mal; le gigot appartenait à trois Anglais qui l'avaient apporté, et l'attendaient sans impatience en buvant du champagne (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 318). Il (...) rencontra Reine Lecomte, qui lui apportait un papier plié. Il le lui arracha des mains. Hélas! Ce n'était que le journal du chef-lieu, encore vierge sous sa bande grise. — Vous êtes sûre, s'écria-t-il, qu'on ne m'a pas apporté d'invitation pour le bal de Salvanches? (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 69) :
9. ... victimes du même naufrage, le collectionneur de papillons et sa fille s'accrochaient à la même bouée, levaient la tête, chacun jetait un cri : « Daisy! », « Papa! ». Hélas un squale rôdait en quête de chair fraîche, il s'approchait, son ventre brillait entre les vagues. Les malheureux échapperaient-ils à la mort?
SARTRE, Mots, 1964, p. 119.
B. — [Pour signifier (à qqn) que le locuteur n'effectue un acte d'énonciation que parce qu'il s'impose à lui, bien qu'il regrette ou se plaigne (puisse regretter ou se plaindre) des conséquences possibles] Adieu, adieu. Je pars encore, et ce n'est pas pour vous revoir. Hélas! Adieu (STAËL, Lettres L. de Narbonne, 1793, p. 117). Que pourrais-je ajouter quand je t'ai dit (...) que je t'embrasse, bonheur qui ne m'arrive pas aussi souvent que je le dis. Adieu donc, hélas! Il faut s'arracher à toi! (HUGO, Lettres fiancée, 1822, p. 180) :
10. — Ah! Je t'aime, je t'aime, Ulric; prends-moi, étends les bras, mets-moi à tes côtés! Oh! Parle-moi... Je veux t'entendre... mais entends-moi, réponds-moi, hélas!... Je t'en supplie... ouvre les yeux...
BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 287.
Prononc. et Orth. : []. Vx [] ds FÉR. 1768, LITTRÉ (qui recommande cette prononc. p. anal. avec las) et ds DG (avec la mention ,,vieilli``). La restitution de s final est due à la prononc. affective et à la confusion entre le fém. et le masc. qui ne sont plus distingués dans le mot devenu une interj. L'a. fr. se servait de : hélasse au fém. (cf. BUBEN 1935, § 217 et DUPRÉ 1972). Étymol. et Hist. XIIe s. Elas (Alexis, rédaction interpolée, éd. G. Paris et L. Pannier, 129, p. 225); 1176-84, E, las! (G. D'ARRAS, Ille et Galeron, éd. F. A. G. Cowper, 2464 [3271]); fin XIIe s. Hé! las (Chansons de Conon de Béthune, éd. A. Wallensköld, V, 14); 1458 emploi subst. (A. GRÉBAN, Passion, éd. O. Jodogne, 15812). Composé de et de las au sens de « malheureux » employé aussi comme interj. et avec d'autres interj. comme Ah (cf. ca 1050 A! las ds St Alexis, éd. Chr. Storey, 394) ou ho. Hé et las restent autonomes en a. fr. et las, considéré comme adj., a longtemps obéi aux règles d'accord (cf. T.-L.). Fréq. abs. littér. : 6 692. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 12 602, b) 10 304; XXe s. : a) 8 827, b) 6 875.

hélas [elas]; vx [ela] interj.
ÉTYM. Fin XIIe; de hé !, et anc. franç. las « malheureux ».
Interjection de plainte, exprimant la douleur, le regret… Las ! || Hélas ! quel affreux malheur !Qu'allons-nous devenir ? Hélas !Va-t-il mieux ? Hélas ! non. || J'ai vu mourir, hélas ! des centaines de blessés (cit. 6). || Mais, hélas ! nos beaux jours ne reviennent jamais (→ Âge, cit. 46). || Ce n'est, hélas ! que trop vrai (→ Exploiteur, cit. 1).(Répété).Hélas, trois fois hélas !
1 Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée (…)
Du Bellay, les Regrets, XXXI.
2 Hélas, fus-je jamais si cruel que vous l'êtes !
Racine, Andromaque, I, 4.
3 Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
La Fontaine, Fables, IX, 2.
4 Hélas ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
La Fontaine, Fables, II, 4.
5 Hélas ! que j'en ai vu mourir des jeunes filles !
Hugo, les Orientales, XXXIII, 1.
6 Hélas ! les beaux jours sont finis !
Th. Gautier, Émaux et Camées, « Ce que disent les hirondelles ».
7 Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !
Baudelaire, Tableaux parisiens, Le cygne, II.
8 La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Mallarmé, Poésies, « Brise marine ».
9 Hélas ! je sens d'avance la vanité de toute diversion.
Colette, la Vagabonde, p. 15.
Par hyperbole (surtout dans la langue précieuse du XVIIe s.), pour marquer l'ennui, le dépit, l'affectation… (→ Accoucher, cit. 5).
10 — Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ?
— Hélas ! qu'en pourrions-nous dire ? (…)
Molière, les Précieuses ridicules, 9.
11 C'est une chose, hélas ! si plaisante et si douce !
Molière, l'École des femmes, II, 5.
REM. Hélas ! se trouve placé, soit en tête de proposition (cit. 2 à 6; 9, 10 et 12), soit (plus rarement) en fin de proposition (cit. 7 et 8) ou en incise (cit. 1 et 11).
N. m. (1458). || Pousser un profond hélas ! ( Soupir).
12 — Hélas !
— Eh bien, « hélas ! » Que veut dire ceci ?
Voyez le bel hélas ! qu'elle nous donne ici ! (…)
Je vous ferai chanter hélas ! de belle sorte !
Molière, Sganarelle, 1.
tableau Principales interjections.

Encyclopédie Universelle. 2012.