enrager [ ɑ̃raʒe ] v. intr. <conjug. : 3> ♦ Éprouver un violent dépit. ⇒ bisquer, écumer, rager; fam. 1. fumer, râler. Il est furieux, il enrage. Enrager de (et l'inf.). « J'enrageais d'avoir laissé perdre les dernières heures » (Radiguet). « vivre, uniquement pour faire enrager ceux qui vous paient des rentes viagères » (Voltaire).
♢ Par ext. Faire enrager ses parents, ses maîtres, être insupportable avec eux. — Faire enrager qqn, l'exaspérer en le taquinant. ⇒ bisquer, endêver, maronner (cf. Faire devenir chèvre, faire tourner en bourrique).
● enrager verbe intransitif Éprouver une vive irritation, un violent dépit à la suite de quelque chose, rager : Il enrageait de s'être laissé prendre. ● enrager (difficultés) verbe intransitif Conjugaison Le g devient -ge- devant a et o : j'enrage, nous enrageons ; il enragea. ● enrager (expressions) verbe intransitif Faire enrager quelqu'un, provoquer son irritation, le taquiner.
enrager
v. intr. éprouver un vif déplaisir; être en colère, en rage. J'enrage de voir qu'il a gagné.
⇒ENRAGER, verbe.
A.— Emploi intrans.
1. Vx. Avoir la rage. Cet homme a été mordu d'un chien, et il court le risque d'enrager s'il ne fait pas des remèdes (Ac. 1798-1878).
2. Au fig. Enrager de
a) Vx. Être tourmenté d'un violent désir. Comme je fus (...) à table jusqu'au ventre, pendant que les excellences, altesses, majestés enrageaient de faim (COURIER, Lettres Fr. et It., 1808, p. 761).
b) Éprouver un vif déplaisir, un violent dépit de quelque chose. Enrager de jalousie. Synon. bisquer, écumer, fulminer, fumer, râler (pop.), rager :
• 1. En vain il faisait belle jambe, se rengorgeait comme un pigeon pattu, tournait du doigt les boucles de sa perruque, montrait son solitaire et découvrait ses dents jusqu'aux gencives; il ne produisait plus d'effet, et il eût pensé enrager de dépit, si « la dama tapada » n'eût été à son poste, le couvant du regard, répondant aux clins d'yeux qu'il lui adressait par de petits coups d'éventail sur le bord de la loge et autres signes d'intelligence amoureuse.
GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 252.
— Emploi abs. Lorsqu'un de nous enrage, il a du moins la ressource d'envoyer au diable celui qui l'irrite (HUGO, Rhin, 1842, p. 198).
— En périphrase factitive. (Quasi-)synon. fâcher, tourmenter. Une petite fille (...) que Léonce taquinait beaucoup. (...) Léonce lui disait qu'elle était laide, pour la faire enrager, et elle enrageait si bien qu'elle pleurait de colère (SAND, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 329). Le vilain! il fait enrager son papa! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 62).
B.— Emploi trans. [Le suj. désigne gén. un inanimé abstr.]
1. Mettre (quelqu'un) en rage, en colère. Enrager le/ son monde. J'avais gardé mon sang-froid, mais tant de misères m'enragent! (BOREL, Champavert, 1833, p. 240) :
• 2. Edwige Légaré s'était attaqué seul à une souche; une main contre le tronc, de l'autre il avait saisi une racine comme on saisit dans une lutte la jambe d'un adversaire colossal, et il se battait contre l'inertie alliée du bois et de la terre en ennemi plein de haine que la résistance enrage.
HÉMON, Maria Chapdelaine, 1916, p. 67.
— Emploi pronom. à valeur subjective. On se tait, mais on s'enrage devant ce patriotisme menteur prêché par des dilettantes qui, par respect de leur propre intellectualité, ont commencé par se soustraire au devoir militaire (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 336).
♦ P. métaph. De gros obus s'enragent à gauche contre un fragile moulin de bois. Ils éventrent la prairie jusqu'au fond noir des eaux (GIONO, Gd troupeau, 1931, p. 242).
2. P. ext. Exciter au plus haut point. Des réponses discrètes et mystérieuses propres à tourner la cervelle et à enrager la curiosité de ces jeunes veaux (GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863 p. 184).
— En partic., dans le domaine sensuel :
• 3. Les soirs humides, lorsque Paris mouillé exhalait une odeur fade de grande alcôve mal tenue, elle savait que ce temps mou, cette fétidité des coins louches enrageaient les hommes. (...). C'était comme un coup de folie charnelle passant sur la ville.
ZOLA, Nana, 1880, p. 1313.
♦ Emploi pronom. à sens passif. Elle refusait, elle refusait encore! C'était pour lui une stupeur, une lutte où son désir s'enrageait (ZOLA, Bonh. dames, 1883, p. 706). Le père, à partir de cinq heures, s'enrageait au lit (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1259).
Rem. On rencontre ds la docum. le part. prés. enrageant, ante, en emploi adj., fam. [En parlant d'une pers. ou d'une chose] Qui met en rage, en colère. Synon. agaçant, lancinant, rageant. Peu de choses sont plus enrageantes que la recherche inutile d'un objet égaré (AMIEL, Journal, 1866, p. 256). Enrageant obstacle que celui des êtres! (MONTHERL., Reine morte, 1942, III, 4, p. 211).
Prononc. et Orth. :[], (j')enrage []. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Prend un e devant a et o pour conserver la prononc. de : j'enrageai(s), nous enrageons. Étymol. et Hist. 1160 « devenir enragé; perdre le sens » (Eneas, 5800 ds T.-L.). Dér. de rage; préf. en-; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 386. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 343, b) 539; XXe s. : a) 1 060, b) 421.
enrager [ɑ̃ʀaʒe] v. [CONJUG. bouger.]
ÉTYM. XIIe; de en-, rage, et suff. verbal.
❖
———
I V. intr. et tr. ind.
1 L'un enrage après les femmes : l'autre veut toujours avoir le ventre à table.
Malherbe, trad. Sénèque, les Bienfaits, VII, 26.
♦ Enrager de (v. tr. ind.).
2 Tentale enrage de manger;
De mets friands sa table on couvre.
Scarron, Virgile travesti, VI.
3 Vieilli. Être dans un état de désir, d'excitation (comparé à la rage). || Enrager de faim, de colère, de désir, de jalousie.
4 (V. 1165). Mod. Éprouver un violent dépit (de qqch.). ⇒ Bisquer, écumer, endiabler (vx), fulminer, fumer (fam.), rager, râler (fam.). || Enrager de quelque chose, à cause de quelque chose. || J'enrage d'avoir échoué de si peu ! — Vx. || Enrager que… (→ ci-dessous, cit. 5).
3 Plus j'y pense et plus j'en enrage.
La Fontaine, Contes, « Joconde ».
4 J'enrage de trouver cette place usurpée,
Et j'enrage de voir ma prudence trompée.
Molière, l'École des femmes, III, 5.
5 (…) j'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j'étais jeune.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, II, 4.
6 J'enrageais d'avoir laissé perdre par le sommeil les dernières heures que nous avions à passer ensemble.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 132.
♦ Faire enrager qqn. ⇒ Endêver (faire), taquiner, tourmenter. || Avez-vous fini de faire enrager cet enfant ? || Événement fâcheux qui fait enrager (→ Bien, cit. 49; cœur, cit. 56). || Époux qui se font enrager l'un l'autre (→ Complaisance, cit. 1).
7 Faire enrager le monde est ma plus grande joie (…)
Molière, Tartuffe, III, 7.
8 (…) je vous avais conseillé de vivre, uniquement pour faire enrager ceux qui vous paient des rentes viagères. Pour moi, c'est presque le seul plaisir qui me reste.
Voltaire, Lettre à Mme du Deffand, 1202, 23 avr. 1754.
9 (…) il ne faut jamais penser au bonheur, cela attire le diable, car c'est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain. La conception du paradis est au fond plus infernale que celle de l'enfer.
Flaubert, Correspondance, II, p. 225.
♦ Par ext. || Cet enfant fait enrager ses parents, ses maîtres, il est insupportable.
———
II V. tr. dir. (1870).
1 Mettre (qqn) dans un état de colère extrême, d'excitation; rendre enragé. — Rare. || Enrager quelqu'un. Cour. (sujet n. de chose; compl. pron.). || Cela m'enrage. || Cette attitude obstinée finit par l'enrager.
♦ Exciter sexuellement. || Elle fait plus que l'aguicher, elle l'enrage.
2 (Compl. n. abstrait). Exciter. || Enrager la curiosité, la jalousie de quelqu'un.
——————
s'enrager v. pron. (réfl.).
♦ || Je m'enrage de le voir se pavaner ainsi.
——————
enragé, ée p. p. adj.
1 (XIIIe). Qui a la rage. || Loup enragé. || Tuer un chien enragé (→ Assommer, cit. 4). || Cobaye enragé, auquel on a inoculé le virus rabique. — ☑ Loc. fig. Un chien enragé : un criminel, un être que ses violences retranchent de la société.
10 Mais comment obtenir le vaccin contre un virus inconnu ? (…) Une moelle de lapin enragé, convenablement traitée, devint peu à peu inoffensive et puis permit de rendre réfractaire à la rage les animaux de laboratoire.
Henri Mondor, Pasteur, p. 177.
♦ ☑ Fig. Des révoltes de mouton (cit. 14) enragé.
♦ (Personnes). || Le petit Meister fut le premier sujet enragé vacciné par Pasteur. — N. || Un enragé, une enragée. — ☑ Loc. fig. Crier comme un enragé.
10.1 Un cabanon crépi tout blanc, un lit de fer défait, les couvertures à bas, et, là-dessus, nu, luisant de sueur et d'écume, contracturé, tordu comme un clown, avec des bonds, des hurlements qui remplissaient tout le Parvis, un enragé au dernier paroxisme (sic)…
Alphonse Daudet, l'Immortel, p. 230.
♦ Fig. || Mener une vie enragée, dure, difficile.
11 Votre frère (…) est entre Ninon et une comédienne (…) Nous lui faisons une vie enragée.
Mme de Sévigné, 146, 18 mars 1671.
♦ ☑ Loc. fam. Manger de la vache enragée : avoir une vie de privations, d'épreuves (→ Faim, cit. 13; illusion, cit. 30). — De la vache enragée : des épreuves, une vie difficile.
12 (…) madame Balzac installa Honoré dans une mansarde, en lui allouant une pension suffisante à peine aux plus strictes besoins, espérant qu'un peu de vache enragée le rendrait plus sage.
Th. Gautier, Portraits contemporains, p. 60.
12.1 Non ! il faut que tu trimes, que tu connaisses la peine, le travail… Vois-tu, dans le corps de tous les hommes, écoute ça !… dans le corps de tous les hommes qui sont devenus remarquables… il y a un morceau de vache enragée.
Labiche, les Petits Oiseaux, III, 8.
12.2 Elle a pleuré. Je ne sais pas si c'est de déception ou de joie.
Pourquoi veux-tu que ce soit de plaisir ? Tu lui proposes de la vache enragée. La sainteté honteuse, elle la partagera, oui, c'est probable, mais combien de temps ? Il arrivera un moment où il lui faudra des fourrures, des voyages.
Alain Bosquet, les Bonnes Intentions, p. 79.
2 Fig. Qui est saisi d'une espèce de rage, d'un furieux désir; qui agit sans mesure, sans jugement. ⇒ Acharné, fou, furieux, violent. || Il faut être enragé pour agir ainsi (→ Avoir le diable au corps).
♦ Spécialt. Atteint de passion pour quelque chose. || Un chasseur enragé, passionné. ⇒ Effréné. || Être enragé au jeu. || Un bavard enragé, un enragé bavard. || Être enragé de musique, d'art abstrait. ⇒ Fanatique, mordu. — N. || Un enragé de football, qui ne manque pas un match. ⇒ Fanatique. || C'est une enragée de rock. || Ils se sont battus comme des enragés.
13 Mon maître est un vrai enragé d'aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas (…)
Molière, Dom Juan, III, 3.
14 (…) prétendant que les montagnes sont plus curieuses d'en bas que d'en haut, et qu'il fallait être enragé pour s'exposer à se rompre les os cent mille fois, et se faire geler le nez et les oreilles en plein mois d'août, en Andalousie, en vue de l'Afrique.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 192.
15 J'avais été raisonnable pendant plus de quatre années et je sentais, tout à coup, que j'allais devenir enragé.
G. Duhamel, la Pesée des âmes, XIV, p. 323.
3 (1552). Vieilli. (Choses). ⇒ Excessif, violent. || Une tempête enragée. || Passion enragée. || Vacarme enragé. || Musique enragée, bruyante, au rythme très vif.
16 Il a fait ici un temps enragé depuis trois jours (…)
Mme de Sévigné, 489, 8 janv. 1676.
17 Je suis monté (…) un jour d'orage, dans la pluie furieuse, dans l'effort des vents enragés, dans l'ouragan de mon espoir et le tourbillon de mes pensées (…)
Léon Bloy, la Femme pauvre, p. 76.
4 Personnes. Très irrité. || Être enragé d'un refus, d'un échec… (→ Cran, cit. 1). || Une déception qui le rend enragé (→ Dépenser, cit. 11). || Être enragé contre qqn. ⇒ Emporté, furieux.
18 (…) toutes les dames de la cour étaient enragées contre elle.
Mme de Sévigné, 799, 12 avr. 1680.
19 Il en était comme enragé en lui-même (de la petite Fadette) quand il ne pouvait lui parler à son aise (…)
G. Sand, la Petite Fadette, XXV, p. 169.
❖
DÉR. Enrageant, enragement.
Encyclopédie Universelle. 2012.