aggraver [ agrave ] v. tr. <conjug. : 1>
1 ♦ Rendre plus grave, plus condamnable. Il a aggravé son cas. « À quoi bon aggraver notre tort par la haine ? » (Hugo).
2 ♦ Rendre plus lourd, plus pénible à supporter. « alourdir la dette et [...] aggraver l'impôt » (Madelin).
3 ♦ Rendre plus grave, plus dangereux. ⇒ envenimer. Cette imprudence a contribué à aggraver le mal. — Pronom. ⇒ se détériorer, empirer. L'état du malade s'est aggravé dans la nuit.
4 ♦ Rendre plus violent, plus profond. ⇒ exaspérer, redoubler. Les mesures ont aggravé le mécontentement. « Le vide mortel de ces heures [...] aggravait sa détresse » (Martin du Gard).
⊗ CONTR. Atténuer. Alléger, diminuer . Améliorer. Calmer.
⊗ HOM. Aggravée.
● aggraver verbe transitif (latin aggravare, de gravis, pesant) Rendre quelque chose plus grave, plus violent, plus pénible à supporter : Il aggrave son cas par ses mensonges. ● aggraver (homonymes) verbe transitif (latin aggravare, de gravis, pesant) aggravée nom féminin ● aggraver (synonymes) verbe transitif (latin aggravare, de gravis, pesant) Rendre quelque chose plus grave, plus violent, plus pénible à supporter
Synonymes :
- alourdir
- étendre
- exaspérer
- exciter
Contraires :
- adoucir
- alléger
- améliorer
- apaiser
- atténuer
- calmer
- diminuer
- guérir
- soulager
aggraver
v.
rI./r v. tr.
d1./d Rendre plus grave, plus pénible, plus douloureux. Ses mensonges aggravent sa faute. La grêle a aggravé les dégâts causés par la sécheresse. Syn. augmenter, renforcer. Ant. diminuer, atténuer.
d2./d SPORT Aggraver un score, l'améliorer.
rII./r v. Pron. Devenir plus grave, empirer. Le mal s'aggrave de jour en jour.
I.
⇒AGGRAVER1, verbe trans.
A.— Emploi trans. [Toujours suivi d'un compl. désignant un inanimé]
1. Vx ou littér. Rendre plus lourd, plus difficile à porter, à manier, etc. Aggraver un poids, un fardeau.
a) Vieilli. [Le compl. désigne un obj. concr.] :
• 1. Il [Fauvel] crâne au volant d'un sept tonnes aggravé encore d'une remorque (...) décharger des fûts « comme une plume » (...) voilà de quoi combler le gaillard (...) et j'ai mis les gaz vers Fauvel.
M. GENEVOIX, L'Assassin, 1948, p. 100.
b) Au fig. [Le compl. désigne une réalité abstr.] :
• 2. De là cet état de contrainte où l'on s'efforce de la maintenir, ce poids de servitude que sans cesse on aggrave sur elle, cette prédilection marquée pour les sectes, toujours plus dociles à mesure qu'elles sont plus vides de vérité...
F.-R. DE LAMENNAIS, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 2e part., 1826, p. 8.
• 3. Secret de toute chose entrevu par toute âme!
« N'allume aucun enfer au tison d'aucun feu.
N'aggrave aucun fardeau. Démontre l'âme et Dieu,
L'impérissable esprit, la tombe irrévocable; »
V. HUGO, Les Rayons et les ombres, Sagesse, 1840, p. 1124.
• 4. Non, le christianisme n'est pas comme on le représente ou le pratique parfois, une charge supplémentaire de pratique et d'obligations qui vient encore alourdir, aggraver le poids déjà si lourd, ou multiplier les liens déjà si paralysants, de la vie sociale.
P. TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin, 1955, p. 62.
— Arch., littér. Aggraver de. [Le compl. désigne une sensation] Charger de, alourdir de :
• 5. ... tout ça, c'était sale et ça tenait de la place, aggravé de bassets qui jouaient faux et d'instrumentistes qui aboyaient, ça faisait un boucan pas ordinaire.
COLETTE, Claudine s'en va 1903, p. 290.
• 6. L'aile d'un phalène grésille sur la flamme de la lampe et l'éteint presque. Accoudée à la fenêtre basse, je respire l'odeur humaine, aggravée de fleur morte et de pétrole, qui offense le jardin.
COLETTE, La Maison de Claudine, 1922, p. 111.
Rem. Avec une nuance péj. dans l'ex. 5.
— [Le compl. désigne un sentiment] Rendre plus grave, plus intense :
• 7. ... — les événements religieux de cet été, bien loin d'avoir détourné ma faculté d'émotion musicale, l'ont aggravée au sens plein du terme — par où j'entends que ce sentiment général de gravité accrue de toutes choses a pour résultat que quand j'entends de la grande musique il me semble, si je puis dire, que la densité de la surnature s'épaissit tout ensemble et plane, et que l'on est comme enveloppé d'au-delà.
Ch. DU BOS, Journal, nov. 1927, p. 354.
• 8. Les vallons verts succédaient aux vallons verts en cet endroit avec régularité, et le mystère du lieu était aggravé par l'impression que donnait la tombée du soir.
P.-J. JOUVE, La Scène capitale, 1935, p. 194.
2. P. ext. [En parlant d'un mal phys. ou mor., individuel ou soc.]
a) [En parlant d'une maladie, d'un état phys.] Rendre plus pénible :
• 9. ... ou spasme durable des viscères abdominaux et du centre phrénique, bien loin d'aggraver le mal-aise, le dissipe presque toujours : ...
P. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 1, 1808, p. 454.
• 10. Elle laissa Pons confus, en proie à des remords, admirant le dévouement criard de sa garde-malade, se faisant des reproches, et ne sentant pas le mal horrible par lequel il venait d'aggraver sa maladie en tombant ainsi sur les dalles de la salle à manger.
H. DE BALZAC, Le Cousin Pons, 1848, p. 157.
• 11. Les excès de sa vie de garçon, les tensions exagérées de son cerveau, avaient singulièrement aggravé sa névrose originelle, amoindri le sang déjà usé de sa race; ...
J.-K. HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 113.
• 12. Un bandit sur quatre ou cinq honnêtetés moyennes, que cela serait beau encore, dans les hasards qui aggravent ou qui amoindrissent les tares héréditaires!
É. ZOLA, L'Argent, 1891, p. 405.
• 13. J'appelai Mlle De La M... pour me remplacer auprès d'elle; son extrême agitation me faisait tout craindre mais il me fallait bien me convaincre que ma présence aggravait son état. Je priai qu'on vînt m'avertir s'il empirait.
A. GIDE, La Symphonie pastorale, 1919, p. 930.
• 14. On sort Renée de son lit. On l'habille. Mais le moindre mouvement aggrave les douleurs. « Un peu de courage », dit Louise.
E. DABIT, L'Hôtel du Nord, 1929, p. 88.
b) Au fig. [En parlant d'un mal mor.] :
• 15. Combien long-temps je dois souffrir, si je puis sans mourir supporter tant de maux!... Oh! n'aggravez point l'horreur de ma destinée!...
Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, t. 2, 1795, p. 74.
• 16. Mon attendrissement étoit extrême quand Velléda cessa de parler, et je sentis tout le reste du jour la place brûlante de sa main sur mon cœur. Voulant du moins faire un dernier effort pour me sauver, je pris une résolution qui devoit prévenir le mal, et qui ne fit que l'aggraver :...
F.-R. DE CHATEAUBRIAND, Les Martyrs, t. 2, 1810, p. 88.
• 17. Ma chère, s'il s'agissait de vos enfants, vous sauriez bien deviner ce qui les gêne, disait-il à sa femme en aggravant l'injustice de ces paroles par le ton aigre et froid dont il les accompagnait.
H. DE BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 195.
• 18. Je crois que je ferai la vraie Révolution, et je vous le dis à vous qui allez faire le vrai Faust. Donnez donc vos ordres pour qu'on vous facilite ce travail, au lieu de vous l'aggraver.
V. HUGO, Correspondance, 1868, p. 152.
• 19. Et sa tâche [de Marianne] n'était point facile, au milieu de ses huit enfants déjà, dont le flot montant aggravait son devoir.
É. ZOLA, Fécondité, 1899, p. 426.
• 20. M. Thibault était lourd et ne s'aidait pas; il se laissait manier comme un cadavre. Mais chaque mouvement éveillait le long des jambes, au creux du dos, une douleur aiguë, qu'aggravait encore un tourment d'ordre moral : les détails de cette épreuve quotidienne mettaient au supplice orgueil et pudeur.
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Sorellina, 1928, p. 1143.
c) [En parlant d'une situation difficile, le plus souvent pol. ou soc.] Rendre plus critique, exposer à des périls plus grands :
• 21. ... le vieux palais impérial qu'elle occupait au bord de la Seine était devenu une prison pour elle et pour ses trois enfants. Quoiqu'elle n'y fût pas gardée à vue, elle n'osait en sortir et reprendre le chemin de l'Austrasie, de peur d'être arrêtée ou trahie dans sa fuite, et d'aggraver encore une situation déjà si périlleuse.
A. THIERRY, Récits des temps mérovingiens, t. 2, 1840, p. 62.
• 22. Or, si l'accaparement — et c'est, hélas! trop vraisemblable, — vient compliquer et aggraver la crise actuelle, tout est à craindre, même la famine et ses effroyables conséquences.
F. COPPÉE, La Bonne souffrance, 1898, p. 41.
• 23. C'était la machine enfin amie, non plus la machine des débuts, concurrente qui aggravait la faim de l'ouvrier en faisant baisser les salaires, mais la machine libératrice, devenue l'universel outil, peinant pour l'homme...
É. ZOLA, Travail, 1901, p. 217.
• 24. L'extrême complexité d'une Europe et d'un monde qui se transformaient tous les jours aggravait le conflit des opinions et des théories, et ce conflit rendait lui-même plus difficile la tâche de notre politique, ouvrait la porte aux intrigues et aux intrigants.
J. BAINVILLE, Histoire de France, t. 1, 1924, p. 289.
3. Emplois techn.
a) DR. CANON. Prononcer une aggrave :
• 25. ... en laquelle excommunication s'ils croupissent six jours, par ces présentes nous les aggravons.
Sentence de l'officialité de Paris (Besch. 1845).
Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e, LITTRÉ, DG, Nouv. Lar. ill., Lar. 20e.
b) DR. PÉNAL
— [L'obj. désigne la faute] Augmenter, notamment par des circonstances particulières, la gravité d'un délit, d'une faute. Aggraver ses torts, son cas :
• 26. En effet, les délits dont les ministres peuvent se rendre coupables, ne se composent ni d'un seul acte, ni d'une série d'actes positifs dont chacun puisse motiver une loi précise; des nuances que la parole ne peut désigner, et qu'à plus forte raison la loi ne peut saisir, les aggravent ou les atténuent.
B. CONSTANT, Principes de politique, 1815, p. 79.
• 27. « ... — Et lui? s'écria Larmuzeaux, qui, après avoir été victime de la trahison de Bineau, ne pouvait supporter d'être condamné seul. — On ne doit pas répliquer, monsieur; cela peut aggraver la peine, » dit M. Delteil.
CHAMPFLEURY, Les Souffrances du professeur Delteil, 1853, p. 98.
• 28. Un très risible orgueil vous enfle les narines,
Frère! et vous délirez, en ce triste moment,
Certes, plus que jamais et fort piteusement.
Entendez la raison, n'aggravez point vos fautes;
Car on chute plus bas des cimes les plus hautes,
Ch.-M. LECONTE DE LISLE, Poèmes tragiques, Hiéronymus, 1886, p. 92.
• 29. Si l'on avait des preuves contre lui, l'hypothèse de l'assassin inconnu n'était guère soutenable et pouvait même aggraver son cas.
É. ZOLA, La Bête humaine, 1890, p. 88.
• 30. Il est capable, par son action propre, de créer certains délits ou d'aggraver la valeur criminologique de certains autres.
É. DURKHEIM, De la Division du travail social, 1893, pp. 49-50.
• 31. Je sens que je m'enferre, que la partie est perdue, ou plutôt qu'il n'y a jamais eu de partie engagée, que j'ai été joué depuis le commencement de cette affaire, et que j'ai tort, et qu'à chaque mot que je prononce j'aggrave mon tort et mon ridicule.
V. LARBAUD, A. O. Barnabooth, 1913, p. 164.
• 32. C'était mon tour à présent de me sentir une brebis galeuse. Ce qui aggravait mon cas, c'est que je dissimulais : j'allais à la messe, je communiais. J'avalais l'hostie avec indifférence, et pourtant je savais que, selon les croyants, je commettais un sacrilège. En cachant mon crime, je le multipliais, mais comment eussé-je osé l'avouer?
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 140.
— Aggraver de (telle circonstance particulière) :
• 33. Mais attendez... cette jeune fille a dix-huit ans, c'est donc un attentat odieux, infâme, aggravé des circonstances de séquestration et de violences... c'est-à-dire un crime qui peut conduire à la cour d'assises à Toulon ou à Brest, c'est-à-dire aux galères.
P.-A. PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 219.
— [L'obj. désigne la peine] La rendre plus lourde, la commuer en un châtiment plus rigoureux. Aggraver la peine, la condamnation, le châtiment :
• 34. Il se trouva compromis dans cette conspiration de Mallet, dont le but avoué ne justifiait pas l'audace. Il n'était condamné qu'à la mort; on aggrava sa peine en la commuant, et en le condamnant pour le reste de ses jours à l'infamie des galères.
V. DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 5, 1814, p. 202.
• 35. Quant au roi, une victoire si complète ne lui suffisait déjà plus, et il s'ingéniait encore pour trouver quelque moyen accessoire d'aggraver la condamnation.
A. THIERRY, Récits des temps mérovingiens, t. 2, 1840, p. 164.
• 36. Il a su Dreyfus innocent, et il a gardé le silence. Bien plus, il a souffert que la loi fût violée pour aggraver le châtiment légal, et qu'un Lebon et qu'un Chautemps se fissent, de geôliers, bourreaux.
G. CLEMENCEAU, Vers la réparation, 1899, p. 528.
• 37. ... pour un délinquant, être pincé portant une arme à feu c'est aggraver si lourdement la peine encourue que les cambrioleurs préfèrent se passer de revolver ou brandir, pour faire peur, un pistolet d'enfant; ...
P. MORAND, Londres, 1933, p. 104.
B.— Emploi pronom. [Le suj. est toujours un inanimé] Devenir plus grave.
1. Emploi abs.
a) Sans nuance péj.
— Arch., littér. [En parlant d'un état de l'être] Prendre de la gravité, de la profondeur :
• 38. ... à « la manière fondamentale dont chacun sent sa vie », dont je sens la mienne. Oui, vraiment cette phrase-là serait une épigraphe idéale pour introspections; et c'est parce que je sens ma vie, parce que elle ne varie pas dans sa fondamentale sonorité, qu'elle s'aggrave, se complique si je puis dire sur place, qu'elle ressemble chaque jour davantage à ces notes tenues qui en musique — dans celle de Bach spécialement — sont d'un tel poids qu'il faut que j'écrive introspections.
Ch. DU BOS, Journal, févr. 1927, p. 166.
• 39. Elle [Hélène] dans le plaisir avait pris une grandeur antique, son masque s'était creusé et surtout aggravé, ses yeux avaient eu un bref retournement intérieur, après quoi sous ses regards étaient apparus deux grands cernes, elle n'avait pas poussé un cri, et tout s'était apaisé dans la connaissance de son triomphe; ...
P.-J. JOUVE, La Scène capitale, 1935, p. 244.
— [En parlant d'une sensation ou d'un sentiment forts] Devenir plus intense, s'amplifier :
• 40. ... une clameur générale s'éleva, qui grandit, s'aggrava en un souffle de tempête : « À mort, à mort!... »
É. ZOLA, Travail, t. 1, 1901, p. 281.
• 41. ... voilà qu'elle [Louise] achevait de les bouleverser par un coup de passion, dont ils [ses parents] avaient d'abord haussé les épaules, croyant à une amourette, mais qui s'était aggravé, au point de leur faire croire que la fin des temps était proche!
É. ZOLA, Travail, t. 2, 1901, p. 157.
• 42. ... tels sont les spectacles et les musiques pour lesquels le respect m'est venu, à mesure que s'aggravait ma curiosité.
COLETTE, Gigi, 1944, p. 193.
b) Péjoratif
— [En parlant d'un mal phys.] Devenir plus grave, empirer :
• 43. Coquebert, ne manquez point... de m'appeler auprès de ce malade, si son état s'aggrave soudainement.
A. FRANCE, La Rôtisserie de la Reine Pédauque, 1893, p. 353.
• 44. ... il restait au lit rarement, se traînait de chaise en chaise, dans son impuissance à faire un travail quelconque. Le mal s'était encore aggravé, il en arrivait au désespoir de tout, ravagé de migraines et de vertiges d'estomac, sans force, comme il le disait, pour mettre un pied devant l'autre, convaincu chaque matin qu'il coucherait le soir aux Tulettes, fou à lier.
É. ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, p. 142.
• 45. Dès que la nuit vient, les affections s'aggravent, les douleurs assoupies se réveillent, la fièvre qui dormait se ranime, les ordures ressuscitent et les plaies ressaignent, et alors elle songe au divin Thaumaturge, elle songe au Christ.
J.-K. HUYSMANS. En route, t. 1, 1895, p. 115.
• 46. « ... Nous avons trouvé toutes les complications possibles : mastoïdite, naturellement; infection du sinus latéral, etc. Depuis hier, nous avons tout essayé. En vain. L'état s'aggrave d'heure en heure. Ce matin, phénomènes méningés... »
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Consultation, 1928, p. 1067.
— [En parlant d'une situation pénible, personnelle ou plus souvent soc.] Devenir plus grave, s'envenimer :
• 47. Sait-on combien une défaveur imméritée accable les gens timides? Qui peindra jamais les malheurs de la timidité! Cette situation, qui s'aggravait de jour en jour davantage, explique la tristesse empreinte sur le visage de ce pauvre musicien, qui vivait de capitulations infâmes.
H. DE BALZAC, Le Cousin Pons, 1848, p. 14.
• 48. Si les circonstances s'aggravaient, chaque gouvernement n'aurait qu'à serrer un peu la vis du libéralisme, sans même recourir à l'état de siège, pour être aussitôt délivré de ces perturbateurs...
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 353.
• 49. — On y va quand même? — Oui, dit Henri. Si on voit que la situation s'aggrave, on remettra notre départ. Mais peut-être il y aura une détente. On a fixé une date : pour l'instant, on s'y tient.
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 570.
2. S'aggraver de.
a) Arch., au fig. S'aggraver du poids de... Se charger de :
• 50. Je trouve chez vous un goût de nudité humaine que j'aime hautement, et qui ira, je pense, s'aggravant du poids même de vivre.
ALAIN-FOURNIER, J. RIVIÈRE, Correspondance, lettre de J. R. à A.-F., sept. 1911, p. 316.
• 51. Il ne me paraît pas que ses traits rappelassent beaucoup ceux de M. Guizot; mais elle avait été sa secrétaire, la confidente de sa pensée et certainement son prestige s'aggravait du poids conscient de ce passé.
A. GIDE, Si le grain ne meurt, 1924, p. 469.
b) Péj. [En parlant d'un mal phys. ou mor.] S'augmenter, se compliquer de :
• 52. ... je voyais mes forces dépérir, mes facultés s'oblitérer, et mon mal moral s'aggravait de toute ma faiblesse physique. Mon visage, hier florissant, était réduit à un état d'émaciation cadavéreuse. Bref, sans une crise violente, j'étais un homme perdu.
L. REYBAUD, Jérôme Paturot, 1842, p. 138.
• 53. Mais son humilité s'aggravait d'une gêne, bien rare chez lui, du trouble où le jetait le silence que le maître de sa jeunesse gardait sur son tableau.
É. ZOLA, L'Œuvre, 1886, p. 212.
• 54. L'heure marche; la sécheresse irrespirable s'aggrave d'une odeur de dortoir chaud.
COLETTE, L'Envers du Music-Hall, 1913, p. 43.
Stylistique La not. de poids, inhérente au sens du verbe et facile à restituer par l'analyse étymol., fait naturellement image et sert souvent à mesurer la gravité d'un mal, d'un délit, d'une faute ou l'importance d'une charge au propre ou au fig. C'est pourquoi il n'est pas rare de rencontrer des assoc. telles que : aggraverardeau (ex. 2); -/poids (ex. 3, 4, 50, 51). La litt. contemp. semble pour cette raison affectionner ce verbe soit dans son emploi avec compl. d'obj. dir. :
55. Les plus belles pailles
Ont le teint fané
Sous les verrous
Dans une ferme isolée
Au jour le jour
S'aggrave
L'agréable
Une voie carrossable
Vous conduit au bord de l'inconnu...
A. BRETON, Les Manifestes du Surréalisme, 1930, p. 68.
56. Seigneur! augmentez mon ivresse.
Aplanissez l'espace
Qui sépare de vous
Mon âme en sa disgrâce
Qui se souvient de vous...
Seigneur! aggravez mon extase.
A. GIDE, Les Nouvelles Nourritures, 1935, p. 266.
soit dans l'emploi part. + prép. de :
57. ... l'éditeur Mackar a unanimement applaudi cette petite chose [la Vision de Lefebvre, jouée aux Concerts Colonne] aggravée de harpes...
WILLY, Bains de sons, par l'ouvreuse du Cirque d'été, 1893, p. 174.
58. En songeant à tout cela, je distribue les deux parties : la première à Anaïs, aggravée de Marie Belhomme, l'autre aux pensionnaires. Pour moi, je viendrai au secours de celle qui faiblira le plus. Rabastens soutient la seconde.
COLETTE, Claudine à l'école, 1900, p. 74.
59. Au théâtre, souvent, j'emmène mon amie [Rézi] aggravée de Lambrook [son mari], dans la couarde certitude qu'elle ne me trompera pas pendant ce temps-là.
COLETTE, Claudine en ménage, 1902, p. 223.
Étymol. ET HIST. — 1. Mil. XIe s. agravet, part. passé adjectivé « accablé (par la maladie) » (La Vie de Saint-Alexis, éd. Storey, 289 : Sa fin aproismet, ses cors est agravét); déb. XIIe s. agrever « accabler (qqn, en parlant de la maladie) » (Loherains, Ars. 3143 f° 13c ds GDF., s.v. agrever :Por Dieu, font il, sire, ne nos celez Quez maladie vos a si agrevez) qualifié de vieilli par DG; 2. « rendre ou devenir plus grave » a) mil. XIe s. « (d'une débilité phys., d'une maladie) devenir plus grave, plus dangereux » (La Vie de Saint-Alexis, éd. Paris et Pannier, strophe 56 c : Molt li engrieget [var. ms. d'Ashburnham : agrievet] lo soe enfermetet); b) 2e moitié XIIIe s. agraver « rendre (qqc.) plus violent » (La Légende de G. de Roussillon, éd. Meyer, 147 ds T.-L. : la bataille est agravee crüelment por la forsennerie des hommes [ingravatur]); c) 1340 agrever « rendre (une faute) plus condamnable » (Traité entre H. de Montfauc. et la bourg. de Montbel, Arch. K 2224 ds GDF. : En agrevant le meffait que fait havoient); apr. 1370 agraver « id. » (ORESME, Eth., 61 ds LITTRÉ : L'estat de la personne agrave le fait); d) 1680 théol. agraver (un péché) « l'augmenter » (RICH. t. 1 : Circonstances qui agravent le péché); e) 1690 dr. aggraver « rendre (une peine) plus lourde, plus pénible à supporter » (FUR. : Aggraver signifie aussi, Augmenter la peine deuë à un crime, la rendre plus griefve...); 3. 1488, 22 oct. relig. « frapper d'une aggrave » (Lett. de Charl. VIII au pape ds GDF. Compl. :Et sans garder la forme qui se doit garder en tel cas, a excommenié, aggravé, reaggravé et anathematizé nosdits peuple et sujets).
Empr. au lat. aggravare, au sens 1 dep. SUET., Iul., 1 ds TLL s.v., 1314, 61 : morbo quartanae adgravante virum; au sens 2 a dep. COLUM., 2, 4, 7 ibid. 1314, 56 : ne imbecillitas ejus [pecoris] longis itineribus aggravetur; au sens 2 b dep. TITE-LIVE, 4, 12, 7, ibid., 1314, 36 : unum afuit bellum externum; quo si adgravatae res essent, vix ope deorum... resisti potuisset; au sens 2 c dep. VULG., Gen., 18, 20, ibid., 1314, 68 : peccatum eorum aggravatum est nimis; au sens 3 lat. médiév., cf. aggravatus, 1359, part. passé adjectivé, Stat. Synodaux de Bertrand de Turre, évêque de Toul, art. 74 ds DU CANGE s.v. aggravatus :parrochialium Ecclesiarum Rectores... habeant registra, in quibus nomina... excommunicatorum... Aggravatorum, Reaggravatorum... scribant. Très tôt apparaît la forme agriever, agrever (Alexis, supra) due à une contamination de aggrevare d'apr. grevis, var. de gravis, grief. La forme agraver (aussi dans Alexis, supra) reprend l'avantage à partir du XIVe s., peut-être avec Oresme (supra); cf. a. fr. agregier « devenir plus lourd, empirer » dep. Roland < graviare, dér. de gravis.
STAT. — Fréq. abs. litt. :614. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 513, b) 404; XXe s. : a) 1 293, b) 1 178.
BBG. — BAR 1960. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BOISS.8. — CAPUT 1969. — CHESN. 1857. — DUP. 1961. — DUPIN-LAB. 1846. — HANSE 1949. — LAV. Diffic. 1846. — MARCEL 1938. — NYSTEN 1814-20. — PRÉV. 1755. — Théol. cath. t. 1, 1 1909.
II.
⇒AGGRAVER2, verbe trans.
A.— MAR. Aggraver ou s'aggraver. [En parlant d'un bateau] ,,Toucher, échouer sur le gravier, sur le sable.`` (JAL 1848).
B.— Région., VÉN. [En parlant de l'homme, d'un chien] Souffrir d'une inflammation de la plante des pieds (ou simplement de la fatigue) qui résulte d'une marche longue ou pénible sur le gravier ou en rase campagne, etc. Terme encore usité en Vendée et s'applique à l'homme comme aux animaux (cf. aggravé2).
Rem. Attesté ds REMIG. 1963; encore usité en Vendée.
Prononc. ET ORTH. — 1. Forme phon. :[], j'aggrave []. À propos de la prononc. des consonnes doubles (-gg-), GRAMMONT Prononc. 1958, pp. 90-91 fait la rem. suiv. : ,,La prononciation d'une consonne double à l'intérieur d'un mot est contraire au génie de la langue, puisqu'elle a simplifié toutes les consonnes doubles dans les mots de son vieux fonds; elle n'est acceptable que dans des mots tout à fait savants et rares ou spéciaux (...), elle est très choquante lorsqu'il s'agit de mots fréquemment employés et qui ont pénétré dans l'usage courant comme : sommet, grammaire, nommer, arrêt, terrible, année, prudemment, affaire, suffire, appas, appeau, abbaye, attaquer, addition, accabler, aggraver``. Enq. ://. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : aggravant, aggravanter (arch.), aggravation, aggrave, aggravée (cf. Lar. encyclop.), aggravement. 3. Forme graph. — FÉR. Crit. t. 1 1787, s.v. aggravant fait la rem. suiv. : ,,Dans les mots qui commencent par cette syllabe [c.-à-d. agg-] on ne prononce qu'un g. Plusieurs même n'en écrivent qu'un; et il serait à souhaiter que cette dernière manière d'écrire devînt générale; car ceux deux g ne font qu'embarrasser``. Ac. 1835 et Ac. 1878 ont une 2e vedette : agraver avec un seul g. Cf. infra RICH. (aggraver1 étymol. 1 d). La fixation de la géminée date de FUR. et Ac. 1694.
Étymol. ET HIST. — 1549 part. passé adj. mar. « (d'un bateau) s'échouer sur le sable » (R. ESTIENNE, Dict. fr.-lat. s.v. aggravanter ou agraver :Nostre basteau est aggravé); 1559 « id. » (LÉON, Descr. de l'Afr., II, 24, Lyon, 1559 ds GDF. : Nous trouvasmes sept autres navires agravees sur le sable), demeuré en usage dans les dial. du Centre (JAUB.).
Dér. du m. fr. grave « gravier »; voir aggravé2, ée.
BBG. — HANSE 1949. — JAL 1848. — REMIG. 1963.
1. aggraver [agʀave] v. tr.
ÉTYM. XIVe; « alourdir, fatiguer, charger », XIe à XVIIe; lat. aggravare, de gravis « lourd, pesant ».
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1 Vx (langue class.). Rendre plus pesant. || Aggraver un fardeau. ⇒ Appesantir. — Par métaphore (littér.). || Aggraver un poids moral.
1 Un corps qui nous aggrave et nous baisse vers la terre.
♦ Vx ou littér. || Aggraver (qqch., qqn) de…, charger de… — Au p. p. :
1.1 L'aile d'un phalène grésille sur la flamme de la lampe et l'éteint presque. Accoudée à la fenêtre basse, je respire l'odeur humaine, aggravée de fleur morte et de pétrole, qui offense le jardin.
Colette, la Maison de Claudine, p. 111 (1922).
2 (Abstrait). Rendre plus lourd, plus pénible à porter. || Aggraver les charges de l'État, les impôts. ⇒ Alourdir, augmenter, charger, grever, surcharger. || Aggraver les impôts d'une taxe supplémentaire.
2 (…) ces bâtisseurs dont toutes les « découvertes » n'ont abouti qu'à alourdir la dette et, pour faire face aux charges de l'emprunt, à aggraver l'impôt, ce qui n'a pas empêché le déficit de s'élargir (…)
Louis Madelin, De Brumaire à Marengo, XI, p. 157.
♦ Rendre plus pénible à supporter, plus misérable. || Aggraver le sort des malheureux.
3 À quoi bon aggraver notre sort par la haine ?
Hugo, l'Année terrible, p. 61.
3 (XIe). Rendre plus douloureux. || Aggraver un mal, une maladie, une souffrance. || L'imprudence a aggravé son mal. ⇒ Accroître, augmenter, compliquer, empirer, exacerber, exaspérer, redoubler. || Aggraver l'état, les douleurs de qqn. || Aggraver un mal par…, de…, en… (et participe présent).
3.1 Elle laissa Pons confus, en proie à des remords, admirant le dévouement criard de sa garde-malade, se faisant des reproches, et ne sentant pas le mal horrible par lequel il venait d'aggraver sa maladie en tombant ainsi sur les dalles de la salle à manger.
Balzac, le Cousin Pons, Pl., t. VI, p. 657.
♦ Fig. || Aggraver une injustice, un tourment.
4 Le vide mortel de ces heures sans projets aggravait à tel point sa détresse (…)
Martin du Gard, les Thibault, III, 14, 103.
♦ Rendre plus mauvais. || La crise économique aggrave la situation du pays.
4 (1340). Rendre plus grave, plus condamnable. || Les circonstances aggravent son crime, sa faute, ses péchés, ses torts. || L'âge de la victime aggrave la culpabilité de ce criminel. ⇒ Ajouter, augmenter, grandir, grossir.
5 Les effrayés se sentent dans leur tort d'avoir été effrayés. Ils s'imaginent avoir surpris un secret, ils craignent d'aggraver leur position (…)
Hugo, les Travailleurs de la mer, p. 45.
5.1 C'était mon tour à présent de me sentir une brebis galeuse. Ce qui aggravait mon cas, c'est que je dissimulais : j'allais à la messe, je communiais. J'avalais l'hostie avec indifférence, et pourtant je savais que, selon les croyants, je commettais un sacrilège.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 140.
♦ (1690). || Aggraver (une peine), la rendre plus lourde. || Aggraver un châtiment, une condamnation. || Aggraver la peine de (un élément supplémentaire).
♦ (Relig.). Prononcer une aggrave (⇒ Aggravation, 1.).
5 Rendre plus fort, plus violent. ⇒ Exciter, irriter, renforcer. || Les mesures ont aggravé le mécontentement.
6 Malseigne, provocant et imprudent, qui aggrava les colères.
Jaurès, Hist. socialiste de la Révolution franç., II, p. 208.
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s'aggraver v. pron.
♦ Devenir plus grave. || Le mal s'est aggravé. || L'épidémie, la situation s'est aggravée. ⇒ Empirer, progresser. — S'aggraver de qqch. || Son mal s'aggrave d'une dépression.
7 Dès que la nuit vient, les affections s'aggravent, les douleurs assoupies se réveillent, la fièvre qui dormait se ranime, les ordures ressuscitent et les plaies ressaignent.
Huysmans, En route, p. 73.
8 Il sentait que la Commune, contre laquelle il avait mené (Danton) une dure bataille, lui en gardait une rancune qui s'aggravait de méfiance (…)
Louis Barthou, Danton, p. 39.
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aggravé, ée p. p. adj.
♦ || Sort aggravé. — Peine, condamnation aggravée. — Crise, situation aggravée.
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CONTR. Adoucir, alléger, atténuer, calmer, consoler, diminuer, soulager. — Améliorer, guérir. — Excuser (une faute).
DÉR. Aggravant, aggrave, aggravement.
HOM. 2. Aggraver.
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2. aggraver [agʀave] v. tr.
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♦ Mar. Vx. S'échouer, aller à la côte, à la grève (en parlant d'un navire).
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HOM. 1. Aggraver.
Encyclopédie Universelle. 2012.