ÉROSION
Les articles relatifs à l’érosion mettent en général l’accent sur l’inventaire des agents de l’érosion et sur la description des mécanismes qui en règlent l’intensité. Un de leurs objectifs essentiels est de montrer comment l’érosion constitue un facteur de façonnement des paysages, de morphogenèse et, finalement, de géographie. Le point de vue développé est celui des mécanismes morphogénétiques, des cycles morphoclimatiques et des cycles d’érosion compris comme des conséquences du caractère cyclique des climats. Cependant, à côté d’une démarche centrée sur l’inventaire des mécanismes apparaît la nécessité d’une approche de l’altération et de l’érosion par l’étude des bilans.
En effet, de considérables progrès ont été accomplis dans l’évaluation des phénomènes à l’échelle du globe terrestre. La tectonique, l’océanographie, l’hydrologie et la géochimie sont des disciplines récemment devenues globales, de sorte que l’érosion apparaît aussi aujourd’hui comme l’un des éléments cardinaux d’une géodynamique planétaire. Ainsi le bilan de l’érosion doit-il tout d’abord être mené à l’échelle de la Terre entière.
Les effets, sur l’environnement global, de l’activité industrielle comme ceux de l’exploitation intensive des terres agricoles, des forêts et des eaux ne peuvent être appréciés et mesurés que par référence aux situations non influencées du passé. Comme dans beaucoup d’autres cas, les clefs des phénomènes du temps présent sont à rechercher dans l’enchaînement des événements des temps passés [cf. UNIFORMITARISME]. Si l’on est tout naturellement amené à étudier l’érosion dans le cadre de la géodynamique globale, on est donc aussi conduit à l’embrasser sur une durée de plusieurs centaines de millions d’années, à l’échelle des temps géologiques.
1. Érosion chimique et érosion mécanique
L’érosion est un phénomène d’ablation: à la surface de la croûte terrestre continentale, elle prélève des matériaux qui, en solution ou en suspension dans les eaux des rivières et des fleuves, gagnent les océans et les bassins intracontinentaux, pour s’y accumuler et former les dépôts de sédiments. L’érosion est un phénomène permanent d’usure des surfaces continentales, plus particulièrement actif dans les régions montagneuses et les zones où une orogenèse récente a porté en altitude des matériaux sédimentaires tendres et altérables; elle est en revanche plus lente sur les vieux boucliers plats et constitués de roches plutoniques dures et peu solubles. L’érosion apparaît finalement comme un ensemble de phénomènes chimiques et mécaniques (fig. 1 et 2).
L’érosion chimique précède l’érosion mécanique et correspond, sur les continents, à la transformation des roches par l’eau des précipitations, qui percole à travers les sols et les profils d’altération formés d’horizons, pour se rassembler ensuite dans les nappes souterraines, s’écouler dans les rivières et alimenter la sédimentation d’origine chimique dans les bassins.
Les phénomènes d’érosion mécanique englobent des aspects divers. On mentionnera ici rapidement l’érosion des littoraux par la mer (cf. ABRASION MARINE et ÉROSION MARINE) et le rabotage des planchers continentaux par les calottes glaciaires. On doit également tenir compte de l’érosion par le vent (érosion éolienne), particulièrement active dans les déserts et les régions arides (cf. domaine ARIDE), ou du rabotage par les langues glaciaires dans les zones de hautes montagnes (cf. domaine GLACIAIRE, GLACIERS). Ces phénomènes, aux effets pourtant souvent spectaculaires, sont cependant, dans un bilan global, d’ampleur relativement limitée (tabl. 1). La part la plus importante de l’érosion mécanique revient à ce qui est enlevé à la surface des continents par les eaux du ruissellement superficiel et qui est transporté en suspension par les rivières (il s’agit de la charge solide des rivières).
2. Mécanismes de l’altération et de l’érosion chimiques
L’altération chimique est le prélude et le moteur de toutes les formes d’érosion. Les mécanismes de l’altération météorique, c’est-à-dire de l’altération chimique par les agents météoriques (weathering en anglais, Verwitterung en allemand), correspondent à la dissolution ou à l’hydrolyse des minéraux primaires des roches sous l’effet de la percolation de l’eau de pluie au travers des horizons qui forment les profils (cf. ALTÉRATION DES ROCHES, SOLS).
En effet, la plupart des minéraux des roches granitiques, gneissiques, schisteuses, gréseuses, argileuses, carbonatées ou carbonées qui constituent l’essentiel de la croûte terrestre ne sont pas stables dans les conditions physicochimiques qui prévalent à la surface du sol.
Le tableau 2 montre que l’altération chimique consiste donc en une mise en solution de tous les éléments constituant les sels solubles (Na+, Mg2+, Ca2+, Cl-, S42-, C32-, etc.), en une mise en solution d’une partie des éléments constituant les minéraux hydrolysables (Na+, K+, Ca2+, Mg2+, H4Si4, etc.) et en une réorganisation des éléments peu mobiles qui forment les minéraux secondaires d’altération peu solubles: hématite Fe23, goethite FeOOH, gibbsite Al(OH)3, kaolinite Al2Si25(OH)4, smectites Al2Si410(OH)2 et parfois calcite CaC3.
Pour la presque totalité des réactions de dissolution ou d’hydrolyse, l’érosion chimique se traduit par une importante consommation de dioxyde de carbone (CO2), présent actuellement dans l’atmosphère à la pression partielle de 101,5 pascals.
Oxydation et consommation d’oxygène
Le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz de l’atmosphère terrestre à se trouver impliqué dans les phénomènes d’érosion chimique. L’oxygène joue également un rôle déterminant puisqu’une part importante du matériel sédimentaire est constituée de roches carbonées: schistes graphiteux ou bitumineux, pétroles, gaz naturels et matières organiques diverses, généralement associées à des sulfures de fer ferreux (Fe2+). De plus, les silicates ferrifères de la croûte terrestre contiennent eux aussi une bonne part de Fe2+. Dans ces conditions, l’altération et l’érosion chimiques s’accompagnent d’une oxydation à l’air du carbone, du soufre et du fer ferreux (tabl. 2).
L’oxydation des matières organiques (CH2O) produit du dioxyde de carbone (CO2) ou des ions bicarbonate (HCO3-) et des ions H+ qui sont neutralisés par réaction avec des minéraux voisins. L’oxydation des sulfures et des silicates produit des oxydes ou des hydroxydes de fer ferrique (Fe3+), qui demeurent provisoirement dans les sols, ainsi que des ions sulfate (SO42-), qui sont lessivés en solution. L’oxydation s’accompagne, dans tous les cas, d’une consommation d’oxygène de l’atmosphère.
Bilan chimique de l’altération
Au total, chaque fois qu’à la surface des continents un minéral primaire se dissout, s’oxyde ou s’hydrolyse, une partie des éléments reste sur place dans les sols et forme les minéraux secondaires d’altération; une autre partie est éliminée et gagne les océans en solution dans l’eau des rivières et des fleuves. Les matériaux constituant les sols sont, plus tard, repris par l’érosion mécanique qui alimente, en aval, la sédimentation détritique. Les ions bicarbonate (HCO3-), qui, dans l’eau des rivières, équilibrent les ions Na+, K+, Ca2+ et Mg2+, proviennent, pour 67 p. 100, du dioxyde de carbone (CO2) soutiré à l’atmosphère par les plantes au cours de la photosynthèse et mis en solution dans le sol après la décomposition des matières organiques. Les ions sulfate (SO42-) en solution proviennent de l’oxydation du soufre des sulfures et de la dissolution des sulfates des évaporites (CaSO4). L’altération chimique des roches de la croûte terrestre entraîne donc d’importants apports d’ions dissous à l’océan et d’importants prélèvements de dioxyde de carbone et d’oxygène à l’atmosphère. L’altération chimique est d’autant plus active et, en bilan, d’autant plus importante que la température, la pluviosité et la pression partielle de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ou dans la phase gazeuse du sol sont plus élevées.
Effet de la température
D’une manière générale, la solubilité des minéraux constituant les roches silicatées diminue lorsque la température augmente (tabl. 3 et 4). La cinétique, c’est-à-dire la vitesse de dissolution des minéraux, est en revanche activée lorsque la température s’élève. Au total, l’intensité de l’altération chimique est, à drainage égal, plus forte en climat chaud intertropical qu’en climat tempéré froid.
La concentration moyenne en ion HC3- des rivières du monde est aujourd’hui estimée à 0,852 millimole par kilogramme d’eau. Environ 33 p. 100 des ions bicarbonate dissous dans les fleuves proviennent du C2 des carbonates (CaCO3, MgC3); 67 p. 100 viennent de l’atmosphère du sol, soit 0,554 millimole par kilogramme d’eau.
Cette valeur chiffre l’intensité moyenne globale de l’altération chimique pour une température moyenne globale de 15 0C. Le modèle Blag (ce mot est construit avec les initiales de ses auteurs: Robert A. Berner, Anthony C. Lasaga et Robert M. Garrels, 1983), qui relie l’augmentation de la température à l’accroissement de la teneur de l’atmosphère en C2, fait intervenir la relation:
On calcule, grâce à cette relation, qu’en climat tropical, pour une température T de 25 0C, la concentration en ion bicarbonate (HCO3-) provenant de l’atmosphère est égale à 0,825 millimole par kilogramme d’eau, et qu’en climat tempéré froid, pour une température de 5 0C, la concentration en ion bicarbonate provenant de l’atmosphère devrait être égale à 0,291 millimole par kilogramme d’eau.
On admet donc, comme ordre de grandeur, qu’autour de 15 0C une diminution de 10 0C de la température moyenne annuelle provoque un effondrement de la vitesse d’altération d’un facteur 2 et qu’une augmentation de 10 0C de la température moyenne annuelle multiplie par 1,5 l’intensité de l’érosion chimique.
Effet de la pression partielle du dioxyde de carbone
La pression partielle du dioxyde de carbone dans l’atmosphère est de 101,5 pascals. Mais, dans les sols, sous l’effet de la respiration des plantes par les racines ou sous l’effet de l’oxydation (ou de la minéralisation) de la matière organique, l’atmosphère du milieu est enrichie en gaz carbonique et les solutions d’altération sont plus acides, du fait de la réaction:
Dans les eaux qui drainent les paysages d’altération, la pression partielle équivalente de gaz carbonique est de 102,5 pascals environ, c’est-à-dire, en moyenne, dix fois supérieure à celle de l’atmosphère. Sous la forêt équatoriale active ou dans les sols très riches en matière organique, on estime que cette pression partielle peut même atteindre la valeur de 103,5 pascals, soit cent fois celle de l’atmosphère.
Une augmentation de la pression partielle de dioxyde de carbone d’un facteur de 10 à 100 repousse la limite de saturation des minéraux primaires, dont la solubilité est augmentée d’un facteur de 2 à 6 (tabl. 4). L’intensité de l’altération et de l’érosion chimiques est donc dépendante de la dynamique de la photosynthèse et de la réaction contraire, qui est celle de la minéralisation de la matière organique. Au fil des temps géologiques, l’intensité de l’altération croît tout naturellement en même temps que croît la teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbone. L’érosion chimique apparaît alors comme un véritable régulateur de la composition de l’atmosphère.
De nos jours, le flux de dioxyde de carbone prélevé à l’atmosphère et rejoignant l’océan est égal au produit de la concentration moyenne globale des eaux en bicarbonates, corrigée des apports dus à la dissolution de calcite et de dolomite – 0,571 millimole par kilogramme d’eau – par le débit total des rivières – 0,40 憐 1017 kilogrammes d’eau par an. On aboutit ainsi à une valeur du flux de dioxyde de carbone consommé égale à 23 憐 1012 moles par an.
Temps de résidence du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et dans la biosphère
Le temps de résidence d’un élément dans un réservoir s’obtient en divisant la taille du réservoir par le flux d’entrée, qui est nécessairement égal au flux de sortie de cet élément. À la surface de la Terre, l’atmosphère – 0,055 憐 1018 moles –, la biomasse vivante – 0,006 憐 1018 moles – et l’océan – 3,3 憐 1018 moles – sont tous trois d’importants réservoirs de carbone, rapidement accessibles.
L’érosion chimique assure un temps moyen de renouvellement du dioxyde de carbone égal à environ 240 ans pour la biosphère, 2 200 ans pour l’atmosphère et 130 000 ans pour l’océan. Tant à l’échelle des temps géologiques qu’à celle des temps préhistoriques ou historiques, les durées moyennes de résidence du dioxyde de carbone dans la biosphère, l’atmosphère et l’océan sont courtes. Elles montrent à l’évidence l’importance des effets de l’érosion chimique sur la régulation et sur l’évolution de la composition des réservoirs du carbone à la surface de la Terre.
Effet des variations de la pluviosité et du drainage
Le bilan de l’érosion chimique est essentiellement influencé par la pluviosité (quantité d’eau qui tombe sur le sol sous forme de précipitations). Les quantités de matière soutirées, en solution, hors des profils d’altération, sont directement proportionnelles au drainage, c’est-à-dire à la quantité d’eau qui percole au travers du profil (fig. 2). Le drainage représente une fraction importante de la pluviosité en climat humide (60 p. 100 pour une pluviosité de 2 500 mm/an, 35 p. 100 pour une pluviosité de 1 500 mm/an). Le drainage devient pratiquement nul en climat semi-aride (0 p. 100 pour une pluviosité inférieure à 700 mm/an). Bien qu’en climat aride ou semi-aride les concentrations en silice, en ions bicarbonate et en cations des eaux de drainage soient fortes (à cause de l’évaporation), le bilan des exportations est, au total, très faible. Il est nul sous climat aride, où toute altération cesse. Sous climat humide, en revanche, les concentrations en solution sont modérées mais le drainage et les débits sont forts, si bien que les quantités de matière exportées en solution dans les fleuves sont également fortes et les taux d’érosion chimique élevés.
Bilan de l’érosion chimique et vitesse de progression des fronts d’altération
Le bilan de l’érosion chimique peut être mené en considérant par exemple qu’un mètre carré de la surface d’un sol granitique exposé, sous un climat tropical humide, à la température de 25 0C, est traversé chaque année par 1 mètre cube d’eau (drainage général: 1 000 mm/an). Sous un tel climat, la teneur moyenne en silice observée dans l’eau des rivières est de 10 milligrammes par litre (0,17 mmol/kg d’eau). On calcule que l’évacuation de la silice en solution correspondant à une altération des minéraux hydrolysables en kaolinite est telle qu’il faut évacuer environ une tonne de silice par mètre cube de roche. Il faut donc compter environ 100 000 ans pour transformer en totalité un mètre cube de granite en un sol latéritique à kaolinite. Sur un mètre carré de surface au sol, un mètre cube de roche est altéré sur une profondeur de un mètre (fig. 3). Ainsi, dans les pays tropicaux humides, l’ordre de grandeur de la vitesse d’approfondissement des profils est de 10 mètres par million d’années. En climat tempéré humide (drainage général: 500 mm/an; température moyenne annuelle: 10 0C) ou en climat tropical à saisons contrastées (drainage général: 300 mm/an; température moyenne annuelle: 25 0C), le taux d’altération est diminué d’un facteur 3. Il faudrait alors environ 300 000 ans pour altérer entièrement un cube d’un mètre cube de granite en kaolinite (tabl. 5).
Ainsi, par érosion chimique, sous les climats humides, tempérés ou tropicaux, le front d’altération a pu s’abaisser de 10 mètres en un million d’années au cours du Quaternaire, de 300 mètres en 30 millions d’années, depuis l’Éocène, de 1 000 mètres en 100 millions d’années, depuis le Crétacé, et de 1 500 mètres en 150 millions d’années, depuis le Jurassique. Sous les climats à tendance aride, la vitesse d’enfoncement du paysage diminue significativement. Sous les climats équatoriaux ou tropicaux humides, la vitesse de descente des fronts d’altération peut devenir considérable.
Échelle de sensibilité des roches mères à l’érosion chimique
La composition minéralogique ou chimique de la roche mère constitue également un facteur de première importance pour la vitesse d’altération. Dans les paysages, lorsque les roches mères sont plus altérables et plus solubles que les granites, le front d’altération s’approfondit plus rapidement. C’est ainsi que sur un substratum calcaire la vitesse d’enfoncement du front d’altération est, toutes choses étant égales par ailleurs, de deux à trois fois plus rapide que sur le granite (tabl. 6 et 7).
La sensibilité des roches à l’altération chimique décroît dans le sens sels, calcaires, marnes, argiles, schistes, grès, granites. Cet ordre est proportionnel à la solubilité des minéraux constituants majeurs de ces roches (tabl. 7). Il est également celui de la résistance à l’érosion mécanique, ce qui montre bien que l’ablation, en surface, des roches de la croûte terrestre est effectivement précédée d’une érosion chimique.
3. Mécanismes et facteurs de l’érosion mécanique
Le mécanisme fondamental de l’érosion mécanique se résume en trois étapes. La première consiste en un ameublissement des roches en surface, par la désagrégation physique, l’altération chimique et la bioturbation.
La désagrégation physique est tout d’abord le résultat de ruptures et de déformations affectant, à l’échelle métrique ou décamétrique, les roches le long des versants et attribuées, indépendamment des actions météoriques, à une perturbation du tenseur des contraintes originelles qui s’installent dans les massifs rocheux sous l’effet du creusement des vallées. La désagrégation physique est également le résultat d’une action des agents météoriques responsables de déformations et de ruptures se produisant cette fois à l’échelle centimétrique. À l’échelle des grains et des minéraux, la désagrégation est due essentiellement aux variations de température et d’humidité, mais aussi aux effets du gel, du dégel (cryoclastie) ou de la cristallisation des sels (haloclastie).
L’altération chimique est de loin le mécanisme le plus important de transformation des roches dures en matériaux meubles, par la dissolution des ciments, l’hydrolyse et la transformation des silicates en argiles, oxydes et hydroxydes, la libération et l’individualisation des grains résistants.
Enfin, les matériaux meubles ainsi fabriqués sont très généralement soumis à d’importantes modifications d’organisation et fortement travaillés par la faune du sol (vers de terre, en pays tempérés; termites, en pays tropicaux...).
Cette première étape consiste donc en la formation d’un sol par la désagrégation physique, l’altération chimique et la bioturbation; elle constitue le prélude à l’érosion mécanique proprement dite.
La deuxième étape consiste en un détachement et en une mise en mouvement des particules les plus fines en direction des talwegs sous l’effet de l’impact des gouttes de pluie ou par entraînement dans l’eau qui ruisselle ou enfin dans le vent qui souffle à la surface du sol. Progressivement, les matériaux fins d’abord et plus grossiers ensuite sont sollicités vers les point bas du paysage. Là, s’ils ne rejoignent pas immédiatement le lit des ruisseaux et des rivières, ils s’accumulent provisoirement sous forme de colluvions le long des versants avant d’être plus tard évacués à leur tour. À ces processus d’ablation lente et diffuse, qui représentent la part de l’érosion mécanique la plus importante, s’ajoutent les phénomènes d’érosion plus rapides, plus brutaux et plus spectaculaires que sont les éboulements, les glissements ou la lente reptation des terrains meubles le long des pentes à la manière d’un glacier [cf. GLISSEMENTS DE TERRAIN].
La troisième étape est celle du transport de matériaux en suspension dans l’écoulement de surface, en reptation ou en saltation sur le fond du lit des rivières, de leur évacuation vers les bassins continentaux ou marins et de leur accumulation sous forme de sédiments détritiques. S’ils ne rejoignent pas rapidement les bassins d’accumulation, les matériaux d’érosion s’accumulent provisoirement le long des cours d’eau et forment des dépôts – que l’on appelle alluvions – avant d’être plus tard évacués à leur tour. Aux mécanismes de transport continu des versants jusqu’aux bassins s’ajoutent des phénomèmes plus brutaux de sape et d’éboulement des berges aux passages des grandes crues qui, pour être plus spectaculaires, n’en sont pas moins, finalement, secondaires (tabl. 1).
Les facteurs essentiels qui règlent l’importance de l’érosion mécanique sont au nombre de quatre: l’ampleur des précipitations et l’importance du ruissellement de surface; la force et la distribution des pluies; la nature du couvert végétal et le degré de culture du sol; enfin, la hauteur des reliefs, la pente des versants et l’étendue des bassins. Ces facteurs se conjuguent pour assurer l’érosion mécanique des sols et le transport par les rivières des matières en suspension vers les bassins de sédimentation.
Précipitations et ruissellement de surface
L’eau du ruissellement rapide en surface est le vecteur essentiel de l’érosion mécanique. Le ruissellement de surface [cf. HYDROLOGIE] est un paramètre difficile à évaluer dans la mesure où il s’ajoute à l’écoulement de base dans des proportions variables d’un bassin à l’autre et changeantes avec le temps dans un bassin donné.
L’examen de l’hydrogramme d’une crue de rivière, qu’elle soit journalière, mensuelle ou annuelle, se produisant après une averse ou après une saison humide, montre que la part revenant au ruissellement de surface est faible, de l’ordre de 10 p. 100 (fig. 4 et 5). Le ruissellement est cependant responsable de la totalité des exportations en suspension, si bien que la concentration des particules augmente lorsque le débit total croît. En revanche, la concentration des substances dissoutes diminue lors des pointes de crue et augmente au cours des étiages (fig. 6). Au cours d’une année hydrologique, un cycle peut être décrit ainsi: la concentration en suspension d’une eau de rivière croît lorsque le débit augmente et décroît lorsqu’il diminue, mais, à débit donné, elle est plus forte pendant la montée de la crue qu’au cours de la décrue. Cette hystérésis montre bien que l’érosion mécanique se produit lorsque intervient le ruissellement superficiel à la montée des eaux, et cesse lorque le relais du débit est pris par l’écoulement des nappes après leur recharge. Lorsque la distinction entre le ruissellement rapide et le débit de base est possible, on remarque que la concentration des matières en suspension dans l’eau du ruissellement varie relativement peu d’un moment de l’année à l’autre (fig. 7) et devient ainsi une caractéristique du bassin, c’est-à-dire de la nature des sols, de la pente moyenne et du couvert végétal. L’ordre de grandeur de la charge solide du ruissellement rapide de surface est de un gramme par litre.
Dans le cas général, faute de pouvoir évaluer avec précision la part du ruissellement superficiel, on rapporte souvent l’érosion mécanique à l’écoulement total composé du ruissellement de surface et de l’écoulement de base, et parfois à la quantité d’eau de pluie tombée. Ces paramètres hydrologiques sont tous trois liés, augmentant ou diminuant ensemble. Bien que la concentration des matières en suspension dans les eaux du ruissellement puisse varier d’une région à l’autre, l’importance de l’érosion mécanique est, au total, plus ou moins proportionnelle à la pluviosité, à l’écoulement et, bien entendu, au ruissellement de surface.
Force et distribution des précipitations
On regroupe, sous ce titre, deux phénomènes distincts dont les effets s’ajoutent. Le premier est lié à l’impact des gouttes de pluie sur le sol. Les gouttes, en tombant, déchaussent les agrégats du sol en les déplaçant plutôt vers l’aval que vers l’amont. Le second effet est lié à l’énergie cinétique de la pluie à son arrivée sur le sol; cette énergie est fonction de la distribution de la taille des gouttes et de la vitesse de chaque classe de taille (cf. PRÉCIPITATIONS – Météorologie); elle est étroitement corrélée à ce que l’on appelle l’intensité de la pluie, mesurée généralement en millimètres par heure.
Sur un versant de pente donnée, toutes choses étant égales par ailleurs, le travail mécanique du sol par la pluie est d’autant plus efficace que l’intensité de la pluie est plus grande. De plus, dans ce cas, la quantité et la vitesse de l’eau qui circule en surface sont, elles aussi, plus grandes. Par conséquent, l’énergie cinétique du ruissellement de surface est plus importante et l’entraînement mécanique des particules le long des versants est activé (tabl. 8).
Nature du couvert végétal et culture du sol
La densité du couvert végétal influe considérablement sur l’érosion mécanique. En effet, les feuilles des végétaux interceptent la pluie, réduisent l’énergie cinétique des gouttes d’eau et leur pouvoir érosif. Les litières de feuilles et d’humus à la surface du sol jouent de même le rôle de barrière à l’impact des gouttes de pluie. L’abondance de matière organique favorise enfin une meilleure agrégation des horizons supérieurs du sol en les rendant ainsi plus résistants. Au total, une diminution de la densité du couvert végétal d’un facteur 2 peut provoquer une augmentation de l’érosion mécanique d’un facteur 4. Le degré de protection du couvert végétal décroît dans l’ordre: forêt tempérée, forêt de conifères, forêt tropicale, savane arborée, savane herbeuse, steppe, toundra et, finalement, végétation désertique.
L’action de l’homme est évidente et se fait sentir par la destruction des forêts, la culture artisanale, mais, surtout, la culture mécanisée des terres. De plus, l’urbanisation, la construction des routes, l’installation de tuyaux, le creusement de fondation, etc., accélèrent considérablement l’érosion mécanique. Le facteur d’augmentation que l’on retient habituellement dans les zones perturbées est compris entre 100 et 1 000.
Hauteur des reliefs, pente des versants et étendue des bassins versants
La vitesse des filets liquides et le pouvoir érosif de l’eau de ruissellement sont évidemment directement proportionnels à la pente du versant. La pente moyenne d’un bassin est égale au quotient de la différence d’altitude par la longueur du chemin parcouru, si bien que les bassins de grande taille se caractérisent par une pente généralement faible et par un indice d’érosion mécanique également faible. De plus, les bassins de grande taille présentent tous un aval long et de faible pente où l’alluvionnement est favorisé, si bien que le taux d’érosion mécanique semble diminuer alors que la superficie du bassin augmente. Cet effet masque également le fait que, mesurée par la décharge dans le cours inférieur des fleuves, l’érosion mécanique des versants peut apparaître plus faible qu’elle ne l’est en réalité. Enfin, son augmentation récente, sous l’effet de la mise en culture des versants, est atténuée par l’alluvionnement dans la partie inférieure des grands bassins.
Relation de Jansen et Painter
John M. L. Jansen et Robert B. Painter (1974) ont proposé une formule générale synthétique, établie pour les bassins de plus de 5 000 kilomètres carrés, qui décrit bien le poids respectif de chacun des facteurs contrôlant à la fois l’érosion chimique qui précède et l’érosion mécanique qui suit:
S (t . km-2 . an-1) est l’érosion mécanique spécifique; D (103 m3/km2) est le débit annuel écoulé; A (km2) est la superficie du bassin; H (m) est l’altitude moyenne au-dessus du niveau de la mer; P (mm) est la pluviosité annuelle sur le bassin; T (0C) est la température moyenne du bassin; V est le facteur de végétation; G est le paramètre lithologique. V = 4 pour les forêts, 3 pour les prairies, 2 pour les steppes, 1 pour les déserts. G = 3 pour les roches dures du Paléozoïque, 5 pour les roches plus jeunes du Mésozoïque, 6 pour les sédiments tendres du Cénozoïque.
Cette relation permet d’estimer une valeur de l’érosion mécanique spécifique moyenne pour l’ensemble du globe terrestre
Distribution de l’érosion mécanique spécifique à travers le monde
Pour l’ensemble du monde, tous continents réunis, John D. Milliman et Robert H. Meade (1983) ont calculé que la quantité totale des sédiments évacués en suspension (fig. 8) est aujourd’hui de 13,505 憐 106 tonnes par an sur une aire de drainage externe de 88,6 憐 106 kilomètres carrés (contre 148,9 憐 106 km2 pour l’ensemble des continents), ce qui correspond à une érosion mécanique de 152 tonnes par kilomètre carré et par an (tabl. 9 et 10). Cependant, la distribution est très variable d’un point à l’autre. Sur les grandes îles du Pacifique (Indonésie), l’érosion mécanique est près de six fois supérieure à la moyenne globale (1 000 t . km-2 . an-1). En Asie du Sud-Est, l’érosion mécanique des régions himalayennes est également très forte (380 t . km-2 . an-1 pour l’ensemble du continent), si bien que l’océan Indien et l’ouest de l’océan Pacifique reçoivent ensemble près de 75 p. 100 des apports détritiques qui sédimentent dans les océans. L’Europe (50 t . km-2 . an-1), l’Afrique (35 t . km-2 . an-1), l’Australie (28 t . km-2 . an-1) ne contribuent que pour une faible part (6 p. 100) au bilan global (tabl. 10).
Notons que la formule de Jansen et Painter appliquée à l’ensemble du monde aboutit à la valeur surestimée de 26,7 憐 109 tonnes par an, soit 300 tonnes par kilomètre carré et par an.
Charge solide des rivières
La charge solide des rivières varie entre la valeur minimale de 20 milligrammes par litre (Ienisseï), ce qui est très faible, et la valeur maximale de 20 grammes par litre (fleuve Jaune), ce qui est considérable (tabl. 9). Cependant, il est intéressant de calculer la charge solide moyenne des rivières du globe afin d’établir une référence et, ensuite, de permettre une comparaison avec les données caractéristiques des époques géologiques plus anciennes. La totalité de la charge en suspension dans les rivières s’élève à 13,5 憐 109 tonnes par an et l’écoulement total continental à 0,40 憐 1017 litres par an. On obtient ainsi aisément la valeur de 338 milligrammes par litre pour la charge solide rapportée à l’écoulement de surface total. Si l’on admet que l’écoulement superficiel rapide représente 10 p. 100 de l’écoulement total, on aboutit à une charge moyenne globale de 3,4 g par litre dans l’eau du ruissellement superficiel, seul responsable de l’érosion mécanique.
Ablation de surface
L’érosion mécanique entraîne l’ablation des horizons du sol, dont la surface baisse progressivement. On suppose que la masse volumique des horizons des sols et des roches exposés en surface à l’érosion mécanique est de 2,25 t par mètre cube. En rapportant l’érosion mécanique globale (13,505 憐 109 t/an) aux seules aires à drainage externe qui ne représentent que 60 p. 100 de la superficie continentale totale (88,6 憐 106 km2 au lieu de 148,9 憐 106 km2), on obtient une valeur de 152 tonnes par kilomètre carré et par an et une ablation moyenne globale de 70 micromètres par an environ. Cette valeur correspond, pour la totalité des zones actives du globe, à l’érosion de 100 mètres par million d’années, ce qui est considérable. Il faut multiplier cette valeur par 10 pour l’ensemble des grandes îles de l’océan Pacifique, et par 3 pour l’ensemble de l’Asie, tandis qu’il faut la diviser par 1,5 pour l’Amérique du Sud et par 5 pour l’Afrique.
Rapportée à l’ensemble des aires continentales du globe, l’érosion mécanique spécifique est de 90,5 t par kilomètre carré et par an, tandis que l’érosion chimique spécifique (corrigée des apports de la pollution) est seulement de 17 t par kilomètre carré et par an (tabl. 11 et 12). L’érosion spécifique chimique et l’érosion mécanique totale sont de 108,1 t par kilomètre carré et par an, ce qui, pour une masse volumique des roches saines de 2,65 憐 103 kilogrammes par mètre cube, correspond à un abaissement de la surface des continents de 40,8 m par million d’années.
Épaisseur des couvertures d’altération
La couverture d’altération, ou le sol au sens large, est très épaisse dans certaines régions équatoriales ou tropicales aplanies. Dans d’autres régions du globe, montagneuses ou périglaciaires, ou bien encore soumises à un climat aride ou semi-aride, la couverture pédologique est, au contraire, peu épaisse; les roches affleurent et sont directement offertes aux intempéries. L’épaisseur du manteau d’altération est déterminée par le «compromis» réalisé, au niveau du sol, entre la vitesse d’enfoncement des fronts d’altération (érosion chimique) et la vitesse d’ablation en surface (érosion mécanique). Ainsi, pour l’Afrique tropicale ou équatoriale, on a estimé que la vitesse d’approfondissement des profils pédologiques du fait de l’érosion chimique est de 30 mètres environ par million d’années, tandis que le taux d’ablation par érosion mécanique est seulement de 25 mètres par million d’années. Sous la surface aplanie des vieux boucliers situés, comme l’Inde, la Birmanie, l’Afrique de l’Ouest et le Brésil, en climat tropical ou équatorial, l’érosion chimique l’emporte sur l’érosion mécanique et la couverture latéritique s’épaissit. On peut ainsi estimer que, au taux de 5 mètres par million d’années, les vieux paysages présentant des profils épais d’une centaine de mètres sont âgés d’une vingtaine de millions d’années. Partout ailleurs, dans les régions de fort relief, dans les zones de vive activité tectonique ou soumises à des climats de faible capacité hydrologique, l’érosion mécanique l’emporte sur l’érosion chimique. Les couvertures pédologiques y restent donc jeunes.
Fragilité des couvertures latéritiques
Une augmentation de l’épaisseur des profils d’altération égale à 5 mètres par million d’années est tout compte fait insignifiante, ce qui montre bien la fragilité des épais manteaux latéritiques et leur sensibilité aux variations climatiques, même si celles-ci sont de faible ampleur. Jean Yves Gac (1980), par exemple, a montré qu’en Centrafrique, sur un socle granitique, le climat moyen actuel favorisait le maintien de la couverture latéritique dans son ensemble, grâce à une légère supériorité de l’érosion chimique sur l’érosion mécanique. Les épisodes climatiques plus humides favorisent l’épaississement des profils et montrent un avantage très net de l’érosion chimique par rapport à l’ablation mécanique tandis qu’au contraire la poussée des climats à tendance aride favorise la réduction des profils et montre un avantage de l’érosion mécanique par rapport à l’érosion chimique (fig. 9).
4. Paléoérosion au cours des derniers 600 millions d’années
Le travail de l’érosion peut être apprécié globalement de deux manières. La première, directe, consiste à mesurer ce qui est évacué chaque année vers l’océan, en suspension ou en solution dans les fleuves. La seconde, indirecte, prend en compte ce qui est sédimenté au fond des océans, des mers et des cuvettes continentales, chaque année pour les époques actuelles ou chaque million d’années pour les époques anciennes.
Érosion spécifique globale actuelle
L’intensité de l’érosion globale actuelle est évaluée à partir des charges en solution et en suspension transportées par les fleuves. On considère à la fois la charge moyenne des rivières (charge en solution Cd = 65 mg/l; charge solide en suspension Cs = 340 mg/l) et l’écoulement annuel continental Vg, produit de l’intensité du drainage moyen annuel (D = 267 mm/an) et de la superficie continentale totale (Ac = 148,904 . 106 km2) [tabl. 12]:
On obtient ainsi la masse totale des matériaux chimiquement et mécaniquement érodés à la surface de la Terre:
L’érosion spécifique moyenne globale rapportée à l’ensemble des terres émergées est ainsi de 108,1 t par kilomètre carré et par an, soit 1 081 kilogrammes par hectare et par an. En prenant pour l’ensemble des roches une masse volumique moyenne de 2,65 憐 103 kilogrammes par mètre cube, la valeur précédente correspond à un abaissement moyen des surfaces de 40,8 猪m par an, soit 41 mètres par million d’années (tabl. 12).
Taux de survivance des sédiments phanérozoïques
La distribution des masses sédimentaires en fonction de l’âge sert de base à la reconstitution des taux d’érosion (tabl. 13). L’examen des masses de sédiments de tous âges existant actuellement permet seulement d’évaluer des taux apparents de sédimentation, appelés taux de survivance. Il ne permet pas d’accéder autrement que par modélisation au taux de sédimentation réel. En divisant la masse des sédiments totale par la durée de l’époque considérée, on calcule ce que l’on appelle un taux de survivance, c’est-à-dire une combinaison entre le taux de sédimentation, d’une part, et le taux d’érosion des sédiments d’un âge donné, d’autre part. À taux de sédimentation constant, la masse des sédiments d’un âge donné décroît exponentiellement avec le temps. Le taux de survivance des sédiments n’est pas égal mais toujours inférieur au taux de sédimentation. La différence correspond à ce qui a été érodé entre le moment du dépôt et l’époque actuelle, donc à la perte d’une partie du message sédimentaire, perte qui augmente avec le temps. La figure 10 montre bien que le taux de survivance diminue en fonction du temps selon une fonction logarithmique moyenne:
Pour t = 470 millions d’années, à l’Ordovicien, par exemple, on retrouve le taux de survivance de cette époque: Sg = 1,80 憐 1015 tonnes par million d’années. Cette fonction décroissante du temps traduit bien le fait que l’érosion des sédiments d’un âge donné est proportionnelle à la surface exposée, donc à la masse initiale correspondante.
Taux de sédimentation au cours des temps phanérozoïques
Il est possible d’évaluer les variations du taux de sédimentation au cours des temps phanérozoïques en transformant la courbe exponentielle décroissante, décrivant en moyenne la masse des sédiments de différents âges subsistant actuellement, en une droite horizontale décrivant également en moyenne les masses de sédiments effectivement déposées à chaque époque. On calcule ainsi un taux de sédimentation moyen pour l’ensemble des temps phanérozoïques égal à 7,2 憐 1015 tonnes par million d’années, soit un peu moins de la moitié du taux de sédimentation actuel (16,1 憐 1015 t/Ma). On évalue également par différence les quantités de sédiments d’un âge donné qui ont disparu par érosion et qui ont servi à alimenter la sédimentation des époques plus récentes. Ainsi, la quantité de roches sédimentaires d’âge cambrien (âge moyen: 530 Ma; durée: 80 Ma) jusqu’à aujourd’hui conservées est évaluée à 157 憐 1015 tonnes, ce qui représente un taux de survivance de 1,97 憐 1015 tonnes par million d’années. La quantité déposée pendant la durée du Cambrien est estimée à 766 憐 1015 tonnes, ce qui représente un taux de sédimentation de 9,6 憐 1015 tonnes par million d’années. La différence – 609 憐 1015 tonnes – correspond à la masse des sédiments d’âge cambrien érodés pendant toute la durée des temps phanérozoïques. Cette valeur représente la contribution des sédiments déposés au Cambrien à la sédimentation des époques suivantes. Ainsi, la masse des sédiments d’un âge donné, formés durant une certaine période, aujourd’hui survivants et encore conservés, ne correspond plus à la quantité effectivement déposée pendant cette période. La différence est due à une reprise par érosion tardive pouvant se prolonger encore aujourd’hui. Cela explique que l’ensemble des masses de sédiments apparaisse, en moyenne, comme une fonction exponentiellement décroissante du temps.
Superficies continentales
La superficie des continents a, elle aussi, varié au cours des temps géologiques.
Comme pour les masses sédimentaires, on observe des fluctuations autour d’une courbe exponentielle décroissante moyenne d’expression:
Au Cambrien, par exemple (t = 530 Ma), la superficie continentale calculée par cette expression – 85,2 憐 106 kilomètres carrés – est très proche de la superficie continentale mesurée – 86,7 憐 106 kilomètres carrés (tabl. 13). Dans d’autres cas, elle apparaît très différente. La superficie apparente des continents diminue lorsque leur âge augmente.
On fait ici l’hypothèse que cette diminution n’est qu’apparente et qu’elle est due à la difficulté de reconstituer les contours des aires continentales, progressivement perdus avec le temps. On postule également que la valeur moyenne de la superficie totale des continents est restée la même au long du Phanérozoïque, si bien que les valeurs de l’aire continentale fluctuent autour d’une droite horizontale sur le graphique de la figure 11 (154,9 憐 106 km2 contre 148,9 憐 106 km2 aujourd’hui).
Cycle global de l’eau et écoulement continental au Phanérozoïque (derniers 600 millions d’années)
L’érosion est, on l’a vu, d’autant plus intense que l’écoulement continental est plus important. L’écoulement continental global au cours des derniers 600 millions d’années est
estimé à partir des données du bilan hydrologique mondial actuel, connu, pour chaque continent et chaque océan, par tranche de latitude. Cette estimation tient aussi compte des positions des continents à la surface de la Terre, connues sur l’ensemble du Phanérozoïque (fig. 12).
C’est à la transition Silurien-Dévonien (400 Ma), au début du cycle orogénique varisque (ou cycle hercynien), que l’écoulement continental est le plus élevé (0,65 憐 1017 l/an). C’est au contraire à la transition Trias-Jurassique (200 Ma), bien après la fin du cycle hercynien, qu’il est le plus faible (0,35 憐 1017 l/an).
Érosion spécifique au cours des derniers 600 millions d’années
Comme dans le cas de l’érosion actuelle, on parvient à calculer, pour l’ensemble des temps phanérozoïques, les fluctuations de l’érosion spécifique Es, obtenue en divisant la masse sédimentaire totale corrigée par l’aire occupée par les continents à une époque donnée. On parvient également à évaluer les fluctuations de la charge totale Ct des matières en solution et en suspension dans les fleuves (fig. 13 et tabl. 14). L’Ordovicien, le Silurien, le Permien et le Trias sont des périodes caractérisées par un taux d’érosion faible. En revanche, le Dévonien et les époques qui suivent le Crétacé montrent une érosion spécifique forte. Il apparaît que l’érosion est activée par l’installation des grands cycles orogéniques, et affaiblie lors du ralentissement de l’activité tectonique globale.
5. Dégradation de l’environnement naturel par l’homme
Le bilan du tableau 14 montre clairement quelles sont aujourd’hui, et quelles ont été hier, les grandes tendances de l’érosion à la surface de la Terre. Plusieurs remarques peuvent être dégagées.
Lorsqu’on évalue l’érosion, on doit se garder de confondre les phénomènes parfois spectaculaires que l’on observe par exemple dans les déserts ou dans certaines chaînes de montagnes avec ses effets réels, directement fonction de l’écoulement continental. Cela se manifeste à toutes les échelles de l’espace et du temps.
Les conditions qui ont régné sur la Terre ont fluctué autour d’un état moyen différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. Une lente dérive, progrès pour les uns, dégradation pour les autres, conduisant depuis les temps les plus reculés à la situation actuelle est improblable. L’atmosphère, l’océan, le bilan du cycle de l’eau et celui de l’érosion montrent au contraire des tendances cycliques et des retours aux conditions initiales.
L’intervention de l’homme sur l’environnement se marque, semble-t-il, clairement, puisque la valeur de l’érosion spécifique actuelle est de près de 60 p. 100 plus forte que celle que l’on obtient pour le Quaternaire ou pour la fin de l’ère tertiaire. Mais il est vrai également que cette valeur, la plus forte probablement enregistrée depuis 600 millions d’années, doit être considérée comme l’aboutissement d’une évolution amorcée depuis le Crétacé, c’est-à-dire depuis 100 millions d’années. Une accélération nette est cependant notée. Elle pourrait résulter soit d’une dégradation de l’environnement naturel par l’homme, soit, et ce n’est pas improbable, d’une reprise récente de l’activité tectonique globale.
érosion [ erozjɔ̃ ] n. f.
• 1541; lat. erosio, de erodere → éroder
♦ Action d'une substance qui érode, qui ronge; son résultat.
1 ♦ Méd. Lésion de la peau ou d'une muqueuse avec perte de substance très superficielle. Érosion par frottement, par inflammation. ⇒ écorchure, excoriation, ulcération.
2 ♦ (XVIIIe) Mod. Action d'usure et de transformation que les eaux et les agents atmosphériques font subir à l'écorce terrestre. ⇒ corrosion, 1. dégradation, désagrégation. Érosion glaciaire (⇒ abrasion) , fluviale, marine (ou littorale), éolienne (⇒ corrosion, 1. déflation) . Cycle d'érosion.
♢ Spécialt Usure du lit et des berges des cours d'eau par les matériaux entraînés. ⇒ affouillement.
3 ♦ (v. 1966) Fig. Usure graduelle. Érosion monétaire : dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie due à la hausse des prix. ⇒ inflation.
● érosion nom féminin (bas latin erosio, -onis) Action d'un agent qui ronge ; fait d'être rongé. Lente détérioration d'un état, d'une situation, d'un groupe, etc. : L'érosion du pouvoir. Ensemble des processus responsables de l'évolution des reliefs engendrés par les déformations de l'écorce terrestre (par ablation, transport et aussi accumulation). Armement Dégradation de l'âme d'une bouche à feu sous l'action (par turbulence et effet thermique) des gaz à haute température. Mécanique Usure des électrodes d'une bougie d'allumage, rongées par l'attaque de l'étincelle d'allumage et par celle de certains produits de la combustion des gaz. Médecine Perte de substance très superficielle de la peau ou d'une muqueuse. Peintures et vernis Usure d'un film de peinture entraînant l'apparition du subjectile. ● érosion (expressions) nom féminin (bas latin erosio, -onis) Érosion monétaire, détérioration progressive du pouvoir d'achat d'une monnaie, due à l'inflation. Érosion du sol, entraînement de particules de terre par l'eau ou par le vent. Surface d'érosion, synonyme de surface d'aplanissement. Système d'érosion, combinaison relativement stable, dans une zone climatique donnée, de divers types d'érosion. Érosion régressive, reprise du creusement d'un cours d'eau, se propageant vers l'amont, à la suite d'un abaissement du niveau de base. ● érosion (synonymes) nom féminin (bas latin erosio, -onis) Lente détérioration d'un état, d'une situation, d'un groupe, etc.
Synonymes :
- dégradation
- désagrégation
Géographie. Surface d'érosion
Synonymes :
érosion
n. f.
d1./d Action, effet d'une substance qui érode; son résultat.
|| GEOL Ensemble des phénomènes physiques et chimiques d'altération ou de dégradation des reliefs.
d2./d Fig. Altération.
— FIN érosion monétaire: diminution du pouvoir d'achat d'une monnaie (due en partic. à l'inflation).
Encycl. Géol. - L'érosion tend à aplanir les reliefs. Les écarts de température font éclater les roches (cryoclastie); les eaux de pluie dissolvent les calcaires, notam.; les particules solides transportées par le vent érodent les roches (érosion éolienne). On distingue généralement les effets physiques (érosions proprement dites) des effets chimiques, que l'on nomme altération.
⇒ÉROSION, subst. fém.
A.— Emplois concr. Action d'un agent, d'une substance qui ronge, use progressivement; résultat de cette action. Un métal qui peut, paraît-il, résister à l'érosion et à tous les accidents possibles pendant cinq mille ans (GREEN, Journal, 1941, p. 150).
1. GÉOL. Altération de l'écorce terrestre par les agents atmosphériques, hydrologiques, ou par l'action de l'homme. Érosion atmosphérique; érosion du sol; un cycle d'érosion. Nous nous sommes arrêtés aux Mées pour voir de près les très curieux alignements de rochers, aux érosions inexplicables (GIDE, Journal, 1926, p. 823). Les montagnes, sous l'influence de la neige, des pluies et de l'érosion, s'affaissent peu à peu (CARREL, L'Homme, 1935, p. 192).
♦ Érosion éolienne. Mouvement du sol ou du roc causé par l'action du vent (d'apr. VILLEN. 1974). Le vent, surtout chargé de sable, use, strie, creuse ou polit les roches les plus dures; c'est l'érosion éolienne (COMBALUZIER, Introd. géol., 1961, p. 82).
2. MÉDECINE
a) Lésion superficielle des tissus de recouvrement (peau, muqueuses) due à une inflammation, un traumatisme. Une peau malade marbrée d'érosions rouges (HUYSMANS, Marthe, 1876, p. 29). Il existe au niveau des mamelons des crevasses ou de petites érosions superficielles qui, depuis plusieurs jours, rendent l'allaitement vraiment douloureux (QUILLET Méd. 1965, p. 501) :
• Au haut de la cuisse, le pantalon et la chemise étaient décousus sur quinze centimètres, et on voyait sur la peau non une blessure, mais une érosion rouge et ardente.
MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 427.
b) ,,Destruction lente et progressive d'un tissu par une lésion infectieuse ou tumorale (tumeur maligne)`` (Pt Lar. Méd. 1976). Érosion de la substance du cerveau (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 348).
B.— P. métaph. et au fig. Lente usure, altération, dégradation. Il n'a jamais connu, le roman, cette « formidable érosion des contours », dont parle Nietzsche (GIDE, Faux-monn., 1925, p. 1080). L'économie mercantile de l'échange et l'économie guerrière de la contrainte (...) ont été soumises à un processus d'érosion qui laisse affleurer les bases inébranlables de l'économie du service (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 366).
— En partic. Le persan moderne, presque aussi décrépit que l'anglais, arrivé au dernier terme de l'érosion (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 206). Celui (...) qui prend souci des accidents de phonétique, de l'altération des signes et des grandes érosions du langage (SAINT-JOHN PERSE, Exil, 1942, p. 227).
— ÉCON. Érosion monétaire. Dépréciation progressive de la monnaie. Une monnaie est réputée stable si l'érosion monétaire ne dépasse pas 2,5 % par an (Fin. 1976).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. 1541 « action d'une substance qui érode, ronge; résultat de cette action » ici méd. « lésion, ulcération » (J. CANAPPÉ, Tables anatom. ds DELB. Rec. ds DG); XVIIIe s. géol. (ds BRUNOT t. 6, p. 624). Empr. au lat. impérial erosio « ulcération » employé au plur. par Pline (ds TLL s.v. 803, 79). Fréq. abs. littér. : 52. Bbg. QUEM. DDL t. 8.
érosion [eʀozjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1541; lat. impérial erosio, de erosum, supin de erodere. → Éroder.
❖
1 Méd. Lésion de la peau ou d'une muqueuse avec perte de substance très superficielle. || Érosion par frottement, par inflammation. ⇒ Attrition, écorchure, excoriation, ulcération. || Érosion des chairs dans la lèpre. || Érosion chancreuse. || Érosion buccale.
♦ (1846, Boyer, Traité des maladies chirurgicales). Chir. dent. Anomalie structurale de la dent que peuvent accompagner des anomalies de forme. ⇒ Dysplasie, dystrophie. || Dans l'érosion, la dent semble usée de façon asymétrique.
2 (1870). Mod. Action d'usure et de transformation que les eaux et les agents atmosphériques font subir à l'écorce terrestre. ⇒ Ablation, corrosion, dégradation, désagrégation. || Érosion glaciaire, fluviale, marine (ou littorale), éolienne. || Érosion et sédimentation. || Cycle d'érosion (→ Cycle, cit. 5). || Érosion anthropique, liée à la présence, à l'action de l'homme. Géol. || Érosion par cavitation. || Érosion en boule. || Érosion abrasive, due à un mouvement des particules érosives parallèle à la surface érodée. || Érosion aréolaire, érosion linéaire. || Érosion par impact, due à un mouvement perpendiculaire à la surface érodée. || Érosion différentielle, attaquant plus rapidement les roches tendres que les roches dures. || Surface d'érosion : surface d'aplanissement.
1 Dans le domaine des formes d'érosion normale, dans celui des formes glaciaires, comme dans celui des formes désertiques, il y a des régions où domine l'érosion proprement dite, et d'autres où domine l'accumulation. Partout s'exerce la décomposition des roches (…) mais avec prédominance plus ou moins marquée de la décomposition chimique proprement dite ou de la désagrégation mécanique. Les matériaux meubles sont transportés plus ou moins loin suivant l'agent d'érosion qui prévaut, dans certains cas, ils s'accumulent sur place.
E. de Martonne, Traité de géographie physique, t. II, IV, p. 539.
♦ Spécialt. Usure du lit et des berges des cours d'eau par les matériaux entraînés. || Cañon, criques, vallées creusées par l'érosion. || Clayonnage qui protège les rives d'une rivière contre l'érosion. ⇒ Affouillement.
2 Le travail de l'érosion n'est réellement effectif que dans les parties du cours où le courant est assez fort pour entraîner les matériaux qui, dans une eau tranquille, tomberaient au fond.
Émile Haug, Traité de géologie, t. I, p. 406.
♦ Action d'une substance qui érode, qui ronge. ⇒ Corrosion.
2.1 (…) la voûte arrière, par exemple, présente une croûte de peinture d'environ six millimètres accumulée au cours des années car elle reste à l'abri de l'érosion. Sous cette épaisse protection, la tôle est restée neuve (…)
Bernard Moitessier, Cap Horn à la voile, p. 27.
3 Fig. Usure graduelle, détérioration. || L'érosion du pouvoir d'achat.
3 Je doute qu'il arrive jamais à cette simplification, cette « puissante érosion des contours » dont parle Nietzsche, et sans laquelle il n'y a pas de parfaite œuvre d'art.
Gide, Journal, 9 janv. 1908.
♦ Érosion monétaire : détérioration progressive du pouvoir d'achat de l'unité monétaire (⇒ Inflation).
4 Les chiffres publiés ne tiennent jamais compte de l'érosion monétaire (…) réduisant le taux d'intérêt et de remboursement à long terme.
A. Sauvy, Croissance zéro ?, p. 293.
Encyclopédie Universelle. 2012.