TUNGSTÈNE
Le tungstène est un élément métallique très réfractaire, appartenant au groupe Va de la classification périodique, qui comprend aussi le chrome et le molybdène. Ce métal, de la famille des éléments de transition, est à la fois un «aristocrate» et un «athlète», dont les qualités extrêmes exigent soin et précision dans l’élaboration du produit final. Il a été découvert par Carl Wilhelm Scheele vers 1785; son nom, d’origine suédoise (tung sten , «pierre lourde»), sert à le désigner dans les pays latins et anglo-saxons. En Allemagne et dans les pays slaves, il est appelé wolfram . Utilisé d’abord comme élément d’addition dans les aciers rapides, le tungstène pur a très vite été disponible sous forme poudreuse. À ce titre, il a joué à deux reprises un rôle fondamental dans deux étapes historiques de la métallurgie des poudres; d’abord vers 1910, pour l’élaboration du tungstène ductile, exigé par les fils de lampe à incandescence, puis vers 1925, dans la découverte et l’expansion des outils de coupe ou de forage en carbure de tungstène cémenté. Les deux tiers du tungstène extrait sont mis en œuvre par les techniques de frittage pour obtenir des pièces ou des demi-produits à caractéristiques mécaniques ou physiques exceptionnelles: dureté, résistance à l’usure ou à la corrosion, rigidité à très haute température, conductivité électrique. La majeure partie du tiers restant sert d’addition dans les alliages, tandis qu’une très petite quantité est transformée en composés chimiques divers.
Production et utilisations
La production mondiale de tungstène en 1992 était d’environ 39 800 tonnes de métal par an. Les principaux pays ou régions producteurs sont la Chine (63 p. 100), l’ex-U.R.S.S. (15 p. 100), la Bolivie (2,5 p. 100), la Corée (1 p. 100), l’Australie (0,05 p. 100). Deux types de minerais sont prépondérants: la wolframite (tungstate de fer et de manganèse) et la scheelite (tungstate de calcium; cf. MINÉRALOGIE, chap. 4). Leur teneur en tungstène est de l’ordre de 0,3 à 2 p. 100 dans la mine; après concentration physique, elle atteint 50 à 60 p. 100 dans le minerai marchand. L’abondance du tungstène dans l’écorce terrestre est faible (1 ppm) et se situe en 14e position, entre celle du magnésium et celle de l’argent.
Les réserves mondiales connues en tungstène sont estimées à 1,5 million de tonnes, d’où l’incitation à la recherche minière, le développement des procédés d’extraction à haut rendement et aussi l’extension des opérations de récupération des déchets et des résidus industriels à faible teneur en tungstène. Les variations souvent considérables du prix du minerai de tungstène, métal stratégique, reflètent exactement la conjoncture économique et les événements mondiaux. Les prix du minerai de tungstène ont connu une chute avec un recul de 40 p. 100 en 1993.
À part la fabrication directe de ferrotungstène au four électrique, la majorité des minerais est traitée par des procédés relativement simples d’hydrométallurgie: attaque acide ou alcaline, suivie de l’élimination des impuretés par cristallisation, précipitation, échange d’ions, extraction en phase organique, etc. Il est possible qu’à l’avenir des procédés d’électrolyse ignée ou de chloruration-réduction permettent de passer directement du minerai ou du tungstate de sodium brut au métal ou même au carbure.
La figure 1 montre la filiation des procédés, des produits et des applications, ainsi que, pour le monde occidental en 1981, la répartition en tonnage de tungstène des diverses formes de matériaux. Les domaines d’industrie bénéficiant du tungstène sont en premier lieu l’usinage et le formage des métaux; viennent ensuite à égalité les machines et équipements pour le génie civil et l’automobile, l’électrotechnique et les industries de défense. Ces secteurs d’utilisation étant dans une phase difficile, la demande de tungstène traverse une crise profonde.
Le tungstène métallique
Le tableau 1 donne les valeurs de quelques propriétés physiques. Le tungstène est un métal extrême: il présente parmi les métaux le plus haut point de fusion, une des plus hautes densités et un des plus hauts modules d’élasticité, ainsi que les plus faibles valeurs de chaleur spécifique et de coefficient de dilatation. Sa caractéristique la plus remarquable, qui justifie ses utilisations, est la conservation de sa résistance mécanique et de sa rigidité jusqu’à des températures supérieures à 2 000 0C. La charge de rupture en traction est voisine de 100 N/mm2 à 2 000 0C; elle peut atteindre 300 N/mm2 pour certains alliages tels que W-Re ou W-Re-HfC. La résistance au fluage est aussi très élevée. Malgré ces performances remarquables, le tungstène présente deux inconvénients majeurs:
– sa fragilité à température ambiante, surtout à l’état recristallisé;
– sa réactivité avec l’oxygène de l’air dès 500 0C; le tungstène et ses alliages ne peuvent être utilisés à haute température que sous vide ou sous gaz protecteur (hydrogène, azote, gaz rares); dans le cas contraire, il faut revêtir les pièces d’un dépôt adhérent et stable d’une substance (un siliciure ou une céramique, par exemple).
Par ailleurs, le tungstène présente une stabilité parfaite dans les solutions corrosives (tous les hydroxydes alcalins et tous les acides, sauf le mélange acide nitrique-acide fluorhydrique), dans les verres et les sels fondus, ainsi que dans les métaux liquides jusqu’à 1 000 0C.
Le tungstène est mis en forme à partir d’ébauches frittées, par écrouissage à chaud (entre 1 000 et 1 600 0C). La structure écrouie et fibrée est la plus ductile et la plus résistante mécaniquement. La dureté Vickers à froid est moyenne (face=F0019 黎 400 HV). Le développement des alliages de tungstène a pour objet d’augmenter la ductilité et d’inhiber le grossissement de grain à haute température. Les alliages les plus connus contiennent soit une dispersion de thorine (1 à 2 p. 100), soit une addition importante de rhénium (10 à 25 p. 100) ou de petites quantités de «dopes» (silicate de potassium et d’aluminium) servant à stabiliser les fils de lampe à incandescence.
Le tungstène, pur ou allié, hautement réfractaire, est utilisé principalement dans les électrodes de tubes électroniques, les anodes de tubes de radiographie, les contacts des rupteurs d’allumage de bougies, les électrodes de soudage sous gaz inerte, les buses de chalumeau à plasma ou les électrodes non consommables de four à arc, les éléments chauffants de four sous vide et, enfin, les cols de tuyère de moteurs-fusées. Par suite du coefficient de dilatation très bas, le tungstène est aussi employé pour la soudure au verre et pour les embases de composants à semiconducteurs.
Il existe aussi des «pseudo-alliages» de tungstène, usinables et ductiles, obtenus par frittage des poudres: d’une part, l’alliage lourd tungstène-nickel-fer employé comme écran absorbant les rayonnement, comme rotor de gyroscope ou comme masse d’équilibrage en aviation; d’autre part, les matériaux à base de tungstène-cuivre ou de tungstène-argent, servant de contacts électriques de puissance ou d’électrodes d’usinage par électro-érosion.
Les métaux-durs
Connus aussi sous le nom de carbures cémentés, les métaux-durs constituent par la technologie de leur fabrication et par leurs propriétés l’une des plus belles réussites de la métallurgie des poudres. La figure 2 donne le schéma de l’élaboration des pièces brutes et des outils. Ce sont des cermets, c’est-à-dire des matériaux compacts, rigides, durs et peu fragiles, comportant une phase très dure, à base de carbure de tungstène (et d’autres carbures éventuellement), et une phase formant liant, ductile et tenace, le cobalt. Selon la composition et la grosseur du grain (qui peut varier entre 1 et 10 猪m), les propriétés diffèrent (tabl. 2).
Les métaux-durs sont souvent irremplaçables en raison de leur résistance à l’usure à chaud, de leur rigidité et de leur résistance au choc. Comme applications on peut citer, entre autres, les plaquettes amovibles pour outils de coupe, les cylindres et galets de laminoir, les pics de haveuse, les trépans de fleuret de mine.
Les composés
Les matières de base pour la fabrication des composés sont l’oxyde W3, le tungstate de sodium ou, quelquefois, le métatungstate d’ammonium, sel extrêmement soluble dans l’eau. Le tungstène, élément de transition à valences multiples (6, 5, 4), entre dans la composition de nombreux catalyseurs (sulfure, chlorure, dérivés organométalliques). Les composés de tungstène (tungstates) sont utilisés dans les verres, les peintures, les céramiques; les tungstates alcalino-terreux, luminescents, sont employés pour les filaments de lampe à incandescence, les anticathodes d’appareil de radiographie, les lampes à halogène. Enfin, les lubrifiants solides, stables à haute température, dont l’emploi s’étend, font appel de plus en plus au sulfure, au séléniure ou au tellurure de tungstène.
tungstène [ tœ̃kstɛn ] n. m.
• 1765 tungsteen, nom suéd. du minerai; suéd. tungsten « pierre (sten) lourde (tung) »
♦ Chim. Élément atomique (symb. W; no at. 74; m. at. 183,85), du groupe du chrome et du molybdène, un des métaux les plus abondants de la croûte terrestre. Minerai de tungstène (⇒ wolfram) . Filaments de lampe en tungstène. Carbure de tungstène.
● tungstène nom masculin (suédois tungsten) Métal lourd, analogue au molybdène. (Élément chimique de symbole W.) Numéro atomique : 74 Masse atomique : 183,35 Masse volumique : 19,3 g°cm3 Température de fusion : 3 410 °C ● tungstène (synonymes) nom masculin (suédois tungsten) Métal lourd, analogue au molybdène.
Synonymes :
- wolfram
tungstène
— Métal (W) gris. Hautement réfractaire, le tungstène est employé notam. dans la fabrication des filaments de lampe à incandescence.
⇒TUNGSTÈNE, subst. masc.
CHIM. Corps simple (symb. W, anc. Tu), métal blanc, lourd et dur, (n° at. 74, poids atom. 183, 92) très difficilement fusible, servant notamment à fabriquer les filaments des lampes à incandescence en raison de sa grande stabilité même à haute température. Synon. wolfram. Minerais de tungstène; isotopes du tungstène. Ce ne sont plus ces vieux outils à balancier, modèle périmé des petites sociétés yankees, ce sont d'admirables foreuses allemandes, en acier au tungstène, pointues, courbes, mâcheuses, rodeuses (MORAND, Route Indes, 1936, p. 268).
♦ En compos. Pour certains contacteurs électriques, on utilise des pseudo-alliages frittés de tungstène-cuivre ou de tungstène-argent (Lar. encyclop.).
— Carbure de tungstène. Corps extrêmement dur servant à fabriquer les aciers et alliages pour outils de coupe rapide, pour outils d'usinage à froid ou pour matrices de travail à chaud. Lame, mèche en carbure de tungstène. Par sa très grande dureté, le carbure de tungstène est particulièrement indiqué pour la fabrication de filières, d'orifices de buse de sableuse, de fleurets de perforatrices et de marteaux pneumatiques, de guides de frottement de machines-outils, de matrices, etc. (Lar. encyclop.).
Rem. ,,Le mot tungstène a d'abord désigné le tungstate de calcium ou scheelite (avant que le métal ne soit isolé)`` (ROB. 1985, s.v. tungstate).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1. 1765 tungsteen « minerai contenant du tungstène », donné comme mot suéd. (Encyclop.); 1784 tungstène fém. « id. » (T. BERGMAN, Manuel du minéralogiste, trad. par Mongez le jeune, Paris, p. 37); 2. 1800 masc. chim. (BOISTE: tungsthène). Empr. au suéd. tungsten, comp. de tung « lourd » et de sten « pierre ».
DÉR. 1. Tungstique, adj., chim. Dérivé du tungstène. Acide, anhydride, oxyde tungstique. Les roches contiennent un pourcentage du manganèse s'élevant à plusieurs unités. Ainsi se forment même des gisements assez importants de minerais de manganèse sous forme de ses sels niobiques, tungstiques, tantaliques (VERNADSKY, Géochim., 1924, p. 75). — []. — 1res attest. 1787 tunstique (GUYTON DE MORVEAU, Méth. de nomencl. chim., p. 235), 1814 tungstique (NYSTEN); de tungstène, suff. -ique. 2. Tungstite, subst. fém., minér. Oxyde de tungstène naturel (symb. WO3). (Dict. XXe s.). — []. — 1re attest. 1892 (GUÉRIN); de tungsène, suff. -ite.
tungstène [tœ̃gstɛn] n. m.
ÉTYM. 1765, Encyclopédie, tungsteen, nom suédois du minerai; du suédois tungsten « pierre (sten) lourde (tung) ».
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♦ Chim., techn. Corps simple (symb. W; ⇒ Wolfram [on a employé le symbole Tu au XIXe et au déb. du XXe]; masse at. 183,92; no at. 74), métal gris qui, fondu, a l'aspect du platine poli, fusible à 3 482 °C, de densité 19,3, un peu moins dur que l'acier, ne se déformant que très peu sous l'action des efforts mécaniques, même à température élevée. || Le tungstène se rencontre dans la nature sous forme de wolframite (tungstate ferreux, FeWO4), de scheelite (tungstate de calcium, CaWO4); il sert à faire des filaments de lampes à incandescence, des anticathodes de tubes à rayons X. || Métal réfractaire s'opposant à la déformation à chaud (fluage), le tungstène est ajouté à des aciers inoxydables à faible teneur en carbone; il entre aussi dans la constitution d'aciers durs pour l'outillage et dans certains alliages spéciaux à haute teneur en nickel et en chrome (synthèse sous hautes pressions; astronautique). — Carbure de tungstène : corps extrêmement dur, entrant dans la composition de matériaux spéciaux (stellites) pour le travail du verre, des matières plastiques, et servant de pointe pour les fleurets d'attaque des roches, les trépans de foreuses. — Blanc de tungstène, bleu de tungstène, dérivés utilisés comme pigments.
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DÉR. Tungar, tungstate, tungstique, tungstite.
Encyclopédie Universelle. 2012.