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BASHO
BASHO

Matsuo Munefusa, dit Bash 拏, est généralement considéré comme l’interprète le plus authentique du génie poétique japonais. Avec Chikamatsu le dramaturge et Saikaku le romancier, on le compte parmi les «trois grands» écrivains de son siècle. Maître incontesté du haikai-renga , du «poème libre en chaîne», qu’il pratiquait assidûment avec ses disciples, il fit du haiku, poème en dix-sept syllabes, un mode d’expression privilégié, mais excella surtout dans le haibun, prose poétique ponctuée de haiku .

Un poète pèlerin

Issu d’une famille de bushi (guerriers), vassale des châtelains d’Ueno dans la province d’Iga, le jeune Munefusa avait été dès son enfance attaché en qualité de page à la personne de l’héritier de son seigneur, T 拏d 拏 Yoshitada. Aux côtés de ce dernier, il suivit les leçons, entre autres, de l’un des maîtres du haikai de ce temps, Kitamura Kigin. Yoshitada cependant mourut en 1666, et Munefusa, libéré de ses attaches féodales, quitta sa province pour Ky 拏to où il poursuivit ses études. En 1672, précédé d’un certain renom déjà, il se rendit à Edo, la capitale des sh 拏gun Tokugawa, où il semble avoir d’abord occupé divers emplois administratifs. Dès 1675, quelques-uns de ses principaux disciples, entre autres Enomoto Kikaku (1661-1707) et Sugiyama Sanp (1643-1732), s’étaient mis à son école. En 1681, il prit l’habit de moine et pratiqua la méditation sous la direction du maître de Zen Butch 拏 (1643-1715). En même temps, il se retirait à l’«Ermitage-au-Bananier» (Bash 拏-an ), que Sanp avait mis à sa disposition dans sa propriété de Fukagawa, dans un faubourg d’Edo. Désormais, il sera connu sous le pseudonyme de Bash 拏.

L’incendie de sa maison au début de 1683 l’incita à faire un premier voyage dans la province voisine de Kai, tandis que l’on reconstruisait le Bash 拏-an , grâce à une souscription parmi ses élèves déjà nombreux. La même année, Kikaku publiait un premier recueil de poèmes de l’école de Bash 拏, dite Sh 拏-mon . Cependant, Bash 拏 avait pris goût aux voyages; l’exemple des pérégrinations de Saigy 拏, l’illustre moine-poète du XIIe siècle, n’y fut certes pas étranger, mais il avait à cela une autre raison encore: de toutes les provinces, en effet, des poètes venaient se mettre à son école, puis, de retour au pays, fondaient à leur tour des cénacles d’amateurs de haikai dans le style du Sh 拏mon et l’invitaient tous à venir leur dispenser son enseignement. Les dix dernières années de sa vie se passèrent donc, malgré une santé chancelante, en d’incessants périples, coupés de retraites plus ou moins longues, soit au Bash 拏-an , soit chez tel ou tel de ses disciples. De ses voyages, il composait le récit sous forme de haibun , de sorte que, pour cette décennie, sa vie et son œuvre se confondent totalement. Il mourut du reste, comme il l’avait prévu et peut-être souhaité, au cours d’un de ces voyages qui, pendant l’été et l’automne de 1694, l’avaient mené dans sa province natale, puis, par Nara, jusqu’à Osaka où, entouré de ses disciples accourus, il composa son dernier poème:
DIR
\
Malade en chemin
en rêve encore je parcours
la lande desséchée./DIR

Sur sa tombe, au monastère Gich -ji à Fushimi, on planta un bananier.

La poésie dans le cœur

C’est la vie même de Bash 拏 qui est son œuvre principale, a-t-on dit. Il faudrait modifier l’épithète et écrire: la vie de Bash 拏 est son œuvre unique. Des milliers de haiku semés au vent, au hasard des rencontres, et pieusement recueillis dans les compilations du Sh 拏-mon , d’innombrables versets alternant avec ceux de ses disciples dans des haikai-renga , des notes de voyage et des méditations poétiques, voilà de quoi, en effet, se compose l’œuvre écrite du poète. Pour lui l’art est la vie, «le haikai n’est pas dans la lettre, mais dans le cœur», et l’idéal serait de «transmuer le cœur en haikai », cela en accord total avec la nature et les saisons.

Si les haiku isolés sont souvent d’interprétation difficile, c’est dans le haibun , et singulièrement dans les récits de voyage (kik 拏 ) et les journaux (nikki ), que l’on discerne le mieux la genèse du haiku . Ces récits de voyage sont au nombre de cinq: Nozarashi-kik 拏 , un voyage dans sa province natale, de l’automne 1684 à l’été 1685, en compagnie de Chiri; Kashima-kik 拏 , voyage à Kashima, en 1687-1688, avec Sora et S 拏ha; Oi no Kobumi , suite du précédent, par Yoshino, site fameux chanté par Saigy 拏; Sarashina-kik 拏 , en automne 1688, retour à Edo par la province de Shinano, avec Etsujin; Oku no Hosomichi , du printemps à l’automne 1689, avec Sora, long périple qui les mène d’Edo à Ise, en passant par les provinces septentrionales. C’est, de l’aveu unanime, le chef-d’œuvre de Bash 拏.

Le style est sensiblement le même dans la centaine de haibun conservés et dans les deux nikki : le Genjuan-ki , composé l’été de 1690 à Ishiyama, et le Saga-nikki , journal d’un séjour à Saga, en l’été de 1691.

Deux exemples choisis dans l’Oku no Hosomichi (La Sente étroite du Bout-du-Monde ) montreront mieux que tout exposé théorique ce qu’est le haibun , et comment le haiku , en conclusion d’une méditation ou d’une description en prose, cristallise une impression, une sensation ou une émotion.

Le premier, composé à Hiraizumi, sur les lieux où périt en 1189 Minamoto no Yoshitsune, le plus populaire des héros de l’épopée japonaise, se termine sur une note philosophique d’inspiration bouddhique:
DIR
\
Ainsi donc, l’élite des vassaux fidèles dans ce château s’était retranchée; mais le bruit de leurs exploits n’eut qu’un temps, et les herbes couvrent leurs traces. «L’État détruit, il reste monts et fleuves; sur les ruines du château, le printemps venu, l’herbe verdoie», me récitai-je et, assis sur mon chapeau, oubliant le temps qui passe, je versai des larmes:Herbes de l’été
des valeureux guerriers
trace d’un songe./DIR

Le second, plus trivial, note avec humour les désagréments qui attendent le voyageur dans les montagnes lointaines:
DIR
\
Après un coup d’œil sur la route du Nord qui se perd dans le lointain, je passai la nuit au village d’Iwada. Je traversai Ogurozaki et Mizu-no-Ojima, et, par Narugo-no-yu, j’arrivai à la barrière de Shitomae où je comptais passer dans la province de Dewa. Sur cette route, les voyageurs sont rares, aussi fus-je examiné soupçonneusement par les gardes du poste; enfin je pus franchir la barrière. Je gravis une haute montagne et, comme déjà le jour tombait, avisant la maison d’un garde frontière, je lui demandai l’hospitalité. Trois jours durant, le vent et la pluie firent rage, et je séjournai dans cette montagne disgraciée:Les poux et les puces
et le cheval qui urine
près de mon chevet./DIR

Les deux haiku cités ci-dessus comptent parmi les plus fameux du poète. On comprendra que, détachés du contexte, comme c’est le cas dans certaines anthologies parues en Europe, ils perdent une bonne partie de leur saveur, et presque toute leur signification réelle. Plus directement accessibles sont les haiku retenus dans les Sept Recueils de l’école de Bash 拏 (Sh 拏mon shichibush ), publiés en 1774, dans lesquels les vers des disciples se mêlent à ceux du maître.

Bash 拏 s’était toujours refusé à faire la théorie de son art, et se bornait à enseigner par l’exemple. Mais ses disciples, de son vivant déjà, et souvent avec son assentiment, s’étaient attachés à dégager les principes de l’art de leur maître. Ils en résument le principe fondamental dans la formule: fueki-ry k 拏 , «invariance et fluidité». Fueki est ce qui, dans la nature et dans l’homme, est authentiquement constant, hors du temps; c’est aussi l’esprit de l’art japonais, tel qu’il se traduit dans les œuvres des poètes Saigy 拏 ou S 拏gi, de Sessh le peintre, de Riky le maître de l’art du thé. Ry k 拏 est ce qui «coule» avec le temps, ce qui est changeant et qui fait que chaque époque élabore son style propre. Du contraste entre l’invariant et le fluide naît le sabi , la «patine» due à la fuite du temps, qui rend pathétique (aware ) le beau dont elle met en évidence le caractère précaire. C’est ainsi que Bash 拏 lui-même avait cité, comme exemple de sabi , ces vers de son élève Kyorai:
DIR
\
Les gardiens des fleurs
en devisant rapprochent
leurs têtes chenues./DIR

Bashô
(Matsuo Munefusa, dit) (1644 - 1694) poète, peintre et moine bouddhiste japonais. Il porta le haïku à sa perfection: le Recueil de sept opuscules de l'école de Bashô parut en 1774.

Encyclopédie Universelle. 2012.