SYMPHONIE
Dans l’histoire de la musique occidentale, l’ensemble des œuvres dénommées symphonies , qualifiées de symphoniques ou qui auraient mérité de l’être, représente un volume de musique plusieurs fois supérieur à tout le reste de la production écrite – et dont la «symphonie» proprement dite, au sens où l’entendent les traités, ne constitue qu’une faible partie.
Le mot lui-même, directement emprunté au grec, apparaît vers le XVIe siècle dans le vocabulaire musical des principales nations européennes. À l’origine, pris dans son sens étymologique, il est presque synonyme de «musique» et peut désigner indifféremment n’importe quelle sorte de composition, à l’exception, sans doute, de la monodie pure. Très tôt, cependant, l’usage tend à limiter son application à la musique instrumentale – par opposition à la musique vocale – et plus spécialement à la musique d’ensemble. Puis, peu à peu, il en vient à désigner un certain genre d’écriture et un certain type de concert, et enfin une forme particulière d’œuvre pour orchestre, assez rigoureusement définie, dont Haydn, Mozart et Beethoven donnent des illustrations magistrales. Mais déjà prend naissance, dès les premières années du XIXe siècle, une tradition symphonique qui s’éloignera de plus en plus du modèle classique. Forme vivante, c’est à peine si l’on peut encore parler de forme à propos de la symphonie, qui ne cesse d’évoluer, enrichissant sa palette et modifiant sa syntaxe au point d’en faire éclater les structures. Aujourd’hui, la pâte symphonique, nourriture quotidienne de tous les orchestres du monde entier, dépasse largement le cadre de la symphonie. Toutefois, à travers toutes ces métamorphoses, demeure comme une donnée permanente un certain esprit de recherche qui est l’esprit même de la symphonie.
Naissance de l’esprit symphonique
Ce n’est que vers le milieu du XVIIIe siècle que la symphonie comme forme musicale a commencé à se dessiner. Tous les historiens ont souligné le rôle important joué dans son élaboration par les musiciens de l’école de Mannheim et par Haydn qui fut même surnommé «le père de la symphonie». Faudrait-il donc croire que les innombrables «symphonies» de toute nature qui ont été produites au cours du XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe, tant en France qu’en Italie ou en Allemagne, ont bénéficié d’une erreur d’appellation?
Il est vrai que le même mot pouvait recouvrir des objets en apparence fort différents. Tantôt il s’agissait de ritournelles d’orchestre à l’intérieur d’un opéra (c’est ainsi qu’on publia séparément des «Symphonies de M. de Lully»), tantôt ce sont des concerts d’orchestre dont la construction s’apparente à celle de la «suite», tantôt ce sont des pièces de musique de chambre en trio ou en quatuor, tantôt une ouverture pour orchestre dans la tradition de l’opéra français, tantôt, enfin, on désigne sous le même nom des pièces vocales avec accompagnement d’orchestre, et on le retrouve plusieurs fois sous la plume de Jean-Sébastien Bach à propos de pièces de clavecin.
Si l’on cherche à travers ces emplois divers le sens général du mot symphonie, il est trop évident qu’il ne désignait pas une forme, mais un certain caractère de la musique et une certaine intention du compositeur, et, pour tout dire, un certain esprit. N’oublions pas que ce mot directement tiré du grec a dû garder longtemps un petit parfum de cuistrerie et comme un relent de snobisme. À ce vocable savant devait nécessairement correspondre une musique savante et des compositions très élaborées.
On constata bientôt que l’appellation «symphonie» était une très bonne étiquette commerciale et sans doute en abusa-t-on quelque peu. Il semble bien, cependant, que l’idée même de symphonie implique, à l’origine, plus qu’une forme ou un style particulier, un certain niveau de complexité dans la composition, une certaine recherche dans l’écriture. C’est ainsi que, tout naturellement, sous le règne de la basse continue, la préoccupation symphonique devait se traduire par la réalisation effective des parties intermédiaires. Rousseau en atteste dans son Dictionnaire de musique (1775):
«Aujourd’hui le mot de «symphonie» s’applique à toute musique instrumentale, tant des pièces qui ne sont destinées que pour les instrumens, comme les sonates et les concertos, que pour celles où les instrumens se trouvent mêlés avec les voix, comme dans nos opéras et dans plusieurs autres sortes de musique. On distingue la musique vocale en musique sans «symphonie», qui n’a d’autre accompagnement que la basse continue; et en musique avec symphonie, qui a au moins un dessus d’instrumens, violons, flûtes ou hautbois. On dit d’une pièce qu’elle est en «grande symphonie», quand, entre les basses et les dessus, elle a encore deux autres parties instrumentales...»
Le mariage des instruments
La recherche d’une toujours plus grande précision dans l’écriture qui animait les premiers symphonistes les conduisit à attacher une importance inhabituelle aux instruments chargés d’exécuter chacune des différentes parties. Jusque-là, les compositeurs montraient le plus souvent à cet égard beaucoup de discrétion, non pas qu’il ait été réellement indifférent de confier telle partie de dessus à un hautbois ou à une flûte plutôt qu’à un violon – il ne faudrait pas croire que la valeur expressive des timbres propres à chaque instrument ait été méconnue jusque-là –, mais ce choix était en général considéré comme ne relevant pas directement du travail de composition.
Il faut d’ailleurs remarquer que tant que les orchestres de professionnels demeurèrent en petit nombre il y avait intérêt, pour le compositeur comme pour l’éditeur, à ne pas limiter les possibilités d’exécution par des contraintes instrumentales trop précises. Les «Pièces de clavecin en concerts avec un violon ou une flûte et une viole ou un deuxième violon» de Rameau ne sont pas une exception.
Une partition symphonique ignore en principe ce genre de complaisance. De la petite flûte à la contrebasse, elle assigne à chaque instrument de l’orchestre son rôle exact. Ainsi, le compositeur peut-il jouer avec une certaine sécurité sur les ressources du coloris instrumental, qui va prendre une importance de plus en plus grande au cours du XIXe siècle. La manipulation de l’appareil orchestral exige, outre la connaissance des possibilités techniques propres à chaque instrument, celle des effets produits par leurs combinaisons. Avant d’être une alchimie des sons, l’orchestration en sera d’abord la cuisine et Berlioz s’en fera l’Antoine Carême.
L’orchestre symphonique
Le développement de l’esprit symphonique avec toutes ses exigences sur le plan de l’exécution est lié au développement des grands orchestres de professionnels, à l’amélioration et surtout à la normalisation de la facture, et à la diffusion dans toute l’Europe des mêmes techniques instrumentales. Dans une certaine mesure, l’histoire de la symphonie – morceau de concert par excellence – se confond avec celle de l’orchestre moderne, qui prend le nom de «symphonique» lorsqu’il est au complet.
La plupart des symphonies de Haydn ont été écrites pour un orchestre d’une trentaine de musiciens comprenant, en plus des cordes, 2 hautbois, 2 cors et 2 bassons. Mozart n’en demande pas beaucoup plus, mais, peu à peu, irrésistiblement, l’orchestre s’enrichit en accueillant sans cesse de nouveaux instruments à vent et à percussion qui entraîneront – par un souci d’équilibre d’ailleurs discutable – une augmentation du nombre des cordes. Il est vrai que la notion de «masse» sonore appartient à la nature fondamentale de la symphonie.
La coordination des éléments de ce vaste ensemble pose des problèmes spécifiques qui ont donné naissance à un musicien d’un nouveau genre: le chef d’orchestre. Si l’on songe que certaines partitions sont écrites sur du papier à 32 portées, on admettra que l’exécution d’une œuvre de cette nature est une opération complexe qui tient à la fois de l’entreprise industrielle et des grandes manœuvres militaires.
Le cérémonial du « concert » est aujourd’hui quelque peu remis en question, mais il demeure encore presque partout comme une tradition vivace. C’est au XVIIIe siècle, avec les premiers concerts symphoniques, qu’il a pris naissance. Les fameux «Concerts spirituels» qui firent connaître à Paris les œuvres symphoniques de Haydn, de Mozart et de l’école de Mannheim en sont un exemple particulièrement remarquable. Il n’est certes pas exagéré de dire que le mouvement «symphoniste» a eu deux aspects complémentaires: l’un caractérisé par la création d’œuvres d’un genre original et l’autre par la fondation d’orchestres et l’institution de concerts réguliers. S’il est vrai que l’existence d’un répertoire symphonique justifie l’entretien d’une armée permanente dans les grands orchestres, en retour, la composition de la plupart des chefs-d’œuvre symphoniques du XIXe et de la première moitié du XXe siècle a été provoquée, et quelquefois même commandée, par l’existence d’orchestres capables d’en assurer la première audition.
L’apothéose de la symphonie
À quelques rares exceptions près, la musique instrumentale avait toujours été considérée jusque vers la fin du XVIIIe siècle comme d’essence inférieure à la musique vocale, tant il était admis que la musique, pour être réellement expressive, ne pouvait se passer d’un support littéraire. Les pièces instrumentales en question n’étaient le plus souvent que des «danseries» sans prétention, ou des «concerti» destinés à servir d’intermèdes au milieu de cantates d’église. La fonction naturelle de ces «suites», «ouvertures», «ritournelles» et autres sonates était de servir de musique d’ameublement. Les profondes recherches des luthistes ou des clavecinistes étaient reléguées au rang d’amusettes et les plus savantes inventions des organistes n’étaient admises que comme interludes entre les chants prévus pour la liturgie.
Un des plus grands mérites des «symphonistes» est d’avoir revendiqué hautement la dignité de la musique instrumentale en présentant leurs œuvres comme des «objets» qu’on doit écouter avec respect sinon avec intérêt. On peut facilement imaginer que les premières exécutions de symphonies au «Concert spirituel» ont donné pour la première fois aux Parisiens l’occasion d’écouter de la musique instrumentale sans s’occuper en même temps d’autre chose. La musique n’est plus seulement l’ornement d’une fête, elle est devenue l’objet même de la fête: il s’agit là d’une nouveauté tout à fait révolutionnaire. Peu à peu, le public en viendra à ressentir l’exécution solennelle d’une symphonie comme la célébration d’une sorte d’office religieux ou la représentation d’un mystère. En fin de compte, c’est toute la musique qui a bénéficié de cette «sacralisation du concert».
À partir de Mozart, et surtout de Beethoven, la symphonie a définitivement conquis ses lettres de noblesse. Bientôt, elle va occuper la position la plus élevée dans la hiérarchie des genres. Elle est, pour le musicien, à la fois le signe de la maîtrise technique et la consécration de la réussite sociale: une somme dans laquelle il a mis toute sa science et quelquefois même toute sa philosophie – une sorte de testament musical. Chaque symphonie a des allures de monument. Le temps n’est plus où Haydn pouvait écrire plus de cent symphonies et Mozart une quarantaine en si peu d’années. Depuis Beethoven, les compositeurs les plus féconds dépassent rarement le cap de leur «neuvième symphonie».
Entre la symphonie La Reine de Haydn, la Neuvième de Beethoven, la Fantastique de Berlioz, la Rhénane de Schumann, la Huitième de Mahler, la Symphonie en ré mineur de Franck et la Symphonie de Psaumes de Stravinski, les dissemblances d’aspect et de structure frappent sans doute plus nettement que les liens de parenté. Dans tous ces cas, cependant, il s’agit bien de symphonies. C’est précisément ce qui a fait la fécondité de la forme «symphonie», dont l’idée générale s’est affirmée vers le milieu du XVIIIe siècle, que cette aptitude à subir toutes sortes d’amendements, voire de métamorphoses, sans pour autant perdre son identité.
La célèbre «forme classique» de la symphonie dans laquelle une tradition pédagogique un peu simpliste voit le point de départ de l’évolution ultérieure du genre n’est en fait, nous le savons à présent, qu’un état transitoire, un schéma formel tout juste propre à servir de modèle scolaire aux conservatoires et que ni Haydn ni Mozart n’ont eux-mêmes rigoureusement respecté. Eugène Borrel s’est amusé à compter que sur les quarante et une symphonies écrites par Mozart, une moitié est en trois mouvements et l’autre en quatre, que vingt-quatre symphonies admettent les reprises dans le premier morceau et les dix-sept autres les rejettent; quant au menuet, il n’y paraît que vingt-deux fois.
À la lumière de cette statistique ingénue, on comprend mieux les fameuses «libertés» de Beethoven avec un «modèle» qui n’avait pas encore été établi comme tel par la tradition scolaire. L’étude de l’évolution de la forme «symphonie» fondée sur l’analyse des grandes œuvres du XIXe siècle n’a qu’un intérêt descriptif et purement théorique.
L’histoire de la symphonie au XIXe siècle expose un brillant catalogue où figurent les noms de presque tous les grands compositeurs. Cette forme – si tant est qu’il s’agisse d’une forme – a suscité un nombre considérable de chefs-d’œuvre. Mais il ne faudrait pas croire que le répertoire symphonique se limite aux œuvres intitulées «symphonies». Le style d’écriture symphonique a gagné peu à peu presque tous les domaines de l’orchestre. Les opéras, les oratorios, les ballets, les concertos sont presque toujours traités à la manière symphonique. Les musiques de scène, les musiques de films au XXe siècle, et jusqu’aux chansons, sont le plus souvent justiciables des procédés symphoniques qui se sont imposés dans le monde entier comme le mode d’emploi universel de l’orchestre. Le langage symphonique sert à présent de véhicule à tous les folklores.
L’écriture symphonique
On a vu que l’esprit symphonique était sans doute responsable de l’établissement de rapports d’un type nouveau entre le public et la musique. L’auditeur, en face d’une «symphonie» qui lui est donnée à entendre, se trouve, en quelque sorte, dans une position analogue à celle d’un spectateur en face d’un spectacle. Il ne s’agit pas, ici, comme dans le cas des œuvres musicales destinées à la scène, de traiter la musique comme accessoire de théâtre: c’est la musique elle-même qui devient un spectacle pour l’oreille. Il y a un fossé entre les exécutants et l’auditoire, comme il y a, entre la musique et le public, une distance et un recul qui n’impliquent pas nécessairement l’insensibilité: au contraire, l’histoire des concerts symphoniques apporte de nombreux exemples de «foules en délire» transportées par les seuls effets de la musique.
C’est précisément le souci de ces effets qui est la racine même de l’esprit symphonique. Si l’on admet que le concert est un spectacle, la loi du spectacle autorise – pour la bonne cause – toutes les supercheries, tous les déguisements, tous les maquillages. De même qu’il y a un art du décor, en trompe-l’œil, de même les symphonistes vont cultiver celui du «trompe-l’oreille» qui repose sur de purs artifices d’orchestration faussant la perspective sonore.
L’utilisation du grand orchestre va souvent encourager abusivement un type d’écriture «pleine», «riche», «habillée», caractérisée par une surcharge des parties intermédiaires qui donnent, comme l’on dit, du «ventre» à l’orchestre. Il en résulte en général une sorte de magma sonore qui nuit à la perception claire, mais qui, pour cette raison, a quelquefois le mérite de masquer certaines faiblesses de la composition.
Par ailleurs, la recherche d’effets «psychologiques» sans signification proprement musicale conduit le compositeur à exploiter largement les ressources de la «dynamique», usant du crescendo, du decrescendo, des accents «expressifs» ou des fortissimi à la limite du seuil de douleur. Pour les mêmes raisons, certains jouent sur l’impression produite par les grandes masses instrumentales et demandent des orchestres géants.
S’il est vrai que le genre symphonique est aujourd’hui florissant, surtout dans le domaine immense de la musique populaire, il semble que l’on écrive de moins en moins de «symphonies» au sens propre. Au reste, les musiciens qui préparent ce que l’on peut tenir pour la musique de l’avenir orientent leurs recherches dans une direction qui tourne le dos à l’esprit symphonique. L’évolution des structures sociales et les modifications apportées aux manifestations de la vie collective par les progrès de la technique ont sans doute déjà condamné la célébration du concert qui est peut-être la principale raison d’être de la symphonie. Aussi n’est-il pas déraisonnable de penser que, dans un temps assez bref, les grandes formations symphoniques ne seront conservées qu’à titre d’exemple, comme des objets de musée.
symphonie [ sɛ̃fɔni ] n. f.
• XIIIe; « instrument de musique » XIIe; lat. symphonia, du gr. sumphônia « accord, ensemble de sons »
1 ♦ Vx Ensemble de sons consonants. ⇒ consonance, homophonie. — Ensemble de sons musicaux. ⇒ polyphonie; concert. « La symphonie [de l'opéra d'Atys] est toute de basses » (Mme de Sévigné).
2 ♦ (XVIIe) Hist. Mus. Morceau de musique ancienne pour un ensemble d'instruments (sonates polyphoniques, ouvertures, etc.); pièce d'orchestre. Les symphonies de Lully.
3 ♦ (XVIIIe) Mod. Composition musicale symphonique assez ample, à plusieurs mouvements (allegro; andante, adagio ou largo; menuet; finale), construite sur le plan de la sonate et exécutée par un nombre important d'instrumentistes. Les symphonies de Mozart. Les neuf symphonies de Beethoven. « La Symphonie inachevée », de Schubert. « La Symphonie fantastique », de Berlioz. « La Symphonie du Nouveau Monde », de Dvorák. — Par ext. Symphonie concertante.
4 ♦ Fig. et littér. Ensemble de choses qui concourent à un effet. ⇒ chœur, harmonie. « Cette grande symphonie aurorale que les vieux poètes appelaient le renouveau » (Hugo). « Symphonie en blanc majeur » (Gautier).
● symphonie nom féminin (latin symphonia, du grec sumphônia, accord de sons) Sonate pour orchestre caractérisée par la multiplicité des exécutants pour chaque partie instrumentale et par la diversité des timbres. Littéraire. Ensemble harmonieux de choses qui vont parfaitement ensemble : Une symphonie de couleurs. ● symphonie (expressions) nom féminin (latin symphonia, du grec sumphônia, accord de sons) Symphonie concertante, composition orchestrale où fusionnent le genre de la symphonie et celui du concerto. (Cette symphonie avec solistes a été en vogue dans la seconde moitié du XVIIIe s.) ● symphonie (synonymes) nom féminin (latin symphonia, du grec sumphônia, accord de sons) Littéraire. Ensemble harmonieux de choses qui vont parfaitement ensemble
Synonymes :
- harmonie
- hymne
symphonie
n. f. MUS
d1./d Composition pour un grand orchestre.
d2./d Fig., cour. Ensemble harmonieux. Symphonie de couleurs.
⇒SYMPHONIE, subst. fém.
MUSIQUE
A. — Vieilli. Union de sons, ensemble consonant. Synon. accord. Isidore de Séville ne compte que cinq symphonies ou accords: l'octave, la quarte, la quinte, l'octave et la quinte, et la double octave (COUSSEMAKER, Hist. harm. Moy. Age, 1852, p. 9). Le chœur [dans les drames du moyen âge] chante aussi un ou plusieurs versets qui font symphonie (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 3, 1862, p. 367).
— P. méton. Formation de musiciens, orchestre. La symphonie est en général composée d'une flûte et d'un tambour, ou de deux violons. S'il y a quatre violons, c'est grand luxe, orchestre philharmonique, et l'on s'émerveille (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 57).
B. — Composition musicale.
1. [Aux XVIIe et XVIIIe s.] Pièce polyphonique destinée aux instruments. Synon. sinfonia.
a) Suite instrumentale; ritournelle, intermède instrumental inclus dans l'opéra. Les symphonies de Monteverdi (ÉCORCHEVILLE, Suites orch., 1906, p. II). Dans le cours de l'action, les symphonies dramatiques sont les préludes, les interludes et aussi certains accompagnements (Hist. de la mus., t. 1, 1960, p. 1682 [Encyclop. de la Pléiade]).
b) Ouverture d'opéra exécutée comme morceau de concert. Il faudrait retrouver les sources de cette page de « symphonie » qui précédait les opéras et qui était reprise presque invariablement après le prologue (Hist. de la mus., t. 1, 1960, p. 1585).
2. [Du mil. du XVIIIe s. à nos jours] Composition musicale, généralement de grande dimension, composée de trois ou quatre mouvements, pour certains de forme sonate, dont l'instrumentation, qui réunit toutes les familles d'instruments de l'orchestre, s'est modifiée au cours des siècles, dans sa richesse et sa variété. Symphonie classique, romantique; symphonies de Brückner, de Haydn, de Mozart; les neuf symphonies de Beethoven; la symphonie « Jupiter » de Mozart, la symphonie « pastorale » de Beethoven, la symphonie « inachevée » de Schubert. Ce sont presque les mêmes mots que ceux du finale de la IXe symphonie, que le vers de Schiller: « Alle Menschen werden Brüder! » Tous les hommes deviennent frères (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 115):
• À vingt-cinq ans, et alors que Mozart était déjà l'auteur de la symphonie en si bémol, et des plus purs chefs-d'œuvre, l'archevêque de Salzbourg, à qui il appartenait, le traitait de polisson et le faisait dîner avec ses valets de chambre.
MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 135.
Rem. L'usage est de nommer p. ell. les œuvres les plus connues: « la Cinquième » de Beethoven, « l'Inachevée » de Schubert, « la Fantastique » de Berlioz...
♦ Symphonie concertante. Composition orchestrale, généralement en deux mouvements, d'une grande variété mélodique, écrite pour instruments solistes. Lorsque, dans le même siècle [le XVIIIe], les progrès de la virtuosité le permirent, on vit se multiplier les concertos et les « symphonies concertantes » dans lesquels un ou plusieurs I[nstruments] à vent, jouaient en solo, soutenus par un accompagnement de clavecin ou d'orchestre (BRENET Mus. 1926, p. 208).
♦ Symphonie à programme. Composition orchestrale dont l'idée extramusicale (poétique ou descriptive) qui l'inspire, l'apparente au poème symphonique. L'action extérieure à la musique [triomphe] dans la « symphonie à programme » de Berlioz (LALO, Esthét. mus. sc., 1907, p. 307).
C. — P. anal.
1. Ensemble de sons, de bruits formant une harmonie. Symphonie des cris de la rue. Le soir, quand recommençait la symphonie nocturne, où les rainettes du marais voisin faisaient aussi leur partie, il demeurait à l'écart, et il rêvait toujours (MURGER, Nuits hiver, 1861, p. 189). Sous les tropiques, la symphonie des oiseaux a lieu un quart d'heure avant l'aube (CENDRARS, Lotiss. ciel, 1949, p. 320).
2. [Dans une perspective esthét.] Ensemble de couleurs, de parfums, etc. qui produisent sur les sens une forte impression d'harmonie, un grand effet d'équilibre. Depuis la mort du monde antique et après la cathédrale, la plus puissante symphonie de pierre est là (FAURE, Hist. art, 1914, p. 427). L'éclatante symphonie des grenats, des rouges et des ors du salon (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 307).
3. Ensemble de choses organisées qui figurent dans un ensemble donné. À partir de 1953, le thème de la productivité domine la symphonie économique (CHENOT, Entr. national., 1956, p. 35). Dans la vaste symphonie du monde, les lois des astres avaient leur répercussion sur toute la destinée et enchaînaient la liberté humaine (BARBAULT, De psychanal. à astrol., 1961, p. 31).
REM. Symphoniette, subst. fém. Morceau de musique au caractère léger et naïf. Orgues contenant tous les ramages, la musique des sphères, « Noël! Noël! », la symphoniette des anges et des bergers qui se réjouissent (CENDRARS, Lotiss. ciel, 1949, p. 157).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist 1. 1120-50 siphonie désigne un instrument de musique (Grand mal fist Adam, I, 103c ds T.-L.); 1155 symphonie « id. » (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 10551), seulement en a. m. fr., le mot désignant tantôt un instrument à cordes, tantôt une sorte de vielle, v. DICK, Bezeichnungen für Saiten - und Schlaginstrumente in der afr. Literatur, pp. 83-86; BRÜCKER, Die Blasinstrumente in der altfranzösischen Literatur, p. 49; FEW t. 12, pp. 488-490; 2. a) 1357 « harmonie, accords agréables à l'oreille » (GUILLAUME DE MACHAUT, Confort d'ami, éd. Hœppfner, 505: la douceur de la symphonie et la très douce melodie de tous les genres de musique); b) 1625 (NAUDE, Apologie pour grands hommes, p. 151: l'admirable ordre et symphonie de la nature); c) 1672 fig. en parlant d'une réunion de personnes (Mme DE SÉVIGNÉ, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 517); 3. 1673 « morceau de musique pour un ensemble d'instruments, pièces d'orchestre » v. sinfonia (ID., ibid., t. 2, p. 630: On répète souvent la symphonie de l'opéra [de Lulli]: c'est une chose qui passe tout ce qu'on a jamais ouï); 4. a) 1751 « grande œuvre pour orchestre à plusieurs mouvements, formée de morceaux de genres différents » (Fr. MARTIN, Symphonies et ouvertures, opus 4 d'apr. Mus. 1976); b) 1786 symphonie concertante (Journ. polytype, partie des arts agreables, I, 291 ds QUEM. DDL t. 21). Empr. au lat. symphonia « harmonie de sons », « groupe de musiciens, de chanteurs, orchestre », désignant également différents instruments de mus. (v. FEW t. 12, pp. 490-491), transcrivant le gr. de « ensemble, en accord » et « voix », « harmonie des sons », « accord musical (entre deux sons, comme l'intervalle entre la quarte, la quinte et l'octave) », « union harmonieuse de voix ou de sons, concert », au fig. « harmonie » et également au sens concr. « orchestre » et « instrument de musique ». Fréq. abs. littér.:635. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 378, b) 762; XXe s.: a) 1 265, b) 1 208.
DÉR. Symphoniste, subst., mus. a) Compositeur; en partic., auteur de symphonies. Le symphoniste qui orchestra le Capriccio espagnol a donné un modèle de science instrumentale (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 177). P. anal., peint. Les symphonistes de Venise pourront naître quand Vinci, Michel-Ange, Raphaël, achevant l'effort des mélodistes toscans Angelico, Ghirlandajo, Lippi, Signorelli, Piero della Francesca, auront coulé dans le moule de leur énergie spirituelle la forme italienne parvenue à sa plus implacable réalité (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 41). b) Musicien qui joue dans un orchestre symphonique. On voit apparaître (...) le nom de celui-ci, en 1713, parmi ceux des symphonistes de l'orchestre de l'Opéra (LA LAURENCIE, Éc. fr. violon, t. 2, p. 374). — []. Att. ds Ac. 1740-1878. — 1res attest. a) 1690 « celui qui joue des instruments ou qui compose des pièces musicales » (FUR.), b) 1800 « celui qui compose des symphonies » (BOISTE); de symphonie, suff. -iste; cf. lat. symphoniacus « de concert » et « esclave symphoniste, musicien d'orchestre », traduisant le gr. de même sens.
BBG. — QUEM. DDL t. 21.
symphonie [sɛ̃fɔni] n. f.
ÉTYM. V. 1370; simphonie, XIIIe; « instrument de musique à cordes », v. 1155; du lat. symphonia, grec sumphônia « accord, ensemble de sons ». → -phone, -phonie.
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1 Vx. Ensemble de sons consonants; accord consonant. ⇒ Consonance, homophonie. — Par ext. Ensemble de sons musicaux. ⇒ Polyphonie; concert. || « La symphonie (d'un air de Quinault) est toute de basses » (1. Basse, cit. 1, Mme de Sévigné).
2 Morceau de musique pour un ensemble d'instruments; pièce d'orchestre. — Le mot s'est dit des sonates polyphoniques, des ouvertures à l'italienne (Lulli) et, par la suite, de pièces d'orchestre à un ou plusieurs mouvements. — Les symphonies de Rameau, de Lulli (→ Facile, cit. 12). — REM. Dans ce sens, les musicologues emploient la forme italienne sinfonia.
♦ Par métonymie. Vx. Orchestre. || Abreuver la symphonie (→ Enseigne, cit. 4).
3 (1754). Mod. Composition musicale assez ample à plusieurs mouvements (⇒ Allegro; adagio ou largo, andante; menuet; finale), construite sur le plan de la sonate (⇒ Sonate) et exécutée par un nombre important d'instrumentistes (⇒ Orchestre; → Instrument, cit. 8). || Premières symphonies (de Vivaldi, Stamitz…). || Symphonies de Mozart. || Les neuf symphonies de Beethoven (où un scherzo remplace le menuet) : symphonie héroïque, pastorale (cit. 4), neuvième symphonie avec chœurs (→ Musique, cit. 5). || La Symphonie inachevée, de Schubert. || Symphonie fantastique (Berlioz), espagnole (Lalo), « du Nouveau Monde » (Dvorak). || Symphonie pour cordes (Honegger). — REM. On dit souvent, ellipt, la Cinquième, l'Inachevée… pour Cinquième symphonie, Symphonie inachevée.
1 Beethoven avait écrit déjà huit symphonies avant celle-ci. Pour aller au-delà du point où il était alors parvenu à l'aide des seules ressources de l'instrumentation, quels moyens lui restaient ? L'adjonction des voix aux instruments.
Berlioz, Beethoven, p. 62.
♦ Par ext. || Symphonie concertante (1787, in D. D. L.) : concerto à plusieurs solistes, dont le plan et le style sont ceux de la symphonie.
♦ (1892). Vx. || Symphonie-drame : poème symphonique à sujet dramatique.
4 (Fin XVIIe). Fig. (Des sens 1 et 2). Ensemble de choses qui concourent à un effet. ⇒ Chœur, harmonie, hymne (fig.); → Couleur, cit. 4. || Cette grande symphonie aurorale (→ Renouveau, cit. 1). || Symphonie en blanc majeur (Th. Gautier, Émaux et Camées). || Une symphonie olfactive (→ Quai, cit. 2). || Une « symphonie de gueule » (→ Gourmandise, cit. 7). — (Du sens 3) :
2 Relisez, par exemple (dans la comédie de la Mort…) la prodigieuse symphonie qui s'appelle Ténèbres. Je dis symphonie, parce que ce poème me fait quelquefois penser à Beethoven.
Baudelaire, l'Art romantique, XX, V.
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DÉR. Symphonique, symphoniste.
Encyclopédie Universelle. 2012.