SYLLOGISME
Le syllogisme est une forme de raisonnement définie pour la première fois par Aristote: «Le syllogisme est un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en découle nécessairement par le seul fait de ces données»(Topiques, I, 1, 100 a 25 et Premiers Analytiques , I, 1, 24 b 18-20). Un syllogisme comporte donc un point de départ – les prémisses – et une conclusion. Celle-ci doit être nouvelle par rapport aux prémisses (ce qui assure la fécondité du syllogisme), mais elle doit, d’autre part, découler nécessairement de ces prémisses et d’elles seules (ce qui assure la rigueur de ce type de raisonnement). Aristote distingue deux espèces de syllogisme: le syllogisme dialectique , dans lequel les prémisses sont simplement probables, et le syllogisme apodictique ou démonstratif , dont les prémisses sont nécessaires (soit qu’elles aient été préalablement démontrées, soit que leur nécessité soit évidente). Mais cette distinction n’affecte en rien la rigueur formelle du syllogisme, qui est égale dans les deux cas. C’est pourquoi Aristote ne tient pas compte de cette distinction dans sa théorie générale du syllogisme, à laquelle est consacré l’ouvrage intitulé Premiers Analytiques .
Origine du syllogisme
La théorie du syllogisme, il est important de le constater, est née historiquement du souci, apparu en Grèce aux Ve et IVe siècles avant J.-C., à la fois chez les sophistes et dans l’école platonicienne, de codifier les règles de la discussion: en ce sens, le syllogisme a commencé par être un procédé dialectique avant qu’Aristote ne s’avisât du rôle qu’il pouvait jouer, sous sa forme démonstrative, dans la constitution de la science. Le syllogisme a d’abord été un procédé tendant à confondre l’adversaire en lui montrant que, s’il admet certaines propositions, il ne peut admettre en même temps la contradictoire de la proposition qui logiquement en découle. L’art consiste ici à jouer sur la non-immédiateté du rapport entre prémisses et conclusion, qui échappe à l’adversaire, avant de dévoiler, au moment opportun, la nécessité de la consécution. Même si l’on conteste aujourd’hui l’utilité scientifique du syllogisme, on ne pourra jamais lui dénier cette valeur argumentative.
La syllogistique
La théorie du syllogisme, ou syllogistique, se trouve presque entièrement constituée dans les écrits d’Aristote. On se sert néanmoins habituellement, pour l’exposer, de la systématisation entreprise par Boèce (Ve-VIe s.) et poursuivie jusqu’à Pierre d’Espagne (XIIe s.). C’est à ce dernier, notamment, que l’on doit la dénomination des différents modes valides du syllogisme. Mais c’est seulement Leibniz qui, au XVIIe siècle, complétera la syllogistique aristotélicienne et démontrera la complétude du système ainsi constitué.
La syllogistique se distingue du moderne calcul des propositions (préparé dans l’Antiquité par la logique stoïcienne) en ce qu’elle s’appuie sur la composition interne des propositions, au lieu de les considérer comme un tout. Le véritable élément du syllogisme n’est donc pas la proposition, mais le terme. Le moteur du syllogisme réside dans le fait que l’un des termes, appelé moyen , apparaît successivement dans les deux prémisses et révèle un rapport nécessaire entre les deux termes extrêmes: le majeur , qui n’apparaît que dans la première des deux prémisses (ou majeure), et le mineur , qui n’apparaît que dans la deuxième (ou mineure). La conclusion pourra dès lors mettre directement en rapport le majeur et le mineur. Le syllogisme le plus simple sera donc de la forme: B est A, C est B, donc C est A, où l’on voit que A est le majeur, B le moyen et C le mineur.
Le trait de génie d’Aristote a été de diversifier ce schéma de raisonnement, rigoureux mais fruste, en tenant compte, d’une part, de la quantité des propositions (universelle ou particulière); d’autre part, de leur qualité (affirmative ou négative); enfin de la place du moyen terme dans les prémisses.
Aussi cette dernière distinction permettra-t-elle aux logiciens du Moyen Âge de distinguer d’abord a priori quatre figures du syllogisme, selon que le moyen terme est successivement sujet et prédicat (1re figure), deux fois prédicat (2e figure), deux fois sujet (3e figure) ou successivement prédicat et sujet (4e figure). En fait, Aristote n’a pas accordé de place à la quatrième figure (encore appelée galénique parce qu’elle fut introduite par Galien au IIe s. apr. J. C.), sans doute parce qu’elle ne diffère de la première que par l’ordre, relativement arbitraire, des prémisses.
À l’intérieur des figures, la quantité et la qualité des propositions permettent de distinguer les modes . Si l’on appelle A la proposition affirmative universelle et I la proposition affirmative particulière, E la proposition négative universelle et O la proposition négative particulière, on aura, selon la terminologie médiévale, les modes concluants suivants: Barbara , Celarent , Darii , Ferio , mots conventionnels dont les trois voyelles AAA, EAE, AII, EIO indiquent l’ordre de consécution des propositions (1re figure); Cesare , Camestres , Festino , Baroco (2e figure); Darapti , Disamis , Datisi , Felapton , Bocardo , Ferison (3e figure).
On se rend compte aisément que ces quatorze syllogismes concluants, les seuls qu’Aristote ait retenus comme tels, ne représentent qu’une petite partie de toutes les combinaisons possibles, qui sont au nombre de deux cent cinquante-six. Pour être complet, on doit ajouter aux quatorze modes d’Aristote les cinq modes concluants de la quatrième figure. D’autre part, comme on peut inférer de toute proposition universelle la proposition particulière correspondante (procédé dit subalternation ), Leibniz ajoutera cinq modes valides aux dix-neuf précédents (par exemple, Barbari dérivé de Barbara , et Celaront de Celarent ), soit en tout vingt-quatre syllogismes concluants (six par figure).
Règles du syllogisme
Comment discerner un syllogisme concluant d’un syllogisme non concluant? Aristote a recours à une procédure complexe qui, étant admis que les quatre modes par lui reconnus de la 1re figure sont «évidents», consiste à réduire chacun des syllogismes valides des autres figures à l’un de ces quatre modes fondamentaux (dits parfaits par Aristote). Dans une syllogistique axiomatisée, on obtient plus aisément les vingt-quatre modes concluants par l’application des règles suivantes: une prémisse au moins doit être affirmative; si une prémisse est négative, la conclusion doit être négative, et une conclusion négative requiert une prémisse négative; si les deux prémisses sont affirmatives, la conclusion doit être affirmative; l’une au moins des deux prémisses doit être universelle; si l’une ou l’autre des prémisses est particulière, la conclusion doit être particulière. Même si ces règles n’ont pas été expressément posées par Aristote, on se convaincra aisément que, dans la perspective «intuitive» qui était la sienne, elles ont pour elles une certaine évidence: le passage de l’universel au particulier et de l’affirmatif au négatif représente une sorte de «dégradation» qu’aucun raisonnement ne peut impunément remonter (d’où la difficulté que rencontre Aristote à mettre sous forme syllogistique l’induction, qui s’élève du particulier à l’universel).
Valeur du syllogisme
Depuis le début des Temps modernes, le syllogisme a été souvent en butte aux critiques, voire aux railleries. Seul parmi les grands philosophes, Hegel lui accordera une place importante, encore que d’un point de vue tout à fait étranger à la logique formelle, dans sa Science de la logique : retenant la fonction médiatrice du syllogisme, il en fera le troisième moment de la logique du concept, celui où le concept retrouve son unité, mais cette fois médiatisée, par delà la dissociation opérée par le jugement. D’un point de vue logique, on a surtout reproché au syllogisme de reposer sur une pétition de principe (argument de J. Stuart Mill, et déjà du sceptique Sextus Empiricus à la fin de l’Antiquité): la vérité de la majeure (par exemple, tous les hommes sont mortels) supposerait celle de la conclusion (Socrate, qui est l’un des hommes, est mortel). À quoi l’on doit répondre que cette objection n’a de valeur que si les propositions sont interprétées en extension. Du point de vue de la compréhension, la vérité de la majeure peut et doit être établie sans que la connaissance de la conclusion soit requise.
On a aussi reproché au syllogisme son inutilité pour la science. À ce propos, on doit rappeler qu’Aristote n’accordait de rôle au syllogisme que pour l’exposition de la science achevée; dans la science en train de se faire, l’important est moins de tirer des conclusions que de découvrir des prémisses et surtout des moyens termes, découverte qui obéit à des règles relevant plus de la dialectique au sens large que de la syllogistique. Certains auteurs du XIXe siècle ont néanmoins essayé de montrer l’utilité spécifique de chaque figure du syllogisme pour le travail de la science. Selon C. S. Peirce, la fonction du syllogisme comporterait trois aspects: affirmation de la loi, établissement d’un cas, application de la loi au cas. La première figure suivrait cet ordre même; la deuxième conclurait, la loi étant donnée, de la négation de l’application à la négation du cas; la troisième, le cas étant donné, de la négation de l’application à la négation de la loi.
En fait, la syllogistique d’Aristote n’a exercé tant d’influence durant des siècles et ne suscite encore aujourd’hui tant de discussions chez les logiciens (J. Lukasiewicz, J. M. Bochenski, G. Patzig, entre autres) que parce qu’elle a été la première tentative pour établir une théorie logique sur des bases axiomatiques. La logique moderne a moins supplanté la syllogistique qu’elle n’en a reconnu les limites exactes: la syllogistique est un cas particulier de la logique des classes, qui n’est elle-même qu’une partie de la logique formelle en général.
syllogisme [ silɔʒism ] n. m.
• XIVe; silogime 1265; lat. syllogismus, gr. sullogismos, proprt « calcul, raisonnement »
1 ♦ Log. Raisonnement déductif rigoureux qui ne suppose aucune proposition étrangère sous-entendue. ⇒ déduction, démonstration, raisonnement. — Log. formelle Opération par laquelle, du rapport de deux termes avec un même troisième appelé moyen terme, on conclut à leur rapport mutuel. Prémisses (majeure et mineure) et conclusion d'un syllogisme (ex. Tous les hommes sont mortels [majeure], or je suis un homme [mineure], donc je suis mortel [conclusion]).
2 ♦ Péj. et cour. Raisonnement purement formel, étranger au réel. Ces syllogismes ne convaincront personne.
● syllogisme nom masculin (latin syllogismus, du grec sullogismos) Raisonnement qui a la forme d'une implication dont l'antécédent est la conjonction de deux propositions appelées prémisses, par exemple : « Si tout B est A et si tout C est B, alors tout C est A. » Raisonnement très rigoureux. ● syllogisme (citations) nom masculin (latin syllogismus, du grec sullogismos) Jean Paulhan Nîmes 1884-Neuilly-sur-Seine 1968 Académie française, 1963 […] Un bon syllogisme n'a jamais convaincu personne. Entretien sur des faits divers Gallimard
syllogisme
n. m.
d1./d LOG Type de déduction formelle telle que, deux propositions étant posées (majeure, mineure), on en tire une troisième (conclusion), qui est logiquement impliquée par les deux précédentes (ex. Tous les hommes sont mortels; or, Socrate est un homme; donc Socrate est mortel).
d2./d Péjor. Raisonnement formel sans rapport avec le réel.
⇒SYLLOGISME, subst. masc.
A. — LOG. Raisonnement déductif rigoureux se fondant sur les rapports d'inclusion et d'exclusion des propositions sans qu'aucune proposition étrangère soit sous-entendue:
• Les hommes, qui se mettent toujours en garde contre l'imagination qu'ils n'ont pas, se confient plus volontiers aux écrivains qui bannissent des discussions philosophiques le talent et la sensibilité, comme s'il n'étoit pas au moins aussi facile de déraisonner (...) avec des syllogismes qu'avec de l'éloquence. Car le syllogisme, posant toujours pour base qu'une chose est ou n'est pas, réduit dans chaque circonstance à une simple alternative la foule immense de nos impressions, tandis que l'éloquence en embrasse l'ensemble.
STAËL, Allemagne, t. 4, 1810, p. 161.
— En partic. Raisonnement déductif formé de trois propositions, deux prémisses (la majeure et la mineure) et une conclusion, tel que la conclusion est déduite du rapprochement de la majeure et de la mineure. Syllogisme catégorique, hypothétique, conditionnel, disjonctif; prémisses, conclusion d'un syllogisme; syllogisme interprété en extension ou en compréhension; figure de syllogisme (v. figure I B 3 a); mode de syllogisme (v. mode2 II E 1). Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation; dans toute société, les femmes sont esclaves; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence (LACLOS, Éduc. femmes, 1803, p. 429). Le syllogisme qui mène Socrate à la mort plus sûrement que la ciguë, l'induction qui en forme la majeure, la déduction qui le conclut, éveillent une défense et une révolte obscure (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 92).
— P. métaph. Et quel admirable rayonnement de tout vers le centre! Comme les divers ordres d'être créés se superposent et dérivent logiquement l'un de l'autre! Quel syllogisme que la création! (HUGO, Fr. et Belg., 1885, p. 141).
B. — Péj. Déduction, raisonnement formel fonctionnant sur lui-même et sans lien avec le réel. Les avocats savent légitimer les prétentions les plus absurdes, les lois ont des syllogismes complaisants aux erreurs de la conscience (BALZAC, Mme Firmiani, 1832, p. 378).
Prononc. et Orth.:[sil(l)]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1269-78 sillogime « argument composé de trois propositions » ici fig. (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 4054); mil. XIIIe s. au propre (Mém. Sté néophilologique, t. 4, p. 362); 2. 1830 « raisonnement purement formel, étranger au réel » (STENDHAL, Rouge et Noir, p. 487). Empr. au lat. d'époque impériale syllogismus au sens 1, du gr. « raisonnement » d'où « conclusion déduite de prémisses », en partic. « syllogisme (par opposition au raisonnement par induction, ) », dér. de « assembler, rassembler », v. syllogiser.
syllogisme [sil(l)ɔʒism] n. m.
ÉTYM. 1530; silogime, v. 1265; sillogisme, v. 1370; lat. syllogismus, grec sullogismos, proprt « calcul, raisonnement », de sullogizesthai, forme de sullogizein « rassembler », de sullogos « réunion », de sun- (→ Syn-), et legein « rassembler ».
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1 Log. « Au sens large, tout raisonnement déductif rigoureux et qui ne suppose aucune proposition étrangère sous-entendue » (Lalande). ⇒ Déduction, démonstration, raisonnement.
♦ Logique formelle. « Opération par laquelle du rapport de deux termes avec un même troisième appelé moyen terme on conclut à leur rapport mutuel » (Foulquié). → Désaltérer, cit. 1; immédiat, cit. 3. || Prémisses (majeure et mineure), conclusion d'un syllogisme (→ 1. Logique, cit. 3; 2. or, cit. 5; postulat, cit. 4). ⇒ Argument. || Composition des termes d'un syllogisme. || La conclusion du syllogisme est la conséquence des prémisses. || Syllogisme interprété en extension ou en compréhension. || Figures du syllogisme. || Modes du syllogisme, formes qu'il prend, dans les diverses figures, selon la quantité et la qualité des propositions (universelles affirmatives, universelles négatives, etc.), représentées dans la scolastique par des mots mnémoniques (Baralipton, Barbara, Celarent, Darii, etc.). || Syllogisme conditionnel ou hypothétique. ⇒ Modus ponens, modus tollens. || Syllogisme disjonctif. || Syllogisme abrégé. ⇒ Enthymème (cit.). || Chaîne de syllogismes. ⇒ Sorite (espèce de « polysyllogisme »).
1 (…) dès que la raison métaphysique de l'existence se trouve identifiée avec la raison mathématique ou logique de démonstration, le syllogisme acquiert une valeur, une importance première et jouit d'un entier privilège d'infaillibilité en vertu de la forme seule (vi formœ).
Maine de Biran, Exposition de la doctrine philosophique de Leibniz.
1.1 Le Logicien, au Vieux Monsieur.
Voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats.
Le Vieux Monsieur, au Logicien.
Mon chien aussi a quatre pattes.
Le Logicien, au Vieux Monsieur.
Alors, c'est un chat (…)
Le Logicien, au Vieux Monsieur.
Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.
Le Vieux Monsieur.
Et il a quatre pattes. C'est vrai, j'ai un chat qui s'appelle Socrate.
Ionesco, Rhinocéros, I, p. 44 et p. 46.
2 Raisonnement purement formel, étranger au réel (→ Apprécier, cit. 6; disposition, cit. 14). Par anal. || Un syllogisme de conduite (Balzac, Préfaces, Pl., t. XI, p. 352).
2 (…) toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !); elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.
Baudelaire, le Spleen de Paris, III.
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DÉR. et COMP. Polysyllogisme. (Du lat.) Syllogiser, syllogistique.
Encyclopédie Universelle. 2012.