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SCOLASTIQUE
SCOLASTIQUE

Dans son emploi usuel, et qu’il soit nom générique ou adjectif, le mot «scolastique» fait naître l’idée de répétition ou commentaire du déjà-dit, de subtilité pédantesque, par opposition à l’originalité, à l’esprit de découverte par enquête sur les choses mêmes. Cette acception résume une part des critiques dirigées, depuis la Renaissance, contre le régime de pensée et d’enseignement qui caractérise le Moyen Âge à partir du XIIIe siècle, principalement en théologie, et que désigne le mot «scolastique» en son sens spécifique, le seul qu’on retiendra ici. On a ainsi affaire à un fait culturel bien déterminé, dont il ne faut qu’analyser la nature et les conditions historiques. L’apparition de la scolastique correspond à une situation et à des sollicitations précises: aussi cette forme mentale parvient, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, à un équilibre, une sorte de classicisme, qui évoluera vite. La scolastique poursuivra son histoire avec un contenu modifié et selon une autre allure, mais en conservant les mêmes formes. Ainsi l’on peut dire que, dans le courant toujours tourmenté de la pensée médiévale, le XIIIe siècle marque une inflexion sensible, même s’il est assez facile de relever, dans les siècles qui l’ont précédé, des éléments et des résultats qu’il a repris à son compte. C’est pourquoi la description qui suit a deux pôles: la structure originelle de la scolastique et la critique qu’en ont faite Érasme et Luther; on tiendra ainsi les deux maillons extrêmes d’une chaîne historique.

Formes, textes et méthodes

L’analyse de la scolastique et de son esprit peut partir très simplement de l’examen des formes (littéraires et intellectuelles) qui lui sont propres. Ces formes sont signalées par des titres qui reviennent continuellement dans les catalogues des œuvres scolastiques: commentaires, questions disputées, questions quodlibétales, sommes. Toutes ont un soubassement et une intention didactiques (scola veut dire «école»). Les commentaires sont destinés à faire comprendre des œuvres (de nature religieuse, philosophique, scientifique) considérées comme fondamentales; les questions résolvent, selon un schéma rigoureusement réglé, des problèmes de théologie ou de philosophie; une somme est le résumé systématique d’un ensemble doctrinal, résumé qui peut être fort long. La composition des ouvrages de ces diverses catégories consiste en l’application de certaines méthodes à un certain ensemble de textes ; méthodes et textes qui, avec les formes qu’on a énumérées, constituent le système ou le régime mental caractéristique de la scolastique.

Les élaborations théoriques, au Moyen Âge, ont toujours été construites sur des textes. Ceux sur lesquels les scolastiques fondent principalement leur travail sont d’ordre religieux et d’ordre profane. Les textes d’ordre religieux sont les Écritures (Ancien et Nouveau Testaments), en leur traduction latine; les expressions de l’enseignement officiel de l’Église, notamment les décisions conciliaires; les écrits des «saints», tels Augustin, Hilaire, Grégoire le Grand, et aussi les traités attribués à un certain Denys l’Aréopagite, qui aurait été converti par saint Paul et en serait devenu le confident (en fait, ce bref corpus a été composé vers 510 par un néo-platonicien chrétien encore non identifié), enfin et surtout les quatre Livres des sentences (Libri sententiarum ), où Pierre Lombard (le «Maître des sentences», ancien élève d’Abélard) avait rangé, vers 1150, l’ensemble des données et des problèmes de la foi chrétienne tels qu’ils avaient été déterminés, discutés, compris, par les principaux penseurs de l’Église. Le choix des Sentences comme livre de base de l’enseignement théologique est un des traits de la scolastique. Les textes d’ordre profane sont essentiellement, pour la philosophie, les œuvres d’Aristote, qui pour la plupart n’étaient traduites en latin que depuis peu (seconde moitié du XIIe s.); il faut y joindre quelques disciples et commentateurs du philosophe grec, principalement les philosophes musulmans Avicenne (Ibn S 稜n ) et Averroès (Ibn Rušd). Dans ces deux ensembles d’écrits viennent au premier plan ceux qui sont objets de commentaire: l’Écriture (sacra pagina ), Denys, les Sentences , Aristote; les autres, qui servent à comprendre et développer l’enseignement contenu dans les premiers, sont moins décisifs, mais ont pourtant une grande importance: ils sont eux aussi, à des degrés divers, des autorités (auctoritates ); ils ajoutent leur poids à celui d’un raisonnement, et d’abord mettent sur la voie de sa vérité.

Les méthodes dont les écrits scolastiques recueillent les résultats et reflètent l’exercice effectif sont avant tout la lectio d’une part, la quaestio et la disputatio de l’autre. La lectio consiste à expliquer les textes fondamentaux de l’enseignement (par exemple, outre ceux cités plus haut, les Institutions de Priscien pour la grammaire, l’Arithmétique de Boèce); le texte est divisé en ses diverses parties, puis commenté dans le détail; enfin les problèmes qu’il pose sont examinés. La quaestio et la disputatio tiennent à ce que les difficultés des textes «lus», la diversité des solutions qui en ont été proposées font naître des questions, problèmes qui se détachent et demandent un traitement spécial. La quaestio apparaît dès le début du XIIe siècle; au XIIIe, la technique en est parfaitement mise au point. Sous sa forme la plus précise et la plus claire, une question comprend: l’énoncé d’un problème (Utrum...? : est-ce que...?); la production d’auctoritates qui inclinent à conclure en un sens, puis de celles qui inclinent à conclure dans un autre; la solution du problème; la réponse aux arguments qui allaient dans le sens qu’on a refusé – c’est-à-dire, plus volontiers que la réfutation des «autorités», leur mise en place, moyennant les précisions et les distinctions convenables, dans le cadre de la solution fournie (pour illustrer ce schéma, voir les questions qui constituent la Somme de théologie de Thomas d’Aquin, par exemple). Ce procédé s’impose au commentaire lui-même, tant en théologie (commentaires des Sentences ) qu’en d’autres matières (on a par exemple des Questions sur Priscien ); cette façon de repenser le sujet peut conduire à modifier l’économie du texte de base. Incluse dans l’enseignement, la quaestio est le fait du maître seul; quand y sont mêlés d’autres acteurs, elle prend la forme active de la disputatio , soumise à des règlements universitaires précis (les questions disputées se développent dans l’école du maître, avec la participation de ses étudiants et bacheliers; pour les questions quodlibétales, la participation est élargie et le choix des thèmes discutés laissé aux assistants).

Conditions historiques

Lectio , quaestio et disputatio impliquent un développement des «arts» du langage (notamment la grammaire et la dialectique, pour l’analyse des textes et l’examen réglé des difficultés), qui commença dès le début du XIIe siècle (avec Abélard en particulier). C’est au même siècle, on l’a vu, que Pierre Lombard a proposé une mise en ordre des problèmes théologiques qui a prévalu, et qu’Aristote a été traduit en latin: telles sont les principales conditions intellectuelles de la scolastique. Mais elle suppose aussi des conditions institutionnelles et historiques. On a fait allusion à la hiérarchie du personnel des universités: étudiants, bacheliers, maîtres. L’institution universitaire est un fait du XIIIe siècle; fait urbain, de même que le développement, aux XIe et XIIe siècles, des écoles cathédrales, était une conséquence du développement des villes. L’Université confère le droit d’enseigner (licentia docendi ). Elle regroupe des facultés spécialisées: faculté de théologie; faculté des arts, où l’on enseigne les sciences profanes autres que celles réservées aux deux dernières: facultés de droit et de médecine; il faut être licencié ès arts pour pouvoir préparer la licence en théologie. L’Université est donc le lieu où travaille et se reconstitue par apports successifs une couche sociale déterminée: un corps professoral spécialisé (dont la formation s’amorce, elle aussi, au XIIe s.); ainsi la scolastique est un produit universitaire, au sens institutionnel et social à la fois. Or, il faut noter la présence, dans ce corps professoral, d’une catégorie dont l’importance croît rapidement, à partir de 1230 environ, celle des religieux mendiants: frères mineurs (Franciscains) et frères prêcheurs (Dominicains). Ces deux ordres, dont la fondation date du début du XIIIe siècle, ne relèvent pas des autorités ecclésiastiques locales, mais directement de la papauté, et leurs membres passent d’une université à une autre sans considération de frontières. D’autre part, le droit de regard de l’évêque sur l’université de sa ville va décroissant; elle a également des franchises qui la mettent partiellement hors du contrôle des autorités civiles. Ainsi les universités ont une place à part dans les institutions: du fait de leur statut et de leur personnel, elles sont au-dessus des particularités locales. Le savoir qu’elles ont pour mission d’élaborer et de transmettre, et qui est précisément le savoir scolastique, exprime en son ordre cette tendance à l’unification doctrinale et juridique, sous l’autorité supérieure du pape, dont le point de départ historique se place vers la fin du XIe siècle (avec Grégoire VII).

Tels sont les principaux points où la scolastique du XIIIe siècle s’enracine dans l’histoire. On vérifie qu’elle est bien une expression de son temps en notant les homologies et les concordances chronologiques, relevées par E. Panofsky, entre elle et l’architecture gothique: l’une et l’autre se forment, parviennent à un équilibre, enfin s’en écartent, à peu près aux mêmes moments; l’une et l’autre manifestent une même «habitude mentale» que caractérisent les principes de «clarification» et de «conciliation des contraires», à l’œuvre aussi bien dans les cathédrales que dans les sommes.

Contenu et périodes

Si l’on a pu faire partir des premiers temps du christianisme l’histoire de la méthode scolastique (M. Grabmann), c’est que le programme qu’elle se propose est effectivement très ancien: user de principes et d’instruments rationnels pour mettre en lumière, dans la foi chrétienne, toute l’intelligibilité qu’elle porte en elle, de façon à la faire valoir et à la défendre. Cette tâche suppose une conception précise des rapports entre la foi et la raison: soutien réciproque – selon l’adage augustinien: «Comprends pour croire, crois pour comprendre» – avec priorité de la foi – «Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas» (verset d’Isaïe , 7, 9, tel que le cite saint Augustin); rapport qui s’exprime encore dans le célèbre titre de saint Anselme: La foi en quête d’intelligence (Fides quaerens intellectum ). Même la formule bien connue selon laquelle la philosophie est servante de la théologie (philosophia ancilla theologiae ) remonte à la patristique grecque et, au-delà, au penseur juif Philon d’Alexandrie. Ces thèmes peuvent bien correspondre à un aspect capital de la scolastique, ils ne suffisent pas à la caractériser, puisqu’ils lui sont antérieurs. Il faut y joindre ce qu’impliquent pour le contenu les formes qu’on a présentées plus haut; la quaestio et la somme, autant que la substitution des Sentences à l’Écriture comme texte théologique fondamental (vers 1230), consomment, cristallisent et codifient ce que le XIIe siècle avait préparé: le passage au premier plan d’une lecture systématique du donné de la foi, par différence avec la lecture historique qu’impose le texte biblique. Dans le même sens, le large usage de la philosophie introduit dans la théologie une tension entre la nature et l’histoire, que les scolastiques éprouvent et tentent de résoudre diversement.

Il serait assez vain de tenter ici une énumération même des principaux scolastiques, car il est impossible de les caractériser suffisamment en quelques mots; sous des dehors uniformes, la scolastique offre une assez grande variété (et, par exemple, l’aristotélisme y prend autant de visages qu’il y a de maîtres à l’utiliser). On peut y distinguer toutefois des époques et des crises, et d’abord une période de formation, à partir de 1230 environ, dont les principaux représentants (Guillaume d’Auvergne, Alexandre de Hales, Jean de La Rochelle) s’efforcent de lier les nouveautés aristotéliciennes et la tradition, augustinienne notamment, sans toujours voir clairement les problèmes que cela suscite. C’est aussi à ce moment qu’Albert le Grand, le véritable introducteur d’Aristote (et qui est loin d’être tout uniment aristotélicien), commence une carrière qui s’étendra sur quarante ans.

Vient ensuite une période où apparaissent les œuvres «classiques» de Bonaventure et de Thomas d’Aquin, franciscain le premier, le second dominicain, qui meurent l’un et l’autre en 1274. C’est à ce moment, dans les années 1260, qu’éclate la crise «averroïste», qui met en cause la façon de traiter Aristote et peut s’interpréter comme une revendication de la philosophie en vue d’être entièrement autonome dans son ordre, aussi bien que comme un «conflit des facultés» des arts et de théologie. En 1270 et surtout en 1277, des condamnations ecclésiastiques frappent un certain nombre de thèses, aristotéliciennes notamment; un renfort officiel est ainsi apporté aux nombreux théologiens qui admettaient mal la tentative de lier la philosophie grecque (et arabe) à la tradition chrétienne: le principe de la scolastique est donc attaqué à la fois sur la gauche et sur la droite.

Vers la fin du XIIIe siècle, la scolastique change d’allure. Quant au fond, le souci, plus net et plus urgent, de refuser radicalement l’univers nécessaire des Grecs et des Arabes conduit à insister sur la contingence qu’implique la toute-puissance divine; en découle la distinction entre la «puissance divine ordonnée» (potentia Dei ordinata ), à laquelle se rattachent les lois de fait de l’univers, et la «puissance absolue» (potentia Dei absoluta ), bornée par la seule non-contradiction. Ce concept, mis en avant par Jean Duns Scot († 1308), sera repris par Guillaume d’Ockham († vers 1350), qui s’en servira pour une critique rigoureuse de toute la théologie scolastique antérieure. Un changement s’opère aussi quant à la forme: le goût des développements équilibrés n’est plus ressenti, les commentateurs des Sentences choisissent volontiers quelques questions qu’ils développent au détriment des autres, selon les besoins de leurs problématiques propres. Notons que le schéma politico-religieux selon lequel le monde devrait être soumis à un pape et un empereur est de plus en plus contredit par la réalité (affirmation des États, crise conciliaire); d’autre part, l’esprit de la Renaissance commence à poindre (Pétrarque, † 1374). Les deux derniers siècles du Moyen Âge ne manquent pas de penseurs vigoureux (Maître Eckhart, † 1327; Jean de Ripa, seconde moitié du XIVe s.; Nicolas de Cues, † 1464...); mais la scolastique, en tant que mouvement, n’a plus sa vigueur première.

Au début du XVIe siècle, elle subit les coups de l’humanisme et de la Réforme. Érasme critique son «langage barbare», son ignorance des lettres et des langues, et surtout sa «contamination» par la philosophie païenne: «Quelles relations peut-il y avoir entre le Christ et Aristote?» (lettre à Martin Dorp, 1515). Luther, qui connaissait bien les théologiens nominalistes de la dernière partie du Moyen Âge (notamment Gabriel Biel † 1495), énonce en 1517 une série de thèses contra scholasticam theologiam : «C’est une erreur de dire que sans Aristote on ne devient pas théologien. Bien au contraire, c’est seulement sans Aristote qu’on devient théologien. En bref, tout Aristote est à la théologie ce que les ténèbres sont à la lumière.»

La scolastique survit en quelque manière à ces attaques, notamment avec Cajétan (†1534), un des principaux adversaires de Luther, et le jésuite Suarez (†1617), dont l’œuvre compte. En 1879, l’encyclique Aeternis Patris de Léon XIII sur la philosophie chrétienne et le thomisme suscite l’apparition d’une «néo-scolastique». On ne voit dans tout cela rien qui soit comparable à la seule scolastique à qui l’histoire ait donné son moment légitime: celle du Moyen Âge.

scolastique [ skɔlastik ] adj. et n.
• 1625; « scolaire » XIIe; lat. scholasticus, gr. skholastikos, de skholê école
Didact. ou littér. I Adj.
1Relatif ou propre à l'École, à la scolastique. Philosophie scolastique. Logique scolastique (formelle).
2(1764) Qui concerne ou rappelle la scolastique décadente, par le formalisme, la logomachie, le traditionalisme. « Le propre de ces cultures scolastiques est de fermer l'esprit à tout ce qui est délicat » (Renan).
II N.
1 N. f. (1670) Philosophie et théologie enseignées au Moyen Âge par l'Université; enseignement et méthode qui s'y rapportent. « La scolastique veut toujours un point de départ fixe et indubitable [...] elle l'emprunte à une source irrationnelle quelconque, telle qu'une révélation, une tradition » (Cl. Bernard).
(XVIIIe) Philosophie présentant des caractères formalistes et abstraits. La « scolastique marxiste » (R. Jolivet).
2 N. m. (1541) Philosophe et théologien scolastique du Moyen Âge. « Mille scolastiques [...] qui tous ont été bien sûrs de connaître l'âme très clairement » (Voltaire).
Péj. Homme à l'esprit scolastique (I, 2o). « Le scolastique ou le systématique, ce qui est la même chose, a l'esprit orgueilleux et intolérant et n'accepte pas la contradiction » (Cl. Bernard).
3 N. m. Relig. Jeune religieux faisant ses études de théologie et de philosophie dans un scolasticat. séminariste.

scolastique adjectif (latin scholasticus, du grec skholastikos) Relatif à la scolastique. Relatif aux écoles du Moyen Âge, aux méthodes qui y étaient pratiquées. Qui se caractérise par le formalisme le plus traditionnel et le verbalisme le plus creux, à la manière de la scolastique décadente de la fin du Moyen Âge. ● scolastique nom masculin Au Moyen Âge, philosophe, théologien qui suivait les méthodes usitées dans les écoles. Jeune religieux qui poursuit ses études au scolasticat. ● scolastique nom féminin Enseignement philosophique qui fut donné en Europe du Xe au XVIe s. et qui consistait à relier les dogmes chrétiens et la Révélation à la philosophie traditionnelle dans un formalisme complet sur le plan du discours. (Cet enseignement était fondé sur les concepts grammaticaux, logiques, syllogistiques et ontologiques issus d'Aristote.) Philosophie issue de cet enseignement. (Saint Anselme, Abélard et Pierre Lombard mirent au point la scolastique, qui atteignit son apogée avec Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin.)

scolastique
n. et adj. Didac.
rI./r n.
d1./d n. f. Enseignement de la philosophie et de la théologie donné dans les universités médiévales.
d2./d n. m. Théologien, philosophe scolastique.
rII./r adj.
d1./d Qui a rapport à la scolastique.
d2./d Fig., péjor. D'un formalisme étroit.

⇒SCOLASTIQUE, adj. et subst.
I. — Adjectif
A. — Vx ou littér. Pratiqué, usité dans les écoles; scolaire. Je blâmerai et j'approuverai tour-à-tour ces exercices publics, ces distributions de prix solennelles, qui terminent avec tant d'éclat l'année scolastique (JOUY, Hermite, t. 1, 1811, p. 79). Les problèmes à tiroir, les exercices scolastiques sur les mélanges, les robinets ou les coursiers n'ont guère plus de valeur éducative que la lecture d'un livre de recettes (Gds cour. pensée math., 1948, p. 339).
B. — 1. Relatif, propre à l'enseignement des écoles de théologie et des universités du Moyen Âge, basé sur une méthode essentiellement déductive (infra II A). Philosophie, théologie, logique scolastique; méthode, argumentation, vocabulaire scolastique; bibliothèque, ouvrage scolastique. Chez le général Héricourt, il négligea de s'assimiler la réfutation des erreurs propagées au temps de Marcile Ficin dans les universités scolastiques (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 489). Cette rage de la dispute, ce bruit des querelles scolastiques, qui devait ensuite égarer tant d'esprits et compromettre jusqu'en son fondement l'enseignement de l'université, est déjà jugé avec sévérité, au XIIIe siècle, par de bons et sages témoins (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 99).
2. Péj. Qui concerne, qui rappelle la scolastique du Moyen Âge dans ce qu'elle a de plus dogmatique, dans l'abus de la dialectique et de l'abstraction. Ainsi, quand les radicaux, pour arrêter ou pour ralentir le mouvement d'émancipation du prolétariat, parleront du maintien nécessaire de ce qu'ils appellent, en jargon scolastique, la propriété individuelle, ils seront pris entre la colère de la démocratie ouvrière (...) et le dédain de la science (JAURÈS, Ét. soc., 1901, p. 161). Cette vie factice, figée, ralentie, scolastique qui, pour la plupart des gens n'est qu'un pis-aller, c'est elle précisément qu'un schizophrène désire (SARTRE, Imaginaire, 1940, p. 189).
Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Les philosophes français de profession me sont antipathiques à cause de cela. Je les sens toujours dans l'abstrait, dans le faux, dans le scolastique, quand ce n'est dans le déclamatoire (AMIEL, Journal, 1866, p. 230).
3. Dans le domaine artist. Académique, qui s'appuie sur des règles figées. Leur charmante maigreur [des nus peints par Degas], leur élasticité animale peut plaire, mais elle est très éloignée de la beauté proportionnelle comme l'a conçue la peinture scolastique (MAUCLAIR, Maîtres impressionn., 1923, p. 118). Quintes et octaves consécutives. On appelle ainsi la succession (...) d'octaves justes dans deux accords voisins. Dans la musique scolastique ces successions sont défendues (ROUGNON 1935, p. 146).
II. — Substantif
A. — 1. Subst. fém. Théologie, philosophie, logique enseignées au Moyen Âge dans les universités et les écoles, qui avaient pour caractère essentiel de tenter d'accorder la raison et la révélation en s'appuyant sur les méthodes d'argumentation aristotélicienne. Synon. vieilli l'École. À peine les sociétés chrétiennes commencent-elles à s'organiser au Moyen Âge qu'apparaît la scolastique, premier effort méthodique de la libre réflexion, première source de dissidences (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 137):
De la dialectique des Grecs, unie aux idées chrétiennes, naquit la scolastique du Moyen Âge, qui, pour traduire les idées justes et précises du christianisme dans les langues fausses ou transpositives des païens, donna au langage des Romains une construction naturelle ou analogue contraire à son génie.
BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 18.
P. méton. Cette discipline enseignée dans une université. La Faculté de Théologie avait trois sections: la Scolastique, la Canonique et la Mystique (BALZAC, Proscrits, 1831, p. 19). Avant que les légistes entrassent aux affaires, la théologie, la scolastique y donnaient accès (MICHELET, Introd. Hist. univ., 1831, p. 449).
2. Péj. Philosophie, comportement philosophique, idéologique, abstrait ou dogmatique. Le système mythologique du Roman de la Rose, de plus en plus raffiné par une scolastique barbare et subtile, s'associait à la théologie, et de cet accouplement bizarre naissaient mille monstres indéfinissables (SAINTE-BEUVE, Tabl. poés. fr., 1828, p. 201). Un exemple typique de la substitution des dogmes aux faits, substitution caractéristique de la scolastique stalinienne (R. ARON, L'Opium des intellectuels, 1955, p. 281).
B. — Subst. masc.
1. Philosophe ou théologien adepte de la scolastique au Moyen Âge. L'existence de formes-schémas, de supports généraux implique immédiatement l'existence de classes. Les anciens et les scolastiques en ont été si frappés que la « classe » l'a emporté dans leur esprit, sur la forme (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 34). Pour les scolastiques de l'ancienne école, l'instinct est une sorte de sous-intelligence homogène et fixée, marquant un des stades ontologiques et logiques par où, dans l'univers, l'être « se dégrade », s'irise, depuis l'esprit pur jusqu'à la pure matérialité (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p. 183).
Empl. adj. On faisait remarquer que certains théologiens scolastiques avaient admis que le mariage était, dès la chute d'Adam, véritable sacrement conférant la grâce (Théol. cath. t. 14, 1 1939, p. 602).
2. Péj. Homme à l'esprit scolastique, dogmatique. Quand donc cesserons-nous d'être de lourds scolastiques et d'exiger sur Dieu, sur l'âme, sur la morale, des petits bouts de phrases à la façon de la géométrie (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 55).
Empl. adj. D'ailleurs il n'y a rien de plus étrange que cette exclamation sur l'idéal adressée à Martin Luther; car on se le représente comme un gros moine savant et scolastique (STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 140). Si Descartes est arrivé jusqu'à concevoir le monde comme un composé de mouvement et d'étendue, c'est par horreur pour l'obscurité des petits êtres scolastiques (TAINE, Nouv. Essais crit. et hist., 1865, p. 112).
3. Séminariste étudiant dans un scolasticat (v. infra dér.). En mai 1903, nous avons été expulsés de Varennes-sur-Allier, qui est notre maison provinciale du Centre. Un grand nombre de novices et de scolastiques durent rentrer dans leurs familles (BARRÈS, Pays Lev., t. 1, 1923, p. 45).
REM. 1. Scolasticisme, subst. masc., péj. Caractère de ce qui tend à une attitude d'esprit formelle, abstraite, dogmatique. Si [l'action des autres sciences] cessait de s'exercer, il serait à craindre que les mathématiques évoluent vers un scolasticisme stérile (Gds cour. pensée math., 1948, p. 518). 2. Scolasticité, subst. fém., hapax, péj. Ce qui apparaît comme scolaire, formel. La science allemande (...) peut se permettre des airs d'école et s'entourer d'un parfum de scolasticité, qui chez nous passeraient pour scandaleux (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 115). 3. -scolastique, élém. de compos. entrant dans la constr. d'adj. où il représente l'adj. scolastique (supra I B 2). a) Juridico-scolastique. Qui influence une idée, une pensée d'une manière juridique, légaliste et scolastique, dogmatique. Tout l'arsenal d'une dialectique juridico-scolastique périmée à l'heure même où elle se croit en pleine prospérité (L. FEBVRE, Ét. sur l'esprit pol. de la Réforme, [1927] ds Combats, 1953, p. 79). b) Néo-scolastique. Qui concerne une nouvelle pensée scolastique. Des écrivains comme Paul Claudel, des peintres comme Maurice Denis, des musiciens comme Vincent D'Indy, des esthéticiens de l'école de philosophie néo-scolastique ou néo-thomiste comme Maritain ne sont pas loin de penser ainsi (Arts et litt., 1935, p. 64-10). 4. Scolastiquement, adv. [Corresp. à scolastique I B 2] D'une manière scolastique, formelle. Notre éducation n'est point absurde en ceci. Elle l'est en ce qu'elle ne pénètre point cette éducation romaine du sentiment de la France; elle appuie pesamment, scolastiquement sur Rome qui est le chemin, elle cache la France qui est le but (MICHELET, Peuple, 1846, p. 331). Mais tu verras des généraux imiter scolastiquement telle manœuvre de Napoléon et arriver au résultat diamétralement opposé (PROUST, Guermantes 1, 1920, p. 113).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694-1740: scholastique; 1762-1798: scolastique; 1835-1878: scolastique, scholastique; 1935: scolastique. Étymol. et Hist. A. 1. Fin XIIIe s. histoire scolastique (= l'Historia scolastica de Pierre Comestor, manuel d'histoire biblique) (Vie des saints, ms. B.N. 20030 [20330], f ° 285c ds GDF. Compl.); 2. 1404 scolastique adj. « propre aux écoles; scolaire, universitaire » (N. DE BAYE, Journal, éd. A. Tuetey, t. 1, p. 112: sermons et faiz scolastiques). B. 1. Adj. a) 1541 « relatif à l'enseignement philosophique et théologique pratiqué au Moyen Âge » (CALVIN, Instit. de la relig. chrét., éd. J.-D. Benoît, t. 2, p. 28: les docteurs Scolastiques); 1580 (MONTAIGNE, Essais, II, 12, éd. Villey-Saulnier, p. 539: le Dieu de la science scholastique, c'est Aristote); 1585 theologien scholastique (N. DU FAIL, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 1, p. 323); 1601 theologie scholastique (P. CHARRON, De la sagesse, éd. 1797, l. 1, p. 99); 1690 philosophie scholastique (FUR.); b) 1580 péj. (MONTAIGNE, op. cit., II, 10, p. 419: caquet scholastique); 2. subst. masc. a) 1541 les Scolastiques « philosophes et théologiens scolastiques du Moyen Âge » (CALVIN, op. cit., p. 29); b) 1846 péj. « homme à l'esprit scolastique » (MICHELET, Peuple, p. 209); c) 1873 « membre d'une des cinq classes de la société de Jésus » (Lar. 19e, t. 9, p. 958c, s.v. Jésuite); 3. subst. fém. a) 1671 scholastique « enseignement philosophique et théologique propre au Moyen Âge » (P. NICOLE, Essais de morale, éd. 1701, t. 3, p. 434); b) 1875 p. ext. (Lar. 19e, citant Renan, s. réf.: la scolastique juive). Empr. au lat. class. et b. lat. scholasticus adj. « d'école », subst. « rhéteur; lettré, savant; avocat; étudiant, écolier », lat. médiév. « chef d'une école ecclésiastique », empr. au gr. adj. « qui a du loisir; qui consacre son loisir à l'étude; qui concerne les gens d'étude; qui concerne l'étude ou l'école, propre à l'école », subst. « homme d'étude; péj.: pédant; avocat », dér. de « avoir du loisir; consacrer son loisir à; se consacrer à l'étude; donner un enseignement », lui-même dér. de (école). Fréq. abs. littér.:415. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 617, b) 468; XXe s.: a) 883, b) 455.
DÉR. Scolasticat, subst. masc. Institut religieux où les futurs prêtres font leurs études; p. méton., études que l'on y fait, durée de ces études. (Dict. XXe s.). []. Encyclop. éduc., 1960, p. 86: scolastiquat. 1res attest. a) 1894 « état de scolastique » (SACHS-VILLATTE, Fr.-deutsches Supplement-Lexikon ds QUEM. DDL t. 5), b) 1904 « maison où les jeunes religieux vont achever leurs études; ces études elles-mêmes; la durée de ces études » (Nouv. Lar. ill.); de scolastique, suff. -at; cf. angl. scholasticate « maison d'études pour les membres de la troisième classe, dans la Compagnie de Jésus » (1875 ds NED).

scolastique [skɔlastik] adj. et n.
ÉTYM. XIIIe, adj., « scolaire », rare av. XVIIe; lat. scholasticus, grec skholastikos, de skholê. → École.
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I Adj.
1 (Mil. XVe). Vx ou littér. Des écoles, scolaire.
1 Je sens trop en relisant les lignes qui précèdent que l'ordre et la bonne composition y manquent (…) Mais j'ai perdu le goût du beau travail scolastique, je préfère suivre ma plume que de la diriger (…)
Claudel, Position et Proposition, t. II, p. 248.
En art. Académique. || « L'exécution scolastique » (Delacroix, Journal, t. II, p. 300).
2 (1625). Relatif ou propre à l'École (infra cit. 21), à la scolastique (→ ci-dessous, II.). || Théologie, philosophie scolastique (→ Quiddité, cit.). || Logique scolastique : la logique aristotélicienne, telle qu'elle était enseignée au moyen âge. || Méthode, vocabulaire scolastique.
2 La théologie scolastique, fille bâtarde de la philosophie d'Aristote, mal traduite et méconnue, fit plus de tort à la raison et aux bonnes études que n'en avaient fait les Huns et les Vandales.
Voltaire, Essai sur les mœurs, LXXXII.
3 (1764). Péj. Qui concerne ou rappelle la scolastique décadente, par le formalisme, la logomachie, l'abus de la dialectique et de l'abstraction, le culte superstitieux des autorités intellectuelles du passé, etc. || Esprit scolastique. || Distinctions scolastiques (→ Psychologie, cit. 3). || Barbarie scolastique et jargon (cit.7) mystique.
3 Le propre de ces cultures scolastiques est de fermer l'esprit à tout ce qui est délicat, de ne laisser d'estime que pour les difficiles enfantillages où l'on a usé sa vie et qu'on envisage comme l'occupation naturelle des personnes faisant profession de gravité.
Renan, la Vie de Jésus, Œ. compl., t. IV, XIII, p. 213.
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II N.
1 N. f. (1670). Philosophie et théologie enseignées au moyen âge par l'université (en particulier, la synthèse de la Révélation et de l'aristotélisme tentée par le thomisme), enseignement et méthodes qui s'y rapportent (→ Figure, cit. 1; humanisme, cit. 2; irrationnel, cit. 1; litière, cit. 8).
(XVIIIe). Péj. Philosophie présentant des caractères scolastiques, formalistes et abstraits.
4 S'il y a une scolastique marxiste, s'il y a et s'il y a eu des scolastiques stoïcienne, positiviste, etc., c'est parce que toute doctrine est formulée et enseignée. L'école, c'est la raison constituée, quel qu'en soit le contenu.
R. Jolivet, Rech. philos., II, 313, in Foulquié, Dict. de la langue philosophique, art. École.
2 N. m. a (Déb. XVIIe). Philosophe et théologien scolastique du moyen âge (→ Infatuer, cit. 2; irréfragable, cit. 1).(XIXe). Péj. Homme à l'esprit scolastique (I., 2.).
5 Le scolastique ou le systématique, ce qui est la même chose, ne doute jamais de son point de départ, auquel il veut tout ramener : il a l'esprit orgueilleux et intolérant et n'accepte pas la contradiction, puisqu'il n'admet pas que son point de départ puisse changer.
Cl. Bernard, Introd. à l'étude de la médecine expérimentale, I, II.
b Relig. Jeune religieux faisant ses études de théologie et de philosophie dans un scolasticat. Séminariste.
DÉR. Scolasticat, scolastiquement.

Encyclopédie Universelle. 2012.