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SAHEL
SAHEL

Le Sahel est le domaine de transition entre le Sahara et le Soudan. Par son rythme climatique annuel, il appartient au domaine tropical humide. Mais la longueur et la rigueur de la saison sèche le classent aussi dans les régions semi-arides tropicales dont il est l’exemple de référence, en raison de son extension et de sa disposition rigoureusement zonale.

Ce domaine, du fait de ses relations au travers du désert avec l’Afrique du Nord et le monde méditerranéen, a constitué jusqu’au Moyen Âge, avec le littoral de l’Afrique orientale, la partie vraiment active du continent noir. Déjà fortement en déclin avant l’arrivée des Européens, le Sahel a connu l’oubli lorsque ces derniers ont privilégié les relations avec les pays côtiers et favorisé la primauté économique de l’Afrique guinéenne.

Frappé depuis 1967 par des sécheresses aux conséquences dramatiques, le Sahel a suscité un grand mouvement d’intérêt humanitaire et scientifique. Il inspire des projets de développement qui se proposent de surmonter l’ingratitude du milieu et prennent ainsi valeur de défi.

Au sud du Sahara, le Sahel tire son nom du terme arabe signifiant «rivage». Mais ce n’est pas une ligne qui sépare le grand désert de l’Afrique noire soudanienne. De l’une à l’autre, le passage se fait par nuances méridiennes insensibles.

1. Le milieu sahélien

Le climat

Sur le plan climatique, la longue saison sèche qui, du sud vers le nord, s’allonge de sept ou huit mois à plus de neuf pourrait donner l’impression que ce milieu sahélien appartient à l’immense ensemble désertique. La sécheresse de plus en plus marquée d’octobre à juin est encore aggravée par le souffle (N.-N.-E. - S.-S.-O.) de l’alizé continental, l’harmattan , venu du Sahara. Les nuits sont alors fraîches au Sahel, et les écarts diurnes de température très marqués. Tout au long des premiers mois de l’année, le thermomètre est orienté à la hausse. Vers avril-mai, la canicule règne. Partout, au moins de novembre à mai, l’évaporation est considérable, alors qu’il ne tombe pratiquement aucune pluie. Niamey enregistre en moyenne 6 millimètres de précipitations pour cette période, alors que l’évaporation potentielle atteint 2 500 millimètres!

C’est à l’approche de l’été dans l’hémisphère Nord que le Sahel se démarque totalement du désert et affirme son appartenance au domaine tropical humide au moment de la saison des pluies, «l’hivernage», dont le cœur se situe au mois d’août. C’est à partir des relevés pluviométriques moyens que l’on se risque à une délimitation du Sahel. On peut sans doute valablement retenir le tracé des isohyètes annuelles moyennes, 150-200 millimètres au nord, au contact du désert, et 600 millimètres au sud: au-delà, c’est le Soudan. Ainsi borné, le Sahel s’allonge en une longue lanière courant des rivages de l’Atlantique à ceux de l’océan Indien. Ici, après avoir contourné par le sud l’Éthiopie, il touche presque à l’équateur au Kenya, alors qu’il se situe à hauteur du lac Tchad, vers 13-160 et à 15-190, tout à fait à l’ouest du continent.

Si ce total moyen des précipitations fournit le meilleur critère de délimitation, force est de reconnaître que les données sont très largement théoriques, puisque, pour chaque station, il apparaît d’importantes différences dans les caractéristiques et le déroulement des hivernages successifs. La date des «premières pluies» peut être très variable et la répartition de celles qui suivront très irrégulière. Certaines années où le total des précipitations peut apparaître «normal» sont, de ce fait, très défavorables pour l’environnement. Mais ce sont les variations interannuelles des précipitations qui retiennent le plus l’attention. De 3 à 4 au sud du Sahel, le rapport entre maximum et minimum annuels des pluies enregistrées pour une station passe à 10 au contact du désert. Autant dire que plus le total des précipitations est faible, plus est grande l’incertitude des prévisions propres à chaque hivernage. Les fluctuations contradictoires sont fréquentes d’une année à l’autre et, pour la même année, les situations sont souvent très différentes d’une station à ses voisines. Cependant, il apparaît, depuis que l’on dispose de relevés météorologiques d’ensemble réguliers, c’est-à-dire depuis la veille de la Première Guerre mondiale, que se dessinent des séquences d’années favorables ou non. Ainsi, pour ne citer que celles-ci, se définissent au Sahel trois périodes sèches contemporaines: 1912-1915, 1940-1944 et 1968-1973, soit un rythme presque trentenaire. La dernière série de ces mauvaises années, aux conséquences douloureuses, a été d’autant plus ressentie qu’elle succédait à une période exceptionnellement humide depuis le début de la décennie 1950. Maradi, au Niger, dont la moyenne s’était établie à 653 millimètres entre 1949 et 1967, n’a reçu que 288 millimètres de pluies en 1972, après plusieurs années déjà nettement déficitaires. Louga, au Sénégal, a enregistré 156 millimètres la même année, contre une moyenne de 481 millimètres entre 1949 et 1967. On pourrait multiplier les exemples. Si l’on trace sur la carte le réseau des isohyètes de l’année 1972, on se rend compte qu’au regard du tracé des moyennes tout se passe comme si le Sahel avait été repoussé alors de 200 à 300 kilomètres vers le sud. Il apparaît donc comme une zone de transition mobile entre le désert et le Soudan.

Ces aléas pluviométriques interannuels du Sahel sont à mettre au compte de l’incertitude des déplacements du front intertropical qui sépare l’air sec de l’harmattan au nord de l’air humide de la mousson au sud. Quand le front monte haut vers le nord en été (200 env.) et s’y tient un temps assez long, le Sahel est baigné en arrière par un air de la mousson relativement épais: les pluies sont abondantes et la saison humide de bonne durée. Par contre, si le front s’arrête plus au sud, l’air humide peu épais ne délivre que de faibles pluies. En outre, l’air sec qui avait été refoulé vers le nord, au sol et en altitude, avance vers le sud au gré des «battements» journaliers de cette surface de discontinuité. De longs intermèdes secs entre les averses ont des effets désastreux sur la végétation. C’est d’ailleurs l’état de celle-ci qui conditionne les jugements que l’on peut porter sur les différents hivernages. Comme le remarque le géographe Edmond Bernus, la sécheresse 1968-1973 n’a pas été plus rigoureuse, en ce qui concerne les chiffres, que celles des mauvaises périodes précédentes. Mais ses effets ont été incontestablement plus lourds. Ils se traduisent par une dégradation d’ensemble de la végétation, par un appauvrissement quantitatif et qualitatif des pâturages et par la désertification.

La plupart des auteurs tiennent pour acquis, à partir d’arguments géologiques, hydrologiques et paléontologiques, que depuis plusieurs dizaines de millénaires le Sahel est repoussé vers le sud et donc que le désert gagne. À l’ère quaternaire, sans doute entre 20 000 et 10 000 B.P., l’Ogolien représente, à la fin de la dernière glaciation, une période aride au cours de laquelle les ensembles dunaires du Sahel se mettent en place. Après une période plus humide, depuis environ 4 000 ans le Sahel connaîtrait une nouvelle oscillation négative. Les géographes C. Toupet et S. Daveau estiment que, depuis le Moyen Âge, le Sahel mauritano-sénégalais aurait connu une régression vers le sud de 200 kilomètres environ. Certes, dans cette période les responsabilités de l’homme sont souvent en cause, mais elles ne feraient qu’aggraver, par crises, une dégradation climatique très lente.

La végétation

Steppe arbustive ou buissonnante, brousse arborée, scrub épineux, quel que soit le terme générique utilisé pour qualifier la formation végétale caractéristique du Sahel, référence est faite, comme pour le Soudan, à la présence de l’herbe et des arbres. Mais ici, la strate herbacée, à la différence de celle du Soudan, est une formation «ouverte» à faible taux de couverture du sol. Elle est faite de touffes discontinues où les feux de brousse ne se propagent guère. Le «cram-cram» (Cenchrus biflorus ) qui, pour beaucoup d’auteurs, limite le Sahel vers le nord, Panicum laethum , Eragrostis linearis ou Aristida ascensionis sont les espèces les plus représentatives d’un échantillon très varié. Ces herbes sont essentiellement des «géophytes» ou «éphémères» vivaces qui, par leur bulbe ou leur rhizome, survivent à la saison sèche. Ce sont aussi des «thérophytes», graminées naturelles qui connaissent une régénération à la première pluie grâce à leurs graines à «dormance» prolongée. Ces plantes constituent les «pâturages» du Sahel dont la productivité ou «biomasse» varie considérablement en fonction des précipitations, de la nature des sols et de la présence ou non de nappes aquifères. Ce sont les pacages des vallées alluviales submergées par la crue en fin d’hivernage qui offrent les meilleures possibilités en saison sèche. Les prairies à vétiver (Vetiveria nigritana ) et surtout les «bourgoutières» (Echinochloa stanigna ) attirent alors tous les éleveurs.

Les arbres – souvent de simples arbustes tourmentés, rabougris, à l’écorce épaisse – appartiennent surtout à la famille des mimosacées. Ce sont avant tout des acacias (Acacia sénégal , le gommier, Acacia laethum , Acacia nilotica ou Acacia raddiana aux rameaux étalés en parasol). S’ajoutent Balanites aegyptiaca aux longues épines, Commiphora africana , Grewia bicolor , etc. Vers le sud, Faidherbia albida , célèbre pour son étrangeté (il est dépouillé de feuilles en saison des pluies), Adansonia digitata (le Baobab) et, à l’est du Sénégal, le karité (Vittelaria paradoxa ) annoncent le Soudan. Dénudés en saison sèche, les arbres du Sahel se parent de petites feuilles avec les premières pluies. Les épines sont classiques, surtout au nord où les arbres sont épars, alors que vers le sud ils peuvent être denses au point de constituer de véritables forêts claires. Au long des vallées, comme les dallols et gulbis du Niger, les acacias (Acacia nilotica ou gonakié) et les plantes buissonnantes s’associent à des palmiers comme le rônier (Borassus aethiopum ) et le doum (Hyphaene thebaica ) qui profitent de l’humidité relative du sol.

L’hydrologie

La dégradation du réseau hydrographique par écoulement temporaire est, sauf le cas particulier des grands fleuves qui traversent le Sahel en étrangers, un caractère général. L’écoulement de surface, du fait de l’infiltration considérable et de la forte évaporation, ne mobilise qu’une faible partie des eaux de pluie. Au cœur des épandages sableux, les eaux se rassemblent dans les creux des dunes en mares, précieuses en début de saison sèche. Le régime endoréique des collecteurs ou bathas débouchant dans des dépressions marécageuses, où les eaux stagnent et s’évaporent, est fréquent. Enfin, le système d’oueds dont l’écoulement temporaire se fait par des crues violentes d’hivernage, qui se perdent rapidement vers l’aval de vallées très larges héritées des périodes humides du Quaternaire, est général dans le cas de nombreux affluents du Niger (dallols) ou du Sénégal (Gorgol et vallées mortes du Ferlo). En dépit de leurs insuffisances et de leurs caprices, les cours d’eau sahéliens sont précieux pour l’homme. Par leur écoulement apparent ou souterrain (inféro-flux), ils fournissent de l’eau et permettent des cultures de décrue.

Mais les grands fleuves venus des régions humides du Sud constituent finalement le domaine privilégié. Le Sénégal, le Niger, le Chari, le Logone et les Nil Bleu et Blanc ont, certes, le défaut d’être soumis à des régimes tropicaux contrastés les réduisant à un très faible écoulement en fin de saison sèche (de février à juin). Ils ne permettent alors ni une véritable navigation ni d’importants prélèvements d’eau à l’époque où celle-ci manque le plus. Mais les superficies immenses des lits majeurs, surtout dans le «delta intérieur» du Niger, sont disponibles pour la culture sur un sol humidifié par le flot de crue venu du sud. Les bourgoutières sont précieuses pour l’élevage. On a pu calculer que les fleuves apportent 75 p. 100 des ressources en eau utilisable du Sahel. Aussi, tous les plans de sauvegarde et de développement prévoient l’aménagement de ces fleuves par des ouvrages de régularisation permettant la navigation et la pratique de l’irrigation.

Le lac Tchad est, vers 280 mètres d’altitude, le témoin de la mer intérieure «paléotchadienne» qui, lors des périodes humides du Quaternaire, a occupé pratiquement toute l’immense cuvette bordée par de hauts reliefs. Aujourd’hui, la surface du lac oscille de 13 000 à 25 000 kilomètres carrés pour des différences de niveau inférieures à un mètre, entre décembre-janvier où la crue du Chari est maximale et juillet, période de basses eaux. Ces apports considérables font que les eaux sont douces au sud, ce qui autorise la culture. La faune aquatique, peu utilisée, est très abondante.

On prend aussi en compte aujourd’hui le rôle que peuvent jouer les nappes phréatiques. Ces réserves profondes (de 250 à 300 m), localisées surtout dans le domaine sédimentaire, devront cependant être utilisées avec prudence, car ce sont des nappes fossiles sans doute non réapprovisionnées.

Les paysages physiques

Le Sahel est le domaine du sable et de la roche. L’épandage des sables est l’héritage de la phase la plus aride du Quaternaire moyen. Il a conduit à la mise en place d’alignements dunaires de direction E.-N.-E. - O.-S.-O. (celle des vents dominants) faits de sables rouges en surface et séparés par des couloirs parallèles. Le tracé de ces dunes est partout lisible au nord d’une ligne assez tourmentée centrée sur 150 de latitude nord à l’ouest du Niger et vers 130 à l’est. Mais, sans topographie dunaire marquée, ces épandages s’avancent par plaques encore plus loin vers le sud. Partout où ils ne sont pas fixés par la végétation, ces sables sont remaniés par le vent, singulièrement en saison sèche. On comprend que les sols du Sahel aient une «fraction» sable élevée, qu’ils soient «ferrugineux tropicaux» au sud ou «brun-rouge» subarides au nord. Ils conviennent à la culture puisqu’ils sont meubles. Mais ils sont une proie facile pour le vent qui exporte facilement leurs particules fines. Par ailleurs, ils sont pauvres en humus et en bases assimilables.

En même temps que le rôle majeur des sables, le milieu sahélien met en évidence celui de la roche affleurante attaquée par la désagrégation mécanique et, en saison des pluies, par le ruissellement. Les inselbergs de forme pyramidale, comme ceux qui parsèment le pays Regueibat de Mauritanie ou la région de Zinder, les reliefs gréseux ruiniformes et majestueux comme ceux du Hombori, et les talus continus, telle la «falaise» de Bandiagara, sont parfaitement dégagés. À leur pied, des «pédiments» en pente assez forte s’ennoient vers l’aval sous les sables des plaines, comme celle du Gondo au pied de la falaise de Bandiagara. Mais ces paysages sont compliqués par les héritages paléoclimatiques. Ainsi, les cuirasses – témoins de périodes plus humides – arment toute la dalle gréseuse du Ferlo aride au Sénégal, et elles remontent loin vers le nord au Niger occidental et au Tégama, où elles donnent les reliefs tabulaires culminants (fakara ) couverts au mieux par la médiocre «brousse tigrée».

2. Les activités humaines

L’élevage

Le Sahel, «steppe arrosée chaque année», est d’abord un pays de bergers. Se rencontrent ici Sahariens et Sahéliens. Ceux-ci sont les Peuls, dont l’origine est encore mal élucidée, mais qui sont sans doute d’ascendance blanche. Ils seraient venus de Nubie. Grands et minces, élégants par leur visage cuivré à traits fins et leur port hiératique, ils ont la passion du «bœuf inutile» qui est davantage raison de vivre que moyen. Ce sont à la lettre des transhumants. Ils se déplacent des pâturages de saison sèche, sur le bord des fleuves, aux pâtures, reverdies en saison des pluies, du Sahel et du nord du Soudan. Dès les premières pluies, leurs troupeaux de bovins et de caprins, qui leur procurent le lait consommé caillé, se dispersent dans tout le Sahel et sont menés aux mares salées. À la fin de l’hivernage, c’est d’abord le repli vers les mares. Et puis, alors que la saison sèche s’avance, les troupeaux sont concentrés près des points d’eau permanents où chaque famille dispose de pâturages: avant tout, les rives du Sénégal et du Niger ou le pourtour du lac Tchad. Ces éleveurs qui, en plus de leurs bêtes, ont la garde de celles des agriculteurs, perdent de plus en plus de leur mobilité. Les progrès de l’agriculture pendant la période coloniale ont réduit leur domaine de parcours. La compétition est vive aujourd’hui pour l’utilisation des terres inondables des vallées. Les conflits avec les agriculteurs sont multiples; cependant, les liens sont nombreux. Pasteurs et paysans passent des contrats de fumure, font des échanges, et les Peuls prennent de plus en plus d’intérêt à la culture.

Les Sahariens sont les grands nomades. Ils se répartissent de l’ouest à l’est en trois grands groupes séparés les uns des autres, au désert, par les étendues désolées du Tanezrouft et du Ténéré. Les Maures, les Touaregs et les Toubous fréquentent au sud le Sahel, où ils pratiquent une transhumance «inverse» qui les mène sur les rives des fleuves en saison sèche. Leurs déplacements, qui ne sont fixes ni dans le temps ni dans l’espace, sont commandés par l’impérieuse nécessité de trouver de l’eau et de l’herbe. En général, chaque caste occupe un district bien délimité. Les longs déplacements imposent une grande mobilité de tout le groupe. Alors que les Peuls vivent sous la case végétale hémisphérique, les Sahariens s’abritent sous la tente de cuir. Ils élèvent des chameaux, des ovins et des caprins, animaux qui sont les mieux adaptés aux longs trajets et à la médiocrité des ressources. Les chameaux ont fait de ces Sahariens les spécialistes du transport: ils apportent au Soudan le sel du désert et participent à la traite de l’arachide pour le compte des agriculteurs. Mais au Sahel, les bœufs font partie du troupeau et sont souvent utilisés comme bêtes de bât.

Lieu de rassemblement tout ou partie de l’année, le Sahel, rétréci par les empiétements des agriculteurs, ne saurait accueillir un nombre indéfini d’hommes et d’animaux. Un bœuf demande ici au moins 40 litres d’eau tous les deux jours et autour de huit hectares de mauvais pâturage par an. Si l’on estime avec la F.A.O. que 150 millions d’hectares seulement ont vocation à l’élevage, on comprend que le troupeau, évalué à près de 23 millions de têtes en 1970, ait été alors trop important. De même, d’ailleurs, que les hommes passés de un à deux millions en trente ans environ. La paix de la période coloniale, l’élimination des famines catastrophiques et l’action des services de santé expliquent la progression rapide du nombre des éleveurs, alors que la vaccination a permis la prolifération de leurs bêtes. Une série d’années défavorables comme celles de 1968 à 1973 ne pouvait alors conduire qu’à la catastrophe, d’autant plus que, chez les jeunes au moins, l’oubli des techniques traditionnelles d’organisation de l’espace et la perte de la cohésion du groupe plaçaient les hommes et les troupeaux en situation de moindre résistance. La famine a durement frappé les hommes et les a souvent conduits vers les villes; les troupeaux ont été décimés et l’environnement saccagé. Certes, aux premières pluies normales, l’herbe a généralement reverdi, sauf souvent dans les zones de piétinement autour des mares et des puits, mais les arbres ont été durement touchés. Nombre des plus âgés sont morts sur pied et beaucoup des arbustes ont succombé sous la hache des hommes qui les ébranchent ou sous la dent des chèvres.

Cet élevage fréquemment déprédateur et qui ne profite en rien à l’agriculture n’a finalement qu’une faible valeur économique. La productivité en viande et en lait des bêtes est particulièrement faible et les peaux alimentent surtout l’artisanat local. Cependant, le commerce du bétail, acheminé à pied vers les pays humides du Sud par des routes séculaires, constitue un élément important des recettes extérieures des pays du Sahel. C’est au long de ces routes que les Dioulas et les Haoussas, commerçants avisés, ont propagé l’islam.

L’agriculture et la pêche

L’agriculture est, au Sahel, la spécialité des peuples noirs, en extrême avancée vers le nord du système du Soudan. La culture «sous pluie» du mil et de plantes annexes (haricots, «niébés» et cucurbitacées) en est la base. Alors que la partie sud du Sahel, avec plus de 500 millimètres de précipitations, peut assurer une rentabilité honorable, du moins en année normale, la culture tentée plus au nord tient largement de la «loterie». Si les sols sableux meubles conviennent à la culture pour peu que les pluies soient suffisantes, ils sont aussi très fragiles. La culture prudente doit être suivie de longues périodes de repos du sol permettant une régénération de la végétation naturelle. Quinze à vingt ans de jachère suivaient quatre à cinq ans de culture dans le Sahel peu peuplé d’avant la colonisation. Mais la poussée démographique de tous côtés et, dans le sud du Sahel, surtout au Sénégal et au Niger, l’expansion de la culture de l’arachide pour la commercialisation ont bouleversé ces pratiques. Les temps de repos du sol ont été considérablement réduits. Dès avant la Première Guerre mondiale, les sols du Cayor, au nord du Sénégal, étaient très appauvris. Un front pionnier de l’arachide a progressé vers le sud-est dans le Sine-Saloum, mais aussi vers les «terres neuves» ingrates du Ferlo. Par contre, au Niger, après 1945 surtout, les progrès de la culture de l’arachide autour de Maradi et de Zinder ont conduit à l’avancée vers le nord de cultures de mil destiné à la vente aux éleveurs. Ainsi, la limite de l’agriculture a été reportée d’au moins 100 kilomètres dans le domaine pastoral, sans que la réglementation imposée par les autorités soit de quelque efficacité. À l’occasion des années sèches 1968-1973, les conséquences d’une telle évolution se sont révélées dramatiques. Les récoltes ont été le plus souvent calamiteuses et, depuis, le déficit vivrier est devenu situation normale au Sahel. Les cultures d’arachide ont été aussi durement touchées, surtout au Niger.

Pourtant, cette situation pourrait être largement évitée si les capacités de culture irriguée du Sahel étaient utilisées pleinement. Malheureusement, il n’est pas né ici, sur les bords des grands fleuves, de grandes civilisations agricoles liées à la maîtrise de l’eau comme le long du Nil ou de l’Indus. Certes, par rapport au Soudan, la saison sèche n’est pas synonyme de repos pour les riverains du Sénégal, du Niger, du Chari et du Logone. Aux cultures sous pluie succèdent celles qui sont entreprises sur les terres des lits majeurs couvertes par les eaux vers la fin de l’hivernage. Le long du Niger, dans le delta intérieur et en amont de Niamey, et sur le moyen Logone, le riz est cultivé par inondation. Dans la vallée du Sénégal, les Toucouleurs cultivent le sorgho dans le «Walo» après le retrait de la crue. On retrouve les mêmes cultures sur la rive gauche du Logone et sur le Chari. Pour des surfaces moindres, les lits de tous les oueds fournissent la possibilité de cultiver du sorgho, de la canne à sucre, des légumes et un peu de coton. Mais si toutes ces productions constituent un appoint essentiel aux cultures sous pluie, elles sont très fluctuantes. Car, en l’absence de toute maîtrise des eaux, les superficies cultivables sont commandées par le niveau, très variable, des crues. En année sèche, les cultures sous pluie donnent des résultats décevants et, circonstance aggravante, les surfaces utilisables en inondation ou en décrue sont alors restreintes. Ainsi, sur le Sénégal, alors qu’en année normale 150 000 hectares sont utilisables, 15 000 seulement ont pu être ensemencés en sorgho en 1972. La même année au Mali, 5 000 hectares de rizières ont produit, contre 40 000 à 50 000 hectares en moyenne.

Ce sont les riverains de ces fleuves qui se livrent à la pêche. Alors qu’elle est peu importante sur le Sénégal, qu’elle pourrait être beaucoup plus développée sur le lac Tchad, elle est une ressource essentielle du delta intérieur du Niger. Ce sont avant tout des spécialistes, les Bozo et les Somono, qui s’y livrent. Leurs prises alimentent, surtout à Mopti, une importante préparation de poisson séché et fumé qui est vendu dans toute l’Afrique occidentale.

3. L’avenir du Sahel

Les projets de développement

Les calamités naturelles et les «agressions» d’hommes et d’animaux pléthoriques font du Sahel actuel une terre d’angoisse dont l’avenir apparaît pour le moins inquiétant. C’est pourtant la partie de l’Afrique noire qui jusqu’au Moyen Âge a vu fleurir les grands Empires (Gh na, Mali, Songhay), se multiplier les cités légendaires, véritables «ports» du désert, telles Djenné, Tombouctou et les villes haoussas, et s’épanouir des civilisations brillantes imprégnées d’islam.

Il s’agit aujourd’hui de sauver le Sahel. Certes, la détresse des mauvaises années a pu être allégée par les dons massifs de vivres de l’Occident. Cette aide devra se poursuivre pendant de nombreuses années. Mais une action décisive de développement est devenue indispensable. Elle est préparée par des organismes créés pour la circonstance. Le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse du Sahel (C.I.L.S.S.) groupe huit pays qui reçoivent une aide des pays occidentaux et arabes et des Nations unies. Un «Club des amis du Sahel» regroupe les pays de l’O.C.D.E. et les États membres du C.I.L.S.S. Il s’agit «d’assurer à long terme l’autosuffisance du Sahel en matière alimentaire dans un système écologique stable quels que soient les aléas climatiques». Les «stratégies» envisagées sont multiples. Le développement des cultures sèches pourrait être assuré par l’utilisation de variétés de plantes à cycle court, la mise en culture de nouveaux terroirs et l’adoption de la culture attelée légère. Le développement des cultures irriguées sera de toute évidence fondamental. Le long du Sénégal, dans le delta intérieur du Niger et au Tchad, 700 000 hectares pourraient être aménagés contre 120 000 aujourd’hui. L’élevage extensif serait amélioré, dans le Nord, par la sélection des bêtes et par l’utilisation plus rationnelle des pâturages. Les domaines irrigués comprendraient des périmètres de culture fourragère pour l’embouche. L’hydraulique pastorale serait réaménagée, des pistes à bétail tracées et des marchés organisés. Enfin, une route moderne transsahélienne relierait les différents pays entre eux. La production d’énergie serait assurée par l’hydro-électricité et par des installations solaires.

La réalisation de ces projets demandera beaucoup de temps et sera fort coûteuse. De plus, elle ne manquera pas de poser des questions assez inquiétantes, si l’on fait référence aux mécomptes répétés des tentatives anciennes et actuelles visant à développer le Sahel. De 1964 à 1969, au Sénégal, l’«opération arachide-mil» avait pour but de promouvoir un progrès marqué des rendements en surmontant les aléas climatiques par la culture attelée, l’emploi de semences sélectionnées et celui des engrais. En dépit des mérites de l’encadrement et de la participation active des paysans, les années sèches ont eu raison du projet. L’énorme opération de «l’Office du Niger» entreprise depuis 1932 avait pour but de cultiver en irrigation et par colonat 900 000 hectares de riz et de coton. On n’a jamais dépassé 50 000 hectares, et le coton est abandonné au profit très partiel de la canne à sucre. Les colons, peu nombreux par rapport au projet initial, n’entretiennent pas les ouvrages hydrauliques qui exigent une rénovation totale. Enfin, la pléthore des salariés fait de l’Office un gouffre à crédits. À ses portes, en l’absence totale de coordination, des «Opérations riz» connaissent de multiples difficultés. En attendant les réalisations considérables entamées sur le fleuve Sénégal par l’O.M.V.S. (Organisation de mise en valeur de la vallée du Sénégal), la S.A.E.D., ou Société d’aménagement des terres du delta (et de la vallée), connaît des difficultés considérables dans la gestion des cuvettes rizicoles aménagées et des périmètres cultivés en tomate. Elle a côtoyé à plusieurs reprises la catastrophe.

La survie du Sahel est liée à la réussite des actions entreprises ou prévues. Celle-ci dépend avant tout de l’attitude des populations et de leur participation active. Les projets se doivent de tenir compte de leurs aspirations et de leur réserver de larges possibilités d’initiative. Il faut s’armer de patience et considérer que la réussite demandera de longs délais. Puisse la nature n’être pas trop cruelle pendant cette période.

sahel [ saɛl ] n. m.
XIXe; n. pr. 1857; ar. sahil « rivage »
Géogr.
1Région de collines littorales en Algérie et en Tunisie. Zone de transition entre les zones désertiques et celles où règne le climat tropical humide soudanien. Les pays du Sahel : Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina-Faso, Niger, Tchad, Soudan. La famine menace les habitants du Sahel.
2Vent du désert (Sud marocain) (aussi chergui, sirocco).

Sahel
(le) ensemble de steppes bordant le sud du Sahara. Cette région (de la Mauritanie au Soudan), caractérisée par une brève saison des pluies, a connu en 1972-1973 une sécheresse désastreuse dont les effets ont perduré. Géogr. - Le Sahel est un domaine écologique tropical que caractérisent une longue saison sèche (7 à 10 mois), la concentration estivale de pluies peu abondantes et surtout très irrégulières, l'importance de formations végétales steppiques à plantes herbacées annuelles, le triomphe des acacias et des épineux. Il s'étendrait du sud du Sahara avec l'apparition d'une graminée nommée cram-cram (Cenchrus biflorus) jusqu'aux lisières des forêts claires et des savanes arborées soudaniennes. Ses limites demeurent floues et mouvantes. Les précipitations annuelles oscillent entre 100 et 150 mm au nord, contre 500 et 700 mm au sud. La saison des pluies (hivernage) diminue du sud au nord: 5 mois à Bamako (juin-oct.), 2 mois à Tombouctou (juil.-août). La définition politique du Sahel n'est guère plus satisfaisante: neuf pays (en tout 5,3 millions de km², env. 50 millions d'hab.) sont réunis, depuis 1971, au sein du Comité inter-états de lutte contre la sécheresse du Sahel (CILSS). Les plus typiquement sahéliens sont le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Le Soudan n'en est pas membre, contrairement à la Guinée-Bissau, à la Gambie et aux îles du Cap-Vert, dont les climats, à latitude comparable, sont plus humides. Les pluviomètres installés à partir de 1920 montrent que la quantité totale des pluies joue moins que leur répartition sur la croissance végétale. Lorsque la pluie est inférieure à 10 mm par semaine sur un sol gravillonnaire et 3 mm sur un sol sableux, la sécheresse survient. Le doublement de la population en moins de cinquante ans, l'augmentation des cultures industrielles (arachide, coton), l'accroissement des besoins en viande lié à l'urbanisation ont transformé les anciens systèmes agraires et pastoraux: abandons des jachères, extension spectaculaire des superficies cultivées ou utilisées par les troupeaux. à la faveur des décennies plus humides, l'occupation agricole a progressé en latitude, le domaine cultivé a empiété sur les aires de parcours des éleveurs. Là où les densités de population étaient déjà fortes (pays sérère au Sénégal, pays mossi au Burkina Faso), la saturation des terroirs et leur dégradation sont manifestes: disparition des jachères, épuisement des sols, recul du couvert arboré, qui permettait de maintenir la fertilité des sols et de nourrir les bovins en saison sèche. Sur les fronts pionniers, moins peuplés, la couverture végétale des sols sablonneux a été mise à mal par les défrichements expéditifs et le surpâturage. Pour survivre, éleveurs et agriculteurs gagnent les marges mieux arrosées: il y aurait plus de 2 millions de Burkinabés en Côte d'Ivoire; plus de 1,5 million de Maliens vivraient hors de chez eux. En 1920, la zone sahélienne comptait moins de 1 % de citadins; en l'an 2000, il y en aura probablement plus de 40 %; en 1993, le taux d'urbanisation atteignait 47 % en Mauritanie et 40 % au Sénégal. Cette urbanisation accélérée, à laquelle participent aussi les petites villes, n'a pas de contrepartie productive.
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Sahel
(le) terme désignant une région côtière formée de collines sableuses, en Afrique du Nord.

⇒SAHEL, subst. masc.
A. — GÉOGRAPHIE
1. [En Afrique du Nord] Région de collines littorales. Sahel algérien; sahel d'Oran, d'Alger; sahel de Bizerte, de Sousse, de Sfax. Des vies s'écoulaient sous le soleil, dans les marécages salés de ce qui est devenu le riche Sahel, ou sur les plateaux surchauffés, du côté du Sétif, où le blé a poussé en d'interminables champs (Le Figaro littér., 22 juin 1987, p. III, col. 3).
2. [En Afrique tropicale, au sud du Sahara] Région définie par un climat de transition entre le climat désertique et le climat soudanien, s'étendant de Dakar à la Mer Rouge. Désertification du Sahel; villageois du Sahel, sahel de la Mer Rouge; Sahel soudanien. Après les années de sécheresse, les pays du Sahel sont confrontés aux pluies de criquets (...) ces acridiens auront (...) ravagé pendant 20 ans tout le continent africain au sud du Sahara (CAES INFO, mars 1988, p. 9, col. 1).
P. métaph. Un kremlinologue de haute lice me reprocha un jour d'avoir parlé de « Sahel dans la Beauce » à propos de la Roumanie (L'Événement du jeudi, 12-18 sept. 1985, p. 30, col. 1).
B. — MÉTÉOR. ,,Vent fort et poussiéreux de désert au Maroc`` (VILLEN. 1974).
Prononc. :[]. Gén. avec une majuscule pour le nom fr. en Algérie. Étymol. et Hist. 1. a) 1667 Séhel « région de collines sableuses » (L'Afrique de Marmol, de la trad. de N. Perrot d'Ablancourt, t. 3, p. 42: [les Arabes] appellent les sablons où il n'y a aucune verdure, Séhel [...] et les gros sablons pierreux, Sahara); 1839 Sahel (Baron TAYLOR et L. REYBAUD, La Syrie, l'Égypte, la Palestine et la Judée, 1er vol., p. 25 ds NASSER Thèse compl., p. 155: le Sahel lisière maritime [au Liban]); 1846 sahel (C. LEYNADIER et G. CLAUSEL, Hist. de l'Algérie fr., I, p. 309 ds QUEM. DDL t. 33); b) ca 1901 « zone de transition entre les zones désertiques et celles où règne le climat soudanien » (Gde encyclop.); 2. 1964 « vent du désert (sud marocain) » (Lar. encyclop.). Empr. à l'ar. « rivage de la mer, littoral; sirocco très fort, au Maroc » (DOZY t. 1, p. 637a pour ce dernier sens).
DÉR. Sahélien, -ienne, adj. et subst. masc. a) Adj., géogr. Qui est propre, qui appartient au Sahel ou à une des régions appelées sahels. Climat sahélien; région, zone sahélienne. En Afrique (...) on rencontre tour à tour le domaine soudanien (...) et le domaine sahélien occupé par des steppes à Mimosées (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 2, 1931, p. 536). b) Adj. et subst. masc., géol. (Formation) dont la faune est intermédiaire entre celle du Miocène et celle du Pliocène, et qui est typique dans le sahel d'Oran. Étage sahélien; le Sahélien. Certains auteurs en font une assise du Miocène supérieur, contemporaine du pontien; d'autres rattachent le sahélien au Pliocène inférieur (Lar. encyclop.). [], fém. [-]. 1res attest. a) 1858 géol. (N. A. POMEL ds C. r. de l'Ac. des sc., t. 47, p. 853: la formation sédimentaire [...] constitue un terrain nouveau que je nomme Sahélien), b) 1900 géogr. (A. CHEVALIER, Les zones et les provinces botaniques de l'A.O.F. ds C. r. de l'Ac. des Sc., t. 130, p. 1206: zone sahélienne... soudanienne... guinéenne); de sahel, suff. -ien. Bbg. QUEM. DDL t. 33 (s.v. sahel).

sahel [saɛl] n. m.
ÉTYM. Mil. XIXe, comme nom propre (1857, Fromentin, in l'Artiste); arabe sāḥǐl « rivage ».
tableau Mots français d'origine arabe.
Géographie.
1 a Région de collines littorales, en Algérie et en Tunisie. || Une année dans le Sahel, de Fromentin (1859).
b Zone de transition entre les zones désertiques et celles où règne le climat soudanais. || Un sahel. || La famine due à la sécheresse menace régulièrement les habitants du Sahel.
2 Vent du désert (Sud marocain). → Chergui, sirocco.
DÉR. Sahélien.

Encyclopédie Universelle. 2012.