RÉCESSION
Le terme de récession désigne un certain type de conjoncture. Il caractérise, dans le mouvement général de l’activité économique, une phase de ralentissement succédant à une phase d’expansion. À la différence de la dépression, la récession n’implique pas une chute apparente et durable des indices du niveau de l’activité; elle se traduit le plus souvent par une simple inflexion de la croissance économique. Le phénomène des récessions, au cours des «Trente Glorieuses», représente ainsi une atténuation de la sévérité des retournements conjoncturels. Moins grave qu’une crise économique, il est aussi plus fréquent. Il correspond à des mouvements cycliques de courte périodicité par rapport à un mouvement tendanciel de croissance à taux élevé. L’atténuation des forces dépressives et le renforcement des facteurs stimulant la demande effective et la productivité, en comparaison de la période précédant la Seconde Guerre mondiale, contribuent à expliquer ces transformations des rythmes cycliques. L’atténuation des phénomènes dépressifs est aussi explicable par une meilleure maîtrise de la conjoncture au moyen des politiques de régulation. La persistance de tendances inflationnistes, malgré l’accroissement du chômage pendant les phases de récession, montre néanmoins les limites des politiques de stabilisation.
Les récessions diffèrent des dépressions de la période du capitalisme libéral non seulement en degré, mais en nature: elles sont la rançon de politiques de régulation et de processus de croissance à taux élevé dans un capitalisme soumis à l’intervention active des pouvoirs publics. Dans la mesure où la stabilisation du niveau général des prix ne peut être obtenue que grâce au sous-emploi et au ralentissement momentané de la croissance de la production, les récessions ne sont plus l’expression d’un rythme cyclique spontané de l’activité économique. Elles n’en constituent pas moins, jusqu’à l’entrée en crise de l’économie dans les années 1970, une des notions clés de l’analyse macro-économique.
1. Le diagnostic par indicateurs
Pour diagnostiquer une récession, un certain nombre d’indicateurs peuvent être retenus; ils seront disposés en séries chronologiques dont on étudiera les variations dans le temps par comparaison de données rapprochées (par exemple: séries mensuelles, trimestrielles, annuelles), après avoir éliminé l’effet des fluctuations saisonnières sur les données observées.
Les indicateurs les plus couramment utilisés sont relatifs à la production: indice de volume (à prix constant) du P.N.B. (produit national brut) ou de la P.I.B. (production intérieure brute), et indice de la production industrielle, bâtiment exclu. La récession est alors une notion relative, qui correspond le plus souvent non à une diminution du niveau de la production, mais simplement à une diminution de son taux d’accroissement calculé sur une base trimestrielle ou annuelle. Une économie en récession est donc une économie caractérisée par de faibles taux de croissance plutôt que par une chute absolue des indices de production.
Le caractère relatif de ce repérage pose le problème du taux de croissance pris comme norme. On retient souvent, suivant des méthodes d’origine américaine, le taux de croissance constant, définissant un trend (ou «tendance») exponentiel de croissance potentielle. Ce taux est défini comme permettant le plein-emploi de la main-d’œuvre et des potentialités d’accroissement de la productivité moyenne du travail, à un niveau de pression de la demande globale jugé compatible avec le maintien des grands équilibres et à un taux de hausse des prix jugé suffisamment faible. Les périodes de récession sont alors les périodes pendant lesquelles la courbe observée s’écarte du trend de la croissance potentielle à taux constant, représenté par une droite à échelle semi-logarithmique, dans le sens d’une diminution des taux de croissance effectifs (cf. figure).
Cela implique que, par symétrie avec les phénomènes de surchauffe de la période d’expansion, la récession soit accompagnée de phénomènes inverses, à savoir d’une diminution de la pression de la demande effective par rapport au niveau jugé normal en situation de plein-emploi.
Lorsque le produit potentiel n’est pas calculé, d’autres indices peuvent être utilisés pour mesurer l’écart de façon plus approximative: par exemple, divers indices du degré d’utilisation de la capacité, ou encore un indice des goulets d’étranglement en matière de production, en France, à partir des renseignements fournis par les enquêtes d’opinion conduites périodiquement auprès des chefs d’entreprise.
Un autre procédé d’identification des phases de récession consiste à prendre pour norme le taux de croissance annuel moyen de la production retenu par le plan. En France, à l’occasion de l’élaboration du Ve plan (antérieure de quelques années à sa réalisation, 1966-1970), un certain nombre d’indicateurs d’alerte (encore appelés «clignotants») avaient été retenus. Deux d’entre eux, en relation respectivement avec l’objectif de stabilité des prix (comportement de l’indice des prix à la consommation) et avec l’objectif d’équilibre des échanges extérieurs (variation du taux de couverture des exportations par les importations), servaient à repérer les pressions inflationnistes: le dépassement du seuil d’alerte indiquait une pression excessive de la demande. Quatre autres, liés à l’objectif de croissance de la production, devaient permettre de détecter les tendances à la récession.
Deux indicateurs d’alerte étaient fournis par le calcul des taux de croissance de la production intérieure brute et des dépenses d’investissement productif dans les comptes annuels de la nation, le seuil d’alerte étant atteint avec un taux inférieur à 2 p. 100 dans le premier cas et à 2,5 p. 100 dans le second cas. Un troisième indicateur d’alerte était donné par l’indice mensuel de la production industrielle, bâtiment exclu, après correction des variations saisonnières; l’alerte était déclenchée par le franchissement d’un seuil de 2 p. 100 de croissance minimale des données mensuelles recalculées sur base annuelle en moyenne mobile sur les douze mois précédents, pendant trois mois consécutifs. Dans ce cas, le seuil d’alerte était atteint lorsque les données trimestrielles laissaient présumer que l’économie s’établissait sur un trend de croissance égal ou inférieur à un taux annuel de 2 p. 100.
Un dernier indicateur concernait les demandes d’emploi non satisfaites: le seuil d’alerte était atteint lorsque le nombre de personnes à la recherche d’un emploi (calculé en appliquant aux statistiques mensuelles des demandeurs d’emploi un coefficient correcteur déterminé par des enquêtes bisannuelles) atteignait ou dépassait 2,5 p. 100 de la population active pendant trois mois consécutifs.
Plusieurs de ces indicateurs d’alerte ont été utilisés pendant la durée d’application du Ve plan. À l’occasion de la mise en œuvre du VIe plan, un tel procédé a cependant été abandonné. Dans son application, il était critiquable, du fait du retard avec lequel les indicateurs d’alerte fonctionnaient; il représentait plus une justification des interventions stabilisatrices, dans le sens de la reflation , qu’une méthode de prévision des récessions. Dans son principe théorique, la prise en considération du taux de croissance de la production fixé par le plan, en tant que norme, suppose une exacte prévision, par les rédacteurs du plan, du taux de la croissance potentielle sur une période de cinq ans.
2. Les méthodes de prévision
Toute prévision sur la production et l’emploi réalisée à partir d’un petit nombre de séries choisies avec quelque arbitraire est un procédé contestable. Il y a tout intérêt à substituer à de simples techniques de repérage des récessions, intervenant plus ou moins rétrospectivement, des méthodes de prévision plus rigoureuses.
Parmi celles-ci, on peut examiner les méthodes mises au point aux États-Unis par le N.B.E.R. (National Bureau of Economic Research) et illustrées par les travaux de W. C. Mitchell, de A. F. Burns et, enfin, de G. Moore et de J. Shiskin. Elles ont amené à prendre en considération le plus grand nombre possible de séries statistiques différentes pour en étudier les comportements cycliques et rechercher les relations que ces séries ont entre elles – une ambition dont les limites ont été fortement élargies par les progrès du calcul électronique. Dans les relations des séries entre elles, on peut utiliser, à des fins de prévision, cette particularité qu’est le phénomène de précession offert par certaines séries: des indices tels que ceux du cours des valeurs mobilières, de la durée du travail dans l’industrie, des marges de profit, etc., fluctuent antérieurement à d’autres et avec suffisamment d’avance sur l’apparition des points de renversement du cycle de référence ou d’un indice des séries agrégées pour que l’on puisse prévoir avec une probabilité suffisante l’apparition d’une récession.
À titre d’exemple, l’indice des valeurs mobilières aux États-Unis, de 1900 à 1960, a anticipé avec cinq mois d’avance et dans 75 p. 100 des cas le renversement général de la conjoncture dans le sens de la récession (en valeur médiane); en effet, on n’a compté que six cas où les fluctuations de cet indice ont correspondu à des cycles spécifiques sans relation avec la conjoncture générale (et dont la prise en compte pouvait donc nuire à l’exactitude des prévisions), alors que le nombre d’observations mensuelles nécessaires, par ailleurs, pour établir l’existence d’un point de renversement propre à la série ne s’élevait qu’à deux. Des chiffres analogues apparaîtraient en ce qui concerne l’application de cet indice à la prévision des reprises; dans ce cas, le point de renversement correspondant anticipe, dans 70 p. 100 des cas, de six mois la reprise générale.
Par comparaison, l’indice du nombre des nouvelles incorporations (c’est-à-dire la constitution de sociétés anonymes), au cours de la même période aux États-Unis, donne les résultats suivants: il y a anticipation correcte des récessions dans 70 p. 100 des cas et des reprises dans 75 p. 100, avec des avances médianes de douze et sept mois respectivement, et seulement deux cycles spécifiques sans relation avec la conjoncture générale; mais il faut tenir compte de la nécessité de six observations mensuelles de variations dans le même sens pour être en droit de conclure à un renversement dans l’évolution cyclique de la série.
La méthode suppose le traitement d’un très grand nombre d’indices et leur classification en trois groupes, suivant que les points de renversement précèdent (leading indicators ) l’évolution générale, sont en concomitance avec elle (coincident indicators ) ou la suivent avec retard (lagging indicators ); cela suppose aussi une révision périodique de la classification, ce qui accroît le caractère empirique de la méthode.
La méthode dite des indices de diffusion est complémentaire de celle des leading indicators. Elle consiste à mesurer la proportion en principe croissante du nombre des séries qui composent l’indice d’ensemble et qui ont déjà subi le renversement dans le sens de la récession (il en va de même pour la reprise).
3. Synchronisme des récessions
La régularité d’apparition des récessions, dans le monde occidental d’après guerre, est-elle suffisante pour que l’on puisse affirmer qu’elles montrent la persistance d’un rythme cyclique? La réponse doit être positive, tant à l’échelle internationale qu’à celle des économies nationales. Les récessions à l’échelle des économies nationales ont été fréquentes, d’intensité variable, mais d’une durée nettement plus courte que celle des périodes d’expansion, leur sévérité n’ayant jamais atteint, en termes non seulement de fluctuations de la production et des prix mais aussi de fluctuations de l’emploi, la gravité des dépressions antérieures à 1939.
De plus, la synchronisation des récessions tend à apparaître de mieux en mieux à l’échelle internationale. En prenant les récessions survenues aux États-Unis comme termes de référence, on constate par exemple que la récession qui a suivi, dans l’économie mondiale, le «boom» provoqué par le déclenchement de la guerre de Corée en 1950 s’est située entre deux récessions américaines, celle de 1949 et celle de 1953-1954. La récession de 1957 aux États-Unis trouve par contre son équivalent à peu près au même moment en Europe occidentale. Après la récession américaine de 1960, le synchronisme a été moins évident, tant du fait de l’échelonnement des récessions dans les pays d’Europe occidentale au cours des années suivantes que du fait de la durée exceptionnelle de l’expansion suivante aux États-Unis (1961-1966), qui fut encouragée par le retard pris sur la croissance potentielle (cf. figure) et par le changement de politique favorisant le rattrapage de tendance.
En revanche, en 1966-1967, la récession a été générale dans le monde, et le même phénomène tend à se reproduire à partir de 1971. Si l’on choisit comme indicateur de la sévérité d’une récession la chute en valeur absolue sur un ou plusieurs trimestres de l’indice de la production industrielle ou de l’indice des dépenses d’investissement dans l’industrie, ces phénomènes n’ont été vérifiés que dans certaines récessions aux États-Unis et en Allemagne occidentale. C’est aussi dans ces pays que les récessions ont eu les durées les plus courtes.
Toutefois, en Grande-Bretagne et en France, le rythme cyclique n’est pas aussi apparent sur la même période. Les phases de récession tendent à y être plus longues et à s’y manifester plutôt sous forme du passage d’un taux de croissance élevé à un taux plus faible. Le phénomène de récession, en tant que phase du cycle, est altéré en Grande-Bretagne par une tendance plus durable sans doute à la «stagflation», c’est-à-dire à la persistance des tendances inflationnistes malgré le chômage; alors, un faible taux de croissance a plus d’effet défavorable sur l’emploi qu’il n’en a sur la productivité, et l’abaissement de la pression de la demande effective ne suffit pas de son côté à faire disparaître les tendances à l’inflation par les coûts.
En France, la durée des périodes de ralentissement de la croissance ne peut s’interpréter uniquement en invoquant les récessions en tant que phénomènes cycliques, indépendamment de la durée des plans de stabilisation, c’est-à-dire d’un ensemble de mesures de politiques économiques ayant pour but une stabilisation prioritaire des prix et impliquant une politique de restriction de la demande effective par rapport à ce qu’impliquerait, au même moment, une utilisation intégrale du potentiel de croissance.
Les explications théoriques du renversement de la conjoncture de l’expansion dans le sens de la récession appartiennent à la théorie des cycles économiques et ont déjà été présentées sous cette rubrique. Il convient néanmoins de conclure à une certaine spécificité des récessions par rapport au phénomène cyclique. Leur moindre gravité par rapport aux crises antérieures a marqué l’érosion du mouvement cyclique, autant à cause des politiques plus actives de direction de l’économie que du jeu de tendances spontanées à la croissance. Les récessions dénotent alors les limites, voire la contrepartie négative, des politiques de régulation de la croissance.
récession [ resesjɔ̃ ] n. f.
1 ♦ Didact. Action de se retirer. ⇒ recul. Récession des galaxies, des nébuleuses, leur éloignement progressif. ⇒ fuite.
2 ♦ (1954; angl. recession) Ralentissement du rythme de croissance de l'activité économique. ⇒ crise, dépression. Une période de récession.
⊗ CONTR. Avance, progrès. Expansion.
● récession nom féminin (anglais recession, du latin recessio) Ralentissement ou fléchissement de l'activité économique. Mouvement de fuite des galaxies les unes par rapport aux autres, avec une vitesse proportionnelle à leur distance. ● récession (expressions) nom féminin (anglais recession, du latin recessio) Récession glaciaire, recul des glaciers.
récession
n. f.
d1./d ASTRO Récession (ou fuite) des galaxies: éloignement progressif des galaxies les unes par rapport aux autres, à une vitesse proportionnelle à leur distance.
d2./d Fig. Ralentissement de l'activité économique d'un pays. Période de récession.
⇒RÉCESSION, subst. fém.
A. — ASTRON. Éloignement progressif des galaxies les unes des autres. Récession des nébuleuses. La vitesse de récession est sensiblement proportionnelle à la distance de la nébuleuse (MULLER 1980).
B. — SC. DE LA TERRE
1. Décroissance du débit d'une source, ensemble de la décrue et du tarissement (d'apr. CAST.-MARGAT 1977).
2. Récession glaciaire. ,,Rétraction des glaciers se traduisant par une diminution de la surface qu'ils recouvrent`` (Géomorph. 1979). Synon. recul, déglaciation.
C. — ÉCON. Ralentissement de l'activité économique d'un pays, caractérisé par une diminution de l'investissement et une augmentation du chômage, mais n'affectant pas nécessairement le mouvement des prix (d'apr. BARR. 1974). Au printemps de 1949, on se préoccupait encore de réduire l'inflation quand la Federal Reserve reconnut une récession âgée de quelques mois et se mit à octroyer plus largement le crédit (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 545). Si le processus de ralentissement prend un caractère cumulatif et n'est pas enrayé, la récession peut déboucher sur une véritable dépression présentant alors tous les aspects d'une crise (BERN.-COLLI Extr. 1976).
Prononc.:[], [-se-]. Étymol. et Hist. 1. 1864 « retrait progressif » (C.r. de l'Ac. des Sc. t. 58, p. 408); 2. 1949 astron. (Nouv. Lar. univ.); 3. 1954 écon. (J. MORAND, France-Observateur, 6 mars, p. 14 ds REY-GAGNON Anglic.). Empr. au lat. recessio « action de s'éloigner par une marche en arrière, de se retirer », dér. de recedere (v. récessif). Cf. aussi l'angl. recession, att. dep. le XVIIe s. (NED) et dont l'empl. en écon. (1929 ds NED Suppl.2) est prob. à l'orig. du sens 3.
récession [ʀesesjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1870; lat. recessio, à l'accusatif; de re- « en arrière », et cedere « aller ».
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1 Didact. Action de se retirer, mouvement en arrière. ⇒ Recul. || « La récession graduelle et spontanée (du renne) par suite de changement dans les conditions climatériques » (in Littré).
♦ Astron. || Récession (ou fuite) des galaxies, des nébuleuses, leur éloignement progressif, avec des vitesses radiales proportionnelles à leurs distances moyennes de notre galaxie.
1 Un mouvement de récession des galaxies, s'il existe, se traduit non seulement par un décalage relatif des raies spectrales, mais également par une diminution des magnitudes apparentes.
Tardi, Cours d'astrophysique générale.
2 (1954; angl. recession). Écon. Recul, régression (des ventes, de la production, des investissements). ⇒ Crise, dépression.
2 L'expérience désastreuse de la crise qui a débuté par le krach financier de Wall Street en 1929 (…) a rendu les Américains ingénieux à veiller sur les symptômes (…) d'engorgement de l'économie, de dépression, désormais appelée récession.
P. George, Précis de géographie économique, p. 47.
3 (L'emploi du mot) récession (…) marque l'hypocrisie des hommes publics devant les termes de sens précis et grave, comme crise.
Étiemble, Poétique comparée, Cours de Sorbonne, 1959-1960, p. 103.
3 Didact. Recul.
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CONTR. Avance, progrès.
DÉR. Récessif.
Encyclopédie Universelle. 2012.