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PRODUCTION ET SURPRODUCTION
PRODUCTION ET SURPRODUCTION

Les biens directement utilisables n’existant, dans la nature, qu’en quantité limitée, la survie et le développement de l’espèce humaine n’ont été possibles qu’au prix de la mise en œuvre par le travail des ressources disponibles. La finalité de la production est la satisfaction des besoins. La production se situe dans la durée; elle n’est possible que dans la mesure où des biens accumulés permettent d’attendre la fin du processus. La production réalisée dans une période implique donc l’utilisation conjointe du travail de l’homme et d’un produit épargné, le capital, résultat d’un travail antérieur. Parce qu’elle requiert du travail et du capital, la production a un aspect négatif, son coût, qui n’est rien d’autre que l’utilité des biens et les satisfactions auxquelles on a dû renoncer pour produire.

Activité économique essentielle, la production se définit de façon différente dans le temps et l’espace. Si l’on admet partout que l’agriculture et l’industrie produisent, peut-on aller plus loin et considérer que le commerce et les services rendus par les entreprises, les administrations et les domestiques sont productifs? Le souci de mesurer et de comparer les productions des différents pays implique l’uniformisation de méthodes d’évaluation qui comportent toutes une part d’arbitraire et ne cernent qu’imparfaitement la réalité. Les comparaisons internationales font apparaître de très grandes disparités non seulement entre le produit global et le produit par tête des différents pays, mais aussi entre les techniques, les motivations et les systèmes généraux d’organisation de la production. La division du travail et la spécialisation des tâches permettant une meilleure utilisation des ressources et une augmentation de la productivité du travail ont fait de la production un phénomène collectif, tandis qu’avec l’apparition de l’«économie marchande» la consommation est devenue individuelle: la production pour l’échange n’a plus eu pour but la satisfaction des besoins solvables; elle s’est orientée en fonction des critères de profit et de rentabilité. Si le mobile de la recherche des richesses a permis le développement économique et a favorisé le progrès technique, l’accroissement général de la production et du niveau de vie, il a conduit à des disparités et à l’injustice sociale, à une mauvaise répartition des produits et des revenus, à la fois entre les groupes sociaux et les nations. La pensée socialiste condamnait ces conséquences du capitalisme et elle établit un système économique où la production n’était plus orientée par la recherche du profit, mais par le souci de satisfaire, pour tous, les besoins jugés prioritaires et définis par le Plan.

La théorie de la production, élaborée progressivement, est restée pendant longtemps un domaine restreint de l’analyse économique. Elle a pour but de préciser les conditions dans lesquelles les facteurs de production sont combinés et de déterminer les conditions techniquement optimales d’utilisation. L’instrument d’analyse est la fonction de production qui établit une relation entre les quantités de produit (output ) et les quantités de facteurs (input ). Cette fonction n’est qu’une relation technique qui donne un éventail de solutions possibles entre lesquelles le choix économique se fera, compte tenu d’un système de prix et d’un critère de rentabilité maximale. La forme de la fonction détermine alors, en partie, la structure des coûts. Si l’économie d’entreprise a affiné l’instrument d’analyse qu’est la fonction de production pour la rendre plus proche du réel, son intérêt a été discuté au niveau de l’analyse globale. On lui a reproché l’usage contestable qui en a été fait dans l’étude de la répartition des revenus et son caractère inadéquat pour l’analyse de certains aspects de l’équilibre économique général. Des travaux (T. Jalling, C. Koopmans, G. Debreu) ont débouché sur l’analyse d’activité et une «théorie générale» de la production. Avec l’étude des effets du progrès technique et de la croissance économique, la fonction de production a connu, depuis 1960, un regain de faveur.

Enfin, la production débouche sur le problème de l’équilibre général et le paradoxe d’une surproduction qui peut coexister avec la pénurie et engendrer la pauvreté. L’économie de marché, avec son interdépendance des agents économiques, devrait conduire, selon ses adeptes, à un équilibre optimal. La réalité est autre , et si l’équilibre s’établit automatiquement, on est maintenant certain qu’il peut ne pas être optimal. L’État doit intervenir pour réaliser à la fois la justice sociale et l’efficacité, mais tous n’admettent pas cette intervention, au demeurant délicate.

1. Concept de production

Bien que le mot soit d’un usage courant, la définition de la production soulève quelques difficultés, car des divergences apparaissent selon qu’on se place sous l’angle de la technique, de l’économie ou de la statistique.

Du concept technique au concept économique

Du point de vue technique, la production est l’ensemble des opérations qui permettent d’obtenir, par la combinaison et la transformation de biens existants, mais imparfaitement utilisables, des biens nouveaux, mieux adaptés à la satisfaction d’un besoin. La production n’est pas une création physique absolue, mais une série de transformations successives.

Les économistes vont au-delà de cette transformation matérielle et privilégient le lien qui s’établit entre production et satisfaction des besoins, ou consommation. Leur concept est beaucoup plus large et, d’une façon générale, la production est définie comme la création d’utilités. Cette définition, à laquelle est parvenue la pensée occidentale au début du XXe siècle et qui est le résultat d’un élargissement progressif du concept, n’est pas acceptée par les économistes socialistes.

À la fin du XVIIIe siècle, pour les physiocrates, seules l’activité agricole est productrice et créatrice de richesse. L’industrie et le commerce sont, pour eux, des activités «stériles» qui ne font que transformer ou déplacer des biens déjà créés. C’est la nature et non l’homme qui joue le rôle essentiel dans l’activité productrice; seule la nature permet d’obtenir un produit net , c’est-à-dire une richesse supérieure à celle qui a été apportée sous forme d’avances à la terre .

Les économistes classiques, en particulier Malthus en Angleterre, Say en France, critiquent, dès le début du XIXe siècle, cette conception restrictive.

Pour Malthus, l’activité industrielle a un caractère productif, mais la production se limite à la transformation des objets matériels; Say va plus loin: pour lui, la fourniture de service est une production. Dans ce domaine, il fait figure de précurseur, mais il faudra attendre la fin du siècle pour que cette conception soit généralement admise.

Marx, qui s’inspire de la pensée de Malthus et de Ricardo, les suivra dans leur conception des richesses et de l’activité productive. Pour lui, seul le travail est créateur de richesses, donc productif, mais la production reste limitée au domine des biens matériels et exclut les services. La pensée socialiste conservera jusqu’à nos jours cette définition restrictive de la production.

Produire, c’est donc créer des utilités. Si cette définition a l’avantge de montrer que la finalité de la production n’est pas en elle-même et qu’elle est nécessairement subordonnée à la satisfaction des besoins, donc à la consommation, elle a l’inconvénient d’être mal adaptée aux problèmes d’évaluation et de mesure.

Évaluation statistique de la production

La détermination et l’évaluation de la production sur le plan global, que ce soit à l’échelle d’une région ou à celle de la nation, posent une série de problèmes: le choix des différents éléments qui seront retenus pour constituer l’agrégat, la mesure de la contribution nette de l’activité nationale et l’agrégation de quantités physiques hétérogènes.

Il y a différentes façons de résoudre ces problèmes, et toute solution adoptée conserve une part d’arbitraire. Une comparaison internationale correcte implique que les méthodes de mesure soient identiques; pourtant, malgré un effort d’harmonisation et de normalisation, des divergences notables subsistent.

Production nationale et produit national

Au sens le plus large, la production nationale comprend les biens matériels et les services, ou bien rendus par les entreprises privées et offerts sur le marché, ou bien par des services publics, et non commercialisés. On ne tient pas compte des services rendus à soi-même ni du travail de la ménagère. Les services commercialisés sont évalués dans les comptabilités nationales occidentales et s’ajoutent à la production matérielle, que celle-ci soit offerte sur le marché ou autoconsommée; les pays socialistes ne comptabilisent pas les services, restant ainsi fidèles à la conception marxiste de la production. La comptabilité nationale française adopte une solution intermédiaire. Tandis que l’O.N.U. et l’O.C.D.E (Organisation de coopération et de développement économiques) ont mis sur pied un système normalisé de comptabilité qui retient, pour l’évaluation de la production nationale, à côté des biens matériels et des services commercialisés, les services rendus par les administrations et par les employés des ménages, la comptabilité nationale française fait une distinction entre la production nationale (biens matériels et services commercialisés) et le produit national qui est alors un agrégat normalisé qui comprend, en plus de la production proprement dite, les évaluations des services des administrations et des services des domestiques.

Production totale et production finale

Une mesure correcte de la production nationale implique qu’on ne retienne que l’apport net de chaque participant. La production totale est la somme des chiffres d’affaires des différentes entreprises. On comptabilise ainsi non seulement la valeur créée par l’entreprise, mais aussi la consommation intermédiaire constituée par les achats aux autres entreprises. Certaines productions sont donc comptées plusieurs fois et le résultat est dépourvu de signification, dans la mesure où il dépend surtout de la structure industrielle et de la plus ou moins grande intégration (ou concentration verticale) des entreprises. La production finale est, au contraire, la somme des valeurs ajoutées par les entreprises. Elle seule est significative et traduit véritablement l’effort de production: au niveau de l’entreprise, le chiffre d’affaires (ou production) est la somme de la consommation intermédiaire et de la valeur ajoutée, tandis qu’au niveau de la nation la somme des chiffres d’affaires (ou production totale) est différente de la somme des valeurs ajoutées (ou production finale).

Alors que les pays occidentaux mesurent la production nationale à partir des valeurs ajoutées par les entreprises, les administrations et les ménages, les pays socialistes, et en particulier l’Union soviétique, totalisent les productions totales brutes des différents secteurs d’activité.

Un souci de précision conduit enfin à retrancher de la production intérieure brute l’amortissement du capital pour obtenir la production nette, mais les difficultés d’évaluation de l’amortissement et le caractère arbitraire de sa détermination font que l’on préfère souvent les chiffres bruts.

L’agrégation des données

La dernière difficulté de la mesure de la production sur le plan global vient du caractère hétérogène de celle-ci et de l’impossibilité d’additionner des quantités physiques de nature différente. Il est nécessaire d’évaluer, en se référant à un système de prix, ce qui introduit une nouvelle part d’arbitraire rendant les comparaisons délicates, puisque la structure des prix relatifs varie dans le temps et dans l’espace.

Dans un système d’économie de marché, les prix traduisent les raretés et les utilités relatives des différents biens, et le commerce international doit conduire à une harmonisation relative de la structure des prix permettant des comparaisons dans l’espace. Dans un système d’économie de plan, les prix ont un caractère politique. Ils ne sont plus le résultat spontané traduisant les désirs des consommateurs et les raretés relatives, mais sont déterminés, a priori, par les organes du Plan, en fonction d’un objectif d’intérêt général. Ils peuvent être indépendants des coûts effectifs de production. L’évaluation du produit national est donc liée à cette structure de prix variable et les mêmes quantités physiques peuvent conduire, avec des systèmes de prix différents, à des résultats différents. En réalité, même dans les pays occidentaux, la structure des prix est en partie artificielle, dans la mesure où l’on y introduit de nombreux «prix politiques», comme c’est le cas en particulier pour les tarifs de transports collectifs. Le calcul économique et les comparaisons internationales sont donc faussés.

Les comparaisons dans le temps sont possibles si les évaluations sont faites à prix constants, ce qui élimine les distorsions dues aux variations des «prix courants». Cependant, le choix de la période de référence reste arbitraire et le résultat dépendra en partie de ce choix. L’étude de l’évolution de la production est facilitée par le calcul d’indices qui permettent la comparaison immédiate entre la situation d’une période donnée et celle d’une période de base choisie comme référence.

Les formules d’indices de production sont nombreuses. L’une des plus courantes est la formule de Laspeyres:

Elle consiste à faire le rapport de la moyenne arithmétique pondérée (par le prix p j 0 de la période de base) des j quantités produites pendant la période i (soit q i j ) à la moyenne pondérée des quantités q j 0 produites pendant la période de base (on multiplie le rapport par 100 pour limiter les décimales).

En général, les indices de la production ne sont calculés que pour certains secteurs de l’activité économique. L’indice le plus courant est, dans ce domaine, celui de la production industrielle. En France, l’I.N.S.E.E. calcule selon la formule de Laspeyres un indice de la production industrielle ayant pour base 1959 et où les quantités sont pondérées par les valeurs ajoutées brutes au coût des facteurs.

2. Modalités de la production

La production est toujours le résultat du travail de l’homme, mais, parce qu’elle n’est pas instantanée, il est nécessaire de disposer, pendant la période de production, des subsistances, c’est-à-dire de biens de consommation déjà produits. Le recours à l’outil, puis à la machine permet ou bien de diminuer le temps de production, ou bien, ce qui revient au même, de limiter la main-d’œuvre nécessaire, donc d’économiser les subsistances. Les subsistances et l’outil sont ainsi deux aspects du capital technique, le capital circulant et le capital fixe. Travail et capital sont deux facteurs de production indispensables l’un et l’autre. Enfin, le travail de l’homme peut être facilité par le concours des forces et des ressources naturelles, et cette contribution, déterminante pour l’agriculture, secondaire pour l’industrie, constitue le «facteur nature».

La production est le résultat de la combinaison des facteurs de production: nature, capital et travail. La pensée marxiste considère que seul le travail est productif, le capital n’étant que du «travail cristallisé», celui des périodes précédentes. Il est évident que le capital, produit d’un travail préalable, n’a d’autre spécificité que celle qui lui vient d’être du travail incorporé dans un produit et, par là même, susceptible d’être dissocié de son producteur.

Cette production peut être réalisée suivant des modalités très différentes; les rapports entre les facteurs de production dépendent du cadre juridique et psychosociologique dans lequel la production s’insère et sont modifiés par l’évolution des techniques. Enfin, la nature même de l’activité conditionne la possibilité d’introduction du progrès technique, et les problèmes de production sont donc différents dans l’agriculture, l’industrie ou le secteur tertiaire.

Systèmes économiques

C’est surtout la composante technique qui permet d’opposer les systèmes des économies en voie de développement aux économies développées des systèmes capitalistes ou socialistes.

Les économies peu développées

Les économies peu développées sont caractérisées par la fragmentation de l’espace économique. La production et l’échange s’effectuent, pour des raisons techniques, dans un cadre territorial étroit. L’exiguïté de ce cadre facilite une certaine adaptation de la production aux besoins, mais limite la spécialisation des tâches et freine le progrès technique.

Dans les économies les plus primitives (système de l’économie domaniale fermée de l’Europe occidentale du VIIIe siècle, par exemple), la spécialisation des activités n’existe pratiquement qu’à l’intérieur du groupe social (clan, tribu, famille, domaine, etc.). Le mobile de la production est la survie du groupe; la production est autoconsommée; les échanges sont occasionnels et ne portent que sur des surplus ou des produits rares; le marché n’existe pas. La faible spécialisation limite la productivité et le niveau de vie; les techniques sont rudimentaires et à base d’outils; enfin, l’activité générale est surtout agricole.

À un niveau de développement supérieur (économie artisanale urbaine de l’Europe occidentale du XIIIe siècle, par exemple), la spécialisation des tâches est plus poussée, car, à côté de l’agriculture, la ville se consacre à l’artisanat et au commerce. Les échanges se multiplient, mais, pour le principal, s’effectuent dans un espace extrêmement fragmenté. Le mobile de l’activité économique est la satisfaction de besoins qui restent limités; la recherche des richesses et des satisfactions matérielles est, en général, condamnée par les autorités religieuses, et les préoccupations mythiques ou spirituelles l’emportent. Le marché existe, mais son étroitesse et les faibles incitations économiques freinent le progrès technique et la croissance. Les techniques, bien que plus élaborées, restent à base d’outils; le rythme de la production est étroitement lié à une demande qui la précède en général dans le temps; l’artisan ne court aucun risque proprement économique.

Les économies développées

Les économies développées se caractérisent par un élargissement de l’espace économique autorisé par les progrès techniques réalisés dans les transports et les moyens de communication.

La spécialisation et la division du travail sont poussées à l’extrême. Elles rendent possibles l’utilisation des machines, l’accroissement de la productivité du travail, dans des proportions autrefois inconcevables, et la production de masse; elles entraînent aussi une augmentation de l’interdépendance des agents économiques. Enfin, le développement du machinisme et la rationalisation qui en est le corollaire bouleversent la nature du travail des hommes ainsi que leurs conditions de vie. L’adoption des techniques modernes de production entraîne non seulement l’accroissement du volume de la production, mais aussi la diversification et l’amélioration de la qualité des produits. Le rythme de la production devient en partie indépendant du travail de l’homme. À la différence de l’outil qui ne fait que prolonger le bras, la machine utilise une énergie extérieure à l’homme et lui impose son rythme; mais, au-delà de la mécanisation qui implique la collaboration de l’homme et de la machine, l’automation aura pour effet que la machine produira seule, en fonction d’un programme qui lui est fixé par l’homme.

La production, diversifiée en ce qui concerne les types de produits, sera, dans un premier temps, uniformisée, chaque type de produit étant fourni en grandes séries; mais, avec le progrès de l’automation, il sera possible de travailler sur des séries plus petites sans augmenter les coûts. La production de masse permet d’abaisser les coûts et d’élargir les débouchés par une diminution du prix de vente. Elle implique la consommation de masse et l’élévation du niveau de vie.

Cependant, cette évolution des techniques accroît la fragilité de l’économie en diminuant la fluidité du travail et du capital technique, en imposant un allongement du processus de production, l’augmentation du capital technique et sa concentration dans des unités de production de grandes dimensions. L’interdépendance accrue des agents économiques, conséquence de la spécialisation, fait sans doute prendre conscience de la solidarité humaine, mais elle accroît également les difficultés de l’adaptation de l’offre et de la demande et compromet la stabilité des économies nationales. L’échange devient fondamental; la production est destinée à l’échange; l’offre est faite pour appeler la demande. En effet, le problème de l’équilibre des productions devient capital, puisque la décision de produire n’est plus la conséquence d’une demande préalable, l’offre allant au-devant de la demande.

Les conditions modernes de la production ont des conséquences sociales ambiguës. En plus de l’élévation du niveau de vie, la réduction des temps de travail contribue à la «libération de l’homme», mais la spécialisation et le machinisme augmentent la monotonie des tâches et font disparaître le lien établi autrefois entre le maître et l’œuvre, pour ne conserver du travail que les aspects négatifs. Enfin, en modifiant les proportions de travail et de capital nécessaires, le progrès technique peut provoquer, à court terme, un «chômage technologique» et, en modifiant la structure qualitative de la main-d’œuvre nécessaire, poser de délicats problèmes d’adaptation.

Système capitaliste et système socialiste

Le cadre institutionnel et psychosociologique permet d’opposer les systèmes de l’économie de marché et de l’économie de plan. Le but de la production est toujours la satisfaction des besoins et la réalisation de l’«intérêt général», mais, d’un système à l’autre, les conceptions varient. Dans l’économie capitaliste et libérale, on admet que l’intérêt général se réalise spontanément à la convergence des intérêts particuliers: chacun s’efforce de satisfaire ses besoins appréciés subjectivement sous la contrainte de la solvabilité, c’est-à-dire de la création préalable d’un revenu. Dans l’économie socialiste, cet intérêt général est défini a priori par les gouvernements qui déterminent une structure, jugée par eux optimale, des besoins individuels, qui sont donc définis objectivement sur le plan social, et la liberté de choix du consommateur est limitée. En économie de marché, la production est libre; elle s’oriente vers la satisfaction des besoins solvables, tandis qu’en économie de plan la production est réglementée et sa structure définie en fonction des objectifs à atteindre.

L’entreprise est, dans le système capitaliste, l’unité économique de production. L’entrepreneur combine les facteurs qu’il se procure sur les marchés du travail et du capital pour fournir ce qu’il offre sur le marché de produits [cf. ENTREPRISE]. La liberté d’entreprise est la règle, et le choix des techniques de production n’est en principe limité que par le souci de la salubrité publique. Le but est de réaliser des bénéfices qui résultent de la vente sur le marché à un prix supérieur au coût. Ce profit est incertain dans la mesure où le prix de vente effectif, qui dépend de la demande, peut être insuffisant pour couvrir les coûts. Ce risque économique légitime le profit, et la concurrence oblige à rechercher les techniques de production qui, en réduisant les coûts, permettent de maintenir ou d’accroître les profits malgré une baisse du prix de vente impliquée par l’élargissement du marché. Le profit est un critère d’efficacité et sa recherche est le mobile de la production. La structure effective de la production est donc le résultat spontané d’une série d’ajustements entre l’offre et la demande; elle est déterminée exclusivement par le critère de la rentabilité; elle s’oriente vers la satisfaction des besoins solvables et conduit à une «injustice sociale» dans la mesure où des besoins élémentaires non solvables ne sont pas satisfaits, tandis que des besoins de luxe, socialement discutables, le sont.

Les unités de production doivent, en économie planifiée, réaliser l’objectif préalablement défini en fonction de choix politiques. Ce sont les services du Plan qui précisent les activités jugées prioritaires et se chargent de l’affectation des ressources. Si le souci d’efficacité demeure, la notion de rentabilité perd toute signification. Le prix de vente des produits est fixé par les services centraux et peut être inférieur au prix de revient; le déficit n’est plus nécessairement le signe d’une mauvaise gestion; il peut être le résultat d’un choix politique. Le rejet des règles du marché implique une coordination préalable de l’ensemble de la structure de la production; aussi le risque d’un défaut de prévision est-il l’apparition de «goulets d’étranglement» dans certains secteurs capables, parfois, de bloquer de nombreux domaines de l’activité économique. Enfin, l’abandon du critère de rentabilité complique le calcul économique et compromet la réalisation des objectifs au moindre coût.

Si la planification est appliquée à la quasi-totalité de l’activité économique dans les pays socialistes, les économies capitalistes ont évolué et s’efforcent de concilier les principes du plan et du marché. Sous la pression des partis ouvriers et des circonstances historiques (guerres mondiales, crise de 1929, etc.), les pouvoirs publics ont dû intervenir dans l’économie et développer un secteur d’exploitations publiques à caractère industriel et commercial. Ce fut le cas en particulier en France. Ces exploitations peuvent être gérées comme des entreprises privées, selon le principe de la rentabilité, mais, le plus souvent, leur but est la satisfaction des besoins jugés prioritaires, à des prix qui peuvent être simplement égaux ou même inférieurs aux coûts, le déficit étant alors à la charge du Trésor public.

Le souci de rationaliser l’intervention de l’État dans le domaine de l’économie a fait adopter des techniques de «planification souple». La production reste, pour l’essentiel, orientée par la demande solvable des consommateurs; elle est assurée par l’entreprise privée, mais l’État intervient par l’intermédiaire du secteur public et par ses dépenses; il s’efforce d’orienter les choix et les productions du secteur privé par la concertation et les incitations fiscales. Ce système devrait permettre d’éviter certains inconvénients de l’économie de marché sans recourir aux techniques rigides de la planification impérative.

Natures d’activité

La production agricole

Les facteurs naturels conditionnent étroitement les productions végétales et animales. Celles-ci sont soumises à un rythme biologique sur lequel le progrès technique n’a que peu d’effets et les facteurs climatologiques donnent au résultat un caractère aléatoire. Cela freine l’introduction des techniques modernes dans l’agriculture et limite la spécialisation des exploitations.

Le recours au machinisme libère de la main-d’œuvre en permettant d’effectuer les travaux plus rapidement, mais il n’accroît les rendements par unité de surface que dans une faible proportion. Les méthodes scientifiques de culture et d’élevage (analyse des sols, emploi des engrais, sélection des espèces, etc.) permettent d’obtenir de meilleurs résultats; la productivité augmente, mais cet accroissement est sans commune mesure avec les effets de la révolution technologique sur l’industrie.

L’expansion de la production agricole, au moins dans les pays riches, est d’ailleurs freinée par la relative stabilité de la demande de produits alimentaires. Alors que la demande de produits industriels croît en même temps que la population et le niveau de vie, celle des produits alimentaires n’est que fort peu sensible à la hausse des revenus dès qu’un certain niveau de vie a été atteint. Cette faible stimulation de la demande est peu favorable au progrès technique et à la recherche d’un accroissement de la productivité. C’est surtout la pénurie de main-d’œuvre qui, dans les pays développés, a rendu la mécanisation nécessaire. Cependant, la grande spécialisation des machines et la faible durée d’utilisation au cours de l’année pèsent lourdement sur les coûts de production.

Le caractère aléatoire du résultat rend difficile l’adaptation de l’offre à une demande relativement rigide. Pour certains produits, les rendements à l’hectare peuvent varier d’une année à l’autre de 1 à 8. Les prix et les revenus sont instables et cette incertitude accroît les dangers de la spécialisation et compromet la mécanisation. La quasi-impossibilité de la prévision limite les possibilités de planification des productions agricoles; cela explique, en partie, les difficultés rencontrées dans ce domaine par l’Union soviétique.

Le secteur tertiaire

Les activités tertiaires sont productrices de «biens immatériels», les services. Par nature, ceux-ci ne peuvent être stockés, et la production est directement liée à la demande. La productivité dépend non seulement du travail et du capital utilisés, mais aussi du rythme de formulation de la demande. Si cette dernière subit des variations saisonnières ou horaires, le capital nécessaire pour faire face aux «pointes» sera, le plus souvent, inemployé, ce qui entraînera une hausse du coût d’exploitation normale.

Une autre particularité concerne les effets très variables du machinisme et des techniques modernes. Jusqu’à la révolution informatique, l’introduction de la machine n’a été possible, sauf dans le secteur des transports, que pour des opérations de portée limitée, et elle a diminué la main-d’œuvre nécessaire sans accroître sensiblement la production. Souvent même, le progrès technique a permis d’améliorer la qualité du service, mais sans provoquer d’abaissement des coûts et sans diminuer la main-d’œuvre nécessaire. L’importance du facteur humain et de la qualification de la main-d’œuvre, le sous-emploi temporaire de celle-ci et la faible mécanisation conduisent, à la fois, à la hausse relative des coûts des services et au gonflement des effectifs.

3. Théorie de la production

La fonction de production est l’instrument d’analyse des lois techniques de la production. Elle permet de résoudre le problème économique de l’affectation optimale des ressources.

Fonction de production

La fonction de production est une relation technique établie entre des quantités de facteurs (input) et des quantités de produit (output). Dans le cas d’une production simple limitée à un seul produit (ou à un groupe de produits considéré comme homogène), la fonction se formule de façon explicite par une seule équation:

x étant la quantité de produit, les y i les quantités de facteurs.

Les dérivées partielles du premier ordre de la fonction mesurent les productivités marginales des facteurs et les dérivées du second ordre les accélérations de la production par rapport à l’emploi des facteurs. L’élasticité ( 﨎i ) de la production par rapport à l’emploi d’un facteur (y i ), qui mesure la sensibilité des réactions de la production aux variations de l’emploi des facteurs, est le rapport de la productivité marginale à la productivité moyenne de ce facteur:

avec respectivement la productivité marginale et la productivité moyenne:

Lorsque les rendements (Xi) sont croissants, on a x ix i 漣, donc 﨎i 礪 1. Pour des rendements constants, on obtient 﨎i = 1. Pour des rendements décroissants avec l’emploi d’un facteur, on a 﨎i 麗 1.

Si l’on considère une fonction à deux facteurs de production i et j , on peut représenter dans le cadran positif d’un système de coordonnées cartésiennes l’ensemble des combinaisons possibles des facteurs i et j (fig. 1).

D’un point à l’autre de ce diagramme factoriel, les valeurs des productivités varient. Si, en un point, les productivités marginales des deux facteurs sont positives, la production croît avec l’emploi de l’un ou l’autre des facteurs: on est alors dans le champ de substitution, c’est-à-dire qu’on peut, sans inconvénient, remplacer un facteur par l’autre. Si, en un point, la dérivée seconde croisée des deux facteurs:

est positive, la productivité d’un facteur augmente avec l’emploi de l’autre: on est dans le champ de complémentarité. L’emploi d’un facteur conditionne ou améliore l’utilisation de l’autre.

Dans ce diagramme factoriel, les isoquants (courbes de production constante) représentent des combinaisons techniquement équivalentes de facteurs substituables. Le long d’un isoquant, la substitution d’un facteur à un autre n’entraîne aucune variation du produit; la différentielle totale de la production est donc nulle:

Le taux marginal de substitution:

est donc égal au rapport des productivités marginales des facteurs; il est représenté par la pente de la tangente à l’isoquant au point considéré.

Lorsqu’on fait varier simultanément l’emploi de deux facteurs en maintenant constant leur rapport d’utilisation, on décrit un rayon factoriel . On peut démontrer que l’élasticité de la production par rapport à ce changement d’échelle ( 﨎) est égale à la somme des élasticités de la production par rapport à chacun des facteurs:

Selon qu’elle est supérieure, égale ou inférieure à l’unité, les rendements sont croissants, constants ou décroissants par rapport à l’échelle de production.

Si l’on admet que le rapport d’utilisation r = y j /y i de deux facteurs est une fonction de leur taux marginal de substitution s = x i /x j , soit r = f (s ), l’élasticité de r par rapport à s , soit:

est l’élasticité technique de substitution qui traduit la sensibilité du rapport d’emploi aux variations du taux de substitution des facteurs.

Lois techniques

Les fonctions de production peuvent être classées en deux groupes selon que les facteurs sont considérés comme divisibles de façon continue et substituables (fonctions classiques et néoclassiques) ou non substituables (fonction de Walras-Léontieff et fonctions de Gutenberg).

Fonctions de production à facteurs substituables

La fonction de production classique considère que les rendements sont d’abord croissants, puis décroissants. Les fonctions néoclassiques envisagent des rendements constants ou décroissants.

La loi d’optimum technique a une origine empirique. Elle est née de l’étude des rendements du sol (Turgot constatait déjà que «les rendements ne sont pas proportionnels aux avances»). Elle est formulée pour un seul facteur variable et l’évolution des productivités du facteur variable peut être représentée par le graphique de la figure 2: on voit que les courbes de productivité du facteur variable sont d’abord croissantes, puis, au-delà d’une certaine quantité utilisée, décroissantes.

La productivité d’un facteur est, en général, une fonction de l’ensemble des facteurs de production. Lorsqu’un facteur varie, les autres restant fixes, la productivité des facteurs fixes varie également; mais l’analyse de ces variations n’est possible que si l’on fait des hypothèses complémentaires sur la forme de la fonction de production.

Les fonctions de production néoclassiques les plus utilisées sont les fonctions homothétiques ou encore homogènes et linéaires. Elles impliquent l’absence d’économie d’échelle: une augmentation proportionnelle de tous les facteurs entraîne une augmentation de la production dans le même rapport, le rendement est constant par rapport à l’échelle ( 﨎 = 1) et les productivités marginales et moyennes sont constantes le long d’un rayon factoriel.

L’une des fonctions de production les plus simples est la fonction de Cobb-Douglas , mise au point par ces deux auteurs en 1928:

La formulation mathématique, où P est la quantité produite, L et C respectivement les quantités de travail et de capital utilisées, facilite son introduction dans les modèles théoriques et permet de réaliser des ajustements économétriques.

Les paramètres sont les élasticités de la production par rapport au travail (k ) et par rapport au capital (1 漣 k ). Les productivités ne dépendent que du rapport d’utilisation des facteurs; elles sont toujours positives et décroissantes. L’accélération croisée (dérivée partielle croisée du second ordre de la production par rapport au travail et au capital) est positive, ce qui implique que les facteurs soient complémentaires. Enfin, l’élasticité technique de substitution est constante et égale à l’unité.

Ces particularités la font considérer comme peu réaliste; pourtant elle donne une bonne approximation d’une loi d’optimum technique dans la zone d’activité effective et représente correctement l’activité des entreprises dont l’augmentation de dimension implique une juxtaposition des postes de travail.

L’utilisation des fonctions de production dans l’analyse des effets du progrès technique a conduit à abandonner les hypothèses restrictives et à élaborer des fonctions plus générales. L’accent a été mis sur l’élasticité technique de substitution qui apparaît comme un paramètre des fonctions et qui est donc supposée constante.

La fonction de production à élasticité de substitution constante a été mise au point à partir d’études empiriques, en 1961, par K. Arrow, H. Chenery, B. Minhas et R. Solow.

Sous la forme initiale:

elle est homogène et linéaire ( 﨎 = 1), mais l’élasticité de substitution des facteurs 靖 = 1/(1 + 﨏) est différente de l’unité.

Cette fonction dépend de trois paramètres: paramètres d’efficacité ou de progrès technique neutre ( 塚), de distribution (k ), qui traduit la distribution du produit entre le capital (C) et le travail (L), et de substitution ( 﨏).

Les fonctions non homothétiques sont caractérisées par le fait que l’élasticité par rapport à l’échelle y est différente de l’unité, constante ou variable. R. Frisch envisage des lois régulières où l’élasticité par rapport à l’échelle décroît de façon monotone de valeurs supérieures à l’unité vers des valeurs négatives lorsque l’emploi de tous les facteurs s’accroît.

La plupart des fonctions non homothétiques utilisées sont plus simples: bien que non linéaires, elles restent homogènes et l’élasticité par rapport à l’échelle est constante mais différente de l’unité. C’est le cas pour les fonctions dérivées de la fonction de Cobb-Douglas:

l’élasticité par rapport à l’échelle de production 﨎 = k + j est égale au degré d’homogénéité. Il en est de même pour la fonction de Solow:

qui introduit une influence exponentielle du temps t et un paramètre de progrès technique 塚.

La même chose se vérifie encore pour d’autres fonctions à élasticité de substitution constante comme celle qui a été mise au point par M. Brown et J. S. de Cani et qui généralise la fonction d’Arrow en lui ajoutant un paramètre supplémentaire qui traduit le degré d’homogénéité supérieur à l’unité de la fonction, ce qui implique l’existence d’«économies d’échelle»: une augmentation proportionnelle de l’emploi des facteurs entraîne une augmentation plus que proportionnelle du produit.

Fonctions de production à facteurs non substituables

Les études d’économie d’entreprise et l’analyse des relations intersectorielles ont fait intervenir des fonctions pour lesquelles les facteurs ne sont plus substituables de façon continue.

La fonction de Walras-Léontieff est une relation entre l’output et des inputs utilisables efficacement dans une proportion définie. Si l’on augmente l’emploi d’un input, les autres étant constants, le produit croît proportionnellement à l’emploi de l’input variable jusqu’au niveau de son utilisation correcte et reste constant ensuite.

Les fonctions de Gutenberg envisagent des facteurs non substituables de façon continue, mais dont l’intensité d’utilisation est variable, ce qui entraîne un emploi différent des autres inputs. Le lien existant entre l’intensité d’utilisation d’un facteur et la consommation des inputs complémentaires est précisé par des fonctions de consommation des facteurs.

L’introduction du progrès technique

Les études relatives à la croissance économique ont conduit à introduire le progrès technique dans les fonctions de production et à les dynamiser. La forme générale de la fonction devient:

x (t , ) est la quantité produite à l’époque t avec la technologie .

Le progrès technique améliore la qualité des facteurs. On peut essayer de représenter cette modification qualitative par un accroissement quantitatif en pondérant les quantités de facteurs y i (t ) par un coefficient de progrès 神i ( ) relatif au niveau technologique . La fonction devient du type:

Si le coefficient n’est pas isolé et si les coefficients 神i ( ) sont monotones et non décroissants, le progrès est multiplicateur de facteurs; si n’apparaît pas explicitement, le progrès est dit incorporé aux facteurs; si les 神i ( ) sont constants, le progrès technique est neutre du point de vue des facteurs; il se traduit par une modification de la fonction.

Le progrès technique autonome, considéré comme une variable indépendante, est représenté par le temps t , et le progrès induit par une fonction des facteurs. Le progrès technique est dit neutre lorsqu’il maintient constantes certaines valeurs. Les définitions varient d’un auteur à l’autre, et il en est de même de la forme des fonctions de production (voir le tableau comparant, à titre d’exemple, les fonctions des trois économistes Harrod, Solow, Hicks).

Il existe d’autres conceptions de l’influence du progrès technique et de son introduction dans les fonctions. La recherche économique va dans le sens de l’amélioration de ce modèle que constitue la fonction de production et dans le sens de son adaptation à la réalité et au problème étudiés.

Lois économiques

La fonction de production, relation technique, offre un éventail de situations possibles. Elle permet de déterminer les conditions d’utilisation techniquement optimales des facteurs et de préciser le jeu des relations qui s’établissent entre facteur et produit lorsque varient, en courte période, l’emploi et, en longue période, la technologie. Cependant, l’optimum technique peut être incompatible avec l’optimum économique, et la fonction de production n’est qu’un élément du choix économique, au même titre que la contrainte budgétaire.

Le problème économique du choix d’une technique de production consiste à déterminer le maximum de la fonction de production sous une contrainte financière:

avec la valeur suivante de c t , coût total des facteurs:

les facteurs y i ayant des prix c i supposés constants.

À l’optimum, les prix des facteurs sont proportionnels aux productivités marginales de ceux-ci, et le coût marginal de production est égal au rapport du coût de chaque facteur à sa productivité marginale.

L’influence de la fonction de production se manifeste dans la mesure où sa forme détermine la structure des coûts, compte tenu des hypothèses relatives à l’introduction des inputs dans un processus de production. Elle conditionne ainsi les modalités de l’offre des produits et apparaît comme un élément fondamental dans la détermination des prix et de l’équilibre général.

4. Équilibre de la production et surproduction

L’un des paradoxes de l’économie actuelle est qu’une pénurie dans les pays sous-développés (avec parfois des surproductions sectorielles) coexiste avec la crainte de la surproduction dans les «sociétés de consommation», où l’on stimule artificiellement la demande pour permettre la croissance de la production et le maintien du plein-emploi. L’excès de la production peut être mesuré soit par rapport aux besoins existants, soit par rapport aux besoins solvables, mais la logique de l’échange onéreux en système capitaliste incite souvent l’économiste à ne considérer que la demande solvable.

Un autre paradoxe est que la surproduction engendre la pauvreté. En économie de marché, l’excès de l’offre entraîne la baisse du prix de vente. Si la demande est sensible au prix, l’augmentation du volume des échanges peut compenser la diminution du prix et maintenir le revenu du producteur, mais, si la demande ne réagit que faiblement à la baisse du prix, le revenu du producteur diminue et se transforme en perte si le prix devient inférieur au coût. À la limite, la baisse du prix est sans effet sur la demande: les stocks s’accumulent, sans valeur parce que non désirés, l’entreprise doit cesser son activité, l’entrepreneur est en faillite et les ouvriers en chômage.

La surproduction générale est-elle possible?

Historiquement, les «crises de surproduction» sont apparues au XIXe siècle, avec le capitalisme industriel et financier; elles semblent liées à un mauvais fonctionnement de l’économie de marché, mais, pour les uns, ces déséquilibres peuvent n’être que partiels et temporaires, tandis que, pour d’autres, le déséquilibre peut être général et permanent.

Pour les économistes classiques du XIXe siècle, la surproduction générale est impossible, car «les produits s’échangent contre des produits» (loi de Say). Il ne peut y avoir excès de l’offre sur le plan global, car la relation entre l’offre et la demande est plus qu’une égalité: c’est une identité. L’échange monétaire est équivalent au troc; la monnaie est un intermédiaire neutre, elle n’est pas désirée pour elle-même. Il n’y a donc pas de thésaurisation: les revenus épargnés sont prêtés contre intérêt à des investisseurs et les variations du taux d’intérêt assurent l’égalisation de l’épargne et de l’investissement, donc de l’offre et de la demande globales. Cet équilibre général est aussi un équilibre de plein-emploi, car la flexibilité des prix des facteurs assure l’égalisation de leur offre et de leur demande. Les rares déséquilibres sont donc partiels et temporaires, l’excédent de l’offre entraînant automatiquement la baisse du prix qui stimule la demande et freine la production.

En longue période, la stabilité du salaire réel et l’accroissement de la rente des propriétaires fonciers lié à l’augmentation de la rareté relative du sol en face d’une population croissante provoquent la baisse du taux de profit, donc le fléchissement de l’investissement et de l’accumulation du capital, ce qui conduit l’économie vers un état stationnaire où la population et la production seraient constantes, mais où l’offre serait toujours égale à la demande.

Partant de cette analyse classique, Marx donne une interprétation différente de l’évolution de l’économie capitaliste. La baisse tendancielle du taux de profit est refusée par les entrepreneurs capitalistes qui s’efforcent d’en compenser les effets par l’augmentation de la production, ce qui les oblige à conquérir de nouveaux marchés, mais entraîne la surproduction générale et le chaos. Lénine, dépassant la pensée de Marx, montre que le capitalisme conduit à l’impérialisme et au colonialisme, donc aux conflits d’où sortira le socialisme.

Bien que ces conclusions ne soient pas admises par les économistes non marxistes, l’ampleur de la crise de 1929 devait remettre en question le bien-fondé de l’analyse classique. Pour Keynes (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie , 1936), l’équilibre de l’offre et de la demande globales s’établit nécessairement; mais c’est la demande effective, composée d’une demande de consommation (C) et d’une demande d’investissement (I), qui détermine le produit global, et donc le revenu global (R), contrepartie monétaire de ce produit. La consommation étant une fonction linéaire du revenu (C = a R), c’est l’investissement seul qui, dans la demande effective, joue le rôle moteur. À l’équilibre, on a:

donc:

a est la propension à consommer et où 1/(1 漣 a ) = k , le multiplicateur d’investissement.

Le niveau de revenu, de production et d’emploi est donc déterminé par le niveau d’investissement.

Mais ce niveau d’équilibre n’est pas automatiquement celui du plein-emploi. L’investissement et l’épargne ne sont pas interdépendants et ajustés par les variations du taux d’intérêt. L’épargne dépend du niveau de revenu et l’investissement des perspectives de profit. Un fléchissement de la consommation, donc une augmentation de l’épargne, n’entraîne pas nécessairement l’accroissement de l’offre de crédit et la baisse du taux d’intérêt, car la monnaie peut être désirée pour elle-même et constituer une réserve de précaution ou de spéculation. De plus, la baisse du taux d’intérêt peut être sans effet sur l’investissement. La réduction de la consommation ne provoquera donc pas nécessairement l’accroissement compensateur de l’investissement permettant la réalisation du plein-emploi.

Dans cette situation d’équilibre de sous-emploi, la surproduction n’est évitée que dans la mesure où l’insuffisance de la demande et le climat déflationniste ont freiné la production pour la maintenir en deçà des capacités productives; mais les effets économiques et sociaux sont les mêmes.

Les remèdes et leur efficacité

Même si elles sont partielles et temporaires, les crises de surproduction ont des conséquences économiques et sociales désastreuses qui ont incité les pouvoirs publics à intervenir pour essayer de les prévoir et d’atténuer leurs effets [cf. CRISES ÉCONOMIQUES]. La conviction que le libre jeu de l’activité économique ne conduit pas nécessairement à l’optimum et au plein-emploi rendit cette intervention nécessaire.

L’État fut rendu responsable du maintien de la croissance économique, de l’équilibre et du plein-emploi. Bien que délicate, cette intervention semble avoir réussi à court et à moyen terme puisque le plein-emploi et la croissance furent généralement plus ou moins assurés dans les économies dites développées durant les Trente Glorieuses de l’après-guerre et que les crises y furent remplacées par de légères récessions.

Les moyens d’intervention découlaient de la reconnaissance du rôle moteur de la demande effective, et l’action sur la production se faisait surtout indirectement, par le biais de la demande globale. Pour accroître la production et atteindre le plein-emploi, il fallait stimuler la demande globale soit par une politique budgétaire (accroissement des dépenses publiques, déficit du budget), soit par une politique monétaire (abaissement du coût du crédit), les deux méthodes entraînant le gonflement de la masse monétaire. Le danger de ces techniques est le risque de provoquer la hausse des prix, l’inflation et la détérioration de la valeur de la monnaie lorsque la demande globale dépasse le niveau correspondant au plein-emploi et que la production ne peut plus répondre aux sollicitations de la demande. À ce moment, on doit freiner l’expansion en prenant des mesures inverses: stabilité budgétaire, relèvements du coût du crédit et réduction de la demande de monnaie. La «croissance équilibrée» est le résultat de cette navigation délicate entre le double écueil du chômage et de l’inflation.

L’expérience montre que les pays «capitalistes» ont pu maintenir, jusqu’au premier choc pétrolier de 1973, la croissance et le plein-emploi au prix d’une lente érosion monétaire, les prix augmentant de 3 à 5 p. 100 par an en moyenne. Cette croissance continue sur une si longue durée ne manque pas de soulever des interrogations quant à son interprétation.

Les taux d’accumulation du capital pouvaient-ils être maintenus? Certains économistes comme Hansen pensaient que les occasions d’investir diminueraient avec la stagnation de la population liée au relèvement du niveau de vie, avec l’absence de nouveaux territoires à mettre en valeur, avec un progrès technique qui ferait moins appel au capital. Le remède à la récession impliquait donc un développement des investissements publics incompatible avec la survie du capitalisme. Cependant, ce stade n’a jamais été atteint et les effets à long terme du progrès technique sont d’une tout autre nature que prévu.

Encyclopédie Universelle. 2012.