PASTICHE
PASTICHE, genre littéraire
La pratique du pastiche, genre imitatif relevant de l’activité artistique «au second degré» (G. Genette), remonte aussi loin que la création d’œuvres originales, bien que le mot lui-même n’apparaisse dans le vocabulaire de la peinture qu’au XVIIe siècle. Considéré comme genre «mineur», car il est attaché à son original comme la Lune l’est à la Terre, le pastiche n’a pas d’existence autonome, si ce n’est par disparition du modèle (Platon pastichant Lysias dans le Phèdre ). Son statut ambigu est aggravé par une étymologie sentant les relents de la cuisine (pasticcio signifie «pâte» en italien), mais les accents dépréciatifs de l’Encyclopédie proviennent aussi de sa situation non moins ambiguë, «entre la moquerie et la référence admirative» (Genette). La proximité de la parodie , de la charge et du travestissement , genres satiriques, le déshonore; pourtant sa pratique est recommandée par Quintilien comme exercice de style pour les écrivains novices. Au sérieux de la visée pédagogique s’ajoute celui de l’intention critique d’un Proust, mais c’est l’étendue des traits imités, très supérieure à ce que l’on trouve chez ses parents pauvres, qui l’en distingue le plus. Ceux-là ne font que tourner en dérision en amplifiant, en transposant certaines des caractéristiques de leur modèle, tandis que le pastiche cherche à reproduire la totalité des éléments qui donnent son identité à l’œuvre. D’où la tentation de l’assimiler soit au faux , soit au plagiat .
Michel Schneider écrit dans Voleurs de mots (1985) que la recherche d’identité de Proust consiste à «traiter le mal par le mal, le plagiat par le pastiche, l’influence par le mimétisme délibéré». Sans la passation d’un «contrat de pastiche» (Genette) entre l’auteur et le public, le pastiche se hisse à la hauteur douteuse des mystifications : avertissement du traducteur et avant-propos érudits renforcent l’illusion de l’authenticité des Poèmes d’Ossian (1760) de James Macpherson, ou de la Chasse spirituelle (1949), prétendu inédit d’Arthur Rimbaud, fabriqué par M.-A. Allevy et N. Bataille.
Le domaine du pastiche peut être délimité par la contrefaçon d’une part et, aux antipodes, par l’œuvre qui s’inscrit dans une tradition, sans intention pasticheuse. Ainsi l’Anthologie du pastiche (1926) de Léon Deffoux et Pierre Dufay a-t-elle tort d’inclure les calligrammes d’Apollinaire.
Une restriction interne s’ajoute à celles qui viennent d’être énumérées: «Il est plus facile d’imiter les défauts des hommes que leurs perfections», dit l’Encyclopédie . S’il existe des pastiches distincts des paroles, c’est que ces «défauts» ne sont, aux yeux du pasticheur, que des traits saillants d’une époque, ou d’une école, reproduits dans les Poèmes décadents (1885), ceux d’un genre, tels ceux de l’épopée homérique ou virgilienne, pastichés (et parodiés) respectivement dans Batrachomiomachie et dans le Lutrin (1674) de Boileau. Cervantès s’attaque et se pique à la mentalité chevaleresque, le niveau de langue intéresse Scarron dans le Virgile travesti (1672), le rythme des causeries de Montaigne inspire La Bruyère dans ses Caractères , la grammaire est le terrain d’exercice de Queneau. L’utopie du pastiche total, réunissant tous ces éléments dans une seule œuvre, mais aussi un autre cas limite, celui de «l’autopastiche» (Genette), sont réalisés par Proust.
pastiche [ pastiʃ ] n. m.
• 1719 peint.; it. pasticcio « imbroglio »; lat. pop. °pasticium→ pastis, pâtisser
1 ♦ Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l'auteur a imité la manière, le style d'un maître, par exercice de style ou dans une intention parodique (⇒ imitation; copie). Faire, écrire un pastiche d'un écrivain célèbre. Pastiche et plagiat; et faux (artistique). Pastiche plaisant. ⇒ parodie. « Pastiches et Mélanges », de Proust. Un pastiche de Picasso.
♢ Imitation ou évocation du style, de la manière d'un écrivain, d'un artiste, d'une école. « Si, pour donner l'idée d'un peintre inconnu à Paris, nous avons été obligé de chercher des analogues, ne croyez pas pour cela au pastiche » (Gautier).
2 ♦ (1798) Hist. Mus. Opéra formé d'un assemblage d'airs empruntés à d'autres œuvres (⇒ pot-pourri ).
● pastiche nom masculin (italien pasticcio, pâté, du latin populaire pasticius, du bas latin pasta, pâte) Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle on imite le style, la manière d'un écrivain, d'un artiste soit dans l'intention de tromper, soit dans une intention satirique. ● pastiche (citations) nom masculin (italien pasticcio, pâté, du latin populaire pasticius, du bas latin pasta, pâte) Henri Thomas Anglemont, Vosges, 1912-Paris 1993 Entre Rimbaud et n'importe quel pastiche de Rimbaud, il y a une différence. La Chasse aux trésors Gallimard ● pastiche (difficultés) nom masculin (italien pasticcio, pâté, du latin populaire pasticius, du bas latin pasta, pâte) → plagiat
pastiche
n. m. Imitation du style, de la manière d'un écrivain, d'un artiste; oeuvre ainsi produite.
⇒PASTICHE, subst. masc.
A. —OEuvre artistique ou littéraire dans laquelle l'auteur imite en partie ou totalement l'oeuvre d'un maître ou d'un artiste en renom par exercice, par jeu ou dans une intention parodique. Synon. copie, imitation, parodie. Je m'imagine continuant à écrire des poésies en vers libres français, publiant de temps en temps un recueil de pastiches (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p.364). Les premiers romans de Balzac ne sont que des plaisanteries, et même, en plusieurs endroits, des pastiches comiques (BRASILLACH, Corneille, 1938, p.108):
• ♦ Paul Baudry a été tour à tour corrégien, véronésien, mais n'a jamais eu de signature à lui, en dépit d'un tempérament de vrai peintre. Un pastiche du grand talent, presque de génie, son plafond de la Païva qui semble le plafond de la Venise triomphante copié par un Lemoyne.
GONCOURT, Journal, 1886, p.527.
— P. méton. Imitation ou évocation du style d'un écrivain, d'un artiste ou d'une école sans qu'il y ait reproduction d'une oeuvre particulière. Il n'y a pas «pastiche» comme tu dis, (...) il y a continuation. Et je crois que c'est un coup de génie d'avoir ainsi retrouvé le primitif sous le placage moderne (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p.312). Une contradiction apparaît au premier regard entre le personnage [Montherlant] (...) et cette écriture jaillie, à travers trois siècles, de la profonde nappe classique, sans qu'il y ait jamais pastiche, l'écriture la plus aisée, la plus négligée, la plus libre (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p.193).
B. —P. ext. Ouvrage d'imitation; imitation du style d'une époque ou d'un genre. Ce charme, ont-ils [les aménageurs de villes d'eaux] vraiment cru pouvoir le maintenir ici, rien qu'en recopiant, ou à peu près, l'architecture de quelques maisons surannées? Et restent-ils incapables de comprendre ce qui va manquer à leur pastiche de ville basque (LOTI, Chât. Belle-au-bois-dorm., 1910, p.74).
C. —HIST. DE LA MUS. ,,Opéra dans lequel on a réuni des morceaux de musique pris dans différents ouvrages et ajustés tant bien que mal à un nouveau poème`` (ROUGNON 1935, p.183).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1719 peint. «contrefaçon d'un tableau» (J.-B. DU BOS, Réflexions crit. sur la poés. et sur la peint., t.2, p.363); 1787 p.ext. «ouvrage dans lequel l'auteur imite le style d'un autre» ici, dans le domaine littér. (MARMONTEL, OEuvres, t.9, p.190 ds LITTRÉ). Empr. à l'ital. pasticcio, att. au sens fig. de «imbroglio» dep. la 2e moitié du XVIIes. (Fr. BALDOVINI ds TOMM.-BELL.), propr. «pâté» (v. pastis). Fréq. abs. littér.:84. Bbg. GALL. 1955, pp.177-179. —HOPE 1971, p.298. —Sculpt. 1978, p.550.
pastiche [pastiʃ] n. m.
ÉTYM. 1677; ital. pasticcio « pâté »; lat. pop. pasticium. → Pastis, pâtisser.
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1 Peinture, et, par ext. (1799), Œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l'auteur a imité la manière, le style d'un auteur, soit pour s'approprier des caractères empruntés (⇒ Plagiat), soit le plus souvent par jeu, exercice de style ou dans une intention parodique, satirique. ⇒ Imitation; copie, manière (supra cit. 22 : Un « à la manière de »). || Recueil de pastiches. || Pastiches et Mélanges, œuvres de Proust. || Les pastiches d'un faussaire. ⇒ Faux.
1 Quant aux pastiches, ce sont des « Tableaux, qui ne sont ni des Originaux, ni des Copies », mais des contrefaçons. Leur nom vient de l'italien « pastici, qui veut dire Pâtés : parce que de même que les choses différentes qui assaisonnent un Pâté, se réduisent à un seul Goût; ainsi les faussetés qui composent un Pastiche, ne tendent qu'à faire une vérité » [R. de Piles, Conn. des Tabl., III] (…) Le mot se conserva avec un sens défavorable : on appelle communément des pastiches les tableaux que fait un peintre imposteur en imitant la main, la manière de composer et le coloris d'un autre Peintre, sous le nom duquel il veut produire son propre ouvrage (Abbé Du Bos, Réfl. crit., II, p. 74). Diderot éprouvait quelque crainte qu'il n'en fût fait abus : Je suis bien fâché contre ce mot de pastiche, qui marque du mépris et qui peut décourager les artistes de l'imitation des meilleurs maîtres anciens (Sal. 1767, X, p. 186).
F. Brunot, Hist. de la langue franç., t. VI, p. 718 (et note 3).
♦ Imitation du style, de la manière (d'un écrivain, d'un artiste, d'une école), sans qu'il y ait copie d'une œuvre particulière (→ École, cit. 28; maître, cit. 90). ⇒ Pastichage.
2 Si, pour donner l'idée d'un peintre inconnu à Paris, nous avons été obligé de chercher des analogues, ne croyez pas pour cela au pastiche, à la copie, à l'imitation. Zichy est une nature géniale qui tire tout d'elle-même (…)
Th. Gautier, Voyage en Russie, XIV.
3 Le pastiche c'est l'imitation étroite et servile. C'est, comme nous le verrons, un exercice de style, un moyen mécanique de se faire la main. Quant au plagiat, c'est le vol déloyal et condamnable.
Antoine Albalat, la Formation du style, p. 28.
4 (…) tout artiste commence par le pastiche. Ce pastiche à travers quoi le génie se glisse, clandestin (…) C'est le réaliste Courbet qui appelle les tableaux de sa première exposition : Pastiche florentin, Pastiche des Flamands (…)
Malraux, les Voix du silence, p. 310.
REM. Dans ce sens, et avec une valeur péjorative, Huysmans (1883) emploie pasticherie, n. f.
♦ Par ext. Imitation du style, du ton (d'une époque, d'un genre); objet, ouvrage d'imitation.
5 Or ces robes, si elles n'étaient pas de ces véritables robes anciennes dans lesquelles les femmes d'aujourd'hui ont un peu trop l'air costumées et qu'il est plus joli de garder comme pièces de collection (…) n'avaient pas non plus la froideur du pastiche, du faux ancien.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 209.
2 (1798). Hist. mus. Opéra formé d'un assemblage d'airs empruntés à d'autres œuvres. ⇒ Centon (→ Pot-pourri).
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DÉR. Pasticher, pasticheur.
Encyclopédie Universelle. 2012.