OPIUM
OPIUM
Drogue narcotique, traditionnellement classée parmi les stupéfiants (euphorica de Lewin, psychodysleptiques de Delay et Deniker), extraite du pavot (Papaver somniferum ). Le fruit de cette plante est une capsule ovoïde qui exsude, après incision, un latex blanc et riche en alcaloïdes. Le latex, recueilli à l’aide d’un racloir, est séché et bruni au soleil. Sous cette forme, il est commercialisé légalement — mais de manière étroitement contrôlée — et entre dans la composition de plusieurs préparations pharmaceutiques.
Les usages médicaux de l’opium datent de la haute Antiquité: une tablette sumérienne mentionne le pavot à opium comme «plante de la joie» et son exsudat, ou «graisse de lion». Certains écrits égyptiens datant d’Aménophis Ier (XVIIIe dynastie) et de Ramsès II vantent expressément les vertus «dormitives» et analgésiques de la plante et de son produit. Par la suite, Hippocrate et Théophraste en firent un médicament contre la douleur. Au Ier siècle, Dioscoride dans son De materia medica , qui fut un manuel traditionnel de pharmacologie pendant des siècles, décrit le pavot avec précision et, pour la première fois d’un point de vue chimique, distingue la plante elle-même de son latex, seul efficace. Mais la pénétration de l’opium en Europe est surtout due à Galien, qui en fit un élément d’une panacée promise à un long avenir, le thériaque, dans la composition duquel entraient de soixante à quatre-vingts drogues, et dont l’usage se maintint en Europe jusqu’au début du XXe siècle. D’autres opiacés apparurent aux XVIIe et XVIIIe siècles, et en particulier le laudanum de l’Anglais Thomas Sydenham (1624-1689), teinture alcoolique d’opium safranée et parfumée à la cannelle ou à la girofle, qui devint au XIXe siècle une sorte d’apéritif fort apprécié. Enfin, l’opium est encore employé dans la pharmacopée contemporaine sous les espèces de l’élixir parégorique, teinture camphrée diluée connue comme antidiarrhéique puissant.
De nos jours, la culture — licite ou illicite — de l’opium est localisée surtout en Asie: le principal pays producteur est l’Inde; il convient de remarquer que le tonnage mondial brut (407 t en 1991, production licite) est insignifiant par rapport au tonnage du début du siècle (environ 30 000 t); d’autre part, que la production illicite est estimée à plus de 6 000 tonnes. De l’opium importé, on extrait les alcaloïdes, surtout morphine et codéine, à partir desquels on fabrique aussi des alcaloïdes dérivés, dihydromorphinone et dihydrocodéinone. Si l’opium et la morphine sont de plus en plus fortement concurrencés par des produits de synthèses (phétidine, dextromoramide), la codéine, dérivé méthylé de la morphine, reste le principal antitussif connu.
L’usage toxicomaniaque de l’opium apparut à la fin du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne; introduit par les retraités de l’armée des Indes, il se répandit rapidement: Thomas de Quincey en rend témoignage dans un livre célèbre, les Confessions d’un Anglais mangeur d’opium (Confessions of an English Opium Eater , 1821), et l’opiomanie gagne la France et tout le continent. Les Anglais le mangeaient (souvent associé avec du haschisch, sous forme de pilules ou de confitures); les Français le fumèrent: Baudelaire, Farrère, Apollinaire, Cocteau en firent l’apologie et la critique. Les «guerres de l’opium» le répandirent en Chine (où on l’utilisait à des fins médicales jusque-là) à une vitesse vertigineuse (de 50 000 caisses d’opium indien «importé» en 1850 à 180 000 caisses en 1880; 2 millions de Chinois étaient intoxiqués en 1850, 120 millions en 1878!). L’opiomanie s’étendait aussi rapidement en Europe: en 1903, le gouvernement français s’estima contraint d’en interdire la vente. L’année suivante, la convention de Shanghai posait la base d’une législation internationale limitant l’emploi des supéfiants.
L’opium a besoin d’une longue préparation pour pouvoir être fumé: chauffage, macération, battage, oxydation, fermentation, etc. Au terme de ces opérations, on obtient le chandoo , ou opium à fumer. Fumer est une opération complexe: il faut, à l’aide d’une longue aiguille, constituer peu à peu la boulette d’opium en échauffant cinq ou six prises qui se coagulent au bout de l’aiguille, puis piquer cette boulette sur le fourneau de la pipe, allumer celle-ci et aspirer longuement et en une seule fois toute la fumée. Un fumeur moyen fume cinquante pipes par jour, mais les grands intoxiqués en fument cent cinquante. L’effet de l’opium est doux: une grande clarté d’idées, une désincarnation sereine, une impression de sagesse, de lucidité, de béatitude; aucune hallucination, aucun à-coup. Les résultats de l’intoxication sont terribles: l’opium entraîne une dépendance physique et psychique intense; non seulement la vie biologique du toxicomane se modifie considérablement (bien qu’on ne soit pas encore en mesure de préciser les modifications métaboliques en cause), non seulement la vie végétative est inhibée et les sécrétions interrompues, mais encore la vie sociale et affective du malade se dissout complètement. Seul un sevrage, secondé ou non par des médicaments remplaçants comme la nalorphine ou le méthadone, peut sauver un malade. Dans les intoxications aiguës par surdosage, les difficultés respiratoires risquent d’être fatales. La ventilation assistée pourra être nécessaire, combinée au traitement par la naloxone ou allylmorphine, antagoniste de la morphine qui agit vraisemblablement par effet de saturation des récepteurs opioïdes des centres nerveux.
opium [ ɔpjɔm ] n. m.
1 ♦ Suc des capsules d'un pavot (Papaver somniferum), incisées avant maturité, latex riche en alcaloïdes, dont le plus actif est la morphine. L'opium est un stupéfiant, une drogue. Alcaloïdes de l'opium. ⇒ codéine, morphine, narcéine, narcotine, papavérine, thébaïne. Manger, fumer de l'opium (⇒ opiomane) . Fumerie d'opium. Pipe à opium. Goutte, boulette d'opium. « Tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium » (Baudelaire). Teintures d'opium : laudanum, élixir parégorique.
2 ♦ Par ext. Opium de laitue. ⇒ lactucarium.
3 ♦ Fig. Ce qui cause un agréable assoupissement moral en éloignant des difficultés, des problèmes réels. « La religion est l'opium du peuple » (trad. K. Marx).
● opium nom masculin (latin opium, du grec opion) Suc épaissi qui s'écoule d'incisions faites aux capsules de diverses espèces de pavots et qui, fumé ou mâché, provoque un état d'euphorie suivi d'un sommeil onirique. (L'opium a une action proche de celle de la morphine mais moins puissante. Son usage thérapeutique tend à être abandonné pour celui des opiacés naturels ou synthétiques.) Littéraire. Cause d'engourdissement moral et intellectuel : La religion est l'opium des peuples (phrase de K. Marx). ● opium (citations) nom masculin (latin opium, du grec opion) Karl Marx Trèves 1818-Londres 1883 La religion est l'opium du peuple. Religion ist Opium für das Volk. Contribution de la critique de « la Philosophie du droit » de Hegel
Opium
(guerre de l') conflit qui opposa la Chine et la G.-B. de 1839 à 1842. En 1839, l'empereur de Chine interdit l'importation d'opium indien. En 1840, les Britanniques occupèrent Shanghai. En 1842, le traité de Nankin leur donna Hong Kong, autorisa les états européens à commercer avec 5 ports (dont Canton et Shanghai), abaissa à 5 % les tarifs douaniers.
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Opium
n. m.
d1./d Suc narcotique tiré de certains pavots, fumé ou mâché comme excitant et comme stupéfiant. La morphine est extraite de l'opium.
d2./d Fig. Ce qui assoupit insidieusement (la volonté, l'esprit critique, etc.). Marx disait de la religion qu'elle était "l'opium du peuple".
⇒OPIUM, subst. masc.
Suc épaissi obtenu par incision, avant la maturité du fruit, des capsules d'un pavot (papaver somniferum) qui contient notamment des alcaloïdes. Fumeur, mangeur d'opium; effet, ivresse, usage de l'opium; plateau, table à opium; dose, fumerie, grain, pipe d'opium. Là je vivais heureux, demeurant de longues journées couché sur mes nattes, aspirant la douce fumée d'un opium odorant et rêvant à une jeune fille (DU CAMP, Mém. suic., 1853, p.110). L'opium rétrécit les pupilles, les réduit à un point, même dans l'ombre; c'est un des symptômes à quoi on reconnaît le fumeur encore sous l'effet de la drogue (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.192):
• 1. Les gens de nos climats ont le travail, la littérature et le monde; ajoutez, dans les basses classes, l'eau-de-vie, qui est la littérature du peuple. En Orient, c'est l'opium et le rêve.
TAINE, Notes Paris, 1867, p.315.
— Au fig. Ce qui produit les effets de l'opium, notamment un assoupissement propre à écarter problèmes et difficultés. Je m'enivrais de cet opium de l'âme [les romans] qui peuple de fabuleux fantômes les espaces encore vides de l'imagination des oisifs (LAMART., Confid., 1849, p.113):
• 2. Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée?
BAUDEL., Poèmes prose, 1867, p.90.
♦La religion est l'opium du peuple. [P. allus. à l'expr. de Karl Marx dans Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel] Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple (S. WEIL, Pesanteur, 1943, p.180). Dire que la religion est l'opium du peuple reste en somme une critique sociologique, dont bien des penseurs religieux ont dû eux-mêmes reconnaître la fréquente vérité de fait (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p.33).
REM. Opiumeur, subst. masc., hapax. Fumeur d'opium. Je fus cambrioleur, (...) opiumeur (QUENEAU, Enf. du limon, 1938, p.32).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Plur. des opiums. LITTRÉ: ,,On a longtemps écrit et prononcé opion`` (forme francisée de opium). Étymol. et Hist. 1. XIIIe s. «extrait des capsules du pavot blanc, employé comme narcotique» (Livre des simples médecines, éd. P. Dorveaux, p.143); 2. av. 1755 au fig. «ce qui endort» (SAINT-SIMON, Mémoires, éd. A. de Boislile, t.16, p.456). Empr. au lat. opium «suc du pavot», transcrivant le gr. de même sens (de «suc de plantes»). Fréq. abs. littér.:588. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 737, b) 1635; XXes.: a)593, b)638. Bbg. GOHIN 1903, p.365.
opium [ɔpjɔm] n. m.
ÉTYM. XIIIe; du lat. opium, du grec opion, de opos « suc ».
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1 Suc des capsules d'un pavot (papaver somniferum) incisées avant maturité, latex riche en alcaloïdes, dont le plus actif est la morphine. || L'opium est utilisé comme stupéfiant. || L'opium est importé d'Orient et notamment de Chine. || Alcaloïdes extraits de l'opium. ⇒ Codéine, narcéine, narcotine ou opianine (vx), morphine, papavérine, thébaïne. || L'opium, poison hypnotique (→ Excitant, cit. 9), narcotique (cit. 1), analgésique, sédatif, somnifère, soporatif. || Manger, fumer (cit. 22) de l'opium (⇒ Opiomane, opiophage). || Fumer l'opium (→ Fumeur, cit.). || Fumerie d'opium. || Goutte (cit. 46), boulette d'opium (→ 2. Héroïne, cit. 1). || Lampe (cit. 22), pipe à opium. || Fumée (cit. 6), vapeurs d'opium (→ Lourd, cit. 19). || L'opium, drogue des « paradis artificiels » (→ Emploi, cit. 4), source de jouissances (cit. 4). || Hallucinations (cit. 4) de l'opium. || Asservissement à l'opium. ⇒ Opiomanie (→ Énergie, cit. 11; esclave, cit. 23). || Utilisation de l'opium en pharmacie. || Teinture alcoolique d'opium. ⇒ Laudanum (→ Enivrer, cit. 1). || Teinture anisée d'opium. ⇒ Parégorique (élixir). || Médicament à base d'opium (⇒ Opiat), contenant de l'opium (⇒ Opiacé, thébaïque). || Prendre de l'opium pour dormir (→ Laudanum, cit. 1). — Un mangeur d'opium, œuvre de Baudelaire, d'après les « Confessions » de Thomas de Quincey. — ☑ Allus. littér. La vertu dormitive (cit. 2) de l'opium. — Hist. || La guerre de l'opium (1840), entre l'Angleterre et la Chine (où le gouvernement chinois détruisit une cargaison d'opium que la Compagnie anglaise des Indes vendait aux Chinois malgré l'interdiction gouvernementale).
1 J'ai fait le commerce de l'opium en gros pour des maisons de Canton, toutes dix fois plus riches que moi. Vous ne vous doutez pas, en Europe, de ce que sont les riches marchands chinois.
Balzac, Modeste Mignon, Pl., t. I, p. 444.
2 Ô juste, subtil et puissant opium ! Toi qui, au cœur du pauvre comme du riche, pour les blessures qui ne se cicatriseront jamais et pour les angoisses qui induisent l'esprit en rébellion, apportes un baume adoucissant; éloquent opium ! (…) tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium !
Baudelaire, les Paradis artificiels, « Un mangeur d'opium », I.
3 Pour se calmer dans l'attente, pour obtenir un sommeil qui la fuit, elle ne trouve rien de mieux que de recourir à l'opium, dont on la verra doubler les doses avec le progrès de son mal.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 20 mai 1850.
4 (Il) accepta la pipe que lui présentait un des jeunes garçons agenouillés. Et, de toute la force de ses poumons, il aspira la fumée grise, tandis que l'enfant maintenait au-dessus de la lampe le petit cylindre brun collé au trou du fourneau. L'opium grésilla, fondit, s'évapora. Et Felze, ayant d'un seul trait épuisé toute la pipée, appuya aux nattes ses deux épaules, pour mieux dilater sa poitrine, et garder plus longtemps, mêlées à ses fibres, les volutes de la drogue philosophique et bienveillante.
Claude Farrère, la Bataille, VI.
➪ tableau Noms de remèdes.
2 Par ext. || Opium de laitue. ⇒ Lactucarium.
3 (Fin XVIIe). Fig. Ce qui a les effets de l'opium, et, spécialt, ce qui cause un désagréable assoupissement moral en éloignant des difficultés, des problèmes réels. || Les jeux sont des opiums (→ Billard, cit. 3). || « La religion (…) est l'opium du peuple » (trad. de Karl Marx).
5 La dévotion (…) est un opium pour l'âme; elle égaye, anime et soutient quand on en prend peu; une trop forte dose endort, ou rend furieux, ou tue.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, VI, VIII.
6 À la foule simple et crédule, à la femme, au paysan, le prêtre a donné l'opium du moyen âge, plein de trouble et de mauvais songes.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, III.
7 (…) Laulerque (…) ne s'en considérait pas moins comme un réaliste, comme un homme qui voit clair, et qui, refusant aussi bien l'ivresse lyrique que l'opium distribué par les doctrinaires de l'histoire, prétend garder en face des faits, et à chaque minute, une sorte de disponibilité cynique.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IX, XXV, p. 215.
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DÉR. Opiacé. — V. aussi Opianine, et opiat.
COMP. Opiomane, opiomanie, opiophage.
Encyclopédie Universelle. 2012.