NÉRON
Néron a symbolisé pour la postérité ce que l’histoire romaine recèle de plus monstrueux et de plus cruel. Les historiens antiques, Tacite et Suétone, ont tracé un étonnant portrait de l’empereur pervers, fou et sanguinaire; les chrétiens, dont il fut le premier persécuteur, ont encore noirci ce tableau. On doit constater cependant que le solide édifice impérial créé par Auguste, Tibère et Claude ne fut pas ébranlé par son étrange principat. La recherche contemporaine a nuancé l’image proposée par la tradition: la psychologie permet l’analyse et une meilleure compréhension des traits pathologiques de Néron; l’archéologie donne une idée positive de l’apport esthétique de son règne; enfin, les études régionales montrent la faiblesse des conséquences du délire néronien sur la vie des provinces de l’Empire.
Néron avant son avènement (37-54)
Le père de Néron, Cneus Domitius Ahenobarbus, aristocrate connu pour sa cruauté et son absence de sens moral, mourut quand il avait trois ans. Sa mère, Agrippine la Jeune, fille de Germanicus, était l’arrière-petite-fille d’Auguste. Animée d’une insatiable ambition, elle poussa son fils vers le pouvoir impérial. En 48, l’empereur Claude fit mettre à mort son épouse nymphomane Messaline; Agrippine parvint à le persuader de l’épouser. Claude était son oncle, mais le Sénat, complaisant, déclara légaux, en 49, ces mariages consanguins. Elle voulait assurer à son fils la succession impériale aux dépens du fils de Claude, Britannicus. En 50, Claude adopta Néron et, en 54, pour éviter que l’empereur ne proclamât Britannicus comme son successeur désigné, Agrippine empoisonna son époux. Aidée de Burrus, le préfet du prétoire, elle fit proclamer Néron empereur par les prétoriens. Le Sénat reconnut le fait accompli.
Le début du règne: la tutelle de Burrus et de Sénèque (54-62)
Néron n’avait pas dix-sept ans. Sénèque et Burrus exercèrent le pouvoir, s’appuyant, le premier sur le Sénat, le second sur l’armée. Le nouveau règne était, selon eux, un retour à la tradition: on élimina les affranchis de Claude. Toutefois, Agrippine entendait bien gouverner sous le nom de son fils et, vite, un conflit s’engagea. Le meurtre de Britannicus, en 55, fut en partie dû au fait que, par calcul, elle s’était rapprochée du fils de Claude. En mars 59, Néron la fit assassiner à son tour. Il demeurait pourtant populaire, car ces crimes ne touchaient qu’un cercle très limité. Cependant, il était de moins en moins docile aux conseils de Burrus et de Sénèque. En 62, Burrus mourut et Sénèque prévint la disgrâce par une démission. Néron avait les mains libres et c’est alors qu’il devint le despote dément dont la postérité a gardé le souvenir.
Caractère de Néron
La nature profondément pathologique du comportement de Néron ne fait aucun doute. Suétone insiste sur le caractère trouble de ses rapports avec sa mère: l’influence de cette femme qui, dès son enfance, fit de lui un simple instrument de son ambition impitoyable fut, à coup sûr, fort néfaste. Tacite et Suétone ont insisté avec complaisance sur les débauches variées de Néron. On peut les suspecter d’exagération mais non mettre en doute, pour l’essentiel, leur témoignage. Le sadisme fut, assurément, une des composantes de son caractère, mais non essentielle: la folie meurtrière dans laquelle il sombra eut surtout pour cause la peur maladive que lui inspirèrent sa famille, son entourage ou les opposants.
L’aspect le plus original de sa personnalité fut sa passion esthétique. Il fut poète, chanteur, joueur de cithare, acteur, conducteur de char. Il voulait se produire en public, recueillir des prix et des applaudissements, et cette obsession singulière finit par occuper une place prépondérante dans son esprit. C’était le développement du mousikos anèr , l’homme qui, par sa dévotion envers les Muses et les arts, participe à la vie des dieux. Les archéologues ont remarqué l’intérêt de ce qui subsiste, sur l’Esquilin, de l’immense Maison dorée (Domus aurea ) que Néron s’était fait bâtir: l’architecture et la décoration témoignent d’un effort de renouvellement, d’imagination, de rupture avec l’académisme augustéen; on a pu penser que Néron avait directement participé à ces recherches esthétiques.
Néron de 62 à 68
Dès 62, on remit en vigueur la redoutable loi de majesté , qui punissait de mort toute atteinte à l’État romain, donc à l’empereur. Les victimes furent nombreuses; citons Octavie, femme de Néron, les derniers descendants d’Auguste: la famille julio-claudienne devait s’éteindre avec Néron. Il y eut des victimes dans l’aristocratie où l’impopularité de Néron grandit. La plèbe de Rome l’aima jusqu’au bout, à cause de sa prodigalité et des jeux splendides qu’il offrait. En 64, une grande partie de Rome fut détruite par un incendie certainement fortuit, mais qui facilitait les projets d’urbanisme de Néron. Pour calmer l’opinion qui l’accusait d’avoir fait mettre le feu, il imputa ce crime aux chrétiens de Rome dont il fit périr un grand nombre dans d’affreux supplices. Il ne semble pas, toutefois, que Néron ait publié de loi générale contre leur religion.
En 65, une vaste conspiration groupa de nombreux opposants autour du sénateur Pison. Le complot découvert, la terreur régna dans les milieux sénatoriaux: un grand nombre d’hommes en vue furent tués ou durent s’ouvrir les veines, parmi lesquels Sénèque et le poète Lucain. On utilisa largement la délation et, les biens des condamnés étant confisqués, la terreur devint un expédient fiscal.
La chute de Néron
Jusqu’alors, l’Empire dans son ensemble n’avait guère souffert de la démence croissante du prince. La conquête de la Bretagne, œuvre de Claude, avait été achevée et une grave révolte, animée par la reine des Icènes, Boudicca, avait été écrasée (60-61). En Orient, le général Corbulon instaura en Arménie le protectorat romain et remporta, en 63, une grande victoire sur les Parthes. Un grave problème avait surgi en 66: les Juifs de Judée s’étaient soulevés et une guerre très dure avait commencé. Néron envoya contre eux le futur empereur Vespasien qui devait triompher des révoltés.
Néron, en 67, s’était rendu en Grèce et y avait paru dans les jeux comme chanteur, acteur et aurige; il remporta, bien entendu, tous les prix et proclama solennellement la liberté des cités grecques. Au printemps de l’année 68, des gouverneurs et des généraux se soulevèrent contre lui en Occident. Le Sénat et les prétoriens abandonnèrent alors Néron qui, perdu dans ses rêves esthétiques, ne sut réagir. Le Sénat proclama sa déchéance, le déclara ennemi public et donna l’Empire à Galba, gouverneur d’Espagne Citérieure. Néron s’enfuit dans une villa des environs de Rome et s’y suicida. Une grave guerre civile allait commencer, qui devait davantage ravager l’Empire que ne l’avaient fait les extravagances de Néron.
Néron
(Lucius Domitius Claudius Nero) (37 - 68 apr. J.-C.) empereur romain (54-68). Fils d'Agrippine la Jeune et de Cneius Domitius Ahenobarbus, adopté par l'empereur Claude après le mariage de ce prince avec Agrippine, il eut pour gouverneur Burrus, un soldat, et pour précepteur le philosophe Sénèque. Le début de son règne fut heureux, puis il fit mettre à mort: Britannicus, fils de Claude, auquel il avait ravi l'Empire; sa mère, Agrippine; sa femme, Octavie; Sénèque. Accusé d'avoir provoqué l'incendie de Rome (64), il rejeta le crime sur les chrétiens, qu'il persécuta. Quand les prétoriens eurent proclamé empereur Galba, il quitta Rome, et, sur le point d'être rejoint, se fit égorger par un affranchi en s'écriant: Qualis artifex pereo! ("Quel grand artiste périt avec moi!").
⇒NÉRON, subst. masc.
[P. allus. à l'empereur romain Néron] Personne très cruelle, despote sanguinaire. Et ce n'est que l'oeuvre triple terminée, que je la donnerai presque simultanément; mettant comme un Néron le feu à trois coins de Paris (MALLARMÉ, Corresp., 1877, p.151).
REM. 1. Néronicule, subst. masc., hapax. Vous vous donnez des airs de quelque chose. Eh bien, vous n'êtes rien, justement. Rien que des néronicules, vaincus d'avance (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p.434). 2. Néroniser, verbe intrans., hapax. Les tyrans de Rimini ont néronisé sans vergogne (SUARÈS, Voy. Condottière, t.1, 1910, p.249).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1680 (RICH.: Néron. Ce mot au fig. veut dire une sorte de tiran cruel). De Néron (Claudius Nero), empereur romain de 54 à 68, célèbre par ses cruautés.
DÉR. 1. Néronien, -ienne, adj. a) Partisan de Néron. En apprenant que Néron était destiné à l'Empire, il [saint Paul] aurait été tout de suite néronien (A. FRANCE, Pierre bl., 1905, p.148). b) Qui se rapporte à Néron. Époque néronienne. En partic. Jeux néroniens. Jeux littéraires institués à Rome par Néron, vers l'an 52, à l'instar de ceux d'Olympie. Les jeux néroniens furent rétablis par Domitien sous le nom de jeux capitoliens (Ac. Compl. 1842). c) Qui ressemble physiquement à Néron. Esdras (...) un grand garçon (...) à qui son front bas et son menton renflé faisaient un masque néronien, impérieux, un peu brutal (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p.55). d) Qui ressemble moralement à Néron, qui est digne de Néron. Perversité néronienne; crimes, meurtres néroniens. Sa cruauté naturelle [de Vallombreuse] se livrait, en ces exaspérations, à des emportements néroniens, aux dépens du premier malheureux qui lui tombait sous la main (GAUTIER, Fracasse, 1863, p.344). Plaisir un peu néronien d'allumer un feu de brousse (GIDE, Voy. Congo, 1927, p.800). — [], fém. [-]. Att. ds Ac. 1935. — 1re attest. 1721 adj. (Trév.); de Néron, suff. -ien; cf. le lat. neronianus «de Néron». L'angl. neronian «relatif à Néron» est attesté dep. 1598 ds NED. 2. Néronisme, subst. masc. a) Comportement tyrannique et cruel rappelant celui de Néron. La saoulographie des marins qui est inhumaine, monstrueuse, histrionne, spectaculaire et pousse au néronisme (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.263). b) Caractère d'une personne ayant ce comportement. Il a offert à ses amis un souper noir, sur une nappe noire, dans une salle tendue de noir (...) après tous ces exploits d'un néronisme un peu puéril (LEMAITRE, Contemp., 1885, p.326). — []. — 1re attest. 1796-97 (PACHE, Sur les factions et les partis, p.26, § 25); de Néron, suff. -isme. L'angl. neronism «système de gouvernement ressemblant à celui de Néron» est att. dep. 1670 ds NED.
néron [neʀɔ̃] n. m.
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♦ Vx. Personnage cruel, comparable à Néron. || Des nérons.
Encyclopédie Universelle. 2012.