INCESTE
Dans toutes les sociétés connues, l’inceste est prohibé, et l’infraction à la règle sévèrement châtiée: l’interdiction, pour un homme, d’avoir des relations sexuelles avec de proches parentes, apparaît comme une loi universelle, et par conséquent liée à la nature humaine elle-même. Le contenu de la prohibition varie cependant selon les sociétés, et vise des catégories de parentes différentes. La règle est donc fixée par la culture, et tient de la culture son caractère coercitif. Comment la prohibition de l’inceste peut-elle présenter simultanément les caractères universels des lois de la nature et les traits particuliers des règles de la culture? Il faut – par-delà les idées et les généralisations courantes – établir d’abord les faits, et enregistrer les régularités observables: à quelques exceptions près, fort significatives il est vrai, comme l’Égypte antique, le mariage avec les parentes composant la même famille nucléaire qu’Ego est universellement prohibé. Quant d’autres parentes sont interdites, elles sont dans la nomenclature de la parenté considérées comme la mère, la sœur ou la fille. La fonction de la prohibition de l’inceste se manifeste ainsi: en interdisant à l’homme de prendre pour femme ses parentes les plus proches, elles le contraignent à entrer en communication avec d’autres unités que celles dont il est issu. La prohibition n’est donc que le côté négatif d’une règle positive, qui institue entre les unités sociales circulation et échange. Règle universelle, la prohibition de l’inceste est la démarche fondamentale par quoi s’accomplit le passage de la nature à la culture.
On traitera ce problème en examinant, d’abord, les idées et les généralisations auxquelles il a donné matière. Il faudra, ensuite, établir soigneusement les faits et discerner les régularités observables dans l’univers des cultures. On pourra, enfin, proposer des explications, en distinguant deux types de sociétés, selon que le système de parenté est de structure élémentaire ou complexe.
Approches et généralisations
Il n’y a guère de cultures où la prohibition de l’inceste demeure sans justification: ici ce sont des mythes et des rites qui commentent l’interdit, là ce sont des constructions théologiques, ailleurs encore ce sont des générations philosophiques. Dans notre propre culture, on peut distinguer trois types d’explication.
L’impossible consanguinité
L’une des plus courantes, parce que la formulation théorique prête l’apparence de la rigueur à des idées populaires, est que la prohibition de l’inceste serait une mesure de protection visant à mettre l’espèce humaine à l’abri des effets néfastes que produiraient les mariages consanguins. Développé par Lewis H. Morgan et par Henry Maine, ce thème, en réalité, est d’origine récente: on ne le trouve pas attesté avant le XVIe siècle. Loin d’être universel, comme il le faudrait, puisque la règle à expliquer est elle-même universelle, il n’est présent que dans un petit nombre de cultures. Le caractère idéologique est patent, du fait qu’il prête à l’humanité primitive une intention contraire à ce qu’elle manifeste depuis le paléolithique: les procédés de reproduction endogamiques, loin d’être évités, sont consciemment recherchés pour perfectionner les espèces. L’exogamie pratiquée par les groupes humains, au surplus, n’a nullement pour but de limiter la variabilité de caractères biologiquement héréditaires ou de réduire les risques de mutations fâcheuses, mais de mettre en communication des segments sociaux distincts. Les mariages exogames sont donc, biologiquement, contractés au hasard. Ils ne peuvent, en conséquence, avoir d’effets bénéfiques ou maléfiques. Les calculs des généticiens montrent, quoi qu’il en soit, que l’interdiction du mariage entre proches parents ne diminuerait, dans une population de quatre-vingts personnes, le nombre des porteurs de caractères récessifs rares que de 10 à 15 p. 100. Les conditions démographiques dans lesquelles se trouvait l’humanité primitive l’empêchaient de recueillir les données du problème, à plus forte raison d’en poser exactement les termes (Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté ).
Les exigences de la «nature humaine»
Un autre type d’explication consiste à dire que la prohibition de l’inceste n’est autre que la traduction, dans l’univers des règles, de tendances ou de sentiments inhérents à la nature humaine. Ainsi pour Havelock Ellis, cette prohibition s’expliquerait par la répugnance qu’éprouveraient des partenaires sexuels possibles, quand l’accoutumance réduit l’excitabilité érotique. Pour E. Westermarck, elle viendrait de la répulsion, ou tout au moins de l’absence d’attraits, que de proches parents peuvent éprouver les uns pour les autres, quand ils sont liés par une vie commune. Formes savantes de préjugés populaires, ces explications de la règle par la sensation ou le sentiment supposent que la répulsion entre proches est universelle. Or il n’en est rien: on sait, depuis S. Freud, combien fort, au contraire, est l’attrait du fils pour la mère, de la fille pour le père, et la sœur pour le frère. Et l’on connaît nombre de sociétés, comme les Azandé, les Chukchee, les Indiens Thompson de la Colombie britannique, où l’on pense que l’attrait et l’affection entre époux ne peuvent naître qu’après une enfance passée en commun. Il y a lieu, surtout, de se demander pourquoi, si la répulsion est si forte qu’on le prétend, une prohibition solennelle est nécessaire, assortie de châtiments rigoureux pour sanctionner l’infraction.
Les impératifs sociaux
L’explication par des causes sociales est apparemment plus satisfaisante. C’est ainsi que pour E. Durkheim (La Prohibition de l’inceste ), la prohibition de l’inceste ne serait que la survivance d’un ensemble complexe de règles, imposant aux sociétés humaines les plus primitives la loi de l’exogamie. L’exogamie elle-même s’expliquerait par les interdits spéciaux frappant les femmes du groupe, à l’occasion notamment du sang menstruel. La crainte de ce sang particulier, à son tour, ne serait que l’expression d’une crainte plus générale du sang, liée à la croyance en la consubstantialité des membres du clan avec leur totem. Suggestive, dans la mesure où elle tend à rendre intelligibles des faits variés et apparemment sans lien, cette explication reste peu convaincante, pour au moins trois raisons. Le totémisme d’abord, auquel Freud (Totem und Tabu ) et Durkheim (Les Formes élémentaires de la vie religieuse ) se réfèrent, est moins une réalité indigène qu’une construction de l’ethnologue, une abstraction élaborée pour rendre compte de faits artificiellement rapprochés (Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui ). Ensuite l’explication d’une règle actuelle, par la survivance de règles anciennes, est insuffisante, car il faut encore dire pourquoi ces règles anciennes se perpétuent, quelles fonctions actuelles elles remplissent: c’est dans toutes les sociétés que l’inceste est aujourd’hui prohibé. La séquence historique imaginée par Durkheim, enfin, est hypothétique, et la probabilité pour que les sociétés actuelles soient dérivées de la horde primitive par une succession identiquement réglée de types de groupement est très faible. Durkheim n’en montre pas moins la voie. Universelle, la prohibition de l’inceste est à traiter comme l’un des dispositifs les plus généraux réglant le fonctionnement du système social.
Encore faut-il, pour résoudre le problème, établir plus précisément les faits, et dégager les régularités observables.
Les faits et régularités observables
L’échantillon de l’univers des cultures constitué par G. P. Murdock permet, d’abord, d’enregistrer, sans aucune ambiguïté, l’universalité de la prohibition de l’inceste: ni le mariage ni les relations sexuelles prémaritales ou postmaritales ne sont autorisées, pour aucune des sociétés de l’échantillon (tabl. 1), avec l’un des trois parents possibles de l’autre sexe dans la famille nucléaire.
La règle et ses exceptions
La méthodologie qui préside à la construction de l’échantillon laisse échapper, il est vrai, des exceptions significatives: les Azandé, dont les nobles se marient avec leurs filles, les Hawaïens, dont l’aristocratie pratique le mariage entre frères et sœurs, les Incas, pour la famille royale ou certains tout au moins de ses membres. Mais le cas le plus net est celui de l’Égypte antique (Russel Middleton). Plusieurs exemples de mariages entre frères et sœurs sont attestés dès la période pharaonique: Tao II, Ahmose, Amenhotep Ier, Thutmose Ier, Thutmose II, Thutmose III, Amenhotep II, Thutmose IV (XVIIIe dynastie, 1570-1397 av. J.-C.), mais aucun n’est certain hors des familles du pharaon. À la période suivante, sur treize Ptolémées qui occupèrent le trône, sept se marièrent avec leurs sœurs ou demi-sœurs. La mariage le plus célèbre de ce genre fut celui qui unit Ptolémée XIII avec sa sœur Cléopâtre VI. À la période romaine, enfin, les cas bien attestés abondent et paraissent concerner les différentes classes sociales et les différents districts géographiques (tabl. 2). L’explication de la pratique égyptienne reste controversée.
Il y a lieu de remarquer, toutefois, qu’en soi, elle ne constitue nullement une exception à la règle: le mariage demeure interdit avec la mère et avec la fille. Des indices montrent en outre qu’il n’est autorisé qu’avec la sœur aînée, et nullement avec la cadette (Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté ).
La prohibition étendue aux proches parentes
Précieux pour la théorie, dans la mesure où ils contraignent à rechercher des explications plus fines, les cas de sociétés où le mariage est autorisé, voire prescrit, entre père et fille ou frère et sœur, sont statistiquement exceptionnels. Aussi l’effort d’établissement des faits vise-t-il à enregistrer exactement les cas de mariage avec d’autres proches parentes que la mère, la sœur ou la fille. L’échantillon de Murdock fait ainsi apparaître que la prohibition de l’inceste n’est jamais limitée exclusivement à la famille nucléaire, mais qu’elle vise toujours plusieurs proches parentes (tabl. 3). Il n’est pas indifférent de constater que dans la plupart des cas où la relation sexuelle est interdite avec une parente telle que la tante, la cousine ou la nièce, celles-ci sont désignées dans la nomenclature de la parenté d’un terme qui les inclut dans la classe de la parenté la plus proche, mère, sœur ou fille.
Prohibition et prescriptions
L’échantillon de Murdock permet enfin d’évaluer non seulement la marge dans laquelle varie le contenue de la prohibition, mais encore le lien entre prohibition et prescription. Les parentes avec qui les relations sexuelles et le mariage sont interdits dans une société sont souvent aussi celles avec qui elles sont privilégiées ou prescrites dans une autre. Et il est fréquent que, dans une autre société, les relations sexuelles et le mariage soient interdits avec des parentes aussi éloignées dans l’espace généalogique que celles avec qui elles sont privilégiées ou prescrites. Les règles gouvernant le mariage entre cousins le montrent bien: les six paires de cousins théoriquement constructibles rapprochent en effet des parents biologiquement équidistants. Or, dans la plupart des cultures, ces paires sont traitées de manière significativement différente (tabl. 4).
Si tels sont les faits et les régularités observables, quelles explications la théorie peut-elle leur donner?
La théorie explicative
Une distinction est ici à faire, que propose Lévi-Strauss, dans le traitement des sociétés selon que le système de parenté y est de structure élémentaire ou complexe . Un système de parenté est de structure élémentaire quand les catégories et les règles qu’il mobilise sont déterminées sans considérations autres que celles de la position dans le réseau des alliances et des filiations. Il est de structure complexe dans le cas contraire, quand l’alliance et la filiation se combinent avec la stratification sociale, quand l’héritage et le mariage sont conclus en considération aussi de la noblesse et de la richesse (Anthropologie structurale ).
Or si l’on étudie avec quelque détail le fonctionnement de l’alliance dans les systèmes de structure élémentaire, comme Lévi-Strauss l’a fait, il apparaît que «la prohibition de l’inceste est moins une règle qui interdit d’épouser mère, sœur, ou fille, qu’une règle qui oblige à donner mère, sœur ou fille à autrui» (Les Structures élémentaires de la parenté ). Rien en effet, dans les qualités intrinsèques de la mère, de la sœur, ou de la fille, n’empêche qu’elles soient des conjointes biologiquement possibles. La raison pour laquelle ces femmes sont socialement interdites est à rechercher dans les principes mêmes de la parenté et de l’alliance. La qualité de mère, de sœur et de fille, comme celle de tante, de cousine ou de nièce, résulte de la position dans un réseau de relations. À chaque position sont attachées des prescriptions et des prohibitions, qui fixent les rapports entre les unités du réseau. Loin d’être une opération isolable, un mariage est toujours partie d’un ensemble. Interdit entre telles catégories d’unités du réseau, il est prescrit entre telles autres. Conclu entre telles unités déterminées, il entraîne une chaîne de conséquences: celui qui a donné doit recevoir, et celui qui a reçu, donner. Avant d’être un interdit portant sur une catégorie de personnes, la prohibition de l’inceste est une prescription relative à une autre catégorie de personnes: elle vise moins la femme prohibée que le beau-frère obligé, moins la partenaire sexuelle interdite que l’allié social nécessaire. «Tu voudrais épouser ta sœur? commentent les Arapesh à l’ethnologue qui les interroge. Mais qu’est-ce qui te prend? Tu ne veux pas avoir de beau-frère? Tu ne comprends donc pas que si tu épouses la sœur d’un autre homme, et qu’un autre homme épouse ta sœur, tu auras au moins deux beaux-frères, et que si tu épouses ta propre sœur tu n’en auras pas du tout? Et avec qui iras-tu chasser? Avec qui feras-tu les plantations? Qui auras-tu à visiter? (Margaret Mead: Sex and Temperament in Three Primitive Societies ). La théorie ethnologique, ici, n’a qu’à expliciter la théorie indigène: la prohibition de l’inceste n’est que l’envers de l’obligation de l’échange.
Pour les systèmes de parenté à structure complexe, la fonction de la prohibition de l’inceste est moins apparente. Les cycles, en effet, sont de longueur inassignable: renonçant à une proche parente, chacun, certes, acquiert le droit de prendre les proches parentes d’autrui. Rien ne garantit cependant, que ce droit pourra être suivi d’effets: la réciprocité est un principe général, non une règle d’application particulière. L’inceste dans ces sociétés n’en est pas moins prohibé, et l’infraction à l’interdit sévèrement sanctionnée, comme le symbolise le châtiment sanglant que s’inflige Œdipe, amant demi-conscient de sa mère. Le contenu de la prohibition varie aussi non moins que dans les sociétés à système de parenté de structure élémentaire. Ainsi, aux États-Unis mêmes, où le dixième amendement réserve aux États le droit de réglementer le mariage, la définition des catégories de femmes interdites varie sensiblement (K. G. Heider). Les cinquante États interdisent sans exception la mère, la fille, la petite-fille, la sœur, la grand-mère, la tante et la nièce. Mais ils diffèrent pour les autres catégories de parentes (tabl. 5).
On peut alors considérer la loi de chaque État comme un «modèle indigène» de la prohibition, explicité en autant d’articles que de catégories de femmes interdites. Comment ces modèles s’expliquent-ils eux-mêmes? Si l’on examine séparément le cas des femmes parentes consanguines et celui des femmes parentes par alliance, les résultats sont remarquablement concordants: la prohibition est d’autant plus fréquemment marquée dans la loi qu’elle concerne des femmes plus proches dans l’espace généalogique. Dans les sociétés mêmes où le cycle des échanges matrimoniaux est si long qu’il échappe le plus couramment à la manœuvre des individus, la fonction de la prohibition de l’inceste n’est donc pas inaperçue. L’ordre dans lequel sont classées les catégories de parentes montre que par-delà les positions respectives dans l’espace généalogique, c’est la longueur des cycles que les législateurs considèrent: interdisant les femmes d’autant plus fréquemment qu’elles sont proches, c’est à l’échange finalement qu’ils obligent.
Ainsi, quelle que soit la complexité des systèmes de parenté, la prohibition de l’inceste assure-t-elle la régulation de l’échange. Règle universelle, et de ce fait naturelle à l’espèce humaine, elle oblige, sous des modalités variées, les êtres humains à communiquer autrement que sous l’impulsion des instincts. Elle constitue, selon le mot de Lévi-Strauss, «la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle s’accomplit le passage de la nature à la culture».
inceste [ ɛ̃sɛst ] n. m.
• 1130; lat. incestus, proprt « non chaste »
♦ Relations sexuelles entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne la prohibition du mariage. Inceste entre le père et la fille, le frère et la sœur. Commettre un inceste. Accusé d'inceste. — Par ext. Amour incestueux. Byron « baptisant inceste un amour assez naturel pour une demi-sœur inconnue, transforma la faute en crime » (Maurois).
● inceste nom masculin (latin incestus, impur) Relations sexuelles entre un père et sa fille, une mère et son fils, un frère et une sœur. ● inceste (difficultés) nom masculin (latin incestus, impur) Genre Masculin : un inceste. ● inceste adjectif et nom Littéraire. Qui s'est rendu coupable d'inceste.
inceste
n. m.
d1./d DR Union entre parents ou alliés dont le mariage est interdit.
d2./d Relations sexuelles entre proches parents ou alliés. (En Afrique, la notion d'inceste peut s'étendre à un cercle plus large de parents et d'alliés et inclure des situations autres que l'union sexuelle.)
⇒INCESTE, subst.
A. — Subst. masc.
1. Relations sexuelles prohibées entre parents très proches de sexe différent. Commettre un inceste. Le parjure, le meurtre et l'inceste étaient la vie commune. En Égypte, les rois, à l'exemple des dieux du pays, épousaient leurs sœurs, régnaient avec elles (MICHELET, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 51). La prohibition de l'inceste — règle universelle élaborée par l'humanité et transmise d'âge en âge — est une démarche acquise et non pas innée, qui, selon Lévi-Strauss, est « fondamentale, grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle s'accomplit le passage de la nature à la culture » (Le Monde dimanche, 20 sept. 1981, p. 5, col. 3) :
• 1. La Bible nous en indique un exemple très inquiétant pour la Foi. « Loth, fuyant Sodome, fut séduit, vous ne l'ignorez pas, par ses deux filles, et, étant privé de sa femme changée en statue de sel, il succomba. De ce double et horrible inceste naquirent Ammon et Moab... »
MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Nos Angl., 1885, p. 55.
— DR. ,,Commerce charnel entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne une prohibition au mariage`` (CAP. 1936). Nicolas III décapita sa femme Parisina pour inceste avec son propre bâtard Hugues (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 17) :
• 2. ... car en dépit de la fable, rien de moins criminel que le trouble de Phèdre : rien de réel n'y répond à ce mot affreux d'inceste, puisque le sang de Phèdre ne coule pas dans les veines d'Hippolyte.
MAURIAC, Vie Racine, 1928, p. 132.
2. P. ext., DR. CANON. Relations sexuelles entre personnes considérées comme unies par un lien spirituel, entre un parrain et sa filleule, entre un confesseur et sa pénitente. Inceste spirituel (Ac. 1798-1935). Et quel attrait d'inceste spirituel, de la femme laie avec un clerc! (PÉLADAN, Vice supr., 1884p. 282) :
• 3. Il est vrai que l'on risque alors de s'amouracher d'un confesseur qui est peut-être, lui-même, sans défense, et... — Et c'est l'inceste, car le prêtre est un père spirituel, et c'est aussi le sacrilège, car le prêtre est consacré.
HUYSMANS, Là-bas, t. 2, 1891, p. 88.
B. — Subst., vieilli. Personne qui a commis un inceste. Synon. incestueux. Fils de l'inceste. Le fils, sans le connaître, tuerait son père et épouserait sa mère... Cela découvert, il dirait à ses enfants avant de se tuer... : « Venez, fils de l'inceste... Imprimez-vous bien mon visage... » (CHÉNIER, Poèmes, Amérique, 1794, p. 117) :
• 4. DON APOSTOLO : Gennaro, cette femme à qui tu parlais d'amour est empoisonneuse et adultère. JEPPO : Inceste à tous les degrés. Inceste avec ses deux frères, qui se sont entretués pour l'amour d'elle! DONA LUCREZIA : Grâce! ASCANIO : Inceste avec son père, qui est pape!
HUGO, L. Borgia, 1833, I, part. 1, 5, p. 46.
Rem. ,,Dans ce sens, on l'a quelquefois employé comme adjectif, surtout en poésie`` (Ac. 1835-1935).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Fin du XIIIe s. « relations sexuelles entre proches parents » (Hystore Job, éd. J. Gildea, 871). B. 1. a) Fin du XIVe s. adj. « qui a commis un inceste » (E. DESCHAMPS, Œuvres, VI, 146, 12 ds T.-L.); b) 1524 emploi subst. « personne qui a commis un inceste » (P. GRINGORE, Le Blason des hérétiques ds Œuvres complètes, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 1, p. 332); 2. ca 1480 « qui constitue un inceste » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 5407). A empr. au lat. class. incestum « sacrilège; inceste ». B empr. au lat. incestus adj. « sacrilège; incestueux ». Fréq. abs. littér. : 185. Bbg. HESSE-FINK (E.). Ét. sur le thème de l'inceste dans la litt. fr. Bern, 1971, passim. (Thèse. Zurich. 1967).
inceste [ɛ̃sɛst] n.
ÉTYM. Fin XIIIe; du lat. incestum, n., de incestus, adj., « impur; impudique, incestueux », de in- (→ 1. In-), et castus « pur, intègre, pieux ». → Chaste, châtier.
❖
1 N. m. Dr. Relations sexuelles entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne la prohibition du mariage, et, cour., entre parents très proches (au premier degré). || Inceste entre la mère et le fils, le frère et la sœur, l'oncle et la nièce. || Inceste fraternel (cit. 1). || Commettre un inceste. — Par ext. Amour incestueux.
1 — Chargé du crime affreux dont vous me soupçonnez
Quels amis me plaindront, quand vous m'abandonnez ?
— Va chercher des amis dont l'estime funeste
Honore l'adultère, applaudisse à l'inceste (…)
— Vous me parlez toujours d'inceste et d'adultère (…)
Racine, Phèdre, IV, 2.
2 (…) les Tartares, qui peuvent épouser leurs filles, n'épousent (…) jamais leurs mères (…) Il a (…) fallu une barrière insurmontable entre ceux qui devaient donner l'éducation et ceux qui devaient la recevoir (…) L'horreur pour l'inceste du frère avec la sœur a dû partir de la même source. Il suffit que les pères et les mères aient voulu conserver les mœurs de leurs enfants, et leurs maisons pures, pour avoir inspiré à leurs enfants de l'horreur pour tout ce qui pouvait les porter à l'union des deux sexes.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXVI, XIV.
3 « Les Tartares, dit l'Esprit des Lois, qui peuvent épouser leurs filles, n'épousent jamais leurs mères ». On ne sait de quels Tartares l'auteur veut parler. Il cite trop souvent au hasard. Nous ne connaissons aujourd'hui aucun peuple (…) où l'on soit dans l'usage d'épouser sa fille (…) J'avoue que la loi qui prohibe de tels mariages est une loi de bienséance; et voilà pourquoi je n'ai jamais cru que les Perses aient épousé leurs filles (…) Il se peut que quelque prince de Perse eût commis un inceste, et qu'on imputât à la nation entière la turpitude d'un seul.
Voltaire, Dict. philosophique, Inceste.
3.1 (…) je suppose une société où il sera convenu que l'inceste (admettons ce délit comme tout autre), que l'inceste, dis-je, soit un crime, ceux qui s'y livreront seront malheureux, parce que l'opinion, les lois, le culte, tout viendra glacer leurs plaisirs; ceux qui désireront de commettre ce mal, et qui ne l'oseront, d'après ces freins, seront également malheureux; ainsi la loi qui proscrira l'inceste, n'aura fait que des infortunés. Que dans la société voisine, l'inceste ne soit point un crime, ceux qui ne le désireront pas ne seront point malheureux, et ceux qui le désireront seront heureux.
Sade, Justine…, t. I, p. 119.
4 On pourrait presque dire que ce fut lui, et lui seul qui, baptisant inceste un amour assez naturel pour une demi-sœur inconnue, transforma la faute en crime (…) L'inceste violant une des lois les plus antiques des hommes, lui semblait donner aux joies de la chair le prestige de la révolte. Augusta, beaucoup plus simple, s'abandonnait.
A. Maurois, la Vie de Byron, II, XVIII.
♦ Sociol., anthrop. || Interdit, prohibition de l'inceste, règle fondamentale gouvernant l'échange des femmes.
♦ Psychan. Relation de désir entre le jeune enfant et le parent de sexe opposé (⇒ Œdipe), considérée comme la base du mythe de l'interdit de l'inceste, succédant au meurtre du père et engendrant l'interdit, la loi et la transgression (le désir) au sein de la « horde primitive » (notion freudienne contestée).
♦ Droit :
5 Le mariage célébré entre personnes parentes ou alliées au degré prohibé est nul, et le vice qui l'atteint porte le nom d'inceste.
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, §722, p. 273.
♦ Dr. canon. Relations coupables avec une religieuse. || Inceste spirituel, entre personnes unies par un lien spirituel (parrain et filleule, etc.).
2 N. (Fin XIVe, adj., de l'adj. lat. incestus; n., déb. XVIe). Vx. Personne qui a commis un inceste. — Adj. Personnes. ⇒ Incestueux. — (Fin XVe). Choses. Qui a le caractère d'un inceste. || Désir inceste (Corneille, Œdipe, III, 5).
Encyclopédie Universelle. 2012.