Akademik

HERMÉNEUTIQUE
HERMÉNEUTIQUE

Le mot «herméneutique», du grec 﨎福猪兀益﨎晴見 qui signifie interprétation, caractérise la discipline, les problèmes, les méthodes qui ont trait à l’interprétation et à la critique des textes.

Le terme est utilisé surtout à propos des œuvres de prose ou de poésie pour désigner l’ensemble des problèmes de lecture et de compréhension de celles-ci, mais il est employé aussi à propos de toutes les catégories d’œuvres d’art, des récits mythologiques, des rêves, des diverses formes de littérature et du langage en général. C’est le but de l’herméneutique de dépasser la simple critique et l’interprétation des textes et de viser à constituer une théorie générale de l’inspiration. Le mot a sa portée majeure dans le cas de l’exégèse biblique ; c’est à cette dernière qu’on se référera le plus souvent ici.

L’herméneutique, problème moderne, ne date cependant pas d’hier. Déjà Aristote avait jugé nécessaire d’écrire un Peri Hermeneias. La sémantique grecque n’ignorait pas que «dire quelque chose de quelque chose, c’est déjà dire autre chose, interpréter». Mais ce constat et le problème qu’il soulève ne sont pour Aristote qu’une introduction à l’analyse des propositions. La logique grecque repose sur l’univocité des affirmations; elle tend à écarter le déplacement du sens et la métonymie. C’est pourquoi les philosophes grecs ont proscrit la comédie, qui ironise et apparaît mensongère; en revanche, la tragédie, qui cherche la purification ( 見見福靖晴﨟) des passions, s’exprime en clair et réalise l’imitation de la vérité. La logique grecque classera les concepts selon l’arbre de Porphyre, dont les ramifications sont élucidées une fois pour toutes et reconnues par tous. L’herméneutique de l’Antiquité visait ainsi à assurer l’empire du礼塚礼﨟 sur le 猪羽礼﨟 et de la philosophie sur la mythologie.

L’herméneutique moderne, née dans le sillage de Wilhelm Dilthey et surtout de Edmund Husserl, souligne au contraire la pluralité et la divergence des sens, la succession historique des interprétations et la difficulté qu’il y a à surmonter le conflit des significations. L’homme d’aujourd’hui ne s’éprouve plus semblable à un autre, il s’éprouve différent et étranger à autrui. L’expérience moderne est celle de l’estrangement et de la difficulté de la communication.

Dilthey a fait du retour au temps et à la durée la base de sa réflexion sur l’intellect; la vie porte la pensée en elle; l’expérience vécue d’un sens est liée à la cohésion d’une vie particulière. Après lui, Husserl a fait du retour au vécu le thème même de la recherche phénoménologique; les existentiaux sont le terreau où se produit la constitution anonyme du sens, l’objectivité scientifique n’étant que l’attitude adéquate pour résoudre un problème particulier. Martin Heidegger, revenant au fondement de la métaphysique, a repris enfin ces questions en posant la question de l’être dans sa distinction d’avec tout étant. À la lumière de ces recherches et de beaucoup d’autres après elles, le sens apparaît multiple et changeant comme la vie même. Ces réflexions contemporaines conduisent toutes au constat exprimé par Paul Ricœur: «Il n’y a pas d’herméneutique générale, pas de canon universel pour l’exégèse, mais des théories séparées et opposées concernant les règles de l’interprétation.» La réflexion herméneutique se voit ainsi assigner la tâche paradoxale de surmonter la divergence des herméneutiques.

1. Pensée moderne et langage des mythes

Mythe et vérité

La pensée moderne ne cherche pas d’abord dans un texte une idée essentielle ni une affirmation de caractère universel et de portée métaphysique. Elle se veut fidèle au concret, elle cherche à comprendre les situations originaires et elle fait retour au mythe. Ce n’est plus le jugement philosophique d’un auteur qui est le lieu de la vérité. Mieux vaut dire qu’il y a dans le monde des vérités, corrélatives des attitudes intentionnelles qui les saisissent. Il y a des expressions de l’homme dans son monde; il y a des mythes prégnants de vérité. Le problème philosophique majeur est dès lors celui de la vérité des mythes.

Cependant, le mythe apparaît d’emblée comme ambigu: est-il fable ou vérité? Il faudrait, pour en décider, pouvoir remonter à l’expérience vive du mythe qui est aujourd’hui perdue.

Le mythe étant recueilli dans son état dernier, dans sa forme écrite et déjà organisée comme légende, les ethnologues du passé, collecteurs de légendes, l’ont d’abord considéré comme un récit étiologique, comme une fiction qui séduit le cœur et l’esprit et qui s’est transmise après la fin de l’époque mythopoiétique: «Produit de la pensée que la pensée a dépassé, récit en opposition avec la vérité, qui réunit tout ce qui ne se laisse pas intégrer dans la réalité .» Cette théorie des ethnologues a beaucoup contribué à développer et à vulgariser l’opposition classique entre représentation mythique et pensée logique, considérées comme les deux pôles de la vie de l’esprit. La fonction mythique apparaît imaginaire, créatrice de symboles, elle plonge dans l’inconscient; la fonction logique apparaît intentionnelle, conceptuelle, elle distingue et unit dans le champ du conscient. Mais la fonction mythique est la seule par laquelle l’homme tente de se forger son monde, de rendre intelligible pour soi-même l’univers extérieur et intérieur. La fonction logique ne fait qu’en rendre raison en soi , dans l’absolu.

Une seconde conception du mythe, plus élaborée et plus ancienne que celle des ethnologues, est celle qui le reçoit comme une allégorie ; elle a été popularisée par le romantisme. Au-delà de la signification directe, apparente, littérale du récit mythologique, on reconnaît une signification cachée, latente. À sa surface, le mythe n’est qu’une comptine dépourvue de sens ; en profondeur, c’est une histoire sérieuse et grave qui apporte des révélations tout à fait imprévues sur la vie des hommes, et qu’il faut savoir écouter et déchiffrer. Ce sens profond, cette intelligibilité dernière est toujours celle d’un au-delà dont seul le mythe sait parler: «Le mythe est un mode de pensée selon lequel ce qui n’est pas du monde apparaît comme étant du monde, comme l’au-delà d’un ici-bas» (R. Bultmann).

La conception allégorique reconnaît ainsi la structure ambivalente du mythe. Elle perçoit que le mythe, par son équivocité même, traduit mieux la richesse du réel que le discours et donne par conséquent une idée plus exacte de la fécondité inépuisable de l’existence. Elle lui accorde donc une part de vérité. Mais elle ne l’apprécie que pour aussitôt s’écarter de lui et le dépasser, parce qu’elle le juge obscur. Elle l’utilise plutôt qu’elle ne l’interprète. L’ambivalence du mythe stimule l’intelligence personnelle selon la pénétration propre à chacun, mais l’interprète allégoriste lui impose un sens second plutôt qu’il ne cherche à découvrir son sens caché. Aussi l’allégorie débouche-t-elle le plus souvent dans la gnose. Dans ce climat de pensée, ce n’est pas tant le mythe qui est estimé vrai que la signification qu’on lui attribue. L’allégorie se livre sans cesse à une fuite du symbole donné vers un prétendu sens à découvrir.

Du mythe au symbole

Pour éviter cette rupture de l’image et du sens, il faut parvenir à une approche encore plus concrète et plus originaire du mythe. La définition symbolique du mythe y tend: «Le mythe est l’expression complexe et variée que l’homme peut faire de lui-même et des réalités mystérieuses avec lesquelles il est en relation» (Mircea Eliade). Ou mieux encore: «Le mythe est un récit traditionnel qui rapporte des événements arrivés à l’origine des temps et qui est destiné à fonder l’action rituelle des hommes d’aujourd’hui et, de manière générale, à instituer toutes les formes d’action et de pensée par lesquelles l’homme se situe dans son monde. Fixant les actions rituelles significatives, il fait connaître, quand disparaît sa dimension étiologique, sa portée exploratoire et apparaît dans sa fonction symbolique, c’est-à-dire dans le pouvoir qu’il a de dévoiler le lien de l’homme à son sacré» (Paul Ricœur).

Cette définition rapproche le mythe du rite, et elle lie le mythe à l’histoire au lieu de l’en dissocier comme le fait l’allégorie. La mythologie n’est pas identifiée au monde du primitif; mythe et histoire se pénètrent et se confondent jusqu’à l’éclosion de la raison, jusqu’à l’avènement de l’univers de la science, ce dernier inclus. À l’âge de la science et de la technique, le mythe, au premier abord, ne paraît être qu’une tentative inadéquate d’exprimer l’origine des choses, une donnée qui doit être éliminée, «démythologisée». Mais le mythe est en réalité indéracinable, car il est constitutif de la pensée même qui le nie. La science ne peut exclure que son intention étiologique, sa prétention d’expliquer l’origine et la fin de l’humanité. Mais dans ce processus de remontée de la fonction causale, qui a forgé la fiction, et de la fonction suggestive, qui donne prise à l’allégorie, au symbolisme primitif, le mythe révèle sa portée exploratoire. Il restitue l’homme dans la «forêt des symboles» qu’il a jadis créés. Il dévoile le lien de l’homme à son sacré, au divin et, dans le cas de la Bible, à Celui qu’il a un jour appris à nommer de son vrai Nom, au reste imprononçable (Exode, III, 15).

Le symbolisme se distingue de l’allégorie en ce qu’il ne cherche pas un sens du mythe autre que le mythe et qui serait exprimable dans un autre langage; il renvoie à ce sens latent du mythe qui n’est connaissable que grâce à lui et qui permet de retrouver et d’appréhender sa portée symbolique profonde.

Le symbole donne à penser

Le retour au symbole a pour but de rejoindre la signification propre du langage primitif. Il fait ressaisir l’expérience qui a donné naissance au mythe. En nouant origine et fin, archéologie et eschatologie, le mythe appréhendait l’existence humaine comme une totalité à partir de laquelle la vie de l’homme trouvait son orientation et prenait son sens. Une expérience primitive est ainsi inscrite dans la trame des mythes; elle peut être retrouvée au moyen de la réminiscence qu’ils provoquent; et l’avenir est offert en eux dans une expectative qu’ils suscitent et qui assure leur actualité.

Pour retrouver le sens des mythes, il faut donc successivement remonter au-delà de l’étape de fixation et de conceptualisation du récit mythique, effet d’une réflexion rationalisante; puis, au-delà de la fiction allégorique, première tentative d’explication et de domestication du mythe; et enfin retrouver l’expérience vive, collective et tragique, qui s’est donné son premier langage, celui des symboles, dont le mythe est comme la transcription chiffrée et l’aveu.

En se débarrassant de sa gangue mythologique, le symbole délivre son langage originel et livre son message. La charge du langage étant assurée par une «répétition en sympathie», la pensée inhérente au monde des mythes n’est pas évacuée mais au contraire émane de ce plein: le symbole donne à penser. On n’est pas ramené, une fois de plus, au礼塚礼﨟 classique, car tout reste dit en énigme; c’est l’énigme même qui enseigne. Il faut admettre que la pensée est au niveau même des symboles et jaillit à partir d’eux. Il faut laisser mourir l’exigence impérative de la rationalité, accepter la dissolution de l’explication étiologique, pour sauver le mythe. Le mythe pourra alors être retrouvé de nouveau et interprété par l’homme moderne critique, qui n’est plus l’homme naïf primitif, premier créateur des mythes.

L’herméneutique contemporaine se veut ainsi fidèle au propos primitif du mythe: elle veut entendre, comprendre, retrouver le moment d’émerveillement, l’intelligibilité première. Tel est le but même de la démarche qu’elle inaugure: l’homme moderne entendra de nouveau le langage du mythe et, de nouveau, se posera des questions. Le cycle de la pensée sera alors en quelque sorte accompli. Une première naïveté humaine a été perdue, mais l’homme critique aspire à une naïveté seconde. Toute compréhension doit aboutir à la question. L’herméneutique assure l’adéquation et la parenté de la pensée avec ce dont il est question.

2. L’interprétation et l’horizon du discours

Les trois dimensions de l’herméneutique

Trois attitudes paraissent pouvoir être adoptées en face de la question herméneutique.

Dans celle qu’on peut appeler archaïque , l’attention est portée surtout au symbole naturel primaire. On s’attache à ce qu’il y a de plus originaire dans le dire poétique ou mythique. On fait retour essentiellement à la source du langage. Ce propos est marqué par un souci de la structure des expressions. On constitue une archéologie de la mémoire et du savoir. Ainsi le thème biblique de la chute et de l’exil sera saisi grâce à la puissance évocatrice des mots qui le traduisent à chaque époque de l’histoire: souillure corporelle, humiliation, guerre et conflit, culpabilité, péché originel. Les symboles envisagés, reçus dans leur sens littéral, sont acceptés dans leur opacité, révélant et cachant aussi bien le sens latent du texte.

Il y a ensuite une compréhension et une intelligence seconde du récit, qui suit la flèche des symboles en se fondant sur la récurrence et la constitution des types . Le langage est la «lumière de l’émotion». Il est la clef qui permet de redécouvrir le monde des symboles lui-même. Toutes les littératures témoignent d’une évolution linguistique qui permet de jalonner les éruptions de la geste symbolique qu’elles reflètent. Ainsi peut-on retrouver dans la Bible, toujours à propos du thème de l’exil, les différentes formes d’expression de l’expérience primitive. On peut suivre la conscience collective de la faute, éprouvée par tout le peuple. Celle-ci a trouvé en définitive son «type» dans la chute d’Adam. Mais le symbole adamique a en réalité peu de place dans la Bible. Les personnages de l’histoire, Noé, Abraham, Moïse, qui en ont beaucoup plus, constituent les moments historiques de répétition du thème de la faute. Le type d’Adam est néanmoins revêtu d’un sens universel; il sera assumé par saint Paul dans le thème théologique du nouvel Adam, qui englobe l’humanité nouvelle.

Une troisième attitude, de caractère existentiel , s’attache à saisir l’expérience initiale elle-même. Elle cherche pour cela à retrouver comment le mythe nous atteint dans notre situation présente et rejoint notre propre expérience, malgré l’écart de notre propre précompréhension (cf. R. Bultmann, «Nouveau Testament et mythologie», dans l’Interprétation du Nouveau Testament ). Ici le thème biblique de l’exil s’offre directement comme symbole de l’aliénation humaine; c’est bien un thème universel. Mais c’est dans l’exil d’Égypte qu’un peuple particulier en a fait pour la première fois l’aveu, par le truchement de ses rites et de son sacré. C’est dans l’événement libérateur qu’il a reconnu la main de Celui qui se rendait présent à lui, se révélait. L’événement particulier intéresse dès lors toute l’histoire et prend valeur universelle. Il concerne l’existence de tous les hommes.

Transcendance et révélation

La démarche herméneutique, on l’a souvent remarqué, soit pour s’en étonner, soit pour la récuser, s’évade de la démarche philosophique stricte et s’aventure à tout instant dans le domaine de la théologie ou tout au moins de la philosophie de la religion. La réflexion qu’elle inaugure, en effet, ne distingue pas entre philosophie et théologie, de sorte qu’elle est le lieu d’une sorte de cheminement commun du philosophe et du théologien.

Si l’on s’en tient d’abord aux questions propres du philosophe, celui-ci devra-t-il donc envisager comme horizon de son discours une transcendance, et pourra-t-il par la voie des symboles appréhender quelque chose de la révélation même? Devra-t-il se mettre dans l’hypothèse d’un centre actif de la pensée et de l’action d’une présence qui dépasse tout langage? Le philosophe est pris lui-même dans le «cercle herméneutique». Une fois qu’il est entré dans le monde des symboles, ce monde lui devient étranger et incohérent s’il s’abstient d’y croire. Ayant vocation de penser, il doit opter, parier, faute de quoi sa pensée s’arrête. Il doit acquiescer et s’abstenir de juger.

Mais ce choix, ce pari peut être simplement philosophique: le philosophe laisse simplement ouverte la possibilité d’une adhésion personnelle à ce qui se dévoile, d’une reconnaissance d’un révélant au-delà du révélé. Il se propose seulement de vérifier le révélé, qui se rencontre dans le monde total de l’homme et qui par là est sien; il n’a pas à se tourner pour autant vers un révélant premier, une transcendance.

Autrement, les questions prendront d’emblée un caractère théologique. Les mythes apparaissent alors déjà «démythologisés» et recentrés dans la Bible. L’exil, le péché, la chute sont lus avec tout leur sens, selon leur clef biblique, voire évangélique; la réflexion sur la pensée humaine et sur l’éthique trouve d’emblée son mouvement dans le climat de la transcendance ainsi ouvert.

Mais qu’est-ce qui permet ou contraint d’opter et de comprendre ces thèmes ainsi? Qui dit qu’il y a effectivement révélation, que Dieu est au cœur de l’histoire? Rien ne permet de trancher cette question. Une herméneutique homogène et cohérente place seulement l’homme devant un choix inéluctable.

Si l’homme est placé devant l’option concrète de la transcendance, la conséquence de la réflexion herméneutique est qu’elle le réduit, en face de la transcendance précisément, à ne plus pouvoir parler de Dieu. Parler de l’action de Dieu comme d’un événement objectif qui atteint l’être humain paraît désormais mythologie primitive. Mais une parole significative sur l’action de Dieu n’est ni pure image ni pur symbole, car elle ne peut être proférée que par celui que Dieu atteint effectivement. Parler de l’action de Dieu met en cause l’existence. Il n’est donc plus possible de parler de l’action de Dieu de façon imaginative et illusoire. Pour celui qui sait qu’elle ne s’accomplit que dans les rencontres et les décisions qu’elle propose, le monde n’est plus un domaine clos. Il est le lieu de la «décision de la foi» qui brise le processus infini de la pensée objectivante. La foi est aventure réelle non pas à la façon de la pensée mythique qui affronte un univers éprouvé comme déchiré, mais parce qu’en reconnaissant l’action de Dieu elle nie le monde comme totalité naturelle close. Mais «là réside le paradoxe de la foi: elle comprend comme fait de Dieu les événements que l’on peut aussi interpréter dans leur contexte naturel et historique» (Bultmann, in Kerygma und Mythos , t. II).

Le cercle herméneutique

L’apport essentiel de l’herméneutique contemporaine, c’est d’avoir reconnu que l’interprétation suppose toujours un rapport vital à ce qui est exprimé directement ou indirectement dans le texte abordé. Seul un homme qui a le sens musical peut comprendre un texte de musique et en interpréter les mesures. Seul un homme qui a le sens de l’amour, de l’amitié, de la famille, du métier peut comprendre un roman. Une certaine littérature demeurera toujours fermée à certains critiques par suite de leur âge ou de leur éducation. Le rapport au texte peut être conscient ou bien tout à fait naïf et irréfléchi, peu importe: la véritable condition de toute interprétation (comme de toute traduction), c’est qu’interprète et auteur soient, comme hommes, d’un même monde historique. L’intérêt commun peut seul déterminer une position de la question cohérente avec le texte.

Le problème de l’herméneutique naît du fait que les questions demeurent multiples et les interprétations divergentes. Chacun lit avec sa propre précompréhension, à partir de son monde. Les exégèses et les traditions tendent à s’exclure et à s’excommunier. La question de la vérité s’en trouve redoublée: puis-je encore croire? «Quelque chose est perdu, irrémédiablement perdu, l’immédiateté de la croyance» (P. Ricœur). L’homme moderne ne peut plus adhérer sans critiquer.

Il est plongé dans le «cercle herméneutique»: il ne peut plus croire sans comprendre, mais il lui faut croire pour comprendre. Tout texte doit être lu d’abord critiquement, non comme message transmis, mais comme témoignage d’un temps particulier à partir duquel il est né. Ce n’est pas d’abord ce qu’il dit mais ce que l’auteur a voulu dire à ses contemporains qui est recherché. Mais ensuite et alors seulement, la question de la vérité du texte est posée et le message est appréhendé dans un dialogue vivant avec l’auteur. Seule l’interprétation qui dépasse la critique historique et s’élève à ce second niveau reconnaît la contemporanéité du texte. Pour comprendre, il faut croire et entrer en sympathie avec l’auteur primitif dans une naïveté seconde, postcritique.

Le cercle herméneutique, le pari herméneutique, loin d’interrompre la raison philosophique, relancent la compréhension. De ce point de vue, l’interprétation des récits bibliques n’est pas soumise à d’autres principes herméneutiques que le serait toute autre littérature: «Je parie que je comprendrai mieux l’homme et le lien entre l’être de l’homme et l’être de tous les étants si je suis l’indication de la pensée symbolique. Ce pari devient alors la tâche de vérifier mon pari et de le saturer en quelque sorte d’intelligibilité; en retour, cette tâche transforme mon pari: en pariant sur la signification du monde symbolique, je parie en même temps que mon pari me sera rendu en puissance de réflexion, dans l’élément du discours cohérent» (P. Ricœur).

herméneutique [ ɛrmenøtik ] adj. et n. f.
• 1777; gr. hermêneutikos, de hermêneuein « interpréter »
1Qui a pour objet l'interprétation des textes (philosophiques, religieux). L'art, la science herméneutique. 2. critique. N. f. L'HERMÉNEUTIQUE : interprétation des textes, des symboles. L'herméneutique sacrée : interprétation des textes bibliques. Herméneutique kabbalistique. kabbale.
2Relatif à l'interprétation des phénomènes du discours considérés en tant que signes. Texte, philosophie herméneutique. N. f. Système d'interprétation (décodage) d'une séquence de signes complexes. sémiologie; philologie. « Appelons herméneutique l'ensemble des connaissances [...] qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens » (Foucault).

herméneutique nom féminin (grec hermêneutikos, de hermêneuein, expliquer) Théorie de l'interprétation des signes comme éléments symboliques d'une culture. En exégèse biblique, ensemble des règles permettant de déterminer tout à la fois le sens littéral de l'Écriture et son sens existentiel, c'est-à-dire sa valeur universelle dans l'histoire de l'humanité. ● herméneutique adjectif Relatif à l'herméneutique.

herméneutique
adj. et n. f. Didac.
d1./d adj. Qui interprète les livres sacrés et, en général, tous les textes anciens. L'art herméneutique ou, n. f., l'herméneutique.
d2./d n. f. Théorie de l'interprétation des symboles.

⇒HERMÉNEUTIQUE, adj. et subst. fém.
I. — Emploi adj. Qui concerne, qui a pour objet l'interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes. Il ne faut pas s'étonner que les modernes se permettent de censurer parfois les interprétations des philologues anciens; car ils n'étaient guère plus compétents que nous pour la théorie scientifique de leur propre langue, et nous avons incontestablement des moyens herméneutiques qu'ils n'avaient pas (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 143). Je suis sûr que Dieu lui-même fait tout en moi. Cette remarque s'applique surtout à mes recherches herméneutiques (BLOY, Journal, 1895, p. 165). Des catégories herméneutiques telle que celle de « but » et de « moyen » (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 101).
II. — Emploi subst. fém.
A. — Science des règles permettant d'interpréter la Bible et les textes sacrés, d'en expliquer le vrai sens. Des dictionnaires d'hagiographie, des manuels d'herméneutique sacrée, de droit canon, d'apologétique chrétienne, d'exégèse biblique (HUYSMANS, En route, t. 2, 1895, p. 284). L'herméneutique, qui donne des Écritures une interprétation plus profonde que la lettre (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 266) :
C'est le fruit mûr de quinze ans de travaux d'exégèse biblique ou d'herméneutique sacrée, et d'un plus grand nombre d'années de souffrances, choisies par moi, pour l'amour de Dieu, dont vous ne pouvez absolument pas vous faire une idée, car il y eut mieux encore que la misère.
BLOY, Journal, 1895, p. 211.
B. — SÉMIOLOGIE, PHILOS. Théorie, science de l'interprétation des signes, de leur valeur symbolique. Appelons herméneutique l'ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens (M. FOUCAULT, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 44).
REM. Herméneute, subst. masc. [Dans l'Église chrétienne des premiers siècles] Ministre chargé d'expliquer l'Écriture; p. ext., celui qui explique, interprète l'Écriture. Quand donc viendra l'herméneute, l'explicateur comme il ne s'en est jamais vu, par qui nous saurons enfin que le Cantique des Cantiques est simplement un récit préalable de la Passion, antérieur d'une trentaine de générations aux quatre évangiles? (BLOY, Journal, 1900, p. 380).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. A. Subst. 1. 1777 « art de découvrir le sens exact d'un texte » (Encyclop. Suppl. t. 3); en partic. 1803 théol. (BOISTE : herméneutique. Règle pour expliquer l'écriture sainte); 2. 1890 « interprétation de ce qui est symbolique » l'herméneutique des couleurs (HUYSMANS, Cathédr., p. 180). B. Adj. 1803 (BOISTE). Empr. au gr. « qui concerne l'interprétation, propre à faire comprendre » (dér. de « interpréter, traduire »), d'où le fém. subst. (sous-entendu ) « l'art d'interpréter ». Fréq. abs. littér. : 15.

herméneutique [ɛʀmenøtik] adj. et n. f.
ÉTYM. 1777; grec hermeneutikos, de hermeneuein « interpréter ».
1 Qui a pour objet l'interprétation des textes (philosophiques, religieux…). || L'art, la science herméneutique. 2. Critique.
N. f. || L'herméneutique : interprétation des textes, et, spécialt, des symboles. || Herméneutique sacrée : l'interprétation de la Bible, l'explication des textes sacrés. || Herméneutique cabalistique. Cabale.
2 Relatif à l'interprétation des phénomènes du discours considérés en tant que signes. || Une philosophie herméneutique. || Texte herméneutique.
1 (…) le passage au point de vue herméneutique correspond au changement de niveau qui conduit de la phrase au discours proprement dit (poème, récit, essai, etc.).
P. Ricœur, la Métaphore vive, p. 10.
N. f. Système d'interprétation (décodage) d'une séquence de signes complexes (symboles, etc.) et des codes qui l'organisent. Sémiologie.
2 (…) cette transition de la sémantique à l'herméneutique trouve sa justification la plus fondamentale dans la connexion en tout discours entre le sens, qui est son organisation interne, et la référence, qui est son pouvoir de se référer à une réalité en dehors du langage.
P. Ricœur, la Métaphore vive, p. 10.
3 Appelons herméneutique l'ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens (…) le XVIe siècle a superposé sémiologie et herméneutique dans la forme de la similitude.
Michel Foucault, les Mots et les Choses, p. 44.
DÉR. Herméneute.

Encyclopédie Universelle. 2012.