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GUSTATION
GUSTATION

La gustation – ou, au sens restreint, le goût – est la fonction de l’un des trois systèmes de sensibilité chimique externe. Ce système sensoriel partage, en effet, avec l’appareil olfactif et les terminaisons de la sensibilité chimique commune la propriété de répondre à la stimulation par certaines molécules du milieu externe et d’en opérer, par des réponses différenciées, une analyse, en fonction de certaines de leurs propriétés chimiques ou biochimiques. On reconnaît la présence de ce sens chimique, qui se différencie de celui de l’olfaction et du sens chimique commun, chez les Invertébrés à partir des Échinodermes et chez tous les Vertébrés.

Ses caractères distinctifs sont à la fois anatomiques et fonctionnels. Les organes de la gustation sont très généralement localisés dans la cavité buccale ou à l’entrée du tractus alimentaire. Les cellules sensorielles (groupées au sein de petits organes dits «bourgeons du goût»), les voies nerveuses et les centres de projection fournissent généralement des critères aisés d’identification par rapport au système olfactif. Chez les animaux à vie aérienne, les organes de la gustation sont stimulés par des corps en solution parvenant ou portés à leur contact par le comportement de l’animal, alors que les récepteurs olfactifs répondent à des stimuli en phase gazeuse diffusant dans l’air. Chez les insectes, les récepteurs gustatifs sont appelés, pour cette raison, chimiorécepteurs de contact. Les quantités des corps en solution requises pour déclencher les réponses sont généralement beaucoup plus élevées que dans l’olfaction. Enfin, un critère fonctionnel essentiel distingue les deux systèmes dans toutes les espèces. L’olfaction différencie toutes les molécules actives; au contraire, la gustation n’opère sur les molécules stimulantes (ou sapides) qu’une analyse grossière, limitée à la discrimination de quatre ou cinq modalités ou saveurs: le sucré, le salé, l’acide, l’amer et, dans certaines espèces, l’eau. Ces saveurs correspondent à l’action identique de groupes de substances sur le système récepteur; cette action est en relation avec une communauté de certaines des propriétés physico-chimiques et biochimiques des corps étudiés; elle se traduit par la constitution au sein des récepteurs et par la transmission au centre, d’un message nerveux aujourd’hui en partie déchiffré par les analyses électrophysiologiques. Ce message est représenté pour chaque saveur par une configuration donnée de la fréquence des décharges dans les diverses fibres du nerf.

1. Anatomie de l’organe gustatif

Les récepteurs gustatifs se situent pour l’essentiel dans la muqueuse linguale, qui constitue simultanément un champ très riche de sensibilités tactiles, thermiques et algiques. Ils y sont groupés dans des « papilles » de quatre types: fungiformes (disséminées à la pointe et sur les deux tiers antérieurs de la surface linguale); filiformes (les plus diffuses, dont beaucoup n’ont pas de fonction gustative, mais une sensibilité tactile); foliées (localisées sur le bord de la langue et particulièrement développées chez les rongeurs); caliciformes (volumineuses, situées dans la zone dorsale où elles forment, chez l’homme, le V lingual).

Au sein de ces papilles, l’organe gustatif proprement dit est constitué par le corpuscule ou bourgeon du goût (fig. 1). C’est un corps ovoïde, de dimension variable suivant la papille qui le contient; il comporte un canalicule central (ou pore) par lequel la salive baignant la papille pénètre dans le bourgeon. On compte jusqu’à 300 et 400 bourgeons dans les grosses papilles caliciformes chez l’homme, un seul dans les petites papilles fungiformes chez le rat ou le chat.

Une étude faite au microscope électronique permet de décrire trois types de cellules dans le bourgeon (fig. 2):

– Les cellules de soutien , d’apparence sombre et sans connexions nerveuses, sécrètent une substance dense qui imprègne les microvillosités apicales des cellules claires.

– Les cellules claires , dont 5 à 10 p. 100 constituent les récepteurs gustatifs proprement dits, sont allongées et à cytoplasme granuleux. Leur pôle apical forme une sorte de bâtonnet couvert de microvillosités faisant saillie dans le pore du bourgeon; l’autre pôle est relié par une synapse aux terminaisons des nerfs assurant la transmission des messages. Les cellules de soutien, ou épithéliales, qui entourent et enserrent les cellules nerveuses, en sont aussi les cellules mères. En effet, marquées par la thymidine tritiée, on peut suivre leur pénétration au sein du bourgeon et leur transformation en cellule sensorielle, dont le renouvellement rapide a pu être ainsi démontré.

– Chaque fibre du nerf innerve une grappe de cellules réceptrices située dans diverses papilles (2 à 9). D’autre part, un bourgeon donné est innervé par les arborisations provenant de diverses fibres. Ces fibres gustatives, dont les corps cellulaires se trouvent dans les ganglions de relais précentraux, appartiennent à deux nerfs distincts d’innervation de la langue: la corde du tympan (branche du facial) pour les deux tiers antérieurs, le glossopharyngien pour le tiers postérieur. Les fibres gustatives de ces deux nerfs (qui comportent également des fibres d’autres sensibilités) gagnent les projections centrales après un premier relais dans le noyau solitaire, parfois appelé «bulbe gustatif» (fig. 3).

Les projections centrales de la gustation ont été longtemps moins bien connues que celles de l’olfaction; leur situation prêtait à controverses. Après un relais dans les noyaux ventro-postéro-médians du thalamus, les fibres gustatives se projettent dans une zone corticale au pied de l’aire somato-sensitive au niveau de la projection somesthésique de la face, ainsi que dans la partie profonde de l’opercule pariétal (insula). Des expériences de lésions et de potentiels évoqués ont suggéré l’intervention d’autres aires de projection, en particulier dans la région orbitaire.

2. Les quatre saveurs

Saveur sucrée

Chez l’homme, et chez l’animal, une série de substances en solution dans l’eau ou dissoutes dans la salive procurent une sensation gustative «sucrée» lorsqu’elles sont en contact avec la langue. Ce sont des sucres (hexoses, diholosides, polyholosides) et certains sucres-alcools. Par la mesure des seuils (concentration molaire au-dessous de laquelle la saveur n’est pas perçue), l’ordre de sapidité de divers sucres a été établi chez l’homme et dans de nombreuses espèces de Vertébrés et d’Invertébrés. Il varie d’une espèce à l’autre; à la limite, certains glucides «sucrés» pour une espèce ne le sont pas pour une autre. Pour la valeur 100 de l’activité du saccharose, cet ordre est chez l’homme, par comparaison en concentration molaire: D-fructose, 120; saccharose, 100; L-sorbose, 86; D-mannose, 77; D-glucose, 70; maltose, 67; D-galactose, 59; lactose, 53. La configuration stérique de la molécule est décisive pour la présence ou l’absence du goût sucré: 見 D-mannose est sucré; le mélange d’ 見- et 廓-mannose est amer; les D-fructose, D-glucose et D-galactose sont plus sucrés sous leur forme 見 que sous leur forme 廓. On constate l’inverse pour le D-lactose. Enfin le glucose lévogyre est non sucré ou amer.

Un grand nombre d’autres corps, chimiquement différents des sucres, sont également «sucrés», tels les L-aminoacides (les D-sont en général amers), le glycérol et d’autres alcools, des sels (comme l’acétate de plomb), le chloroforme et divers produits de synthèse, dont la saccharine (sulfimide benzoïque) et le cyclamate de sodium.

On a cherché longtemps dans ces corps apparemment très divers la ou les propriétés physico-chimiques communes, responsables de la génération d’un message nerveux présumé identique sur l’appareil sensoriel. Des études de chimie structurale ont permis de montrer que l’activité sapide de tous les corps sucrés est liée à la présence dans la molécule de deux groupements respectivement accepteurs ou donneurs de protons distants de 0,3 nm et permettant la liaison hydrogène avec le substrat cellulaire.

Saveur salée

Chez l’homme, la saveur «salée» est reconnue subjectivement au chlorure de sodium (NaCl) et comme l’une des composantes de la saveur mixte de nombreux autres sels. D’autres sels sont amers ou sucrés; le salé est donc avant tout la saveur du NaCl. Le seuil est chez l’homme de 0,002 M. Des réponses comportementales et électrophysiologiques caractérisent la réceptivité au salé chez l’animal. Chez le rat, seuls le NaCl et le LiCl sont confondus. Ils sont discriminés des autres sels, qui paraissent avoir des goûts mixtes. Le rôle relatif des anions et cations dans l’activité gustative a été établi. Chez l’homme, l’ordre d’efficacité des divers cations pour les chlorures est: NH4 礪 K 礪 Ca 礪 Na 礪 Li 礪 Mg. Celui des anions pour un même cation (Na par exemple) est le suivant: SO4 礪 Cl 礪 Br 礪 I 礪 HC33.

Saveur acide

Tous les corps perçus «acides» sont des acides chimiques. Mais les acides aminés, en particulier, sont amers ou sucrés. Les ions H libres sont les déterminants de la stimulation. Les seuils des divers acides exprimés en pH sont plus proches qu’en concentration molaire. Ils ne sont pas identiques, en raison d’une action différente sur chacun d’eux de l’effet tampon de la salive. Un rôle de l’anion est aussi évident et rend compte du seuil plus bas en pH pour l’acide acétique (pH: 3,7 à 3,9 chez l’homme) comparé à l’acide chlorhydrique par exemple (pH: 2,6).

Saveur amère

Les corps amers, dont les plus actifs sont des alcaloïdes, comprennent en outre des substances entre lesquelles aucune parenté de propriété moléculaire n’a encore été trouvée. Chez l’homme, le seuil pour la quinine est 0,000 001 5 M. Les seuils, plus que pour les autres saveurs, sont très variables d’un individu à l’autre. Le cas extrême est constitué par une série de molécules, dont le type est la phénylthiocarbamide, sans aucune saveur pour certains sujets («cécité» gustative). Les réponses comportementales de rejet de consommation des solutions à des seuils très bas permettent d’identifier l’amertume chez l’animal et, sauf exception, pour les mêmes corps qui sont amers chez l’homme. La saccharine, de saveur mixte (à la fois sucrée et amère) chez le rat et l’homme, est seulement amère chez le chien.

3. Le mécanisme nerveux de discrimination des saveurs

Données électrophysiologiques

L’exploration électrophysiologique des décharges nerveuses dans la corde du tympan ou le glossopharyngien a permis, mieux que la confrontation des propriétés chimiques des corps actifs et des réponses comportementales, de rechercher le mécanisme nerveux de la différenciation des corps sapides en quatre saveurs.

Avant cette exploration électrophysiologique, on avait imaginé que chaque saveur était engendrée par la stimulation de récepteurs distincts et spécifiques. La répartition topographique des quatre saveurs sur la langue humaine était très anciennement connue: sucrée et salée sur les deux tiers antérieurs, acide sur les bords et amère dans le tiers postérieur; elle semblait appuyer cette conception simpliste du mécanisme. La stimulation isolée d’une papille fournissait, et fournit encore, des résultats équivoques et controversés. L’analyse des réponses nerveuses, due à C. Pfaffmann et à Y. Zotterman et son école, révèle une structure plus complexe des messages transmis aux centres nerveux, lesquels, ainsi informés, peuvent discriminer les quatre saveurs. L’enregistrement intégré de l’activité dans le nerf entier permet tout d’abord de comparer objectivement l’activité de divers sels et divers sucres sur une même espèce (fig. 4) et entre espèces. Ainsi on a montré que chez le rat, pour des concentrations données, une solution de quinine a une activité égale à celle que fournit une solution de saccharose. Pour les mêmes solutions, le chat réagit fortement à la solution de quinine et se révèle pratiquement insensible au sucré. En revanche, pour la solution sucrée, on enregistre chez le lapin une décharge beaucoup plus intense que pour la solution de quinine.

Ces mêmes enregistrements des décharges globales du nerf permettent en outre d’établir les lois quantitatives d’évolution des niveaux d’activation entre le seuil et le plafond d’intensité. L. M. Beidler, utilisant ces paramètres expérimentaux, confirme l’hypothèse suivant laquelle la combinaison entre molécule et substrat obéit à la loi d’action de masse. L’équation développée par l’auteur et rendant compte des données expérimentales est identique d’une part à celle de l’isotherme de I. Langmuir décrivant la dynamique de l’adsorption [cf. ADSORPTION], et d’autre part à celle qui interprète les liaisons avec un substrat protéique. Cette réponse du nerf entier et, plus tard, l’analyse sur fibre isolée, mettent en évidence le décours temporel des décharges sous stimulation maintenue. Celui-ci varie quelque peu avec la nature des stimuli (fig. 5). Très généralement, par exemple pour le chlorure de sodium, on constate une activité de fréquence élevée au début de la stimulation, déclinant brusquement après deux secondes, puis lentement lorsque la stimulation se prolonge. Les enregistrements, exceptionnellement effectués chez l’homme, semblent bien confirmer que cette dernière phase constitue le mécanisme de l’adaptation (disparition partielle ou complète du goût sous stimulation continue) et que celle-ci relève du mécanisme périphérique et non des centres nerveux.

L’enregistrement des décharges dans les fibres disséquées du nerf a révélé un fait essentiel: ces fibres isolées ne sont pas spécifiques d’une saveur, mais répondent par un même message à la stimulation de deux, de trois ou des quatre stimuli types (par exemple un sucre et la quinine; le NaCl, un acide et un sucre, etc.). Elles diffèrent cependant les unes des autres par leur sensibilité relative aux divers stimuli (fig. 6). Telle fibre répond à une stimulation par le sel avec le seuil le plus bas et à l’acide et au sucre avec des seuils plus élevés; une autre est au contraire d’une sensibilité maximale au sucre. Le seuil de réponse pour un stimulus donné varie de fibre à fibre. Cette constatation permet de conclure que le message correspondant à chaque saveur, et compris comme tel par les centres, est constitué par une configuration donnée de l’activité relative d’un grand nombre ou de toutes les fibres du nerf. Un exemple simplifié de ce schéma est donné par Pfaffmann: deux fibres A et B répondent au NaCl et au saccharose; mais, à toutes les concentrations des deux stimuli, la fréquence des impulsions est supérieure dans A pour le NaCl et dans B pour le saccharose; ces deux fibres, déchargeant ensemble, donnent un message du salé avec A supérieur à B et un message du sucré avec B supérieur à A. Une confirmation frappante, parmi d’autres, que la configuration d’activation différentielle d’une série de fibres constitue le message spécifique de la saveur est apportée par R. P. Erickson. Le rat, dans ses réponses comportementales, confond seulement parmi les sels le chlorure de sodium et le chlorure de lithium. Or, si on range une série de fibres explorées dans un ordre décroissant de leur réponse au NaCl, on constate que les courbes de réponse obtenues pour divers sels sont très différentes, à l’exception de celle du LiCl qui recouvre parfaitement celle du NaCl.

Chaque fibre, on l’a vu, innerve une grappe de cellules sensorielles (dites récepteurs) réparties dans divers bourgeons. Cette polyspécificité de la réponse des fibres du nerf n’exclut donc pas la spécialisation éventuelle de chaque récepteur ou de chaque bourgeon. Le recueil du potentiel de la membrane de ces cellules gustatives, qui sont à l’origine de la génération des influx propagés, atteste cependant que cette cellule unitaire est également multiréceptrice.

Les protéines réceptrices

La spécificité se situe au niveau moléculaire. Elle est apparemment liée à la présence de protéines réceptrices dans les membranes des cellules sensorielles. Ces substrats protéiques constituent les sites privilégiés de la combinaison avec chaque type de stimulus (molécules sapides) et sont la condition du niveau d’excitation. Une expérience très simple confirme l’existence d’un tel substrat spécifique. Une fibre donnée répond aux quatre stimuli types. Si on applique sur la langue de l’acide gymnémique (qui inhibe la sensation et les réponses comportementales aux corps sucrés), la réponse au sucré disparaît tandis que les réponses au sel, à l’acide et aux corps amers se maintiennent inchangées.

Le premier de ces substrats protéiques a été identifié par S. R. Dastoli et son équipe. À partir d’un broyat de muqueuse linguale de bœuf, les protéines sont extraites et fractionnées au sulfate d’ammonium. L’une des fractions révèle une capacité de former avec les substances sucrées un complexe à des concentrations anormalement faibles de ces corps. Par l’absorption de l’ultra-violet et la réfractométrie, les auteurs testent l’intensité de la combinaison de divers corps sucrés avec la protéine. Ils montrent que les sucres, aussi bien que la saccharine, se lient au substrat dans un ordre relatif d’intensité correspondant à l’ordre de sapidité chez l’homme et le chien. La cinétique de la réaction de la protéine avec diverses concentrations d’un sucre obéit à la loi de Beidler. Enfin, l’action du pH sur la liaison in vitro est parallèle à l’action du pH sur la sensibilité in vivo. Une autre protéine se liant préférentiellement avec les corps amers a été identifiée.

4. La gustation et le comportement alimentaire

Associée à l’olfaction, la gustation, dont le mécanisme intime est mieux connu, joue un rôle essentiel dans le contrôle sensoriel des aliments. Les préférences ou réponses de palatabilité, basées sur les perceptions de saveurs, ont fait l’objet de nombreux travaux. Présente dès la naissance, l’attirance pour les solutions sucrées, la préférence maximale pour les solutions isotoniques du NaCl et l’aversion pour les solutions amères (généralement toxiques) marquent une préadaptation congénitale de ces réponses à la régulation des appétits caloriques et spécifiques. Ces réponses sont ultérieurement modifiées et réajustées dans des apprentissages ou conditionnements alimentaires.

Subjectivement, chez l’homme, ces attirances et aversions pour les goûts et arômes alimentaires sont corrélatives de plaisir et de déplaisir. Maniés par les artistes que sont les grands cuisiniers ou les faiseurs de grands vins, ils peuvent faire l’objet d’une activité esthétique.
JACQUES LE MAGNEN

5. Les corrélats comportementaux de la sensation gustative

Envisagée du point de vue phylogénétique, la sensation gustative est une modalité sensorielle archaïque. Son rôle comme «guide de vie» (selon H. Piéron) est différent selon les espèces; il est relativement restreint chez l’homme. Universelle et exercée quotidiennement, cette sensation comporte pourtant certaines caractéristiques qui doivent retenir l’attention.

Il s’agit, en premier lieu, d’une modalité sensorielle relativement pauvre, car elle ne comporte que quatre saveurs de base: salé, sucré, acide et amer. Il existerait une cinquième classe sapide, qui a été mise en évidence par des travaux physiologiques, mais dont la perception serait assez aléatoire au niveau individuel.

Deuxièmement, la sensation gustative est fonctionnelle déjà in utero (dès le quatrième mois de la gestation chez l’homme); elle nécessite toutefois, par la suite, un véritable apprentissage, lié en partie à la maturation même du système nerveux central. D’après les physiologistes, cet apprentissage est nécessaire afin de déterminer, au niveau individuel, autant les aspects qualitatifs que la magnitude sensorielle perçue.

En troisième lieu, on notera qu’il existe une très grande variabilité interindividuelle dans ce domaine; ainsi, chez l’adulte, la sensibilité liminaire peut varier de 1 à 500 et même plus. Dès lors, la «norme», valeur moyenne, n’a que peu de sens dans ce cas. D’autre part, la mise en place de ces différences est précoce, la courbe de développement étant très réduite: dès l’âge de un an environ, les caractéristiques individuelles sont en place.

Enfin, il convient de souligner que, si la sensation gustative joue, comme toute modalité sensorielle, un rôle d’information quant au monde environnant, elle possède, en plus, une autre qualité: le retentissement affectif de l’information. Toute stimulation dans ce domaine déclenche, simultanément, l’identification du stimulus et une réaction émotionnelle à son égard. Cette réaction émotionnelle primaire, non apprise, se situe sur un continuum bipolaire, allant de l’agréable au désagréable, et joue, très probablement, un rôle non négligeable dans les apprentissages ultérieurs.

Le réflexe gusto-facial

Le réflexe gusto-facial (R.G.F.) est un phénomène singulier, déclenché par des stimulations sapides supraliminales. Il a été décrit pour la première fois par un psychologue de l’enfant, Preyer (1887); complètement oublié ensuite, il a été redécouvert et étudié systématiquement par J. Steiner (1973), qui fournit des précisions sur ce phénomène: dès les premiers moments de la vie, le nouveau-né réagit par une mimique aux stimulations sapides (la réponse existerait déjà in utero ). Cette mimique est, d’une part, présente chez tous les enfants, d’autre part, différente selon le stimulus (salé, sucré, acide, amer) et identique, pour un même stimulus, d’un individu à un autre (voir les cinq photos ci-dessous).

Le réflexe gusto-facial est une réponse innée, réflexe (dont la commande se situe au niveau bulbaire), stimulo-dépendante; elle n’est pas le propre de l’homme: Grill et Norgren (1978), Pfaffman (1978) l’ont étudiée chez d’autres animaux, des rongeurs en particulier.

Mais cette mimique réflexe, dépourvue au départ de toute intentionnalité, survient dans un contexte social fortement investi émotionnellement par l’entourage (situation alimentaire chez le nourrisson): l’entourage, dès la perception de la mimique, l’interprète, lui assigne un sens. On a suivi (M. Chiva, 1979) le devenir du réflexe gusto-facial lors d’une étude longitudinale qui prend le sujet dès la naissance jusqu’à l’âge de 24 mois et qui a mis en évidence trois étapes.

– De la naissance à six mois environ, la stimulation, à condition d’être suffisante pour être perçue par l’enfant, déclenche le réflexe gusto-facial. La mimique est nette, se manifestant par tout ou rien, sans nuances; elle n’est pas accompagnée de cris ni de pleurs et n’est pas orientée vers quelqu’un.

– Entre neuf et quatorze mois, le réflexe gusto-facial s’atténue et se module; la réponse apparaît en demi-teinte. Il est difficile de savoir s’il s’agit seulement d’ébauches de mimique ou bien de mouvements réprimés, de tentatives de contrôle. Mais, lors de stimulations très fortes, le réflexe réapparaît avec la même netteté qu’auparavant et avec les mêmes caractéristiques. Les réactions peuvent même être plus fortes, mais elles restent sans orientation spécifique.

– À partir de seize mois environ apparaît un changement spectaculaire; les mimiques sont, en général, plus discrètes, plus intégrées dans l’activité faciale générale de l’enfant. Mais, désormais, celui-ci les utilise délibérément. Une saveur, appréciée ou non, peut déclencher une mimique; mais l’enfant l’amplifie, la répète avec la même intensité et surtout l’oriente vers des personnes. Le but est clair: se faire comprendre par autrui, faire savoir l’agrément ou le désagrément éprouvé. Ainsi, le réflexe gusto-facial se détache de l’aspect réflexe originel; il s’intègre dans le processus relationnel et devient conduite de communication avec autrui.

De ce fait, l’étude du réflexe gusto-facial dépasse l’étude de la seule sensation gustative et s’inscrit dans une problématique générale de psychologie: la métamorphose du biologique en psychique, l’établissement des processus de communication non verbale, l’étude du caractère universel, inné, qu’auraient certaines mimiques en tant qu’expression des émotions.

Sensation gustative et troubles des conduites alimentaires

Les troubles affectant les conduites alimentaires sont habituellement considérés comme ayant une origine psychogène (mis à part les cas où une affection organique peut en être responsable directement). Or il apparaît actuellement que la sensibilité gustative aurait, elle aussi, un rôle dans leur apparition.

Fischer et ses collaborateurs (1961) ont étudié corrélativement les aversions alimentaires chez l’adulte et la finesse discriminative du goût, par la méthode des seuils sensoriels. De cette étude, il ressort que les sujets ayant une grande sensibilité à l’amertume sont aussi ceux qui présentent le plus de rejets alimentaires. La sensibilité aux trois autres saveurs ne présenterait pas des corrélations significatives avec les préférences alimentaires.

M. Chiva (1979) a étudié l’apparition de «caprices» et de difficultés d’ordre alimentaire chez le jeune enfant, corrélativement avec la sensibilité gustative et avec la réactivité émotionnelle. Il distingue dans la population trois groupes de sujets selon leur sensibilité (hypo-, normo- et hypergueusiques). Il apparaît que les enfants hypogueusiques ne présentent aucun problème alimentaire, mangent tant qu’ils ont faim, acceptent tout et ne présentent pas de préférences électives. À l’opposé, les enfants hypergueusiques sont ceux qui ont des choix ou des aversions marqués; ils présentent des caprices alimentaires; ce sont ces mêmes enfants qui ont une plus grande réactivité émotionnelle. Ces particularités des conduites alimentaires peuvent être attribuées, en partie au moins, au fait qu’ils perçoivent bien plus finement les saveurs que les autres; et il convient de se souvenir alors de la tonalité émotionnelle spécifique de la perception gustative, qui peut, de ce fait, jouer un rôle dans les choix et les rejets.

Cela n’évacue pas la dimension psychogène, mais la précise dans certains cas: en effet, la multiplication des choix et des rejets et le fait qu’ils s’expriment avec d’autant plus de force que l’aspect hédonique est important définissent le type même de la situation génératrice de conflits autour de la table de repas et dans la situation relationnelle entre parents et enfants (ou l’entourage et les enfants), le tout s’inscrivant, bien entendu, dans un contexte éducatif général. Aussi, dans la pratique comme dans la clinique courante, convient-il de tenir compte de la superposition des deux facteurs – la sensibilité gustative individuelle et le conflit relationnel surajouté – pour comprendre la genèse des troubles des conduites alimentaires.

gustation [ gystasjɔ̃ ] n. f.
• 1530; lat. imp. gustatio
Didact. Perception des saveurs par le goût. Les papilles gustatives, organes de la gustation, avec l'ensemble des muqueuses de la bouche.

gustation nom féminin (bas latin gustatio onis, action de goûter) Fonction permettant, lorsque des molécules douées d'une saveur entrent en contact avec les cellules gustatives, d'en identifier le goût.

gustation
n. f. Didac. Perception des saveurs par le goût.

⇒GUSTATION, subst. fém.
Perception des saveurs. J'estime que cette mémoire, tout intellectuelle et volontaire, fait plus d'honneur à l'espèce humaine que la reviviscence d'un passé par la gustation d'une madeleine trempée dans du thé (BENDA, Fr. byz., 1945, p. 210).
P. métaph. Les persécutions (...) ont fait du peuple juif une communauté de parias, de réfugiés perpétuels, de personnes déplacées : comment cette gustation amère de la misère pourrait-elle s'estomper dans les consciences? (Univers écon. et soc., 1960, p. 64-06).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1798-1932. Étymol. et Hist. 1530 (LEFEVRE D'EST., Bible, Esdras, IV, 6 ds GDF. Compl.). Empr. au b. lat. gustatio « action de goûter ».

gustation [gystɑsjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1530; du lat. impérial gustatio, du supin de gustare « goûter ». → Dégustation.
Didact. Perception des saveurs par le goût. || Les papilles gustatives, organes de la gustation, avec l'ensemble des muqueuses de la bouche.

Encyclopédie Universelle. 2012.