ETHNIE
C’est un truisme d’affirmer que la question de l’ethnie est au cœur de l’anthropologie et qu’elle est constitutive de sa démarche. Pourtant, il est aisé de constater que cet objet d’investigation n’a pas suscité, jusqu’à une période récente, un enthousiasme exagéré de la part de la majorité des anthropologues. On a, en effet, le sentiment, en parcourant la littérature, que le traitement du problème de l’ethnie est considéré par les chercheurs de terrain comme une corvée dont il faut se débarrasser au plus vite pour aborder les «vrais» domaines: ceux de la parenté, de l’économie et du symbolisme, par exemple. Alors que la définition de l’ethnie étudiée devrait constituer l’interrogation épistémologique fondamentale de toute étude monographique et qu’en un sens tous les autres aspects devraient en découler, on s’aperçoit qu’il existe souvent un hiatus entre un chapitre liminaire, qui, pour peu qu’on s’y attarde, montre le flou relatif de l’objet, et le reste de l’ouvrage, où les considérations sur l’organisation parentale et la structure religieuse font preuve de la plus belle assurance.
Ce relatif oubli ou ce désintérêt de la part des anthropologues est sans doute à rapprocher de l’histoire même de la discipline et des différentes tendances qui l’ont traversée. Il est, en effet, de plus en plus évident que l’anthropologie s’est formée sur la base du rejet de l’histoire et que ce rejet s’est maintenu depuis lors.
Préhistoire de la notion
L’idée selon laquelle il existe une hiérarchie entre des sociétés occupant des positions voisines dans l’espace n’est pas nouvelle. Les Grecs opposaient ainsi les ethnè (sing. ethnos ) et la polis (cité). Les sociétés qui relevaient de leur culture mais auxquelles «manquait» l’organisation en cités-États étaient des ethnè . Le terme est souvent traduit par «tribu» (en allemand, Stamm ), ou par «État tribal». Selon V. Ehrenberg, il est «vraisemblable [que l’ethnos ] est beaucoup plus proche de la société primitive». L’ethnologie prise au pied de la lettre serait donc une science des sociétés qui sont «a-politiques» et qui, à ce titre, ne peuvent être des «sujets» de leur propre histoire. Une définition pareillement négative se perpétue dans la tradition ecclésiastique, qui appelle ethnè «les nations, les gentils, les païens, par opposition aux chrétiens» (Littré, s. v. «Ethnique»). Toutefois, pendant longtemps, on n’a établi aucune distinction entre les populations européennes et les tribus du reste du monde, qui étaient désignées du terme de «nations». Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que le sens ancien du mot «ethnie» a été repris par les théoriciens modernes, mais uniquement en référence à une problématique raciale. Dans l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1854), le comte de Gobineau utilise l’adjectif «ethnique» – le terme «ethnie» n’existe pas chez lui – d’une façon ambiguë. D’un côté, il l’emploie concurremment avec les termes de «race», de «nation» et de «civilisation», mais, par ailleurs, on a aussi le sentiment que le mot désigne, chez lui, le mélange des races et la dégénérescence qui en résulte.
C’est à peu près le même sens et la même ambiguïté qu’on retrouve chez Georges Vacher de Lapouge, qui fut le premier à introduire la notion d’«ethnie» dans la langue française. Dans son livre Les Sélections sociales (1896), il tente de rendre compte de la séparation de populations racialement homogènes dont les différents segments connaissent des vicissitudes diverses, entrent en contact avec d’autres races et finissent, par la cohabitation prolongée avec celles-ci, à leur ressembler davantage, du fait de la mixité linguistique et culturelle, qu’au segment initial dont elles se sont séparées.
Ces nouveaux ensembles, que l’auteur nomme «nations», peuvent à leur tour être morcelés sans que cesse l’attraction entre leurs parties dissociées. Pour signifier cette cohésion de groupe, Vacher de Lapouge juge impropres les termes de «race», «peuple», «nation» ou «nationalité»; et il leur substitue ceux d’«ethne» ou d’«ethnie», le premier vocable lui semblant plus correct et le second plus facile à prononcer.
Cette problématique raciale est reprise par Ferdinand de Saussure, qui propose de nommer «ethnisme» le groupe de peuples racialement différents que rapprochent des relations multiples de langue, de religion, de connaissance et de défense communes, et par Regnault, qui, dans la séance du 19 juillet 1939 de la Société d’anthropologie de Paris, définit comme «ethnies» ou «glossethnies» les communautés linguistiques pour les distinguer des races. Regnault est fortement combattu dans les années 1930 par Montandon, qui veut à tout prix rendre au concept d’ethnie son caractère racial et qui, d’ailleurs, finira par identifier sa position à celle de l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.
La même démarche prévaut chez Shirokogoroff, qui, dans un article consacré à la théorie de l’ethnos , essaie vainement de donner un contenu concret à cette notion et de se démarquer de la biologie, tout en insistant sur la définition relationnelle de l’ethnie. Ses idées connurent un destin étrange: elles furent utilisées à la fois par Mülhmann, qui influença lui-même les anthropologues racistes sud-africains, et par les anthropologues soviétiques, qui s’en servirent pour définir la notion de narodnost , unité sociale de base des investigations anthropologiques en U.R.S.S. et fondement de la politique d’exclusion des minorités.
L’apparition et la spécification tardives des termes «tribu» et «ethnie» conduisent à poser le problème de la congruence entre une période historique (marquée par la domination européenne sur le reste de la planète) et l’utilisation de ces notions. Si ces termes ont acquis un usage massif, au détriment d’autres mots comme celui de «nation», c’est sans doute qu’il s’agissait de classer à part certaines sociétés en leur déniant une qualité spécifique. Cette qualité, dont l’absence les rendait dissemblables et inférieures à nos propres sociétés, c’est l’historicité; et, en ce sens, les notions d’«ethnie» et de «tribu» sont liées aux autres distinctions par lesquelles s’opère le grand partage entre anthropologie et sociologie: société sans histoire/société à histoire, société préindustrielle/société industrielle, société sans écriture/société à écriture, communauté/société.
Définitions
Les définitions du terme «ethnie» sont assez peu nombreuses et tournent toutes autour de quelques grandes caractéristiques. Max Weber appelle «groupes ethniques» des groupes humains qui font preuve d’une croyance subjective dans leur ascendance commune, à cause de ressemblances dans le type physique, dans les coutumes, ou de souvenirs partagés dans l’expérience de la colonisation et des migrations. Pour lui, l’appartenance ethnique (Gemeinsamkeit ) diffère de l’appartenance au groupe parental en ce que son identité est présumée et qu’elle ne concerne pas un groupe engagé dans une action sociale concrète comme le second. Ainsi l’appartenance ethnique ne constitue pas un groupe: elle n’a pour effet que d’en faciliter la formation, en particulier dans le domaine politique. Pour Meyer Fortes, l’ethnie ne représente que l’horizon le plus lointain que les groupes connaissent, celui au-delà duquel les rapports de coopération et d’opposition ne sont plus significatifs sauf exceptionnellement. Nadel, pour sa part, appelle «tribu ou peuple un groupement unitaire dont les membres revendiquent leur appartenance à un tel groupement».
Pour Paul Mercier, l’ethnie est un «groupe fermé descendant d’un ancêtre commun ou plus généralement ayant une même origine, possédant une culture homogène et parlant une langue commune; c’est également une unité d’ordre politique». Il estime, comme Nadel, que le concept d’appartenance ethnique exprime en grande partie une théorie élaborée par une population donnée, mais il atténue fortement la rigidité de ces définitions en affirmant que «l’ethnie comme n’importe lequel de ses composants n’est qu’un segment socio-géographique d’un ensemble plus vaste, et qu’il ne faut pas l’envisager isolément»; il entend, au contraire, «la replacer dans l’ensemble d’un paysage ethnique régional envisagé dans une perspective historique».
Nicolas, quant à lui, considère qu’«une ethnie, à l’origine, c’est avant tout un ensemble social relativement clos et durable, enraciné dans un passé de caractère plus ou moins mythique. Ce groupe a un nom, des coutumes, des valeurs, généralement une langue propres. Il s’affirme comme différent de ses voisins. L’univers ethnique est constitué d’une mosaïque [...] de lignages. Il existe une profonde parenté entre ethnie et lignage ou clan, parenté qui se trouve le plus souvent étayée par un vocabulaire familial, voire un mythe d’origine établissant la commune descendance des membres du groupe à partir d’un couple initial ou d’un héros mythique». Nicolas ajoute que la réalité ethnique possède un flou caractéristique et que le cadre ethnique ne coïncide que rarement avec la formation politique de base.
Enfin, selon Frederik Barth: «Le terme groupe ethnique sert en général dans la littérature anthropologique à désigner une population qui a une grande autonomie de reproduction biologique, partage des valeurs culturelles fondamentales qui s’actualisent dans des formes culturelles possédant une unité patente, constitue un champ de communication et d’interaction, a un mode d’appartenance qui le distingue lui-même et qui est distingué par les autres en tant qu’il constitue une catégorie distincte d’autres catégories de même sorte.» Pour Barth, c’est le quatrième point, celui de l’attribution (ascription ), qui est le plus important: «Une attribution catégorielle est une attribution ethnique si elle classe une personne dans les termes de son identité la plus fondamentale et la plus générale, identité qu’on peut présumer être déterminée par son origine et son environnement. Dans la mesure où les acteurs utilisent des identités ethniques pour se catégoriser eux-mêmes et les autres dans des buts d’interaction, ils forment des groupes ethniques au sens organisationnel du terme.» F. Barth introduit aussi la notion de «limites ethniques», limites qui sont à la fois maintenues et franchies par les populations.
Ce rapide inventaire des différentes définitions de l’ethnie telles qu’on peut les trouver dans la littérature anthropologique montre la grande convergence des positions sur ce thème. À travers les différentes acceptions recensées apparaissent un certain nombre de critères communs tels que: la langue, un espace, des coutumes, des valeurs, un nom, une même ascendance et la conscience qu’ont les acteurs sociaux d’appartenir à un même groupe. L’existence de l’ethnie résulterait donc de la coïncidence de ces différents critères. Hormis la proximité de la notion d’ethnie avec celle de «race», on voit combien sa définition est entachée d’ethnocentrisme et combien elle est tributaire de la conception de l’État-nation, telle qu’elle a pu être élaborée en Europe. Le dénominateur commun de toutes ces définitions de l’ethnie correspond, en définitive, à l’idée d’un État-nation à caractère territorial, d’un État au rabais. Distinguer en abaissant était bien la préoccupation de la pensée coloniale. Et, de même qu’il était nécessaire de «trouver le chef», de même fallait-il trouver, au sein du magma des populations conquises, des entités spécifiques.
Le concept d’ethnie avec ses ambiguïtés a été adopté par beaucoup d’ethnologues, qui étaient confortés en cela par la politique des administrateurs coloniaux en Afrique et en Asie et dont la préoccupation principale concernait l’identification des races.
Critiques
Pourtant un débat souterrain n’a cessé d’agiter la sociologie et l’anthropologie sur cette question, et nombre de chercheurs n’ont pas manqué de faire état de l’inadéquation du concept d’ethnie avec la réalité qu’ils avaient été à même d’observer sur le terrain. Chez les sociologues, M. Weber a été le premier à attirer l’attention sur le danger que représentait l’utilisation de la notion de groupe ethnique en l’absence d’une analyse historique et sociologique concrète de la conscience qu’un groupe acquiert de lui-même à une époque et en un lieu donnés. Chez les anthropologues, Nadel a montré que la réalité ethnique des Nupe du Nigeria s’imbriquait dans des réalités de plus en plus vastes qui s’étendaient à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Mercier, qui a subi l’influence de Nadel, est sans doute celui qui est allé le plus loin dans sa tentative de déconstruction de l’objet ethnique. À propos des Somba du Nord-Bénin, il a souligné la nécessité de resituer ce groupe dans la géographie et dans l’histoire et de l’inclure dans des cadres plus larges. Il a procédé aussi, ce qui est capital pour toute tentative de définition d’une unité sociale quelle qu’elle soit, à un inventaire du champ sémantique du terme Somba.
Barth place, pour sa part, la notion de «limite» au centre de sa démarche. Il montre que les séparations entre ethnies servent à établir des schèmes d’identification socialement signifiants et que, parallèlement, il se produit un flux continuel de populations à travers ces limites. Il ouvre ainsi la voie à une analyse des relations entre ethnies conçues comme des rapports de forces. Mais c’est dans certaines monographies que ce processus de dissolution des ethnies spécifiques a été poussé le plus loin: les travaux d’Isaac Shapera, d’Edmund Leach, de William Watson, de Claude Meillassoux, d’Emmanuel Terray et de Jean-Pierre Dozon, notamment, tendent à montrer que l’ethnie est en grande partie une création contemporaine liée à la colonisation, aux migrations vers les villes et à l’insertion dans un État moderne. Il s’agit alors de définir la nature des cadres sociaux qui s’offraient aux acteurs dans les anciennes civilisations et dans les sociétés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine précoloniales.
À l’heure actuelle, un nombre croissant de chercheurs s’accordent sur le caractère premier des relations intersociétales. Les sociétés locales, avec leur mode de production, de redistribution, etc., loin d’être des monades repliées sur elles-mêmes, étaient intégrées dans des formes générales englobantes qui les déterminaient et leur donnaient un contenu spécifique. C’est pourquoi chaque société locale doit être conçue comme l’effet d’un réseau de relations qui, faute d’être exploré en totalité, ne saurait livrer la clé du fonctionnement de chaque élément. Cette attitude implique la définition des différents réseaux qui donnent forme aux sociétés locales, la reconnaissance de l’existence d’un développement inégal et, à terme, un changement de perspective en anthropologie consistant à expliquer le moins élaboré par le plus élaboré à l’intérieur de phylogénies spécifiques et limitées.
Dans cette optique, il faut définir une série d’espaces sociaux qui structuraient autrefois les différents continents. De façon toute formelle, on peut distinguer des espaces d’échanges, des espaces étatiques, politiques et guerriers, des espaces linguistiques et des espaces culturels et religieux. On aboutit ainsi à la définition d’unités sociales effectives qui sont les véritables sujets de l’histoire à chaque période considérée. Il s’agit, en particulier, de mettre en évidence les opérateurs qui régissent les différentes procédures d’encodage ou d’enregistrement. En général, ce sont les unités politiques de toute taille – royaumes, chefferies, confédérations de villages, aires matrimoniales, lignages, etc. – qui jouent ce rôle en liaison avec l’existence de courants d’échanges internationaux. L’ensemble articulé de ces multiples unités est donc la véritable matrice d’identification.
Paradigmes ethniques et conversions identitaires
Si l’on accepte l’idée selon laquelle il existe une continuité dans le tissu qui unit les différentes sociétés d’un ensemble donné, chacune d’entre elles étant conçue comme le point ultime de tout un réseau de rapports de forces, on est conduit à admettre l’existence de « chaînes de sociétés» à l’intérieur desquelles les acteurs sociaux se meuvent. Ces derniers, en fonction de la place qu’ils occupent dans les différents systèmes sociaux, sont à même de circonscrire dans la langue une série d’éléments signifiants ou de «sèmes» qui, par une série de transformations successives, donneront naissance à un «paradigme ethnique».
On est ainsi confronté aux problèmes de l’«attribution» et de l’«identification ethnique» tels que les a bien analysés Barth: un acteur social, en fonction du contexte où il se trouve, opérera à l’intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par la langue un choix d’identification. Celui-ci pourra lui-même changer et l’on aboutira ainsi à des tableaux de transformation et de conjugaison. L’existence de tels corpus catégoriels et les conversions identitaires qu’ils permettent sont l’indice le plus probant de l’existence de ces «chaînes de sociétés» et le signe que les stratégies sociales se produisaient à l’échelle de vastes régions. Plutôt que d’envisager les frontières ethniques comme des limites géographiques, il faut les considérer comme des barrières sémantiques ou des systèmes de classement, c’est-à-dire, en définitive, comme des catégories sociales.
L’ethnie apparaît ainsi comme étant une construction identitaire élaborée par une population donnée et cela en parfaite continuité avec des notions voisines comme celles de race, de clan ou de lignage, dont on trouve des équivalents dans les langues des sociétés exotiques. Ces constructions identitaires permettent le regroupement d’agents sous la fiction d’une appartenance ou d’une descendance communes. Ainsi, les patronymes, les noms de clan ou de lignage et les ethnonymes peuvent être considérés comme une gamme d’éléments que les acteurs sociaux utilisent pour affronter les différentes situations politiques qui se présentent à eux. De ce point de vue, il n’existe pas d’ethnie, au sens où ce terme désignerait des entités homogènes racialement, culturellement et linguistiquement: au contraire, ce qui prévaut toujours, ce sont des unités sociales inégales et hétérogènes quant à leur composition. L’ethnonyme est ainsi un signifiant qui peut recevoir plusieurs signifiés; son utilisation par un locuteur contribue à créer les différents groupes sociaux.
C’est pourquoi opposer telle signification d’un ethnonyme à telle autre n’a pas grand sens tant que n’a pas été établie la liste complète des usages sociaux d’un même terme. Un ethnonyme peut recevoir une multitude de sens en fonction des époques, des lieux et des situations sociales retenus: s’attacher à l’un de ces sens n’est pas condamnable; ce qui l’est, c’est d’affirmer que ce sens est unique ou que la série de sens qu’a revêtue la catégorie est achevée (fondamentalisme ethnique, racisme).
L’État, la cité, les échanges
Si l’on trace un axe et que l’on place, à l’une de ses extrémités, les unités sociales minimales (lignages, clans, aires matrimoniales, etc.) et, à l’autre, l’État-nation, l’ethnie occupera autant de positions intermédiaires que de conceptions qui prévaudront chez l’utilisateur de cette notion. Sous le masque de l’ethnie, se trouve à l’œuvre, en effet, la réalité d’un acteur, celui qui effectue les opérations d’encodage et d’enregistrement. Ces opérations d’enregistrement seront elles-mêmes fonction de la taille des effectifs à englober. Plus ces organisations seront développées, plus les effectifs à incorporer seront vastes et plus l’utilisation de ces catégories sera nécessaire, de sorte que les sociétés exotiques ne diffèrent pas fondamentalement des nôtres: elles produisent des catégories servant à classer socialement des agents.
De la même façon, il n’existe pas de coupure entre le tribalisme moderne et son homologue ancien dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Le mouvement de franchissement des barrières ethniques, de migration vers les villes (détribalisation) et d’utilisation des réseaux de natifs comme mode d’organisation économique et sociale (retribalisation ou supertribalisation) est un phénomène qui a des racines historiques très anciennes. C’est ce même mouvement qui se poursuit aujourd’hui vers les villes et qui aboutit à regrouper hors des structures rurales et villageoises un certain nombre d’originaires. Ainsi, plutôt qu’un indice de modernité, l’ethnicité pourrait donc apparaître avant tout comme un produit de l’urbanisation, de l’édification étatique et de la vie de relations (commerce et rapports de toute sorte que des communautés distinctes nouent les unes avec les autres) – et cela, quelle que soit la période considérée.
C’est pourquoi rien ne distingue, en fait, le tribalisme ou l’ethnicité de la renaissance du régionalisme à laquelle on assiste en Europe. Dans les deux cas, ces mouvements de retour aux sources ou d’«authenticité» s’enracinent bien dans la réalité urbaine: ils sont une projection citadine sur une réalité rurale et passée purement imaginaire. C’est effectivement l’éloignement social et géographique qui, dans le monde entier, permet de donner pureté et homogénéité à un milieu hétérogène et hiérarchisé.
ethnie [ ɛtni ] n. f.
• 1896; gr. ethnos « peuple, nation »
♦ Ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture (alors que la race dépend de caractères anatomiques). L'ethnie française englobe notamment la Belgique wallonne, la Suisse romande, le Canada français.
● ethnie nom féminin (grec ethnos) Groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l'unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe.
ethnie
n. f. Groupement humain caractérisé principalement par une même culture, une même langue.
⇒ETHNIE, subst. fém.
Groupe d'êtres humains qui possède, en plus ou moins grande part, un héritage socio-culturel commun, en particulier la langue :
• La plus répandue des confusions est celle qui substitue la race à l'ethnie et réciproquement. (...) L'ethnie étant le groupement naturel pour la détermination duquel entrent en ligne de compte surtout la culture et la langue. Tandis que la race est un groupement déterminé par les savants.
Tiers monde, 1956, p. 112.
Rem. La docum. atteste a) Ethnisme, subst. masc., sing. Ensemble de liens qui réunissent des groupes d'individus ayant un patrimoine socio-culturel commun, particulièrement la langue. L'ethnisme roman, l'ethnisme germain. Il y a une autre unité, infiniment plus importante [que l'unité de race], la seule essentielle, celle qui est constituée par le lien social : nous l'appellerons « ethnisme ». Entendons par là une unité reposant sur des rapports multiples de religion, de civilisation, de défense commune, etc., qui peuvent s'établir même entre peuples de races différentes et en l'absence de tout lien politique (SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 305). b) Ethnos, subst. masc., synon. didact. de ethnie.
Prononc. :[]. Enq. : /etni/. Étymol. et Hist. 1896 (VACHER DE LAPOUGE, Sélections Sociales ds Vie Lang. 1964, p. 224). Dér. sav. du gr. (où -os est considéré comme suff.), proprement « toute classe d'êtres d'origine ou de condition commune »; suff. -ie. Fréq. abs. littér. :2.
ethnie [ɛtni] n. f.
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♦ Didact. Ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture (alors que la race dépend de caractères anatomiques). On trouve aussi ethnos.
1 On réserve le nom de races à ceux (les groupements humains) établis d'après un ensemble de caractères physiques (…) On sait, d'autre part, qu'on appelle nation ou état ceux qui correspondent à une communauté politique. Viennent enfin ceux basés sur des caractères de civilisation, en particulier une langue ou un groupe de langues identiques; on a créé pour eux un terme qui tend de plus en plus à s'imposer, ce sont les ethnies (…) Dès qu'on aborde les grandes masses qui peuplent la majeure partie des continents, les races, les ethnies et les frontières politiques s'enchevêtrent à qui mieux mieux.
Henri Vallois, les Races humaines, p. 8.
2 Entre les races ou entre les civilisations, entre les ethnies, pensait Spenhler, il y a des murs infranchissables. Les communications et les télécommunications font qu'ils s'écroulent, malgré les oppositions encore tenaces de la Russie, de la Chine, des patriotismes paradoxaux de tous ces gens dont le but était justement de favoriser l'internationalisation.
Ionesco, Journal en miettes, p. 60-61.
Encyclopédie Universelle. 2012.