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DYSLEXIE
DYSLEXIE

Le concept même de dyslexie est fort discuté. Il peut servir à qualifier les difficultés ou les altérations de l’apprentissage du langage écrit, en dehors des simples retards dans l’«acquisition» de la lecture. Selon cette conception, la dyslexie n’est pas une déviation d’un processus évolutif, mais un handicap, une incompétence à apprendre à lire, une incapacité élective: son caractère isolé, détaché de tout autre trouble de l’apprentissage ou de toute perturbation neurologique ou affective, porte à en faire une affection autonome, voire héréditaire.

Mais, plutôt que comme ce handicap dont on a fait une «maladie du siècle», la dyslexie peut aussi être considérée comme la traduction d’un dysfonctionnement de la fonction symbolique: elle marque, au niveau du décryptage du langage écrit, une infirmité plus générale du symbolique. Dès lors, sa problématique s’inscrit dans la difficulté à «intégrer» les symboles de l’écriture en tant que tels, à croiser les critères afférents de la fonction visuelle avec les éléments auditifs et articulatoires de la parole. Il s’agit d’une altération de la fonction de lire ou de la «transcriptiona ». On comprend par là que chacun de ces critères et de ces canaux afférentiels puisse être partie prenante dans la dyslexie, en dehors des fonctions intégratives elles-mêmes.

Les études portant sur l’organisation spatiale et temporelle

Du côté du repérage et de la discrimination visuels dans la dimension spatiale et dans l’appréciation du poids de la Gestalt , on peut relever les inversions en miroir, les élisions, les confusions de forme. C’est là-dessus que s’appuie une des positions explicatives de la dyslexie: les aberrations de l’apprentissage seraient liées à ces facteurs spatiaux, rendant compte en particulier des confusions classiques entre b et d, p et q, m et n. Par là s’explique l’importance qu’on accorde, dans le diagnostic, aux perturbations de l’organisation spatiale évaluées par des tests et, dans la thérapeutique, aux exercices qui tendent à l’apprentissage des discriminations et de la reconnaissance des formes et des rapports spatiaux. C’est à ce sujet qu’a été soulevée la question des rapports de la dyslexie avec les troubles de latéralisation. De nombreux travaux ont tenté d’établir un lien direct ou indirect entre la dyslexie et les latéralités mal établies: gaucherie contrariée, latéralité manuelle en contradiction avec la dominance oculaire. Mais ils se heurtent, dans la cohérence de leurs conclusions, à la remarquable incertitude qui règne en matière de compréhension des liens entre les structures anatomiques (dominance cérébrale), la fonction motrice latéralisée et le poids de la socialisation dans la latéralité d’utilisation. Il semble que les facteurs relatifs à la spatialité et à la latéralisation voient, depuis quelques années, leur influence, qui a été grande, fortement diminuer dans l’abord de la dyslexie.

Il en est de même des études centrées sur les mouvements oculaires et sur l’oculomotricité dans la coordination binoculaire; en effet, l’expérimentation portant sur la séquence balayage-fixation dans l’acte de lecture avait initialement apporté des données intéressantes, en particulier en ce qui concerne les stratégies d’exploration, leur continuum spatio-temporel ou la coordination binoculaire. Ces travaux, issus des études de neurophysiologie et de psychologie expérimentale sur le jeu réciproque des facteurs perceptifs et moteurs dans les apprentissages ou le développement des fonctions, se sont heurtés aux problèmes de tout ce qui, dans le regard, dépasse ce qui est visuel, et concerne la motivation, le désir de voir, essentiels quand il s’agit d’appréhender tant la dynamique de l’exploration que son inhibition.

C’est sur une limite du même ordre, non plus seulement pour la question du regard mais aussi pour celle de ses rapports à la fonction posturale, qu’achoppent d’intéressantes et instructives tentatives en vue d’établir des corrélations entre certaines dyslexies et l’organisation du tonus de l’axe du corps, à l’aide d’un dispositif permettant de mesurer dans leurs composantes antéro-postérieures et latérales les processus d’équilibration posturale dans l’acte de lecture. Cela est à rapprocher de certaines méthodes rééducatives qui sollicitent aussi bien la parole que la participation respiratoire et motrice de tout le corps dans l’expression verbotonique.

De même, on s’est soucié, pour comprendre la dyslexie, de prendre en compte l’organisation temporelle et l’intégration du temps, en insistant sur certains facteurs tels que l’organisation temporelle du geste ou du mouvement oculaire dans la lecture, facteurs qui dépassent l’aspect purement spatial de l’exploration et qui en viennent à intégrer les notions d’antériorité, de postériorité ou de simultanéité: l’harmonie kinétique de l’exploration, la qualité du tempo, la musicalité tonale sont intimement associées au découpage des mots, à la succession syllabique, à la ponctuation. Si l’on peut dire que le déchiffrage est lié pour beaucoup à la spatialisation de l’écrit, il est certain aussi que la compréhension et l’émergence de la signification dépendent étroitement de l’organisation temporelle de la lecture. À cet égard, en particulier, on doit souligner que, si la lecture analytique ou syllabique facilite la mise en place spatiale de ce qui est à lire, la lecture globale est plus soucieuse de la temporalité du récit et d’une certaine fluidité qui conditionne l’appréhension et facilite le sens.

Diverses composantes temporelles ont été prises en compte dans l’explication de la dyslexie, notamment la temporalité de l’exploration du texte, par l’étude de la cinétique de la poursuite oculaire, plus ou moins favorisée par la motricité cervico-faciale et celle du tronc. Par ailleurs, on a invoqué l’organisation temporelle dans son versant plus socialisé, telle la connaissance des mois, des jours, des heures. On a, de même, observé la capacité à reproduire des structures rythmiques, soit dans des épreuves de tapping , soit par l’intermédiaire des deux mains (une partie de la structure étant reproduite par une main, tandis que l’autre est chargée de la seconde partie de la structure).

La mise en cause de l’organisation temporelle dans la dyslexie a certains aspects séduisants; elle ouvre des voies d’exploration intéressantes, mais c’est le temps dans son aspect très spatial, le temps découpé, qui est interrogé ici. Et l’on comprend que cette perspective ne puisse pas radicalement dépasser ce qui a été dit des facteurs d’organisation spatiale.

Il en va de même avec l’étude des rythmes cérébraux par l’électro-encéphalogramme qui n’a pas non plus apporté d’éclairage décisif: qu’il s’agisse d’observations sur l’organisation spatiale du rythme alpha dans les régions postérieures, de la recherche spécifique de l’organisation temporelle des composantes de l’électrogenèse cérébrale et de ses rapports avec la topographie des aires corticales de leur émergence, ou d’études plus sophistiquées sur la dynamique elle-même de l’électrogenèse dans l’acte de la lecture, rien de décisif n’a été démontré par là concernant les mécanismes mêmes du fonctionnement dyslexique.

De la dyslexie à la parole et à l’inconscient

Présentent, en revanche, un plus grand intérêt les nombreuses recherches contemporaines sur les rapports de la dyslexie avec la parole et le langage. Le point de vue phonétique privilégie le parallélisme entre l’absence de certaines formes phonétiques dans la parole et l’incapacité à déchiffrer ces mêmes formes dans la lecture, ou tout au moins la très grande difficulté à retenir le lien qui unit l’écrit et la composante phonétique, ce lien étant aléatoire et les apprentissages étant dépourvus de fixité utilisable.

C’est dans le même esprit que l’on cherche à établir une parenté entre les dyslexies et les retards de parole: les troubles de l’articulation, les altérations de la parole, qui sont en rapport en particulier avec certains déficits auditifs, rendraient compte de certaines caractéristiques cliniques des dyslexies, notamment les caractéristiques phonétiques ou portant sur la compréhension précise, les allitérations, les confusions de sons, qui entraînent une perte de signification plus ou moins compensée par les ajouts ou les fabulations à partir du texte.

Par là peut être mise en relief l’importance des difficultés que le sujet éprouve à étayer les données sensorielles d’origine auditive par les données esthésiques liées aux organes de la phonation et de l’articulation: les méthodes gestuelles de rééducation visent à pallier cet étayage défectueux, à inscrire dans la gestuelle ou les esthésies cutanées, musculaires, etc., un rapport au son qui soit perceptible et stable. C’est évidemment dans cette perspective que l’on a formulé les critiques les plus justifiées à l’encontre de la méthode globale d’apprentissage de la lecture, celle-ci ne pouvant en aucune façon être utilisée dans des cas de cet ordre. Mais, a contrario , on conçoit fort bien que de nombreux retards de langage et de parole – essentiellement déterminés par la médiocrité des rapports entre ce qui est entendu et ce qui est articulé, ou par la pauvreté des articulations du langage proprement dit, qui sont régies par le canal auditif ou phonatoire, ou gestuel – puissent être considérablement améliorés par l’apprentissage précoce de la lecture: cela est d’observation courante, et constitue un argument très important pour contester les rapports que certains voudraient considérer comme décisifs entre les retards de parole et la dyslexie.

Ainsi, en premier lieu, les dyslexies ne peuvent se définir comme étant constituées par les troubles de l’apprentissage de la lecture, qui ne sont pas modifiés par un certain nombre de séances de rééducation conduites par des orthophonistes compétents, car, dans l’ignorance où nous sommes des facteurs qui déterminent la dyslexie, on ne peut assurer que la rééducation aborde effectivement ceux qui en sont à la source. De même et d’une façon paradoxale, dans l’ignorance où nous sommes de ce qui fait que les enfants apprennent à lire, nous ne pouvons définir valablement la dyslexie par l’échec des méthodes d’apprentissage habituelles.

En deuxième lieu, on peut dire que les dyslexies ne se définissent pas non plus comme des effets d’une perturbation de l’intégration spatiale de l’écrit en tant que celui-ci constitue des signes à reconnaître ou à reproduire, puisque les enfants qui présentent les perturbations les plus spécifiques du figuratif et de l’espace, associées à des troubles graves de l’image de leur corps (ils sont alors rangés parmi les enfants dyspraxiques), ne présentent jamais de dyslexie.

On peut affirmer, en troisième lieu, que les dyslexies ne sont pas déterminées par des handicaps langagiers, relevant soit de la sensorialité, soit de l’intégration des phonèmes aux esthésies phonatoires et articulatoires, puisqu’il est vrai que, non seulement on apprend à lire aux sourds-muets, mais encore qu’on se sert de la lecture pour donner une structure aux langages dont la perturbation est inscrite dans la problématique des afférences auditives, telles que les dysphasies ou certaines séquelles de retards massifs de langage.

En revanche, on rencontre des incapacités totales à la lecture, qui sont de véritables agnosies de la lecture, mais qui s’accompagnent d’autres signes de la série agnosique, en particulier en ce qui concerne les chiffres, le dénombrement, la gnosie des doigts et l’incapacité à utiliser quelque code que ce soit, et notamment à mémoriser toute opération supposant le croisement de deux critères dont l’un est un signe. Ces cas sont tout à fait exceptionnels chez l’enfant et, dans l’histoire du sujet et à la lumière d’un examen neurologique fonctionnel, ils s’accompagnent des éléments d’un véritable syndrome mettant en lumière un trouble profond de l’intégration gnosique à divers niveaux.

Peut-être obtiendrait-on un éclairage particulier, concernant les dyslexies, en prêtant attention aux effets de l’inconscient. Car l’écrit prend de plus en plus de poids dans la manifestation du savoir. De tout temps, il est apparu comme le moyen, accessible au départ à quelques-uns seulement (les scribes), de percer les secrets, les rites, les formules permettant de parvenir au pouvoir, ainsi que d’accéder au mystère, au divin: les livres sacrés, les livres de la Loi, sont gardés dans le secret, tenus à l’abri de toute violation et réservés aux prêtres ou aux initiés. La problématique du désir de savoir (la libido sciendi des jansénistes, source de tous les péchés de l’homme) est au centre du refoulement freudien et détermine la méconnaissance, laquelle nourrit le symptôme: cette topique est d’autant plus décisive que l’écrit fixe le sens et vient ainsi déjouer sans cesse les défenses. C’est à travers la mise en jeu de celles-ci que l’on retrouve les déplacements, les confusions, les allitérations, les renversements, les isolations, les négations que chacun souligne comme étant caractéristiques de la dyslexie, aussi bien dans le registre phonématique et dans le domaine de l’exploration visuelle que dans celui du repérage articulatoire. Il est licite de se demander si, dans l’incapacité de lire, de percer le sens, d’entrer dans le texte, d’aller au fond de l’écrit, on ne relève pas la trace des aléas de la pulsion scopique: il s’agit alors de l’œil en tant qu’il est un organe, pas seulement de la vue, mais du regard sous-tendu par le désir et porté par le corps comme une antenne; c’est cet œil-là qui se trouve aveuglé par le signifiant dans la dyslexie.

dyslexie [ dislɛksi ] n. f.
• 1897; de dys- et gr. lexis « mot »
Trouble de la capacité de lire, ou difficulté à reconnaître et à reproduire le langage écrit. Dyslexie et dysgraphie.

dyslexie nom féminin Difficulté d'apprentissage de la lecture et de l'orthographe, en dehors de toute déficience intellectuelle et sensorielle, et de tout trouble psychiatrique.

dyslexie
n. f. Difficulté à identifier, comprendre et reproduire le langage écrit.

⇒DYSLEXIE, subst. fém.
MÉD. et usuel. Troubles rencontrés dans l'apprentissage de la lecture en l'absence de déficit sensoriel et intellectuel et de retard scolaire, caractérisés par la confusion de certaines lettres, l'inversion de syllabes et des substitutions de mots entraînant des troubles de l'écriture et des troubles dans l'apprentissage de l'orthographe. Dyslexie spécifique; dyslexie d'évolution (p. oppos. à dyslexie d'involution; synon. alexie congénitale). La dyslexie est la manifestation d'une perturbation dans la Relation du Moi et de l'Univers, perturbation qui a envahi sélectivement les domaines de l'expression et de la communication (R. MUCCHIELLI, A. BOURCIER, La Dyslexie, maladie du siècle, Paris, éd. soc. fr., 1964, p. 88).
Spéc. ,,Perturbation de la capacité de lire, en raison d'une lésion du système nerveux central`` (Méd. Biol. t. 1 1970).
Prononc. :[]. Étymol. et Hist. 1907 (Nouv. Lar. ill. Suppl.). Composé de l'élément préf. dys- et du subst. lexie (gr. « parole, élocution, mot ») cf. l'angl. dyslexia attesté dep. 1886-88 ds NED. Bbg. QUEM. Fichier.

dyslexie [dislɛksi] n. f.
ÉTYM. 1897; de dys-, et grec lexis « mot ». → Lexie, lexique.
Méd. et cour. Trouble de la capacité de lire, ou difficulté à reconnaître et à reproduire le langage écrit. || Dyslexie spécifique. || Dyslexie d'évolution. Alexie. || Dyslexie et dysorthographie, et dyscalculie.
DÉR. Dyslexique.

Encyclopédie Universelle. 2012.