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ALLIAGES
ALLIAGES

Les alliages représentent une illustration matérielle du vieux dicton «l’union fait la force». L’homme a toujours cherché des matériaux plus performants à l’utilisation, plus faciles à fabriquer ou à mettre en œuvre et plus économiques. Les alliages métalliques constituent une classe de matériaux particulièrement importante dans la société humaine, et ce depuis l’âge du bronze. Les métaux de grande pureté (99,99 p. 100 en poids du métal, ou mieux) n’ont pas, dans l’ensemble, d’utilisation pratique en dehors de la distribution d’électricité (cuivre, aluminium); cela est dû à leurs propriétés très médiocres, sauf en ce qui concerne les conductivités électrique et thermique, d’autant meilleures que le métal considéré est plus pur. Les impuretés, malgré la connotation péjorative du mot, durcissent les métaux et, pour peu qu’elles soient judicieusement choisies et dosées, permettent d’améliorer sensiblement les possibilités d’emploi de ces métaux ainsi que, souvent, les conditions de leur élaboration et de leur mise en œuvre.

C’est la raison d’être de ces associations de substances à l’échelle atomique ou moléculaire appelées alliages , qui furent d’abord métalliques, puis débordèrent le domaine de la métallurgie pour toucher la chimie organique et la science des céramiques.

La fonte de fer, alliage de fer et de 2 à 5 p. 100 en poids de carbone, exemple type, même s’il est particulier (le carbone n’est pas un métal), permet de réaliser de nombreux objets qui vont du bâti de machine-outil au bras de suspension d’automobile en passant par les tuyaux d’adduction d’eau. Cette même fonte commence à fondre à 1 150 0C environ, tandis que le fer pur n’a aucune application dans la vie quotidienne mais fond à 1 538 0C. Cela explique, au moins partiellement, qu’on rencontre dans les usines sidérurgiques des dispositifs (poches ou mélangeurs) permettant de stocker la fonte liquide en grande quantité, mais rien d’équivalent pour le fer pur, bien que celui-ci soit à la base de tous les aciers et fontes et qu’il figure aussi dans d’autres composés.

1. Alliages binaires

Les alliages les plus simples à étudier sont les alliages binaires métalliques, c’est-à-dire ceux qui sont formés par association à l’échelle atomique entre deux métaux, lesquels sont des éléments de la classification périodique. La méthode la plus immédiate pour préparer un alliage binaire consiste à fondre ensemble, par chauffage, les deux métaux composants et à laisser le liquide refroidir. Le résultat d’une telle opération dépend essentiellement des éléments mis en cause. Suivant la nature des deux composants, et leur dosage, on peut obtenir plusieurs types de résultats:

– un produit totalement différent des deux métaux de départ, lorsque l’association à l’échelle atomique des métaux est énergétiquement favorable et qu’on forme ce qui est appelé un composé intermédiaire ;

– un produit ressemblant à l’un des composants, plus ou moins modifié; il s’agit alors d’une solution solide ;

– un mélange des deux composants quasi purs à l’échelle de grains dont la taille varie de quelques micromètres à quelques millimètres; on obtient un eutectique ;

– une séparation en deux couches avec, au-dessus, le métal léger et, au-dessous, le métal lourd, si l’association à l’échelle atomique est énergétiquement défavorable et si la tendance à la répulsion des atomes dissemblables s’accompagne d’une grande différence de masse; ce dernier cas a déjà justifié des expériences en microgravité.

Les divers comportements évoqués ci-dessus sont à la base de la recherche de nouveaux alliages. Il n’est malheureusement pas encore possible de les prévoir d’une façon efficace et économique par des modèles théoriques. La recherche en métallurgie a donc été pendant très longtemps, et est encore, même si c’est à un degré moindre, une recherche expérimentale, mêlant l’observation des phénomènes à l’intuition, à la chance et aux tentatives de systématisation à partir de paramètres empiriques. Les progrès de la mécanique quantique ont certes permis de développer des modèles théoriques des métaux purs, puis des alliages, mais le niveau des enseignements apportés est encore très éloigné des besoins technologiques quotidiens.

2. Diagrammes de phases

La description et l’étude des alliages binaires passent par un type de représentation classique: les diagrammes de phases. Les figures 1 à 4 montrent divers cas qui peuvent servir d’exemples.

La figure 1 concerne le système cuivre (Cu)-tungstène (W). L’axe des abscisses représente la teneur de l’alliage en tungstène exprimée en atomes pour cent ou en poids pour cent; la première échelle est utilisée dans les laboratoires de recherche tandis que la seconde est celle des industriels, qui préparent leurs alliages par pesée. L’axe vertical est gradué en température. L’ensemble donne donc une représentation de ce que sont les alliages CuW en fonction de la température et de la composition, sous réserve qu’ils soient à l’équilibre thermodynamique (ce point sera repris plus loin). On observe sur ce diagramme que les métaux ne s’allient pas. Le cuivre, à gauche, ne dissout pas plus de tungstène que le tungstène, à droite, de cuivre. Cela est vrai à l’état solide et encore presque vrai à l’état liquide puisque à 3 240 0C environ on trouve deux liquides L1 et L2: l’un, du cuivre avec 4,1 atomes de tungstène pour 100, et l’autre, du tungstène avec 9 atomes de cuivre pour 100. La zone A correspond à la coexistence des deux métaux solides sans pénétration notable de l’un dans l’autre (démixtion totale à l’état solide), la zone B, au-dessus de la température de fusion du cuivre (1 084,87 0C), indique que, si le cuivre liquide dissout un peu de tungstène, ce dernier, toujours solide, reste pur (équilibre solide-liquide); enfin, la zone C, au-dessus du palier monotectique à 3 240 0C, est celle de la démixtion à l’état liquide des deux métaux. Le nombre de phases dans ce système est de quatre: le tungstène (W), le cuivre (Cu) et les deux liquides L1 et L2. Un point est à noter: les lignes sont en pointillé dans la figure, ce qui signifie, ici, qu’elles ne sont pas établies avec certitude. Il ne faut pas en conclure que leur détermination a été mal conduite, mais simplement que les difficultés expérimentales sont très grandes.

La figure 2 présente le cas du système cadmium (Cd) - plomb (Pb). Ici encore, les deux métaux ont très peu tendance à s’unir: le cadmium reste quasi pur et le plomb accepte au mieux 5,9 atomes de cadmium pour 100, à 248 0C, température du palier eutectique qui sépare le domaine solide du domaine liquide L et des zones (solide + liquide) B et C; la zone A est entièrement composée d’un mélange des deux solutions solides (Pb) et (Cd). Dans ces alliages, la miscibilité est totale à l’état liquide. Le nombre de phases est, dans ce cas, de trois: les deux solutions solides de cadmium dans le plomb (Pb) et de plomb dans le cadmium (Cd), ainsi que le liquide.

La figure 3 montre un exemple de miscibilité totale entre deux métaux, le zirconium (Zr) et le hafnium (Hf). Dans ce cas, on passe progressivement, dans l’état solide, de l’un à l’autre par remplacement, sur le réseau cristallin, des atomes du premier par ceux du second. Le produit est une solution solide qui ressemble au zirconium à gauche et au hafnium à droite. Chacun des deux composants possède deux structures cristallines: le zirconium est hexagonal compact ( 見Zr) au-dessous de 863 0C, cubique centré ( 廓Zr) au dessus; le hafnium présente les mêmes caractéristiques, avec simplement une température de transition plus élevée: 1 743 0C. Le fuseau qui sépare les deux zones solides est un domaine de coexistence des deux formes 見 et 廓. L’autre fuseau, qui sépare le domaine solide 廓 du liquide, est le siège d’un équilibre entre eux. Trois phases différentes sont représentées: 見, 廓 et le liquide.

La figure 4 représente un système à composés intermédiaires. La combinaison de nickel (Ni) au titane (Ti) peut en effet donner:

– une solution solide terminale de titane dans le nickel (Ni);

– une solution solide terminale de nickel dans le titane 見 ( 見Ti);

– une solution solide terminale de nickel dans le titane 廓 ( 廓Ti);

– un composé intermédiaire de stœchiométrie bien définie (TiNi3);

– un composé intermédiaire de stœchiométrie légèrement variable (Ti2Ni);

– un composé intermédiaire de stœchiométrie franchement variable (TiNi);

– un liquide (L).

Le titane, à gauche, présente la même transition allotropique entre deux formes cristallines que le zirconium et le hafnium. On remarque que le nickel est plus soluble dans le titane 廓 que dans le titane 見.

Ce type de système est intéressant pour les métallurgistes, car il possède des composés intermédiaires qui, tout en restant métalliques, ont des propriétés différentes de celles des métaux purs et des solutions solides. Ces composés sont en général très durs, peu ductiles, voire cassants, ce qui compromet leur utilisation à l’état pur, bien qu’au cours des années quatre-vingt des recherches se soient développées pour pallier leur fragilité et permettre une extension de leurs usages. Actuellement, on trouve des composés intermédiaires dans des alliages biphasés (solution solide terminale + composés intermédiaires). Ce point sera détaillé lors de l’étude des alliages industriels.

3. Modélisation des alliages

Le problème permanent des métallurgistes est l’impossibilité, encore quasi totale, de prévoir théoriquement et économiquement un diagramme de phases. Les diagrammes connus ont tous été établis expérimentalement, en mettant les composants en contact et en suivant leur évolution au moyen de techniques diverses. L’exemple de la figure 1, dans laquelle les pointillés traduisent l’incertitude des auteurs, montre que notre connaissance est encore très imparfaite. Deux voies, en dehors de l’étude expérimentale, toujours d’actualité, sont suivies pour résoudre les problèmes pendants. La première est la modélisation numérique des diagrammes de phases. La «coexistence pacifique» entre deux phases différentes, appelée équilibre thermodynamique, est régie par une règle thermodynamique bien connue, dite minimisation de l’enthalpie libre du système. Les performances des micro-ordinateurs des années quatre-vingt-dix permettent d’utiliser des modèles numériques de cette enthalpie libre et de calculer ainsi toutes les lignes des diagrammes. Il ne s’agit cependant pas de prévision, car on ne peut modéliser numériquement que ce qui est connu, et les vertus de tels logiciels se limitent à interpoler de façon sensée entre des domaines déjà explorés. Mais cet apport est important, car il permet tout à la fois de guider les expérimentateurs afin de leur éviter des investigations coûteuses et de mettre en évidence d’éventuelles incohérences dans des résultats déjà publiés. Les logiciels sont capables de traiter des alliages possédant jusqu’à dix composants, voire plus.

La seconde voie non expérimentale est celle de la théorie physique de l’état solide. Les atomes des métaux se lient entre eux ou se repoussent par l’intermédiaire de leurs couches électroniques externes, lesquelles sont bien décrites par la mécanique quantique. Des modèles des alliages ont été construits pour essayer, dans un premier temps, de déterminer si le voisinage entre atomes de métaux différents était énergétiquement favorable ou non. Ce souci répondait à deux préoccupations complémentaires: les théoriciens de l’état solide cherchaient à comprendre les mécanismes fondamentaux des alliages, tandis que les concepteurs de produits industriels tentaient de trouver soit des indices pour élaborer de nouvelles combinaisons, soit des solutions à des problèmes de fabrication.

Dans le courant des années soixante-dix et quatre-vingt, il est devenu possible d’estimer l’énergie de formation d’un alliage binaire à partir de modèles dits à paramètres ajustables. Le premier, celui de Andries Miedema et de ses collaborateurs, considérait l’énergie de formation d’un alliage métallique comme la somme de deux termes antagonistes, estimés à partir de considérations simples. Lorsqu’on met en contact deux métaux différents, les électrons périphériques des deux types d’atomes n’ont pas le même potentiel et, comme ils sont libres, ceux de plus haut potentiel vont «tomber» vers le potentiel le plus bas, ce qui représente macroscopiquement une contribution exothermique; dans le même temps, l’alliage formé est métallique, donc conducteur de l’électricité, et il ne peut subsister de discontinuité de densité électronique d’un atome à l’autre. Cette dernière va donc s’uniformiser en consommant de l’énergie, ce qui constitue une contribution endothermique. Avec ces deux termes, l’équipe de Miedema pouvait donc trouver des énergies de formation positives (endothermiques) ou négatives (exothermiques) en fonction de la balance entre les deux contributions. Elle pouvait aussi considérer tous les alliages métalliques binaires, que les composants fussent normaux ou de transition. Ce modèle reposait sur deux paramètres fondamentaux caractérisant, l’un, le potentiel des électrons libres de chaque métal, l’autre, la densité de ces mêmes électrons à la périphérie des atomes. En fait, si le paramètre de potentiel pouvait être déduit de données expérimentales connues, celui de densité fut, à l’origine, extrapolé pour tous les métaux à partir de ce qui était déterminé pour les cinq alcalins non radioactifs – lithium, sodium, potassium, rubidium et césium –, accompagnés par le fer, le cuivre et l’aluminium. Des ajustements numériques permettaient de reproduire au mieux les énergies de formation déjà connues.

Ce modèle, très simple, compte tenu de la complexité du problème, fut développé pendant les années soixante-dix, et, en 1981, il permettait de traiter environ deux mille cinq cents système binaires. La précision des résultats était extrêmement variable d’un alliage à l’autre, mais il était possible de trouver au moins des indications de tendances, sinon des résultats numériques fiables. Des Français – Catherine Colinet, Alain Pasturel et Pierre Hicter – ainsi que des Américains – R. E. Watson et L. H. Bennett – ont, dès le début des années quatre-vingt, proposé des modèles s’appuyant sur des considérations quantiques. Dans les métaux de transition, on peut considérer, en première approximation (Jacques Friedel), que la cohésion est due uniquement aux électrons d qui vont remplir, par exemple, la sous-couche 3 d des éléments, du scandium au nickel inclus, sur la quatrième ligne de la classification périodique. Ces électrons sont dans une bande d’énergie qui est quasi pleine pour les métaux de droite (exemple: le nickel) et quasi vide pour ceux de gauche (scandium, titane). En alliant deux métaux de transition, on crée une nouvelle bande d, qui se remplit plus ou moins suivant les électrons d disponibles au départ. Des calculs permettent d’estimer les énergies mises en jeu et, par là, de trouver des valeurs d’énergie de formation des alliages. Tant Colinet, Pasturel et Hicter que Watson et Bennett ont tiré parti de ces considérations pour calculer des énergies de formation d’alliages de métaux de transition. Les formes données aux bandes d dans les deux modèles étaient peu réalistes, du fait des simplifications nécessaires pour obtenir des calculs de difficulté et de durée compatibles avec les moyens disponibles. Cela imposait, pour limiter les conséquences des approximations faites, de donner aux paramètres tels que les largeurs de bandes d, les nombres d’électrons d ou les niveaux de Fermi (énergie maximale des électrons libres dans un métal à 0 kelvin), des valeurs légèrement différentes de celles qui pouvaient être déterminées pour les éléments considérés, et ce en comparant les résultats des calculs à des valeurs d’énergies de formation déjà connues et publiées. Ce point fut à l’origine du terme modèles à paramètres ajustables , qui servit à désigner ce genre de construction théorique, et il eut une conséquence sur leur domaine d’application: il n’était pas possible d’optimiser les paramètres d’un élément sans résultats expérimentaux relatifs à des alliages le mettant en cause. Ces modèles ne pouvaient donc traiter qu’un nombre limité de systèmes binaires. Les valeurs numériques fournies étaient de précision variable, meilleures en moyenne pour le modèle français que pour l’américain, mais de toute façon moins fiables que celles des résultats expérimentaux.

Depuis la fin des années quatre-vingt, une nouvelle génération de modèles quantiques a vu le jour. Le principe retenu est de supposer dans un système plusieurs possibilités différentes pour les phases en présence et de calculer quelle combinaison mène à l’énergie minimale. Les premiers résultats sont particulièrement prometteurs, mais les moyens de calcul disponibles sont encore un facteur limitant. Il en est de même pour les modèles statistiques, qui procèdent également par recherche de la configuration d’énergie minimale. L’état de l’art ne permet donc encore pas de déterminer entièrement, à coup sûr et à un coût abordable, n’importe quel système binaire. Les praticiens sont donc toujours contraints de procéder par essais et erreurs, d’autant plus que les alliages industriels sont rarement composés de deux éléments seulement. Il est souvent nécessaire d’ajouter à un métal de base un partenaire pour obtenir les propriétés mécaniques voulues, un autre partenaire pour assurer la tenue à l’oxydation, puis d’autres encore pour stabiliser les propriétés dans le temps.

L’ensemble des problèmes rencontrés dans les alliages binaires se retrouvent dans les ternaires (trois éléments), amplifiés par les possibilités supplémentaires offertes: dans un binaire, les deux composants s’attirent ou se repoussent, ce qui reste une situation simple, tandis que dans un ternaire A-B-C, il faut tenir compte des comportements A-B, B-C et C-A et des interactions purement ternaires A-B-C. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la théorie soit encore plus limitée que dans le cas des binaires. Il est possible de trouver des indications de tendance à l’aide des règles empiriques de Hume-Rothery, établies dans les binaires et utilisables dans les ternaires et au-delà. L’idée de base est simple: les atomes de métaux, dans un réseau cristallin métallique, sont ionisés positivement, et les électrons libérés par cette ionisation assurent la cohésion de l’ensemble ainsi que la conduction électrique, typique des métaux. Chaque métal peut être classé en fonction du nombre d’électrons qu’il libère, par atome, dans le réseau cristallin. Les types de composés intermédiaires qui apparaissent dans un alliage sont dépendants de la taille des atomes et du nombre moyen d’électrons libérés. Il est possible de calculer approximativement ce nombre, en fonction de la composition, et d’en déduire une tendance à former telle ou telle sorte de composé. Ces règles ont été très utiles pour améliorer, par exemple, les alliages utilisés dans la construction des réacteurs d’avion.

4. Alliages métalliques industriels

Après ces considérations générales, nous pouvons maintenant nous intéresser à des alliages industriels. Les plus utilisés sont les aciers, qui présentent une palette particulièrement riche de produits, depuis ce qu’il est convenu d’appeler, plus ou moins péjorativement, la ferraille, jusqu’aux aciers inoxydables, en passant par les maragings , mis en œuvre pour des usages tels que les pièces soumises aux plus gros efforts dans les trains d’atterrissage des avions (cf. ACIER – Technologie). L’acier le plus simple est un alliage de fer et de carbone, renfermant moins de 2 p. 100 en poids de carbone (9 atomes pour 100). Il faut rappeler que le carbone n’est pas lui-même un métal, mais que le produit obtenu reste à caractère franchement métallique, d’une part, et que, d’autre part, les petits atomes de carbone ne remplacent pas ceux de fer sur leur réseau cristallin mais se glissent dans les interstices qui existent entre eux. Les aciers sont dits, pour cette raison, alliages interstitiels. À côté des aciers fer-carbone, on trouve des aciers «alliés», qui renferment des éléments tels que le chrome, le nickel, le manganèse... La rouille des aciers ordinaires est le plus connu des phénomènes de dégradation des alliages métalliques; il a suscité la naissance d’aciers inoxydables, qui renferment une quantité de chrome de l’ordre de 20 p. 100 en poids, ainsi que d’autres éléments d’addition pour répondre à des spécifications particulières. D’une façon générale, les aciers, comme les autres alliages, obéissent à une logique simple: à mesure qu’on exige plus des propriétés mécaniques, de la résistance à la corrosion, de la tenue aux températures élevées, la complexité de la formule augmente, ainsi, évidemment, que le prix de revient.

À l’instar des aciers, les fontes sont composées essentiellement de fer et de carbone, mais la quantité de carbone est supérieure à 2 p. 100 en poids, sans dépasser environ 5 p. 100. Les usages des fontes sont très nombreux, leurs propriétés pouvant encore une fois être adaptées aux besoins en ajustant les teneurs en éléments d’addition et les modes d’élaboration. Les pièces en fonte sont moulées et, éventuellement, usinées pour parfaire leurs formes, dimensions ou états de surface. Les techniques modernes de moulage, les bonnes qualités mécaniques des fontes dites malléables font que, dans l’industrie automobile, on substitue la fonte moulée à l’acier embouti pour confectionner des pièces comme les bras de suspension des voitures. Un point peut être mentionné pour illustrer ce qui était avancé dans l’introduction à propos du rôle favorable des impuretés: le phosphore, présent dans les minerais de fer français (minette de Lorraine, par exemple), devait être éliminé lors de la fabrication de l’acier à partir de la fonte produite par les hauts-fourneaux. Entre autres raisons, cela a conduit les sidérurgistes à s’approvisionner en minerais d’importation exempts de phosphore. Deux conséquences se sont fait sentir très rapidement: tout d’abord, les scories, dépourvues de phosphore, ont perdu leur vertu d’engrais agricole; ensuite, les fontes, qu’on utilisait sans aucune protection pour réaliser les grilles et plaques de voirie, ont perdu leur inoxydabilité, due, elle aussi, au phosphore.

Les aciers et la plupart des fontes, comme beaucoup d’autres alliages métalliques, ne sont pas en état d’équilibre, c’est-à-dire que l’arrangement des atomes qui les composent n’est pas le plus stable qu’on puisse imaginer. Dans un réseau cristallin, les atomes vibrent autour d’une position moyenne avec une énergie qui se traduit macroscopiquement par la température du corps considéré. Ce phénomène s’appelle l’agitation thermique, et il est responsable, par exemple, de la fusion lorsque l’énergie d’agitation devient suffisante pour briser l’ordonnancement du réseau. L’agitation thermique provoque la diffusion, c’est-à-dire le déplacement des atomes les uns par rapport aux autres, à condition que la température soit «assez élevée». Cette notion varie très fortement d’un alliage à l’autre et se trouve à la base des traitements thermiques utilisés pour modifier les propriétés d’un produit, sans changer sa composition chimique. Il est possible d’obtenir une structure d’équilibre en maintenant un alliage à une température élevée – plus de 0,5 fois sa température thermodynamique de fusion (exprimée en kelvins) – puis, en le refroidissant brutalement – en le «trempant» –, de ramener à la température ambiante cette même structure qui, alors, est hors d’équilibre. Si le résultat n’est pas satisfaisant, on peut réchauffer légèrement le produit pour provoquer une modification de ce déséquilibre et, par essais et erreurs, trouver la situation la plus favorable. Dans les aciers assez chargés en carbone et/ou en éléments d’alliage, la trempe, depuis le domaine austénitique (de 850 à 1 000 0C environ), conduit à la formation de martensite, composant très dur et très fragile; puis un réchauffement «revenu» à quelques centaines de degrés provoque des transformations de cette martensite conduisant à une réduction de la fragilité, mais aussi de la dureté. L’art de l’aciériste consiste à déterminer la procédure qui permet de conserver la dureté souhaitable tout en maintenant la fragilité à un niveau acceptable. Dans le cas du duralumin, alliage d’aluminium et de cuivre, le réseau cristallin de l’aluminium est capable, à 550 0C, de s’accommoder de la présence de 2 p. 100 d’atomes de cuivre (un peu plus de 4 p. 100 en poids), répartis statistiquement sur des positions normalement occupées par l’aluminium. Une trempe à l’eau ramène cette situation à la température ambiante, et le produit obtenu présente des caractéristiques mécaniques supérieures à celles de l’aluminium pur (dureté Vickers 年 64, au lieu de 年 20). Par un traitement ultérieur entre 110 0C et 240 0C, il est possible d’augmenter encore la dureté, jusqu’à une valeur variable selon la température et la durée de maintien en température. Le recuit doit être soigneusement programmé car, si dans un premier temps la dureté et les autres propriétés mécaniques sont améliorées – c’est la maturation de l’alliage –, après une durée critique il y a dégradation et chute des propriétés – c’est le survieillissement. Au point de vue de la structure cristalline, le phénomène est dû, après la trempe, à la sursaturation du réseau en atomes de cuivre, au-dessous de 500 0C. Il y a tendance au regroupement de ceux-ci dans des zones petites et nombreuses, dites de Guinier-Preston, avant que se forment des précipités du composé CuAl2, lequel, en monopolisant le cuivre excédentaire, rétablit l’équilibre thermodynamique. Le stade de dureté maximale est intermédiaire, et quand les précipités se développent, la dureté chute par deux effets complémentaires: les précipités, grossissant, deviennent moins nombreux et perdent leur effet bénéfique sur le réseau d’aluminium, la «matrice», qui, elle-même, s’appauvrit en cuivre et par là tend à retrouver les propriétés de l’aluminium pur. Ces considérations expliquent que les duralumins soient cantonnés à des températures voisines de l’ambiante.

D’autres alliages sont utilisés industriellement qui sont encore plus loin de l’équilibre thermodynamique que les aciers trempés ou les duralumins. Il s’agit des alliages amorphes, qui sont obtenus par divers moyens dont le plus simple est la trempe depuis l’état liquide. Le principe consiste à refroidir si brutalement un alliage fondu que les atomes, en complet désordre dans le liquide, n’aient pas le temps de s’organiser sur un réseau cristallin: leur énergie cinétique doit devenir insuffisante pour leur permettre de diffuser les uns par rapport aux autres. Les propriétés mécaniques, magnétiques, optiques, voire chimiques, qui découlent de l’état amorphe, sont intéressantes et ont justifié depuis les années soixante-dix et quatre-vingt de gros investissements de recherche et de mise en production. Le problème de tous ces matériaux est dû à leur état instable, qui tend à disparaître par cristallisation, en anéantissant de ce fait leurs propriétés spécifiques. Les usages auxquels ils sont limités sont ceux qui n’impliquent pas d’échauffement capable de provoquer la diffusion des atomes. Il faut noter que l’état amorphe de ces alliages est le même que celui du verre (alliage d’oxydes). Certains verres sont susceptibles de cristalliser, en perdant alors leur transparence: c’est la raison pour laquelle, par exemple, les ampoules des lampes à halogènes deviennent opaques après avoir été touchées sans précaution.

Hors les aciers et les fontes, déjà évoqués, il existe de nombreux autres types d’alliages utilisés industriellement. Les laitons, composés principalement de cuivre (majoritaire) et de zinc (minoritaire) sont rencontrés dans des domaines tels que les étuis de cartouche, les imitations plus ou moins heureuses de l’or de bijouterie (lui-même alliage d’or et de cuivre), les pièces d’horlogerie et les accessoires électriques, la robinetterie. Les bronzes, dont l’origine remonte à la préhistoire, sont à base de cuivre, auquel est ajouté essentiellement de l’étain. Leurs usages sont nombreux dans des domaines variés, depuis les caténaires des chemins de fer jusqu’aux hélices de bateau, en passant par les coussinets antifriction et les engrenages, sans oublier les cloches. Les coussinets antifriction sont formés d’alliages biphasés, c’est-à-dire de la solution solide saturée d’étain dans le cuivre, et d’un composé intermédiaire cuivre-étain beaucoup plus dur que la solution solide. Cette particularité permet de faciliter la lubrification: la solution solide s’use plus vite que le composé intermédiaire, ce qui laisse apparaître des creux jouant le rôle de réserves de lubrifiant, tandis que l’arbre tournant dans le coussinet repose sur le composé dur, qui a peu tendance à se souder à l’arbre.

Le magnésium et l’aluminium sont à la base d’alliages légers, dont certains sont très courants, comme le duralumin, déjà évoqué. Ils sont rencontrés dans les industries automobile et aéronautique. Les avions sont également de gros consommateurs, pour leurs structures, d’un alliage à base de titane, avec 6 p. 100 en masse d’aluminium et 4 p. 100 de vanadium.

5. Superalliages

Le développement des turboréacteurs d’avion a entraîné, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’élaboration d’alliages capables de résister à des efforts mécaniques intenses dans un domaine de température où tout ce qui était connu à l’époque avait une forte propension à fluer et/ou à s’oxyder de façon catastrophique. Dans le même temps, Superman devenait un héros de télévision, et certains auteurs américains expliquent ainsi la naissance du nom des «superalliages». Il s’agit de produits qui illustrent parfaitement comment, à partir de composants qui n’ont que des propriétés médiocres les rendant parfaitement inutilisables, il est possible de fabriquer des matériaux particulièrement efficaces, au point que le préfixe super ne semble pas du tout usurpé. Deux familles de superalliages sont employées: les «base nickel» et les «base cobalt» (le terme «base» précise le métal qui est le plus abondant). En partant du nickel pur, métal qui s’oxyde et qui flue dès 600 0C à 700 0C, l’addition de 20 p. 100 en poids de chrome conduit à un alliage dont la résistance à l’oxydation est bonne jusqu’à 1 000 0C, voire au-delà. Ensuite, un ajout d’aluminium permet de renforcer les propriétés mécaniques à chaud, jusqu’à près de 1 000 0C, grâce à la précipitation dans la solution solide ternaire nickel-chrome-aluminium d’un composé de type Ni3Al. Ce composé possède le même réseau cristallin que la solution solide, mais un paramètre légèrement différent. L’ajustage des propriétés mécaniques et chimiques, par un dosage fin des composants cités et des ajouts supplémentaires (titane, molybdène, tungstène, fer, etc.), permet de répondre à des besoins très divers qui dépassent largement le domaine des réacteurs d’avion.

La plupart des alliages métalliques sont polycristallins, c’est-à-dire qu’ils sont constitués de grains représentant chacun un réseau cristallin individuel (fig. 5). Les propriétés mécaniques sont généralement d’autant meilleures que les grains sont plus fins, ce qui a motivé la mise au point de techniques limitant la taille des grains, tant lors de la fabrication qu’à l’utilisation. Dans les superalliages à base nickel, cette texture à grains fins ne peut donner satisfaction car, lors des sollicitations mécaniques à chaud (de 700 à 1 000 0C), les grains ont tendance à se détacher les uns des autres suivant les joints perpendiculaires à l’effort. La parade trouvée consiste à utiliser les superalliages à base nickel sous forme colonnaire ou monocristalline. Dans les deux cas, les grains sont orientés parallèlement à l’effort: dans les alliages colonnaires, ils sont nombreux et assez longs pour couvrir toute la pièce, tandis que pour les pièces monocristallines, comme le nom l’indique, il n’y a qu’un seul grain. Les techniques de moulage qui mènent à de tels résultats sont très élaborées et protégées par des brevets.

Les superalliages à base nickel sont utilisés entre 600 0C et moins de 1 000 0C. Les superalliages à base cobalt ne deviennent intéressants que si la température de travail est trop élevée pour les base nickel (en général vers 1 000 0C). Ils ne sont pas aussi résistants mécaniquement que les base nickel, mais leur baisse de propriétés en fonction de l’élévation de température n’est pas aussi rapide. Ils sont mis en œuvre à l’état polycristallin, contrairement aux base nickel.

6. Alliages non métalliques

Après ce survol des alliages métalliques, il faut évoquer ceux qui ne le sont pas. Dans le domaine des matériaux organiques, la notion d’alliage s’impose pour décrire les comportements d’associations de molécules. Des diagrammes de phases binaires comme ceux des figures 1 à 4 sont établis, pour représenter, par exemple, le comportement de combinaisons de paraffines. L’intérêt industriel est important. Une illustration est fournie par le gazole, qui, en hiver, et jusqu’à une époque récente, était le siège d’une précipitation de cristaux de paraffine bouchant le circuit d’alimentation des moteurs Diesel. Des études ont permis de résoudre ce problème. Un mouvement européen se dessine pour développer la connaissance des alliages de molécules organiques.

Les céramiques constituent également un domaine dans lequel la notion d’alliage apparaît comme utile. De très longue date on sait préparer des céramiques présentant des propriétés particulières, en associant, en proportions convenables, des composants dont chacun, seul, ne répondrait pas aux besoins. Il s’agit donc bien d’alliages, même si le nom n’a pas toujours été employé de façon aussi importante que dans le domaine de la métallurgie. Depuis les années quatre-vingt, la notion d’alliage de céramiques se rencontre explicitement dans la littérature, et même celle de transformation martensitique. Cette transformation, qui consiste en un changement de réseau cristallin, sans diffusion des atomes mais avec des cisaillements de la structure et des glissements de plans d’atomes, a été étudiée principalement dans les aciers, puis dans d’autres alliages métalliques, et elle se rencontre également dans les céramiques, où elle est mise à profit, comme dans les métaux, pour modifier les propriétés mécaniques du produit.

7. Supraconducteurs et alliages à mémoire de forme

Ce qui précède montre la diversité de la notion d’alliage, et évoque succinctement les domaines où elle s’applique. Le tour d’horizon ne peut être complet qu’avec l’évocation de quelques types d’alliages particuliers, tels les supraconducteurs et les alliages à mémoire de forme. Les premiers supraconducteurs connus étaient des métaux purs qui, au voisinage de 0 kelvin (face=F0019 漣 273 0C), perdaient toute résistance électrique, ce qui aurait été très intéressant si l’obtention de la température nécessaire avait été économiquement envisageable. Des recherches ont mené à des alliages métalliques, des composés intermédiaires, dont les températures de transition supraconductrice étaient plus élevées que celles des métaux purs. Parmi eux, des composés de niobium permettaient d’obtenir la supraconductivité à 漣 250 0C, ce qui laissait envisager des applications industrielles, même si ces dernières étaient encore très limitées par le coût de la technologie du froid nécessaire. Au début des années quatre-vingt, des alliages d’oxydes, et non plus de métaux, sont venus bouleverser ce qui était connu. Johannes Georg Bednorz et Karl Alexander Müller ont reçu en 1987 le prix Nobel de physique à la suite de la publication, en 1986, de leurs travaux sur ce sujet. Les supraconducteurs à base d’oxydes présentent l’avantage de pouvoir travailler à la température de l’azote liquide, vers 漣 190 0C, alors que les supraconducteurs métalliques exigent de l’hélium liquide, beaucoup plus coûteux. En contrepartie, ces derniers acceptent des densités de courant plus élevées.

Les alliages à mémoire de forme sont des alliages métalliques subissant une transition martensitique. Les cisaillements de réseau cristallin peuvent être orientés par des traitements thermomécaniques, de telle sorte que la forme géométrique de l’alliage change au passage de la température de transition. Les applications de tels produits touchent des domaines divers, depuis le déploiement d’antennes de satellites artificiels jusqu’aux prothèses de col du fémur, d’une forme initiale facilitant leur mise en place à la température ambiante (de 20 0C à 25 0C) et prenant leur forme fonctionnelle à la température du corps humain (37 0C). Il faut sans doute aussi les évoquer pour expliquer les «pouvoirs» de prestidigitateurs qui se sont rendus célèbres en tordant des barreaux métalliques par de simples caresses...

Encyclopédie Universelle. 2012.