CÉTACÉS
L’adaptation des Cétacés à la vie aquatique est d’une telle perfection qu’il a fallu attendre la dixième édition du Systema naturae de Linné (1758) pour les voir définitivement classés parmi les Mammifères. En 1753, encore, Daubenton les considérait comme des Poissons.
Selon les genres et les espèces, les Cétacés actuels sont de taille très variable; c’est dans cet ordre que se rencontrent probablement les plus gros animaux qui aient jamais existé. La grande baleine bleue (Balaenoptera musculus ) peut atteindre 30 mètres de long et peser 135 tonnes: le poids de trente éléphants ou de quatre brontosaures. Leur allure pisciforme est liée notamment à la transformation des membres antérieurs en nageoires, cependant que l’atrophie des membres postérieurs, qui disparaissent ou demeurent vestigieux, est compensée par le développement d’une queue musculeuse, orientée dans le plan horizontal, qui constitue un très efficace instrument de propulsion. La perfection de la forme hydrodynamique des Cétacés est due encore à l’effacement des aspérités observées d’habitude sur le corps des Mammifères (pavillons auditifs, organes génitaux mâles, mamelles), ainsi qu’à des modifications du squelette de la tête: le massif facial se termine en avant par un museau, parfois très effilé, avec des narines s’ouvrant en position dorsale, par un ou deux évents, alors que la boîte crânienne est rejetée vers l’arrière.
Dans le sous-ordre des Odontocètes (dauphins, marsouins, cachalots), les mâchoires sont garnies de dents nombreuses et presque identiques (homodontie); mais dans le sous-ordre des Mysticètes (baleines, rorquals), les dents font place à des papilles épidermodermiques recouvertes d’un étui corné qui se développent à partir des gencives supérieures et constituent les fanons. De forme triangulaire, effilochés à leur bord postérieur, très nombreux (8 000 chez le rorqual bleu), parallèles et très proches les uns des autres, les fanons constituent un efficace piège à plancton.
Les ancêtres des Cétacés actuels: les Archæocètes, connues dès le Miocène, possèdent encore des traits caractéristiques de Mammifères tétrapodes. Cependant, aucun ancêtre commun aux Cétacés et à un autre ordre de Mammifères actuels n’étant connu, tout rapprochement phylogénétique est arbitraire.
Une anatomie type, celle du dauphin
Le dauphin (Delphinus delphis ) est un Cétacé Odontocète de petite taille (2 m de long en moyenne) dont la présence est fréquente dans toutes les mers chaudes et tempérées. L’allure générale de l’animal conduit parfois à le confondre avec le thon.
Téguments et squelette
Lisse et unie, la peau est remarquable par la minceur de l’épiderme et du derme, cependant que le pannicule adipeux sous-jacent est très épais. Seul le museau chez le jeune est pourvu de quelques poils tactiles, l’adulte étant toujours parfaitement glabre.
Le museau, allongé en un «bec» effilé, est constitué par les maxillaires, les prémaxillaires et les vomers. Les os du neurocrâne sont refoulés vers l’arrière, les rapports habituels entre eux étant modifiés par une sorte de «télescopage», à la suite d’une poussée venue de l’avant: les narines, entraînées par la translation des os nasaux vers l’arrière, sont situées presque au sommet de la tête.
Les dents coniques, au nombre de 180 à 260, sont toutes semblables (homodontie).
La colonne vertébrale est typique par son uniformité, les vertèbres sacrées étant semblables aux lombaires et aux caudales.
La ceinture pectorale, dépourvue de clavicule, comporte une omoplate large et aplatie. Les membres antérieurs sont constitués par un humérus, un radius et un cubitus très courts. Les doigts II et III sont au contraire remarquablement allongés, cet allongement étant dû à la multiplication du nombre de phalanges.
Le bassin est réduit à deux tigelles osseuses, indépendantes de la colonne vertébrale. Les membres postérieurs ont complètement disparu.
Appareils digestif, respiratoire, circulatoire
L’orifice de l’œsophage est traversé par le larynx (fig. 1) de telle sorte que la nourriture passe, au moment de la déglutition, de part et d’autre de celui-ci. Les glandes salivaires sont absentes. L’estomac comporte trois poches successives, et, chez certains autres Odontocètes, il peut être constitué de quatorze poches. L’intestin atteint quinze fois la longueur du corps.
Les dauphins, comme tous les Odontocètes, inspirent l’air au cours de l’émersion par un évent qui demeure clos pendant la plongée. Un sphincter périlaryngien, en se relâchant au cours de l’inspiration, permet l’ouverture du larynx. Les poumons, qui ne sont guère plus développés que chez les Mammifères terrestres, comportent des anneaux cartilagineux au niveau des bronches et des bronchioles.
La seule originalité de l’appareil circulatoire réside dans la présence de réseaux capillaires dits «admirables » (retia mirabilia ) intercalés sur le trajet des artères; le plus important est le réseau admirable thoracique, qui est en rapport avec les artères méningées, lesquelles irriguent seules le cerveau. Les réseaux admirables, rencontrés aussi chez d’autres Mammifères aquatiques (Pinnipèdes et loutres), ont une signification physiologique encore discutée.
Système nerveux
L’encéphale a un poids relatif considérable, 0,66 p. 100 du poids du corps (éléphant 0,12 p. 100, homme 1,93 p. 100), il est en outre remarquablement plissé, autant sinon plus que chez l’homme.
Corrélativement à la disparition de l’appareil olfactif (anosmie), le lobe olfactif est atrophié.
Les centres auditifs sont en revanche très développés, en relation avec un appareil sensoriel très particulier et remarquablement adapté à la vie aquatique. Le pavillon de l’oreille est totalement absent, un minuscule orifice révèle l’aboutissement du conduit auditif dont l’extrémité interne aboutit à un tympan bombé (fig. 2). Les articulations des osselets de l’oreille moyenne sont ankylosées. La bulle tympanique, formée d’un os unique (le pétrotympanique), n’est reliée au crâne que par des faisceaux fibrillaires. L’espace séparant le pétrotympanique du crâne est rempli par un tissu caverneux. La conduction des sons chez les Cétacés demeure mal connue, mais on sait que l’appareil auditif possède une très grande sensibilité. Chez certains dauphins, il est certain que des sons d’une fréquence de 170 kilohertz sont perçus. Rappelons, à titre de comparaison, que l’oreille humaine est insensible aux sons dont la fréquence est supérieure à 20 kilohertz.
Appareil génital
Chez le mâle, les testicules sont intra-abdominaux et le pénis, logé dans la paroi du corps, n’est saillant que pendant l’érection et après la mort de l’animal.
Chez la femelle, la vulve est associée à l’anus dans une poche tégumentaire. L’utérus bicorne est asymétrique et le fœtus, généralement unique, se développe préférentiellement dans la corne gauche. L’unique paire de mamelles est également logée dans une poche peaussière.
Biologie et écologie
Plongée
Selon les genres, la plongée chez les Cétacés a une durée variant de 15 minutes chez le dauphin à 2 heures chez la baleine à bec (Hyperodon rostratus ). N’excédant pas 20 mètres de profondeur chez le dauphin, elle atteint sans doute plusieurs centaines de mètres chez le cachalot.
La physiologie de la plongée est mal connue. Le rythme respiratoire est, en tout cas, toujours lent, et la ventilation des poumons beaucoup plus complète que chez les Mammifères terrestres. Les hématies sont très nombreuses, de l’ordre de 8 500 000 par cm3 chez le marsouin par exemple. Enfin et surtout, le muscle des Cétacés a la propriété de fixer labilement de grandes quantités d’oxygène (myohémoglobine).
Phonation
Les aptitudes psychiques des Cétacés, et en particulier des dauphins, ont depuis longtemps frappé les observateurs. Les moyens modernes, mis actuellement en œuvre dans de vastes aquariums pour des observations précises et prolongées, ont surtout attiré l’attention sur les moyens de communication utilisés par ces animaux. Deux types de sons sont émis par les dauphins: des sifflements d’une durée de 0,5 seconde et d’une fréquence variant de 7 à 15 kilohertz et des «clics», beaucoup plus brefs, lancés au rythme de 5 à plusieurs centaines par seconde sur une bande de fréquence allant de 20 à 120 kilohertz (voire 170 kilohertz). Les sifflements, seuls audibles par l’homme, semblent constituer un moyen de communication entre individus. Des expériences indiscutables ont montré la possibilité d’échange de messages complexes.
Les «clics» servent essentiellement au repérage des proies et des obstacles par écholocation, selon un système «sonar» comparable à celui des chauves-souris. Ces divers sons et ultra-sons sont produits par des dispositifs complexes des fosses nasales, les Cétacés étant dépourvus de cordes vocales. À mesure que les observations s’accumulent, les spécialistes sont conduits à penser que les dauphins et les marsouins pourraient posséder le meilleur analyseur acoustique du monde animal.
Migrations
Les migrations des Cétacés de grande taille ont été le mieux étudiées. La recherche de nourriture, les conditions de reproduction sont évidemment les moteurs essentiels des migrations saisonnières.
La plupart des balénoptères séjournent dans l’Antarctique de novembre à avril où ils se nourrissent en quantité considérable des crevettes pélagiques (Euphausia superba ), qui forment de véritables nuages aquatiques (le Krill) à une dizaine de mètres sous la surface. Au début de l’hiver austral, en avril, les Balénoptères se dirigent vers les régions tropicales, où ils séjournent de juin à octobre sans guère s’alimenter. Après l’accouplement, qui a lieu en octobre, s’effectue la migration de retour vers l’Antarctique. La gestation dure, selon les espèces, de dix à douze mois et, dans la plupart des cas, ne semble avoir lieu que tous les deux ou trois ans.
Les cachalots vivent en général dans les eaux subtropicales, ne dépassant guère le 40e degré de latitude nord et sud, bien que l’on en rencontre assez souvent très au-delà de ces limites.
Alimentation
Selon qu’il s’agit des Odontocètes ou des Mysticètes, la nature de l’alimentation est totalement différente. Le point commun, en relation avec les besoins énergétiques, est la quantité de nourriture toujours considérable, compte tenu de sa taille, qu’un Cétacé absorbe.
Les Odontocètes sont, grâce à leur denture, des prédateurs efficaces. Les divers poissons sont les proies favorites des dauphins et des marsouins. L’orque épaulard (Orcinus orca ) se distingue par son extrême gloutonnerie: marsouins, phoques et manchots constituent l’essentiel de son alimentation. Le cachalot (Physeter catodon ) consomme surtout des Céphalopodes, parfois de très grande taille, mais aussi de nombreux poissons.
Les Mysticètes sont essentiellement des consommateurs de plancton. Les crevettes pélagiques, de la famille des Euphausidae , sont absorbées en énormes quantités par les baleines, mégaptères et balénoptères.
La chasse
Les gros Cétacés constituent une source importante de produits utiles à l’homme. Un balénoptère de 20 mètres de long fournit 8 tonnes de lard et 24 tonnes de viande. Un cachelot adulte recèle, par le contenu de son melon (masse adipeuse située sur le devant de la tête), 5 tonnes d’huile appelée spermaceti ou blanc de baleine. Des quantités parfois considérables d’ambre gris, utilisé en parfumerie, sont souvent présentes dans l’intestin des cachalots. Le foie, les surrénales, la thyroïde, toujours énormes chez les grands Cétacés, représentent une source appréciable de produits opothérapiques.
Au cours du XIXe siècle, surtout après l’invention du canon lance-harpon, la chasse devint très meurtrière et plusieurs espèces furent en cours de disparition totale. Après divers essais de réglementation internationale, une convention signée à Washington, le 2 décembre 1946, a codifié la chasse. Aux termes de cet accord les immatures sont protégées; certaines espèces, notamment les baleines franches, sont totalement protégées; le nombre des animaux tués chaque année est strictement limité. En 1982, la Commission internationale baleinière interdisait la chasse pour une durée de cinq ans à partir de 1986 (moratoire prolongé en 1990). Par ces mesures, certaines espèces menacées ont été sauvées d’une destruction définitive, cependant que, pour d’autres, le taux de reproduction équilibre de façon satisfaisante les prises autorisées.
Classification
Les Odontocètes, Cétacés à dents qui ne possèdent qu’un seul évent, se divisent en un certain nombre de familles dont:
– Les Platanistidae , dauphins d’eau douce de l’Inde et de l’Amazonie (Platanista gangetica du Gange, par exemple).
– Les Delphinidae , comme le dauphin commun (Delphinus delphis ), le souffleur (Tursiops truncatus ), l’orque (Orcinus orca ).
– Les Phocaenidae ou marsouins: marsouin commun (Phocaena phocaena )...
– Les Delphinapteridae , comme le belouga (Delphinapterus leucas ) ou le narval (Monodon monoceros ), une seule dent chez l’adulte, développée en défense.
– Les Physeteridae ou cachalots.
Les Mysticètes, Cétacés munis de fanons et d’un double évent, sont divisés essentiellement en deux familles:
– Les Balaenidae ou baleines franches (comme la Balaena mysticetus ou baleine du Groenland).
– Les Balaenopteridae ou rorquals: Balaenoptera musculus ou rorqual bleu, Balaenoptera physalus ou rorqual commun, Megaptera boops ou baleine à bosse, Balaenoptera borealis ou rorqual de Rudolphi.
cétacés [ setase ] n. m. pl.
• 1542 adj.; lat. zool. cætaceus, class. cetus; gr. kêtos « gros animal marin »
♦ Ordre des mammifères aquatiques possédant des nageoires antérieures et une nageoire caudale horizontale. Les cétacés à dents (⇒ odontocètes) . Les cétacés à fanons (⇒ mysticètes) . — Au sing. Harponner un cétacé.
cétacés
n. m. pl. ZOOL Ordre de mammifères marins, comprenant les mysticètes (baleines, etc.) et les odontocètes (dauphins, etc.), de taille importante, adaptés à la vie en pleine eau grâce à leur corps pisciforme, à leurs membres antérieurs transformés en palettes natatoires et à une large nageoire caudale.
— Sing. Un cétacé.
Encyclopédie Universelle. 2012.