insensible [ ɛ̃sɑ̃sibl ] adj.
• 1223; lat. insensibilis
I ♦ Qui ne sent pas, ne ressent rien.
1 ♦ Vx ou littér. Qui n'a pas de sensibilité physique. ⇒ inanimé, 2. mort. « Sur la pierre insensible où mes pleurs ont coulé » (M.-J. Chénier).
2 ♦ Qui n'éprouve pas les sensations habituelles, normales. Nerf, membre insensible. Rendre insensible à la douleur. ⇒ insensibiliser. Insensible au froid, à la chaleur.
3 ♦ (1361) Qui n'a pas de sensibilité morale; qui n'a pas ou a peu d'émotions. ⇒ apathique, 2. calme, détaché, 1. froid, impassible, imperturbable, indifférent. Dur et insensible. ⇒ cruel, dur, égoïste, endurci, impitoyable, implacable, inexorable. « Elle va me croire plus insensible qu'un roc. Il eût fallu quelques larmes » (Flaubert). Insensible aux compliments, aux railleries. ⇒ imperméable, indifférent. Demeurer insensible aux prières, aux supplications. ⇒ sourd. Il n'est pas resté insensible à ses avances, à son charme. — Insensible à la poésie. ⇒ étranger, fermé, inaccessible; réfractaire. « C'est l'amour qu'il avait pour l'esprit qui rendait Voltaire insensible au lyrisme » (A. Gide).
II ♦ (1361)
1 ♦ Qu'on ne sent pas, qu'on ne perçoit pas ou qui est à peine sensible, perceptible. ⇒ imperceptible, léger. « Son pouls, inégal, était presque insensible maintenant » (Flaubert). Différence insensible. Nuance insensible pour un esprit grossier. ⇒ insaisissable.
2 ♦ Spécialt Graduel, progressif. Mouvement, gradation insensible. Pente insensible. La marche insensible du temps.
⊗ CONTR. Sensible; ému, hypersensible, impressionnable. Ardent, enflammé. Notable, perceptible.
● insensible adjectif (latin insensibilis) Qui n'éprouve pas les sensations, les impressions physiques habituelles, normales : L'anesthésie rend insensible à la douleur. Qui n'a pas de sensibilité morale, qui n'est pas touché, ému : Rester insensible aux éloges, à la pitié. Qui n'est pas facilement perçu, remarqué par l'esprit : Un progrès insensible. ● insensible (citations) adjectif (latin insensibilis) René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je ne suis point de ces philosophes cruels qui veulent que leur sage soit insensible. Correspondance, à Élisabeth, 18 mai 1645 William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 Si jeune et si insensible. So young and so untender ? Le Roi Lear, I, 1, Lear ● insensible (synonymes) adjectif (latin insensibilis) Qui n'éprouve pas les sensations, les impressions physiques habituelles, normales
Synonymes :
- dur
- endurci
Qui n'a pas de sensibilité morale, qui n'est pas touché...
Synonymes :
- étranger
- imperméable
- indifférent
- rebelle
- réfractaire
- sourd
Contraires :
- émotif
- sensible
Qui n'est pas facilement perçu, remarqué par l'esprit
Synonymes :
- léger
Contraires :
- appréciable
- marqué
- net
- tangible
insensible
adj.
d1./d Qui a perdu la sensibilité physique. Insensible au froid.
d2./d Qui n'a pas de sensibilité morale. Insensible aux malheurs d'autrui.
d3./d Imperceptible. Progrès insensible.
⇒INSENSIBLE, adj.
A. — Qui ne ressent rien, qui n'a pas de sensibilité.
1. Qui n'a pas de sensibilité physique. Être, métal, minéral, objet insensible. Une force agissante (...) commence le mouvement, en déployant son action motrice sur une organisation inerte, immobile, insensible et fermée à toute impression extérieure (MAINE DE BIRAN, Journal, 1823, p. 405). Qu'est-ce que la matière, si elle existe? Est-elle insensible ou animée? (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 628).
— En partic. [En parlant d'un être, d'un organisme ou d'un organe] Qui n'a pas (ou plus) la sensibilité physique normale ou habituelle. Nerf insensible; rendre un membre, une partie du corps insensible. — Il est dans un état de catalepsie qui ne laisse aucun espoir (...). — Il mourra le corps insensible (BALZAC, Illus. perdues, 1839, p. 373). Au début de décembre, une reprise de son mal terrassa Bernard : un matin, il s'était réveillé grelottant, les jambes inertes et insensibles (MAURIAC, Th. Desqueyroux, 1927, p. 241) :
• 1. Le sommeil du protoxyde d'azote employé par les dentistes, ne donne pas au patient l'impression de devenir insensible, mais sensible à tel point que l'extrême douleur de notre monde serait encore trop grossière, trop peu délicate pour lui.
COCTEAU, Crit. indir., 1932, p. 8.
♦ [Avec un compl. prép. à] Elle resta longtemps pensive, insensible au froid qui bleuissait sa poitrine et ses pieds nus (REIDER, Mlle Vallantin, 1862, p. 84). Une de ces plantes vertes qui me font horreur, une touffe filandreuse, cartonnée, insensible aux saisons, l'image végétante de la mort (DUHAMEL, Journal Salav., 1927, p. 103) :
• 2. ...[la] sensibilité organique s'émousse sous l'influence de l'action répétée des mêmes agents; (...) c'est ce qui a lieu pour le crapaud qui devient insensible à son venin, ce qui a lieu pour la torpille qui devient insensible à l'électricité, pour certains poissons qui vivent dans des sources très chaudes et deviennent insensibles à la chaleur.
Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 156.
— P. ext. [En parlant d'une pers.] Qui ne ressent pas (ou peu) quelque chose, qui est sans réaction physique. La nuit m'enveloppait de ses ombres humides; les pluies et les grêles de l'automne me fouettaient le visage; des ivrognes prophétiques m'accablaient d'injures; je demeurais insensible sous les affronts (MILOSZ, Amour. initiation, 1910, p. 191).
♦ [Avec un compl. prép. à] Suivant une procession, insensible au braillement des cantiques et à l'odeur sûrie des dévotes en liesse, je me fis honte de ma complaisance à moi-même (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 205) :
• 3. ... en amour, donner du bonheur aux autres, c'est peut-être meilleur que d'en recevoir, des autres... Même lorsque notre chair reste insensible à ses caresses, quelle sensation délicieuse et pure de voir un pauvre bougre dont les yeux se tournent, et qui se pâme dans nos bras?...
MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 87.
♦ [En parlant d'une maladie, d'un mal] Je n'ai jamais pu m'expliquer les origines de ce mal qui resta insensible à toutes les médications. Il parut dès l'abord s'élever au-dessus des plus efficaces remèdes (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 29).
2. [En parlant d'une pers.] Qui n'a pas de sensibilité morale, incapable d'émotion, de sentiment, de sympathie. Le bourgeois (...), insensible comme un huissier quand il s'agit de son droit, et donnant du mouron frais aux oiseaux ou des arêtes de poisson à son chat (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 107). Depuis quinze ans qu'elle était sa femme, avait-elle jamais vu Louis pleurer? (...) Louis si pudique, si secret qu'il passait pour insensible! (MAURIAC, Trois récits, 1929, p. 32).
— Rare. Insensible à + inf. Je ne suis pas insensible à voir la France dans un tel état de considération au dehors et de prospérité au dedans (CHATEAUBR., Corresp., t. 5, 1824, p. 204).
♦ [P. méton. du déterminé] Âme, caractère, face, nature, visage insensible. Quelques [sic] soient mes sentimens, mon cœur n'est point insensible, votre figure m'intéresse (SÉNAC DE MEILHAN, Émigré, 1797, p. 1790). La rudesse insensible de la paysanne qui arrache les ailes des libellules avant qu'elle ait l'occasion de tordre le cou aux poulets (PROUST, Guermantes 2, 1921, p. 320).
♦ [Avec un compl. prép. à] Crois bien que je ne suis nullement insensible aux malheurs des classes pauvres, etc., mais il n'y a pas, en littérature, de bonnes intentions (FLAUB., Corresp., 1854, p. 10). Un pignouf insensible aux délicatesses de cœur et de talent (GONCOURT, Journal, 1893, p. 421) :
• 4. Pauvre Arnica! La vie n'apparaissait déjà plus devant elle que comme une morne avenue bordée de quolibets et d'avanies. Madame Semène, heureusement, ne resta pas insensible à sa détresse, et bientôt la petite put trouver dans le giron de la veuve un abri.
GIDE, Caves Vatican, 1914, p. 759.
Être, rester insensible aux discours, aux propos de qqn. Rester indifférent, ne pas se laisser convaincre. L'ingénieur qui depuis vingt ans refuse tout permis de prospection pour Paris et sa banlieue. Le seul personnage que j'aie trouvé en ce bas monde insensible à nos arguments (GIRAUDOUX, Folle, 1944, I, p. 46).
♦ Emploi subst. Stendhal conspire avec Stendhal sous des noms variés (...) parfois contre Stendhal, toujours contre les sots, les importants et les insensibles (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 101).
— P. ext. [Avec un compl. prép. à] Indifférent
♦ à certains avantages. Un tel homme ne doit pas être insensible à un ruban rouge qui ferait un bel effet dans son portrait (STENDHAL, L. Leuwen, t. 3, 1836, p. 40). Lucien (...) abandonna si bien toute pensée de gloire littéraire, qu'il fut insensible au succès de son roman (BALZAC, Splend. et mis., 1844, p. 81). Il a toutes les petites passions de l'homme privé; il n'est pas insensible aux profits d'une confiscation (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p. 448).
♦ à certaines réalités d'ordre intellectuel ou artistique. Un homme entièrement insensible aux arts (VALÉRY, Variété [I], 1924, p. 192). Je fus toujours insensible, je l'avoue, à la poésie de ce Montmartre de Carco et de Dorgelès. Je n'ai jamais su y voir, même en ce temps-là, qu'un quartier sordide, immonde (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p. 117).
[P. méton. du déterminé] Leur œil est insensible aux subtilités que le peintre a cherchées jadis dans les glacis infiniment légers ou même des patines impondérables (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 51).
Emploi subst. C'est là [à l'église des Chartreux à Rome] que les insensibles doivent courir en arrivant pour sentir l'architecture (STENDHAL, Hist. peint. Ital., t. 2, 1817, p. 308).
♦ à des gestes, des attitudes de la stratégie amoureuse. Insensible au regard des jeunes chasseurs qui passaient et nous suivaient de l'œil au travers des arbres (SAND, Lélia, 1833, p. 154). Notre bonne ne fut point insensible à quelques œillades du grand chasseur (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 188). Clémence était toujours la même, soumise, aimante, fidèle et coquette, juste ce qu'il fallait pour plaire à Théodore, qui, de son côté, devenait de plus en plus insensible à ses coquetteries (MURGER, Scènes vie jeun., 1851, p. 97).
Absol. Indifférent en amour ou à l'amour. Je voyais en elle tour à tour la femme la plus aimante ou la plus insensible de son sexe (BALZAC, Peau chagr., 1831, p. 147). L'infortunée Gualdrada, follement éprise de son fripon, conjure, s'arrache les cheveux, emplit l'air de prières et de lamentations... En vain! Le mât est dressé; l'insensible Sciancato s'embarque (MILOSZ, Amour. initiation, 1910, p. 183) :
• 5. ... il ne se passa pas longtemps avant que les gens de ma connaissance (...) n'eussent déclaré que j'étais le plus grand libertin. (...) autant j'avais passé pour niais et pour novice lors de ma rupture avec ma maîtresse, autant je passais maintenant pour insensible et endurci. On en venait à me dire qu'il était bien clair (...) que je me faisais sans doute un jeu de l'amour.
MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p. 124.
[P. méton. du déterminé] Cœur insensible. Qu'il [Antoine] prenne au moins ce que Minne peut donner, son corps obéissant, sa douce bouche insensible (COLETTE, Ingénue libert., 1909, p. 314).
Emploi subst., vieilli ou littér. Elles [les Bohémiennes] tiennent (...) de la poudre de pierre d'aimant pour se faire aimer des insensibles (MÉRIMÉE, Carmen, 1847, p. 78). L'histoire d'une belle et superbe indifférente, d'une insensible qui cesse de l'être, qui devient passionnée par jalousie, puis folle de cœur, puis tout à fait furieuse et qui s'emporte aux derniers dérèglements (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 1, 1861, p. 137). Daphnis aime Alcimadure. Alcimadure n'aime Daphnis ni l'amour. Daphnis meurt assez vite de sa grande amour refusée, léguant tous ses biens à l'insensible (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 47).
3. Au fig. ou p. métaph., littér. La mer est insensible, et, pourtant, sur ses flots Roulent incessamment des bruissements vagues Ou de sourdes rumeurs que se jettent les vagues Et qui semblent des sanglots (RENARD, Corresp., 1882, p. 22). De quelles lamentations pourrais-je faire retentir ces rivages insensibles, maintenant? (LAFORGUE, Moral. Légend., 1887, p. 263). Non loin, parmi ces pas, rêve mon précipice... L'insensible rocher, glissant d'algues, propice À fuir, (comme en soi-même ineffablement seul), Commence (VALÉRY, J. Parque, 1917, p. 105).
B. — Qui ne peut être ressenti ou perçu, ou qui l'est à peine.
1. [En parlant de choses concr.] Imperceptible, peu perceptible.
a) [En parlant de phénomènes perçus par l'un des cinq sens] Tout se décolora. Un insensible brouillard s'éleva du sol, remonta le long des dattiers et se répandit sur les cimes (FROMENTIN, Été Sahara, 1857, p. 120). Un parfum presque insensible, si vieux qu'il semblait l'âme d'une odeur, s'envolait de ce tiroir mystérieux et de cette surprenante relique [une (...) natte de cheveux] (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Chevel., 1884, p. 938). Perçut-elle la déviation pourtant presque insensible de la voix sur les dernières syllabes de ces mots (...)? (BERNANOS, Joie, 1929, p. 720).
b) [En parlant de mouvements le plus souvent périodiques ou répétés] Pouls insensible; va-et-vient insensible. Nous nous endormîmes (...) entre deux lames, bercés par le balancement insensible d'une mer qui faisait à peine incliner le mât (LAMART., Graziella, 1849, p. 154). Sans quitter la scène des yeux, je tournais le kaléidoscope doucement, doucement, admirant la lente modification de la rosace. Parfois, l'insensible déplacement d'un des éléments entraînait des conséquences bouleversantes (GIDE, Si le grain, 1924, p. 352). Le Redoutable [un navire] était désert — un gros insecte de mauvais augure, habité seulement dans cet assoupissement de marécage par la trépidation insensible et rongeante qui venait de ses bas-fonds (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 200).
c) [En parlant de qqc. de graduel, de progressif] Degrés insensibles; gradation, variation insensible; pente insensible. Un admirable coucher de soleil complétait le tableau : le ciel, par des dégradations insensibles, passait du rouge le plus vif à l'orange (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 144). On passe par transition insensible du présent au passé, du prochain au lointain (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 382) :
• 6. ... j'analyse mon impression parce que je me sens incapable de décrire objectivement cette lumière. On dirait qu'elle est voulue plus réelle sans avoir à sortir pour cela de sa nature, que par le changement insensible de ses nuances elle s'est intérieurement chargée d'allusions à la vie profonde de mon cœur.
J. BOUSQUET, Trad. du silence, 1935-36, p. 96.
2. [En parlant d'une réalité intellectuelle ou artist.] Difficile à saisir, à comprendre. La Fontaine paraît insipide aux étrangers. Racine leur est interdit. Ses harmonies sont trop subtiles, son dessin trop pur, son discours trop élégant et trop nuancé, pour n'être pas insensibles à ceux-là qui n'ont pas de notre langage une connaissance intime et originelle (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 130).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1223 choses insensibles « qui ne peut éprouver de sensations » (G. DE COINCI, Ste Leocade, éd. E. Vilamo-Pentti, 238); b) 1314 membre insensible « qui n'a pas de sensibilité physique » (H. DE MONDEVILLE, Chirurgie, éd. A. Bos, 64 et 106); 2. a) 1578 cœur insensible (RONSARD, Amours ds Œuvres, éd. P. Laumonier, XVII, 2, p. 128, 22); 1694 « celui qui manque de sensibilité morale » (Ac.); b) 1634 « qui n'est pas sensible à l'amour » (CORNEILLE, La Suivante, II, 4); 1635 « celle qui n'est pas sensible à l'amour » (ROTROU, La Diane, III, 1). B. 1. 1377 « qu'on n'aperçoit pas ou difficilement par les sens » (ORESME, Livre du ciel et du monde, éd. A.D. Menut et A.J. Denomy, I, 1, p. 46); 2. 1588 pente... insensible « qui est graduel, progressif » (MONTAIGNE, Essais, éd. A. Thibaudet, I, 20, p. 115). Empr. du b. lat. insensibilis « insensible, qui ne peut sentir », dér., à l'aide du préf. in- à valeur négative, du lat. class. sensibilis (sensible). Fréq. abs. littér. : 1 572. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 3 129, b) 1 841; XXe s. : a) 1 519, b) 2 114.
insensible [ɛ̃sɑ̃sibl] adj.
ÉTYM. 1277; lat. impérial insensibilis « incompréhensible » puis « insensible », de in- (→ 1. In-), et lat. class. sensibilis. → Sensible.
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I Qui ne sent pas, ne ressent rien.
1 Vx ou littér. (Avec un n. désignant un objet non animé). Qui n'a pas de sensibilité physique (⇒ Inanimé, 2. mort). || Êtres insensibles et muets (→ Ignorance, cit. 12). || Minéral insensible (→ Inactif, cit. 1).
1 Je comprends mieux que personne du monde les sortes d'attachements qu'on a pour des choses insensibles, et par conséquent ingrates; mes folies pour Livry en sont de belles marques.
Mme de Sévigné, Lettres, 1073, 18 oct. 1688.
2 Sur la pierre insensible où mes pleurs ont coulé.
M.-J. de Chénier, Fénelon, IV, III.
♦ (Avec un n. désignant un être vivant, un organe). Qui n'éprouve pas les sensations habituelles, normales (⇒ Insensibilité, I.). || Nerf, membre insensible. || Rendre un organe insensible. ⇒ Insensibiliser. — Insensible au froid, à la chaleur. || Homme que la léthargie, la paralysie rend insensible. ⇒ Engourdi, léthargique, paralysé. || Être rendu insensible par l'anesthésie. — (Avec un compl. en à). || Insensible à la chaleur, au froid, à l'électricité. — Insensible à une action, à une influence. ⇒ Invulnérable, réfractaire.
3 (…) les secrets qui font la peau insensible pour quelque temps à l'action du feu (…)
Voltaire, Annales de l'Empire, Charles le Chauve, 877.
2 (1640; avec un n. de personne). Qui n'a pas de sensibilité morale. ⇒ Apathique, assoupi, calme, détaché, 1. froid, glacial, impassible, imperméable, imperturbable, indifférent, (vx) indolent, inhumain, léthargique, sec; → Bénir, cit. 5; flegmatique, cit. 2. || Dur et insensible. ⇒ Aride (fig.), cruel, dur, égoïste, endurci, impitoyable, implacable, inexorable; cœur (sans), entrailles (sans). || Âme insensible. ⇒ Étroit. || Un cœur insensible. → Cœur de bronze, de granit, de marbre, de pierre, de roc. || Rendre qqn insensible. ⇒ Dessécher, endurcir, ossifier, racornir (fig.); → Cicatrice, cit. 8. — (Choses personnifiées). → ci-dessous, cit. 6.
4 Et je suis insensible alors qu'il faut trembler.
Corneille, Cinna, IV, 4.
5 On les croit insensibles (les âmes vertueuses), parce que non seulement elles savent taire, mais encore sacrifier leurs peines secrètes.
Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche.
6 Soumis à la loi seule, insensible comme elle (…)
Voltaire, Tancrède, II, 6.
7 L'homme insensible et froid en vain s'attache à peindre
Ces sentiments du cœur que l'esprit ne peut feindre (…)
André Chénier, Épîtres, I.
8 Pauvre petite femme ! pensa-t-il avec attendrissement. Elle va me croire plus insensible qu'un roc; il eût fallu quelques larmes là-dessus; mais, moi, je ne peux pas pleurer (…)
Flaubert, Mme Bovary, II, XIII.
♦ (1642). (Insensible à…). || Insensible à une émotion, à une influence. ⇒ Immobile (vx), imperméable, inaccessible; → Centre, cit. 14; graviter, cit. 7. || Être insensible aux compliments, aux outrages, aux injures, aux railleries. ⇒ Indifférent; → Écraser, cit. 3. || Insensible au sentiment, à la beauté, au charme. ⇒ Étranger (cit. 30). || L'habitude (cit. 35) les rend insensibles à ce genre de spectacle. → Ça ne leur fait ni chaud ni froid. || Demeurer insensible aux prières, aux supplications. ⇒ Sourd; → Ne rien connaître.
9 Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage (…) ?
Corneille, Horace, IV, 5.
10 Êtes-vous donc (…) insensible au plaisir de revoir vos proches (…) ?
Fénelon, Télémaque, XI.
11 C'est l'amour qu'il avait pour l'esprit qui rendait Voltaire insensible au lyrisme.
Gide, Prétextes, p. 18.
♦ (1673). Spécialt, littér. (Dans le domaine amoureux, érotique). ⇒ 1. Froid, frigide. || Être insensible à l'amour, à la passion, à de tendres protestations (→ Ardent, cit. 28), aux plus doux appas (cit. 14). || Elle n'était pas insensible à ses avances, à son charme. — (1662). Absolt. || Affecter (cit. 9) de paraître insensible. || Ne pas être insensible. ⇒ Bois (ne pas être de). || Cœur insensible (→ Forcer, cit. 19). Vieilli. || Femme insensible. ⇒ Cruel (supra cit. 14).
12 Une femme insensible est celle qui n'a pas encore vu celui qu'elle doit aimer.
La Bruyère, les Caractères, III, 81.
13 (…) ne puis-je donc espérer que vous partagerez (…) le trouble que j'éprouve (…) ? J'ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entièrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l'âme, image de la mort, ne mènent point au bonheur (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, XLVIII.
♦ (Actions) :
14 Ses cris me reprochaient des caresses paisibles;
Mes baisers, à l'entendre, étaient froids, insensibles;
Le feu qui la brûlait ne pouvait m'enflammer,
Et mon sexe cruel ne savait point aimer.
André Chénier, Élégies, XVIII.
♦ (Dans le domaine social). Indifférent. || Ne pas être insensible aux honneurs, au succès, à l'argent.
♦ (Dans le domaine esthétique, intellectuel). || Être insensible à la poésie, à la musique, à la rigueur d'un raisonnement. — Absolt. || Il est complètement insensible et béotien.
♦ N. Vx. || Un, une insensible (→ Attrait, cit. 14, Gide). || Une belle insensible (employé surtout dans le langage galant, aux XVIIe et XVIIIe s.). ⇒ Inhumain (inhumaine).
15 Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus.
La Fontaine, Fables, Appendice, III.
3 Littér. (Choses naturelles). Qui semble par sa constance, son immobilité, indifférent à l'homme. || « L'insensible rocher… » (Valéry, la Jeune Parque).
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II (1361; avec un n. de chose).
1 Qu'on ne sent pas, qu'on ne perçoit pas ou qui est à peine sensible, perceptible. ⇒ Imperceptible, léger. || Pouls insensible (→ Inégal, cit. 10, Flaubert). || Le balancement (cit. 3) insensible de la mer. || Force insensible d'un courant (2. Courant, cit. 13, Proust). — Finesses, nuances insensibles à un esprit grossier.
2 Spécialt. Graduel, progressif. || Mouvement, gradation (cit. 1), dégradation insensible (→ Arrondir, cit. 5). || Degrés, variations insensibles (→ Continuité, cit. 4; graduel, cit. 1). || Le pas, la marche insensible du temps (→ Avancer, cit. 10). || Une pente, une inclinaison insensible.
16 (…) tout à coup on se trouve plongé dans l'abîme sans avoir pu remarquer le fatal moment d'un insensible déclin (…)
Bossuet, Oraison funèbre de M. Le Tellier.
17 Le mécanicien siffla encore, longuement, ouvrit son régulateur, démarrant la machine. On partait. D'abord, le mouvement fut insensible, puis le train roula.
Zola, la Bête humaine, p. 35.
3 Insensible à qqn : qui ne peut être perçu, ressenti par qqn.
18 Ses harmonies (de Racine) sont trop subtiles, son dessin trop pur, son discours trop élégant et trop nuancé, pour n'être pas insensibles à ceux-là qui n'ont pas de notre langage une connaissance intime et originelle.
Valéry, Variété II, p. 130.
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CONTR. (Du sens I) Sensible, hypersensible. — Douillet. — Accessible, compatissant, doux, ému, impressionnable. — Ardent, brûlant, chaud, enflammé. — (Du sens II) Notable, perceptible.
DÉR. Insensibiliser, insensiblement.
Encyclopédie Universelle. 2012.