CONFUSION MENTALE
Le trouble profond de la conscience qui caractérise l’état confusionnel se manifeste en clinique par un syndrome global qui traduit l’altération des fonctions perceptives et des synthèses mentales et qui comporte les traits suivants: obnubilation de la conscience à des degrés divers, qui vont de la simple obtusion à l’état stuporeux; disparition des repères permettant de se situer dans le temps et dans l’espace, ce qui aboutit à une désorientation plus ou moins complète; troubles de la mémoire conduisant à une incapacité de fixer le présent et à une difficulté extrême à évoquer le passé. Une aussi profonde destructuration de la conscience s’accompagne habituellement d’une expérience délirante et hallucinatoire proche de l’état de rêve, l’onirisme .
Rôle des facteurs extérieurs
La psychose confusionnelle appartient au groupe des psychoses exogènes aiguës , dont elle représente la variété la plus fréquente, la mieux caractérisée. On peut la concevoir comme une modalité réactionnelle de l’organisme à toute agression brutale et massive compromettant l’activité d’intégration du cerveau. Tous les désordres cérébraux, localisés ou généralisés, de quelque nature qu’ils soient, peuvent s’accompagner d’un état confusionnel, que celui-ci apparaisse comme un épiphénomène dans un tableau clinique par ailleurs fort explicite, c’est le cas d’une méningo-encéphalite par exemple, ou qu’il soit le premier signe en date d’une lésion nerveuse jusque-là méconnue, éventualité qui n’est pas rare dans les tumeurs cérébrales ou même dans l’artériosclérose. Toutes les atteintes sévères de l’organisme, de par le retentissement qu’elles entraînent sur le fonctionnement cérébral, peuvent aussi être à l’origine d’états confusionnels. Certaines affections y disposent électivement: grandes pyrexies comme la typhoïde, le typhus ou le paludisme; anémies graves; atteintes hépatiques sévères; états de dénutrition; certaines carences vitaminiques (pellagre, avitaminose B1), des maladies métaboliques (urémie, porphyrie aiguë), bouleversements endocriniens (psychose puerpérale). Il en est de même d’un grand nombre d’intoxications exogènes (oxyde de carbone, stupéfiants, toxiques industriels, médicaments, etc.). L’alcoolisme reste actuellement en France la cause majeure des états confuso-oniriques, dont le délirium tremens est la variété la plus grave. Les conditions étiologiques ont beaucoup changé depuis l’époque où Chaslin (1895) individualisait l’entité «confusion mentale» et où Régis (1911) précisait les caractères du «délire onirique». Depuis le traitement aux antibiotiques, on observe rarement des confusions fébriles de nature infectieuse. Ce qui a augmenté en nombre, ce sont les confusions d’ordre toxique, qu’il s’agisse d’ingestions accidentelles, le plus souvent chez des enfants, ou d’intoxications volontaires (suicides), ou encore de réactions d’intolérance au cours de certaines cures médicamenteuses. On ne rencontre plus guère, dans les pays économiquement développés, la confusion mentale primitive idiopathique, c’est-à-dire «sans cause apparente»; elle était probablement déclenchée par un stress minime agissant sur un sujet affaibli, chroniquement carencé, et cela expliquerait pourquoi elle survient encore si fréquemment dans les pays où sévissent la sous-alimentation endémique et des facteurs climatiques défavorables.
Mécanismes pathogéniques
Pour expliquer pourquoi certaines agressions exogènes s’accompagnent électivement de réactions confusionnelles, on invoque des mécanismes extrêmement complexes et rarement univoques, même pour une cause donnée. Outre l’action toxique directe sur le système nerveux, on fait intervenir des réactions allergiques, par exemple dans les intolérances médicamenteuses, des perturbations neurovégétatives centrales (syndrome d’irritation de Reilly dans la fièvre typhoïde), des désordres hydro-électrolytiques, des interférences métaboliques, etc. On conçoit l’importance que prennent dans le traitement des états confusionnels sévères, à côté des médications spécifiques à visée étiologique comme une chimiothérapie anti-infectieuse ou la correction d’une avitaminose, toutes les thérapeutiques agissant sur le désordre neurovégétatif central et sur ses conséquences (hyperthermie, déshydratation, fuite protidique). Parmi les drogues psychotropes, les neuroleptiques et certains tranquillisants se sont montrés de beaucoup les plus efficaces. Leur utilisation jointe à la rééquilibration hydro-électrolytique a permis d’abaisser la mortalité du delirium tremens de 70 p. 100 à moins de 15 p. 100 des cas.
Dans la pathogénie de la confusion mentale, psychose exogène par excellence, on ne saurait pour autant négliger l’importance du terrain individuel. Certains sujets présentent, au cours de leur existence, plusieurs bouffées confusionnelles et ce, parfois, à l’occasion de stress réels mais bien peu spécifiques tels qu’une fracture, une émotion violente, une pneumonie. Dans l’exceptionnel syndrome confusionnel malin (délire aigu azotémique de Marchand), le rôle du terrain apparaît de première importance puisqu’il existe une disproportion manifeste entre la cause, qui ne présente pas en elle-même de gravité particulière, et la réaction confusionnelle suraiguë entraînant en quelques jours l’issue fatale en l’absence d’un traitement énergique et adapté. Le caractère malin de la réaction tient parfois à un état d’épuisement physiologique préexistant. Mais c’est une fragilité nerveuse individuelle qu’atteste, dans la plupart des cas, l’existence de désordres psychiques antérieurs. La littérature historique et médicale abonde en observations d’états oniriques ou stuporeux apparus quelques heures, voire quelques jours, après un traumatisme émotionnel violent tel qu’en peuvent provoquer les situations impliquant une menace vitale (cataclysmes naturels, accidents, événements de guerre) ou les catastrophes personnelles (déportation, deuil subit, incarcération). La confrontation de ces observations laisse apparaître les circonstances propres à favoriser la survenue d’une réaction confusionnelle: le caractère dramatique de l’événement choc, sa soudaineté, le fait qu’il soit imprévisible, l’impossibilité d’y parer par une conduite active. L’épuisement physique favorise aussi l’apparition de ce type de réaction et son rôle n’est pas négligeable dans les psychoses confusionnelles observées en temps de guerre. Mais on retrouve dans la genèse de ces confusions émotionnelles la notion d’un terrain électif. Certains sujets ont un seuil de réactivité particulièrement bas et chez eux l’ébranlement nerveux consécutif à l’émotion choc peut entraîner la destruction brutale et profonde de la conscience. Les personnalités primitives, peu différenciées ou médiocrement douées, sont particulièrement sujettes à ce type de réaction; il en est de même des personnalités névrotiques de structure hystérique, ce qui n’est pas pour surprendre si l’on considère dans ce cas la réaction confusionnelle comme résultant de la mise en œuvre de mécanismes de défense aussi spectaculaires qu’efficaces, puisqu’ils permettent d’éviter l’angoisse par le biais de la méconnaissance et de trouver la sécurité par le refuge dans la maladie.
Aspects cliniques
À travers ces multiples variétés étiologiques, ce qui fait la spécificité de la confusion mentale, c’est la dégradation de la conscience vigile qui apparente l’état confusionnel au sommeil et l’onirisme à l’état de rêve. L’allure du sujet confus est à cet égard caractéristique, et le diagnostic s’impose aussitôt: il semble égaré, hébété, perdu. Ses gestes hésitants, inachevés, son discours chuchoté, peu suivi, voire incohérent, traduisent l’obscurcissement d’une conscience qui a perdu la possibilité d’identifier correctement le monde extérieur, de différencier les contenus psychiques, de les ordonner et de les synthétiser. Le confus est absent du monde; il confond les situations, mélange les identités; il ne reconnaît pas ses proches, prend une personne pour une autre (fausse reconnaissance), ne sait ni la date ni l’heure, ignore le lieu où il se trouve, les circonstances de sa maladie. Il y a cependant des moments où il semble s’éveiller; perplexe, il interroge, cherche des repères qui l’aident à se situer, fait des efforts pour se souvenir, pour comprendre ce qui lui arrive. Cela dure quelques minutes ou quelques heures, puis il retombe dans sa torpeur et dans ses songes. C’est ordinairement aux approches de la nuit, à l’heure où vient normalement le sommeil que la pensée s’obscurcit davantage et que l’expérience onirique , discrète ou discontinue pendant le jour, envahit complètement le champ de conscience. Le confus ne dort pas, il est pris par un rêve qui s’impose à lui, le rive, l’enchaîne, et dans la fantasmagorie duquel il s’engage totalement. Les images oniriques défilent en une succession discontinue ou s’ordonnent en un enchaînement scénique dont la thématique tour à tour le captive ou le terrifie. Le monde extérieur sert de support aux projections hallucinatoires, mais surtout, mal perçu, déformé, il concourt à dramatiser l’ambiance; les voix sont amplifiées, menaçantes, les visages grimaçants ou hostiles. Loin d’être, comme le dormeur, un spectateur passif de son rêve, le confus s’engage entièrement dans son délire, en vit activement les scènes. C’est alors qu’il s’agite, qu’il se débat, attaque les ennemis qui l’entourent, cherche à fuir les scènes de carnage, d’épouvante; des animaux répugnants ou féroces peuplent souvent ces cauchemars, surtout dans l’onirisme alcoolique. Il y a des onirismes moins chargés d’angoisse où le sujet mime des scènes de vie professionnelle, s’adresse aux spectateurs comme s’ils étaient ses compagnons de travail, recommence indéfiniment les mêmes gestes qu’il accompagne de commentaires ou de mimiques d’impuissance. Il y a même des onirismes à tonalité agréable: le sujet assiste, fasciné, ravi, au défilé kaléidoscopique de petits personnages colorés, se laisse captiver par des jeux d’ombres chinoises, enchaîner par des scènes féeriques ou s’abîme extasié dans une vision paradisiaque. La force de ces images oniriques est telle que leur souvenir persiste plusieurs jours après la disparition de l’état confusionnel; le malade s’interroge alors sur la réalité des scènes «vécues en rêve», puis peu à peu le souvenir s’en estompe et disparaît totalement.
Psychose aiguë, généralement due à une agression exogène, la confusion mentale n’a pas en elle-même de gravité particulière. Si l’on excepte les formes sévères que leur étiologie rend plus inquiétantes, on ne peut que souscrire à l’opinion de Régis qui en faisait «la plus curable des psychoses». Sa durée, habituellement brève, va de quelques jours à quelques semaines; le début et la fin de la confusion peuvent être brusques ou progressifs, c’est-à-dire caractérisés par des étapes graduelles de la destructuration de la conscience ou de sa restructuration. La confusion mentale ne laisse pas de séquelles, sauf une amnésie lacunaire recouvrant toute la période de la maladie.
● Confusion mentale perturbation globale des fonctions psychiques, aiguë et habituellement transitoire.
Encyclopédie Universelle. 2012.