égaré, ée [ egare ] adj.
• esguarethe (fém.) au sens 2 v. 1050; de égarer
1 ♦ Qui s'est égaré, qui a perdu son chemin. « Comme un nageur un peu égaré que le courant rapproche de la côte » ( Romains). — Relig. La brebis égarée, que le bon pasteur ramène au troupeau. ⇒ perdu . — Par métaph. « Une sorte de Mérovingien égaré au vingtième siècle » (Siegfried).
2 ♦ Qui est comme fou, trahit le désordre mental. ⇒ hagard. « Il semblait gai, d'une gaieté convulsive, égarée » (Bernanos).
égaré, ée
adj.
d1./d Qui a perdu son chemin. Voyageur égaré.
|| Fig. Trompé, abusé, jeté dans l'erreur.
d2./d Qui dénote l'égarement, le trouble de l'esprit. Des yeux égarés.
⇒ÉGARÉ, ÉE, part. passé, adj. et subst.
I.— Part. passé de égarer.
II.— Emploi adj.
A.— [En parlant d'un être vivant] Qui a perdu involontairement le contact avec son milieu.
1. [En parlant d'une pers.] Qui s'est égaré, qui a perdu son chemin. Renseigner un passant égaré. Le souvenir de récits lus jadis, de voyageurs égarés qui tournent en rond réveillait sa méfiance (BERNANOS, Mauv. rêve, 1948, p. 976) :
• 1. N'oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n'avait en rien l'apparence d'un enfant perdu au milieu du désert, à mille milles de toute région habitée.
SAINT-EXUPÉRY, Le Petit Prince, 1943, p. 414.
— [En parlant d'animaux] Qui s'est écarté du troupeau, de son territoire familier. La carcasse d'une brebis égarée qui est venue mourir à l'abri (ABOUT, Grèce, 1854, p. 281). Les bêtes sauvages de la montagne, inquiètes, égarées loin des pistes de chasse, flairent dans le vent l'odeur du lait et de la laine (BOSCO, Mas Théot., 1945, p. 345).
2. [Avec un compl. locatif introduit par dans, sur, etc.] Qui n'est pas à sa place, à son aise dans le lieu, l'époque, le milieu où il se trouve. C'était [le prophète de Maistre] une grande et simple figure de la Bible égarée dans le XVIIIe siècle et ne comprenant rien au XIXe (LAMARTINE, Corresp., 1836, p. 239) :
• 2. Je l'entends encore [Barthou] (...) cherchant à prendre une connaissance exacte de l'endroit où il se trouvait : « Je me sens un peu égaré dans cette mer de peintres, d'architectes, de fantaisistes. (...) »
FARGUE, Le Piéton de Paris, 1939, p. 152.
B.— [En parlant de choses]
1. Vx. [En parlant d'un lieu] Éloigné, écarté. L'abîme se cabrait comme un coursier sauvage Dans une île égarée au bout de l'univers (QUINET, Napoléon, 1836, p. 308).
2. Qui se trouve en un lieu dont on ne se souvient pas; qui est momentanément perdu. Il (...) cherchait partout sous les meubles les bottines égarées et dépareillées (ZOLA, E. Rougon, 1876, p. 299) :
• 3.— Athéna, disait Richard, vous allez encore une fois me remplir de confusion. Vous avez un flair admirable pour trouver les objets égarés. Vous triomphez facilement. Somme toute, le miroir était à sa place et il n'était pas brisé. (...) Si vous aviez un peu d'amitié pour moi, vous ne trouveriez pas si vite ce que je crois avoir perdu.
DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, p. 124.
3. Rare. Qui se trouve en un endroit, par hasard ou par inadvertance. Ils achèvent le pain en le trempant dans l'huile, ils ramassent pieusement les miettes égarées (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 209). Elle commençait alors de priser un peu de tabac et il en tombait toujours quelques grains sur son corsage. Laurent n'osait pas chasser d'une pichenette ces grains égarés (DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Nuit St-Jean, 1935, p. 211).
— Spéc. [En parlant de projectiles, de coups] Balle égarée. Il avait un gnon sur l'œil, une claque amicale égarée dans une bousculade (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 506).
C.— Au fig.
1. [En parlant de pers., de facultés psychiques]
a) Dans le domaine relig. Qui s'est écarté de l'Église, qui s'obstine dans le péché. Âme, volonté égarée ou perverse. V. brebis B 2.
— P. ext., dans le domaine moral :
• 4. Je ne pense point que ses misères [de l'homme] soient nécessaires, que ses vices soient dans sa nature, que ses malheurs soient des conséquences directes de l'ordre des choses. (...) je suis encore à concevoir comment on peut dire, en voyant l'homme si égaré et si misérable, la nature l'a fait ainsi; ...
SENANCOUR, Rêveries, 1799, p. 218.
— Spéc., dans le domaine pol. Qui a été abusé. Ces colons (...) sollicités par des émissaires ennemis, par des écrivains égarés ou pervers, par des circonstances pressantes (Doc. hist. contemp., 1789, p. 52). Certains Français expient aujourd'hui le crime de fidélité — d'une fidélité égarée, d'une fidélité corrompue (MAURIAC, Bâillon dén., 1945, p. 421).
b) Rare, dans le domaine intellectuel. Qui s'est écarté de la vérité. Entre les théologiens et les philosophes, les inspirés et les raisonneurs, également fanatiques, pareillement égarés, il était à lui seul son parti (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952, p. 40).
2. [L'idée dominante est celle d'un trouble des facultés psychiques ou mentales]
a) [En parlant de pers.]
— Distrait, absent. Un homme de la vie commune et naturelle, plus égaré seulement, plus rêveur, plus facile à effaroucher et à rejeter dans les bois (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 10, 1851-62, p. 84). Un état crépusculaire et somnolent envahit la conscience; égaré, légèrement ahuri, interrogateur, le sujet éprouve à chaque moment un léger désarroi à identifier les objets (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 609).
— Qui est profondément troublé, généralement à la suite d'un fort choc émotif. Il est sorti avec précipitation, je suis rentrée chez moi égarée (Mme COTTIN, C. d'Albe, 1799, p. 163). Franz était sorti de la chambre de Noirtier si chancelant et si égaré, que Valentine elle-même avait eu pitié de lui (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 273).
♦ [Avec un compl. introduit par de, désignant la cause du trouble] :
• 5. Elle avait découvert trop brutalement le malheur, elle en restait trop égarée de révolte et de désespoir pour qu'on pût avoir prise sur elle.
BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 61.
— Qui est en proie à un trouble psychique proche de la folie. Elle semblait égarée d'esprit (NERVAL, Filles feu, 1854, p. 643). Hier, [J.-J. Rousseau était] forcené, plus égaré, plus fou qu'aucun autre, dans les disputes les plus basses. Et aujourd'hui, aussi calme qu'une campagne au matin (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1950, p. 251) :
• 6. Il eut un cri de joie et de haine quand il reçut la lettre de Bruxelles. Elle provenait du commissariat central de police. On avait recueilli Émilie sans argent, dans un état physique et mental lamentable, demi-égarée et mourante de faim.
VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 447.
b) P. ext. [En parlant d'une partie du corps, du comportement, de l'expression d'une pers. (avec les mêmes acceptions que sous a)] Qui dénote l'égarement. Air, geste, regard égaré. Se levant de la table, les cheveux en désordre, la mine égarée, il courut par la chambre en s'écriant :« Fuyons! » (CHAMPFL., Souffr. profess. Delteil, 1853, p. 202). Il balbutiait quelques mots égarés (DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Désert de Bièvres, 1937, p. 101) :
• 7. Quelques jours après les couches la beauté de la femme se transforme. Le visage souvent penché sur la poitrine s'allonge un peu. Les yeux attentivement baissés sur un objet proche, s'ils se relèvent parfois paraissent un peu égarés. Ils montrent un regard empli de confiance, mais en sollicitant la continuité.
PONGE, Le Parti pris des choses, 1942, p. 45.
— [En parlant d'un sentiment, d'un état de conscience] Il semblait gai, d'une gaieté convulsive, égarée, comme celle d'un homme qui déguise à grand-peine son impatience (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p. 1234).
III.— Emploi subst.
A.— Personne qui s'est égarée, qui a perdu son chemin. Kate demanda à Jos-Mari de s'arrêter à l'anfractuosité qui avait recueilli tant d'égarés surpris par la tempête de neige (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 273).
B.— Au fig.
1. Personne qui s'est détournée des voies de la morale et de la religion. Il fait [le paranoïaque] des plans de paix universelle, relève les prostituées et les belles égarées (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 553).
— Spéc., dans le domaine pol. Personne qui a été abusée. Faire une distinction entre les innocents, les égarés et les criminels (Fondateurs 3e Républ., Gambetta, 1876, p. 122). Larminat se rendit aussitôt à Bangui par avion et ramena au devoir ces égarés de bonne foi (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 95).
2. Personne qui a perdu le bon sens, la raison. [Il] fut, pendant de longs mois, plongé par cette pauvre égarée dans un véritable cauchemar d'infortunes, où ne manquèrent pas les coups de théâtre tragi-comiques (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 273).
Encyclopédie Universelle. 2012.