ÉLÉMENTS CHIMIQUES
De la chimie on peut dire qu’elle est d’abord la théorie de l’existence et des propriétés de quatre-vingt-douze entités matérielles fondamentales; tel est, en effet, le nombre des espèces atomiques que l’analyse a identifiées et isolées dans les corps de la nature. Créés artificiellement au XXe siècle, à partir des années quarante, les éléments transuraniens prolongent cette collection naturelle, dont l’ordonnance s’est en outre complexifiée par la mise en évidence des isotopes. La physique moderne rend les confins de la matière insaisissables à la pensée qui, privilégiant la forme dans l’étendue, attend de la science un catalogue achevé de particules figurées primordiales. La notion d’élément, même enrichie de la catégorie de l’isotope, est contenue dans les limites d’une instance d’homogénéité que définit le type théorique de l’atome. Le bornage de l’ensemble des éléments est réalisé par l’application d’une théorie analytique constitutive du concept d’atome. Si cette application a été laborieuse, elle s’est révélée, en revanche, très féconde, individualisant dès la fin du XVIIIe siècle une pluralité d’unités substantielles élémentaires dans la foison des espèces chimiques plus ou moins pures. Le nombre d’espèces élémentaires s’est rapidement accru, au point que de bons esprits purent mettre en cause la validité de l’entreprise. Lalanne ne dénonçait-il pas, en 1840, le caractère irrationnel d’un nombreux corpus d’éléments: «La raison ne se révolte-t-elle pas lorsqu’il faut admettre 55 corps prétendument simples dont le nombre augmente tous les jours?» De tels doutes pouvaient certes se justifier par référence à une impuissance analytique dont les exemples ne manquaient pas; l’élémentaire, c’était, depuis Lavoisier, l’indécomposable; or, l’analyse était susceptible de progrès, et l’on pouvait attendre d’elle qu’elle réduisît à du connu des espèces rebelles à la décomposition. En outre, la «conscience de rationalité» tend à constituer des systèmes simples et clos. Un ensemble extensible d’éléments indépendants, donc indéterminé, avait de quoi répugner à la quête de positivité d’une science qui ne se reconnaît pour telle et ne se pense achevable qu’unitaire. On sait que le pluralisme des éléments de la chimie ne recevra une cohérence que dans le système de la classification périodique, proposé par Mendeleïev en 1869; la pleine signification en apparaîtra tardivement dans la systématisation architectonique des structures atomiques.
1. La doctrine des quatre éléments
Si la physique des Anciens spécule sur les éléments et sur les atomes, ce n’est certes pas dans le sens qu’on accorde aujourd’hui à ces termes. Leur science, comme la nôtre, s’efforçait de définir des êtres hypothétiques engagés dans une représentation totalisante de l’Univers; mais leurs conceptions s’ordonnaient en plusieurs niveaux qui coopèrent au projet de réduction du monde phénoménal à un ensemble fini d’éléments constituants. Au niveau d’analyse somatique, instruit par les catégories de l’expérience sensible, s’opposaient, en relation dialectique, des niveaux logistiques. L’imagination des premiers physiologues a découpé dans la foison des apparences plusieurs classes corporelles élémentaires; selon les écoles, tel «élément» domine dans l’organisation du monde terrestre; ainsi en va-t-il de l’eau pour Thalès. Empédocle, dont la doctrine connaîtra une longue postérité, subordonnait l’organisation naturelle aux transactions entre la terre, l’eau, l’air et le feu. Reprenant à son compte cette division quaternaire, Aristote développe un système de qualités antagoniques associées aux quatre éléments, comme principe explicatif de la génération et de la corruption de toute matière sublunaire. Cette classification s’enracine dans les intuitions primordiales de l’expérience sensible, mais pour Aristote elle ne livre pas l’être véritable de la matière, dont les éléments doivent être recherchés à un autre niveau auquel des modèles linguistiques donnent accès. Depuis Leucippe et Démocrite, l’alphabet, sa composition et son fonctionnement sont invoqués comme modèles d’explication en tant qu’ils sont constitutifs du langage, dont l’onomastique est, pour Platon, en relation mimétique avec la prose de l’Univers. L’enseignement de l’Académie n’identifie pas les éléments d’Empédocle aux lettres, ni même aux syllabes du discours; ils ne peuvent prétendre à la dignité et au statut de stoicheia ; ceux-ci ne peuvent se dévoiler que dans un procès du sensible au corporel invisible qui produit de l’asomatique géométrique, appelé lui-même à la réduction numérique. Grammata et stoicheia , formes et idées, sont les seuls éléments ayant pouvoir d’ouvrir et de déchiffrer la phénoménalité obscure des choses, conformément au paradigme linguistique. Mais le projet ne se réalisera dans la représentation de la matière qu’avec l’atomistique de Dalton et de Mendeleïev.
Cependant, la doctrine des quatre éléments, sympathique aux sens et soutenue par le respect dogmatique dû à l’École, aura longtemps force de préliminaire aux théories des chimistes. La mise en relation de cette doctrine avec les corps platoniciens l’insère dans une pseudo-rationalisation, l’essence des quatre éléments trouvant sa représentation et son fondement idéal dans la figure fascinante des quatre polyèdres réguliers; le primat de juridiction accordé à la pureté de la forme était tel que, lorsqu’un cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre, se fit connaître, un cinquième «élément» fut «déduit», l’éther, avec pour lieu le domaine incorruptible du cosmos, l’empyrée. Le procès de corrélation de substances pures avec des lieux privilégiés a connu une fortune durable, le savoir encyclopédique se développant autrefois sur le canevas d’un schématisme emblématique; ainsi sept métaux étaient-ils mis en correspondance magique avec les sept planètes, et constituaient comme un blason des allégeances cosmiques.
L’alchimie, dans sa pratique mystérique, reconnaît possible la transmutation des métaux, ce qui écarte formellement l’attribution d’élémentarité aux seuls éléments réellement manipulés durant des siècles. Les opérations et leurs symbolisations apparaissent comme une esthétisation des puissances de la matière, qui se juxtapose à l’esthétisation miniaturisante des figures du cosmos. Les espèces chimiques se trouvent mobilisées dans un système d’allégories qui thématise aussi bien le théâtre du sexe que l’idéologie féodale. À l’épaisseur énigmatique des choses, l’alchimie répond en brouillant l’épaisseur sémantique des signes et des symboles. Hypostase des transactions matérielles, l’activité des trois principes dénotés «mercure», «soufre» et «sel», que Paracelse vulgarise au XVIe siècle, systématise la phénoménalité des transformations. De cette tentative sort une première rationalisation erronée mais cohérente, celle du «phlogistique», qui fonctionne dans la théorie de Stahl comme un élément universel. Cependant, au XVIIe siècle, la définition moderne de l’élément allait être approchée sur deux registres nouveaux. L’un, surtout empirique, l’autre tout théorique.
Le Sceptical Chymist , publié d’abord en 1661, rend compte des doutes de Boyle à l’égard du système quaternaire hérité de la scolastique aussi bien qu’à l’encontre des tria prima de Paracelse. Ses doutes, il les fonde sur la diversité des produits de décomposition d’un même corps, quand on fait varier les conditions techniques. Dans l’appendice de la seconde édition (1690), apparaît une définition de l’élément, la première dans la littérature qui ne contredise pas la conception de la chimie moderne.
2. La théorie atomique
Le pur et l’élémentaire
Sur un registre plus théorique, les intuitions atomistiques reprises de l’Antiquité sont convoquées pour rendre compte de la nature des choses. Gassendi avait restauré le système atomique en publiant son Philosophiae Epicuri Syntagma (1649); dans ces vues, la matière primordiale du monde est composée d’atomes qui diffèrent toutefois par la dimension et la forme. Dans quelle mesure cette spécificité postulée des atomes va-t-elle engager les chimistes à critiquer et remanier leurs conceptions des principes? En fait, cette importation de théorie, loin de provoquer une pluralisation des corps simples, fut souvent absorbée dans la doctrine des principes paracelsiens qu’elle a modernisée. Pour beaucoup de chimistes, c’est d’abord le mode de groupement des atomes dans des corpuscules puis l’agrégation de ces derniers qui déterminent les propriétés des espèces. Si les métaux diffèrent entre eux, c’est que diffèrent en proportions et dispositions les corpuscules des principes, soufre, mercure, sel.
La supposition de l’atome a donc fait d’abord obstacle au concept d’élément substantiel. La propriété de mutabilité reconnue aux métaux dénotant par principe la qualité de composé, il n’était point possible d’approprier sans détour l’espèce métallique à tel type d’atome particulier. Au XVIIe siècle, l’intuition atomistique n’apparaît d’aucun profit pour l’émergence de la notion moderne d’élément. En effet, celle-ci ne se composera scientifiquement avec la conception atomique, c’est-à-dire en instituant des possibilités de vérification, qu’avec Dalton; pour lui, la spécification élémentaire des atomes se fonde, non plus sur une forme tout hypothétique, mais sur des poids dont les rapports sont importés de l’expérimentation stœchiométrique.
Cependant, le paradigme de l’alphabet des choses, restitué par Lulle, Nicolas de Cues puis Comenius, justifiera au XVIIe siècle l’utilisation, assez timide il est vrai, de modèles linguistiques pour rendre compte de la genèse des composés. Dans un texte de 1679, La Science naturelle dégagée des chicanes de l’École , c’est bien la langue qui figure la structure des choses: «Les lettres sont le véritable portrait des atomes à l’égard de la composition ou décomposition des choses: & comme la substance, l’essence & la qualité des mots dépend des syllabes; celle des syllabes dépend des lettres & de leur disposition; de mesme la substance, l’essence & la qualité des corps dépend des plus petits qu’on nomme corpuscules, & celle des corpuscules dépend des atomes & de leur arrangement.» Ainsi la profusion des matières pourrait-elle être classée morphologiquement comme le corpus d’une langue articulée, provisoirement indéchiffrée. Inutile de préciser qu’un système métaphorique de cette sorte deviendra plus tard opératoire, quand, les espèces élémentaires étant dénombrées, il s’agira de représenter univoquement des espèces chimiques dans un formalisme abréviatif cohérent.
La comparaison linguistique est instructive. Elle est reproduite à une époque où la notion de corps pur va changer de sens; les critères modernes de pureté, critères physiques mesurables, n’y sont certes pas en action. Le pur se manifeste organoleptiquement dans l’éclat simple d’une géométrie cristalline ou d’une claire réfringence avant d’être déterminé par un ensemble normatif de caractéristiques numériques abstraites; surtout, il est saisi comme produit homogène de la purification, quasiment comme l’heureux résultat d’une habile provocation de la matière, le terme d’une élection extractive dans l’épaisseur de l’impur. «Extraire les pures essences», tel est en effet le régime de la chimie pour Libavius, qui écrit à la fin du XVIe siècle. Mais les espèces semblent transformables les unes dans les autres, métaux compris. Le fer déplace le cuivre de ses solutions salines; pour l’œil naïf, le fer semble se changer en cuivre; de Pline à Newton la transmutation ne fait pas de doute. La matière est, dès lors, imaginée comme une multitude de molécules ou de corpuscules engagés dans des transactions concurrentes de recomposition. Ces minuscules corpuscules sont invisibles; pourtant, on leur suppose des formes répondant métaphoriquement à leurs propriétés organoleptiques; des atomes en sont l’ultime élément spatial.
Comment passera-t-on de l’hypostatique élément atomique à la notion d’élément chimique, comment se révélera la spécificité substantielle des particules ultimes de la matière? Problème redoutable qui ne peut se dénouer qu’une fois reçu l’axiome de la conservation de la masse.
Si la chimie administre l’étage moléculaire de la matière, elle reconnaît dans les corps simples des groupements autonomes d’éléments atomiques. Ce qui n’apparaît pas a priori dans les modèles linguistiques où la lettre n’a qu’une valeur structurale et point de valeur sémantique propre. Cependant, de tels modèles ont exercé une action positive, engageant la philosophie naturelle vers ses structures ultérieures de scientificité; notamment, ils préfigurent la constitution du champ conceptuel de la chimie comme combinatoire, cependant que la fonction associative de l’atome est franchement déclarée. En revanche, ce même atome est enfoui dans une profondeur inaccessible, sans espoir qu’on connût instrumentalement sa substantialité propre.
Historiquement, la conceptualisation de l’élément chimique s’est réalisée dans un déni paradoxal d’intuitions premières. Il fallait isoler l’homogène de l’hétérogène; mais cette hétérogénéité chimique apparaissait comme masquée par une homogénéité physique à laquelle il importait de ne pas s’arrêter: de toute évidence immémoriale, l’air et l’eau semblaient fondamentalement homogènes; il fallait faire la preuve que l’un est mélange de fluides, l’autre combinaison de deux gaz élémentaires pour justifier une inquisition qui franchisse le seuil des analyses élémentaires et réduise le donné sensible à une instance intermédiaire.
L’ascèse analytique
L’élémentaire est ce qui se révèle identique à soi-même au nœud terminal d’un réseau de différentes violences analytiques; ce n’est plus spécifiquement le terme des purifications, mais bien ce qui est isolé et transférable sans altération dans divers parcours de réactions; c’est l’invariant empirique discernable entre les métamorphoses des combinaisons. L’oxygène se révèle élémentaire quand il est échangeable entre l’oxyde de mercure d’où il se sépare par dissociation thermique, et l’eau dont on peut l’extraire par électrolyse; extrait de l’un, il peut se recombiner dans l’autre, les caractères spécifiques des composés se retrouvant identiques.
Instituée de la sorte dans le système itératif des combinaisons, l’identité d’un corps simple est tout artificielle; en chimie, la nature ne livre pas de classification immédiate; l’identité se fonde sur les propriétés relationnelles avec les autres corps; l’oxygène, pour Lavoisier, c’est l’espèce simple qui confère universellement le caractère acide par sa combinaison. Son propre est de réaliser une propriété qu’elle ne possède pas; dans la matière structurée, ce corps opère comme une désinence créatrice de fonction. Seulement, l’ensemble des combinaisons connues et des réactions opérables à tel moment du savoir ne discrimine jamais qu’une partie de l’ensemble des corps simples. Du composé peut transitoirement fonctionner comme de l’élémentaire. Lavoisier en eut un clair pressentiment, qui donne des éléments une définition toute pragmatique: «Si nous attachons au nom d’élémens ou de principes des corps l’idée du dernier terme auquel parvient l’analyse, toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen, sont pour nous des élémens; non pas que nous puissions assurer que ces corps que nous regardons comme simples, ne soient pas eux-mêmes composés de deux ou même d’un plus grand nombre de principes, mais puisque ces principes ne se séparent jamais, ou plutôt puisque nous n’avons aucun moyen de les séparer, ils agissent à notre égard à la manière des corps simples, et nous ne devons les supposer composés qu’au moment où l’expérience et l’observation nous en auront fourni la preuve.»
Et, si son répertoire des substances simples compte trente-trois termes, Lavoisier a soin de privilégier la classe des «substances simples qui appartiennent aux trois règnes et qu’on peut regarder comme les élémens des corps», savoir l’oxygène, l’azote et l’hydrogène, auxquels il adjoint la lumière et le calorique. Les autres substances simples comprennent aussi bien des éléments avérés que des composés auxquels leur stabilité conférait le caractère d’élémentarité; il s’agit d’oxydes, chaux, magnésie, baryte, alumine et silice. Lavoisier voyait justement dans ces «terres» des oxydes irréductibles par le carbone; aussi l’isolement des métaux correspondants demanda-t-il des moyens puissants que Davy et Berzelius agencèrent ingénieusement. De la sorte, ces chimistes purent isoler, en 1808, le calcium, amalgamé dans un premier stade, par réduction électrolytique en présence de mercure.
La très grande affinité d’un élément pour l’oxygène fut l’un des obstacles que les analystes durent surmonter. Cependant l’isolement de certains éléments très réducteurs a permis de vaincre des affinités tenaces. Les éléments de la silice furent disjoints en décomposant le tétrafluorure de silicium par le potassium. Certains éléments ne purent être isolés qu’au terme de très laborieux efforts conduits des années durant et jalonnés d’abandons car les rares réactions possibles ne donnent parfois qu’un produit souillé de réactifs très difficile à purifier. Mais, à mesure que l’on isolait des éléments, les chimistes voyaient leur pouvoir d’intervention sur la matière s’accroître par l’augmentation du nombre des réactifs; le potassium isolé par Davy en 1807 en est un bon exemple. La collection des corps simples allait donc s’agrandir au XIXe siècle. Si Berzelius en retenait trente-quatre en 1814, Leopold Gmelin, quarante ans plus tard, en recense cinquante-deux et, en 1890, on en citait soixante-sept. Dans la quête des éléments, les analystes eurent à vaincre des difficultés plus grandes à mesure que se complétait le tableau des individualités chimiques. Certains éléments sont disséminés en infimes traces dans la nature; leur isolement supposait de patientes séparations que rendait souvent encore plus délicate la similitude des propriétés chimiques; les gaz rares partagent la caractéristique d’être quasiment inertes, et les terres rares, dont quinze ont été discriminées entre 1830 et 1907, sont chimiquement si proches que leur localisation dans le système périodique occasionna de grandes perplexités et imposa un artifice que seule put justifier l’analyse de leur structure électronique.
3. L’identité spectrale
Pour discerner les éléments qui semblent se dissimuler aux confins de l’analysable, les chimistes disposèrent, dans la seconde moitié du XIXe siècle, d’une méthode universelle particulièrement efficace, la spectroscopie. Sir John Herschel avait montré, en 1824, que l’on peut reconnaître la présence de traces de métaux alcalins par leur flamme; cependant, la contamination presque constante des spectres par l’intense raie jaune du sodium disséminé dans les laboratoires lui masqua les phénomènes d’émission spectrale; mais, dix ans plus tard, Henry Fox Talbot parvient à discriminer spectralement les émissions du lithium et du strontium dans leur flamme rouge. En 1854, l’Américain David Alter prétend l’analyse spectrale capable d’une féconde généralisation, dans On Certain Physical Properties of Light Produced by the Combustion of Different Metals in the Electric Spark Refracted by a Prism. Il y montre que le spectre d’étincelle d’un alliage binaire contient les raies caractéristiques des deux métaux. Cependant c’est à G. R. Kirchhoff et à R. Bunsen que revient le mérite d’inaugurer la découverte d’éléments au moyen du spectroscope qu’ils inventent en 1859. Peu après, ils communiquent à l’Académie de Berlin qu’ils ont identifié un nouvel élément, dans des eaux minérales de Dürkheim. Cet élément, le césium, se manifestait dans le spectre d’émission par deux brillantes raies bleues à côté des raies du sodium, du potassium et du lithium présents dans les eaux mères du traitement chimique de l’eau minérale. Un constituant inconnu de la matière, extrêmement dilué dans le minéral d’origine, put ainsi être détecté et identifié par les propriétés optiques de ses atomes. D’autres éléments furent bientôt découverts grâce au spectroscope; le rubidium et le thallium en 1861, l’indium en 1863. La spectrographie d’émission est devenue, depuis lors, l’une des techniques les plus sûres et les plus efficaces pour détecter et doser les éléments dans des mélanges complexes.
Une autre caractéristique spectrale des atomes a été systématisée par Moseley en 1913, celle des rayons X que produisent des flux d’électrons dirigés sur des anticathodes. Les fréquences des rayons X étant analysables par diffraction cristalline, Moseley a déterminé les spectres de haute fréquence de nombreux éléments pris comme anticathodes. Il put établir une relation remarquable entre les fréquences caractéristiques et l’ordre naturel des éléments, savoir que la racine carrée de la fréquence des raies K est, pour chaque élément, proportionnelle à son numéro atomique; cette loi permet de prévoir les caractéristiques spectrales d’éléments longtemps inconnus et de les identifier dans des mélanges difficilement analysables. C’est ainsi qu’on a pu caractériser le hafnium, un élément relativement abondant mais que ses propriétés chimiques très proches de celles du zirconium avaient dérobé aux efforts des analystes.
Une telle identification est intervenue sous la juridiction du système périodique qui bornait le nombre des éléments naturels, si bien que, lorsque Moseley publia sa loi empirique – aujourd’hui déduite –, on savait que les éléments 43, 61, 72, 75, 85, 87 et 91 restaient à découvrir; ces nombres se réfèrent à la sériation ordinale des éléments classés dans l’ordre des masses mis en corrélation avec une distribution périodique de propriétés; la prédiction de l’existence d’éléments inconnus et de leurs propriétés soutenue par Mendeleïev en 1869 est une des pages les plus «philosophiques» de l’histoire de la pensée scientifique, où l’on voit un système élaboré par ordination de propriétés chimiques reconstruit sans faille au niveau structurel infra-atomique.
Encyclopédie Universelle. 2012.