XIONGNU
XIONGNU [HIONG-NOU]
Première confédération de pasteurs nomades connue en Asie orientale, qui apparaît sur le territoire de l’actuelle Mongolie comme une puissance redoutable à la fin du \XIONGNU IIIe siècle, alors que l’Empire chinois est en voie de création. C’est à ce moment que se nouent pour la première fois entre Chinois et Barbares d’Asie centrale les rapports complexes faits d’hostilité et de complémentarité, de guerres et de diplomatie, qui s’échangeront régulièrement durant deux millénaires.
Les Xiongnu possédaient déjà les techniques qui caractérisent la tactique et la stratégie des peuples nomades (en particulier des Mongols de Gengis kh n): mobilité d’une armée de cavaliers soumis à un entraînement permanent, attaques par surprise, razzias, feintes diverses, volées de flèches convergentes, service de renseignements développé. Conduits par un chef énergique, tel Maodun (\XIONGNU 209 env.-\XIONGNU 174), ils constituent une menace redoutable pour les agriculteurs sédentaires. Mais les Chinois ont pris modèle sur eux dès la fin du \XIONGNU IVe siècle, en remplaçant leurs lourds chars de guerre attelés par une cavalerie légère d’archers, concentrés en grandes formations. Cette réforme a d’ailleurs entraîné une importante modification vestimentaire: le port du pantalon serré à la cheville, à la mode barbare, au lieu de la longue robe flottante. En outre, les Chinois commencent, vers la même époque, à se protéger contre le déferlement des nomades par de hautes murailles fortifiées séparant la steppe des plaines cultivées. Cependant, sédentaires et nomades ont des besoins complémentaires: les premiers pour la remonte de leur cavalerie, les seconds pour leur approvisionnement en céréales et en objets manufacturés de luxe (la soie en particulier), nécessaires à leur classe dirigeante.
La balance des forces en présence penche en faveur des uns ou des autres selon que la situation politique et sociale interne de chacun lui permet l’expansion ou le contraint au repli. Sous les Qin, les offensives du général Meng Tian (en \XIONGNU 215-\XIONGNU 214) desserrent pour un temps la pression des Xiongnu. Les troubles qui accompagnent la chute des Qin et l’avènement des Han offrent, au contraire, au souverain xiongnu Maodun, en \XIONGNU 201-\XIONGNU 200, l’occasion d’envahir le nord de la Chine. En gage de paix, les Han doivent lui consentir chaque année de lourds présents en soieries, riz, alcool, et autres denrées et lui donnent en mariage, en \XIONGNU 198, une jeune princesse, dont le sacrifice, chanté par les poètes, aida à la pénétration de l’influence chinoise dans les mœurs barbares.
Les Xiongnu, au faîte de leur puissance, refoulent, à partir de \XIONGNU 177, un autre peuple nomade d’origine indo-européenne, les Yuezhi (on ne connaît avec exactitude leur nom que par les sources chinoises), qui, localisés aux marges de la Chine dans l’actuel Gansu occidental (région de Dunhuang), l’avaient jusqu’alors emporté sur eux. La migration des Yuezhi vers l’ouest sous la pression des Xiongnu est, pour son époque, un événement d’importance mondiale à plus d’un titre: elle a causé la chute du dernier royaume grec d’Asie centrale, résidu des conquêtes d’Alexandre le Grand, et l’invasion de l’Inde septentrionale par les Saka ou Saces; elle a laissé aux Xiongnu le champ libre jusqu’au Tarim, donnant le signal du recul définitif des éléments indo-européens en Haute-Asie; enfin, elle a fait prendre conscience aux Chinois de l’intérêt des rapports terrestres réguliers avec les marchés de l’Asie occidentale à travers l’actuel Turkestan chinois: c’est ainsi que les missions de Zhang Qian entre \XIONGNU 39 et \XIONGNU 15 aboutiront à l’ouverture de la «route de la soie».
La puissance chinoise raffermie sous le règne de Wudi (\XIONGNU 140-\XIONGNU 87), c’est au tour des Han de chercher à imposer leur hégémonie en Asie centrale au détriment des Xiongnu, par la force des armes (campagnes glorieuses du général He Qubing, mort en 117), par l’implantation aux frontières de colonies de soldats-laboureurs; par la diplomatie aussi: de cette époque date une politique double, qui restera constante à travers les siècles, d’enrôlement des tribus limitrophes les plus touchées par la civilisation chinoise et d’excitation des rivalités intestines dans les tribus les plus indociles.
La peur du péril xiongnu reste profondément ancrée dans les mentalités. En \XIONGNU 99, la destruction d’un corps expéditionnaire de cinq mille hommes et la reddition de son commandant Li Ling sont ressenties comme un désastre, et le grand historien Sima Qian — l’Hérodote chinois — est condamné à la castration pour avoir pris la défense du vaincu.
Mais les intrigues chinoises vont porter leurs fruits au milieu du \XIONGNU Ier siècle, lorsqu’une première scission entraîne une partie des Xiongnu à l’aventure vers l’ouest, dans l’actuel Xinjiang (Turkestan chinois), où ils vont bientôt disparaître sans laisser de traces, puis une nouvelle dissension force un autre groupe (les Xiongnu méridionaux) à faire soumission à l’empereur Han, et à s’installer en défenseurs des marches de la Chine du Nord. Plus tard, au IVe siècle, à l’époque troublée dite des Seize Royaumes des Cinq Barbares, selon un développement qui deviendra habituel dans le cours de l’histoire de Chine, plusieurs dynasties éphémères de Chine du Nord (Zhao antérieurs, 304-329; Liang septentrionaux, 401-439; Xia, 407-430) seront fondées par ces Barbares sinisés.
Quant aux Xiongnu restés dans leurs terres d’origine, autour de leur capitale sise dans la vallée de l’Orkhon, ils sont détruits en 155 par une nouvelle confédération de pasteurs nomades, celle des Xianbei, et absorbés par eux.
L’identité ethnique des Xiongnu, ou, du moins, des tribus dominantes au sein de la confédération, est une de ces énigmes de l’orientalisme qui ont suscité des controverses depuis qu’en 1756 un jésuite érudit, le père de Guignes (1759-1845), en faisait, au vu de la ressemblance des noms, les ancêtres des Huns d’Attila, apparus en Europe au Ve siècle. Le problème a de l’intérêt, en particulier pour les Hongrois dont les origines remontent, on le sait, partiellement aux Huns; mais il n’a pas été encore résolu et il semble qu’il y ait, en définitive, plus d’arguments contre la théorie du père de Guignes (particulièrement le long hiatus historique qui sépare la disparition des Xiongnu de l’apparition des Huns) qu’en sa faveur. L’étude des termes autochtones conservés en transcriptions chinoises dans les sources de l’époque (le titre royal de shanyu par exemple) peut-elle fournir des indices? Le célèbre mongolisant français Paul Pelliot y a vu des bribes d’une langue proto-turque; le linguiste japonais Shiratori Kurakichi a penché pour une identification tantôt avec le mongol, tantôt avec le turc. Il semble que ce soit l’académicien hongrois Louis Ligeti qui ait trouvé la solution en rattachant les Xiongnu au groupe paléo-asiatique, ou énisséien, d’où sont issus les Ostiak et les Huns, au groupe turc, tandis que les Huns dits Blancs ou Hephtalites sont, on le sait avec certitude, des Proto-Mongols (travaux du Japonais Enoki Kazuo).
Comme on vient de le voir, le rôle des Xiongnu a été considérable, durant deux millénaires, dans la cristallisation de processus d’évolution récurrents dans l’histoire de l’Asie centrale. Tout aussi remarquable est celui qu’ils ont joué dans la transmission et le perfectionnement de la technique du bronze et de l’art animalier des steppes qui lui est lié. La civilisation matérielle des Xiongnu est d’une extrême richesse, comme le révèlent les sites archéologiques qu’on peut leur attribuer: tombes de Tchita (face="EU Caron" アita) en Transbaïkalie, car leur empire s’est étendu jusqu’en Sibérie orientale; site de Noïn-Ula, en Mongolie (au nord de l’actuelle capitale Oulan-Bator) fouillé par la mission du Russe P. K. Kozlov en 1925-1926; nombreux sites de l’Ordos. Aussi le Musée national d’Oulan-Bator et le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, entre autres, recèlent-ils des pièces splendides (fragments d’un tapis en lourde broderie, plaques de ceinture, agrafes, pointes de hampe, pièces de harnachement en bronze) qui témoignent du haut niveau auquel les Xiongnu avaient porté une décoration en animaux affrontés, issu du célèbre art scytho-sarmate.
Encyclopédie Universelle. 2012.