VAUBAN
La carrière de Vauban correspond à l’apogée de la fortification bastionnée en France, dont les nombreuses guerres du règne de Louis XIV favorisent le développement. Vauban est né à Saint-Léger de Foucheret (actuellement Saint-Léger-Vauban, Yonne) dans une famille de petite noblesse nivernaise. Après des études chaotiques, il commence son apprentissage militaire en 1651 dans le régiment du prince de Condé, en rébellion contre le pouvoir royal. Deux ans plus tard, il est fait prisonnier par les troupes du roi, mais sa bravoure et son efficacité sur le terrain sont déjà connues et Mazarin l’envoie au service du chevalier de Clerville, alors commissaire général des fortifications. Il y apprend le métier d’ingénieur militaire et en obtient le brevet en 1655.
Dès lors, il participe à la plupart des campagnes militaires de Louis XIV, dont le règne personnel vient de commencer. Gouverneur de Lille en 1668, brigadier en 1673, maréchal de camp en 1676, commissaire général des fortifications en 1678, lieutenant des armées du roi en 1688, Vauban n’accédera au maréchalat qu’en 1703.
Ces titres ne rendent pas compte de son action sur le terrain ni de son sens politique. Cet ingénieur militaire est en effet à l’origine de l’aménagement de plus d’une centaine de places fortes situées aux frontières du royaume et au-delà, de la construction d’une trentaine d’enceintes nouvelles et de citadelles, comme celle de Lille, son premier grand projet urbanistique réalisé à partir de 1667.
Vauban, ingénieur militaire
Mettant à profit les acquis de ses prédécesseurs, notamment ceux de Blaise de Pagan (1604-1655), Vauban perfectionne les méthodes d’attaque et de défense des places. Il veut à tout prix éviter les pertes en hommes en réduisant la durée des sièges. Et, pour ce faire, il s’inspire des moyens alors utilisés par l’armée ottomane pour investir une place et conçoit un système de tranchées souterraines tracées en ligne brisée et reliées entre elles par des parallèles ceignant les fortifications de la ville. La progression des assiégeants se fait alors par étapes successives, grâce à l’utilisation de batteries d’artillerie qui ont pour mission d’exécuter des brèches. Vauban augmente aussi l’efficacité de ces batteries en inventant le tir à ricochet qui permet aux boulets de faire plusieurs rebonds et de démolir en un seul tir les défenses et les canons ennemis. Il dote enfin les fantassins d’armes mieux adaptées à leurs actions, comme la baïonnette. La modernisation des principes d’attaque fait évoluer la construction des fortifications. Vauban estime que la place forte doit commander le terrain environnant, de façon à permettre des observations tactiques et à empêcher les tirs plongeants de l’ennemi. Il conçoit donc des ouvrages épais, renforcés par d’importants volumes de remblai et maintenus par des maçonneries à l’épreuve des tirs. Il prévoit des remparts munis de bastions convenablement espacés pour éviter des tirs flanquants et protégés par des contregardes et par des ouvrages échelonnés en profondeur. Ces derniers sont destinés à multiplier les obstacles que l’assaillant devra franchir l’un après l’autre.
Vauban est aussi un pragmatique. Il se rend compte que le relief de la place en commande le tracé bastionné, qu’il est impossible de fortifier de la même manière une place de plaine et une place de montagne: les perfectionnements qu’il apporte à la fortification, comme les tours bastionnées à casemates (tour Rivotte à Besançon), ou le doublement des ouvrages au-dehors de la place, dont un des meilleurs exemples est fourni par la place alsacienne d’Huningue, sont toujours introduits en fonction du site. Il constate que la citadelle, lieu de commandement de la place et réduit pour la garnison dans la phase ultime d’un siège, doit, comme à Lille, être éloignée de la cité: cela implique l’agrandissement du périmètre fortifié des places modernisées par Vauban qui veut alors englober tous les organes défensifs dans le même tracé bastionné.
Ce qu’on a appelé les «trois systèmes» de Vauban, selon la doctrine établie par le Génie en France aux XVIIIe et XIXe siècles, n’est donc qu’une désignation a posteriori des aménagements variés mis au point par l’ingénieur en vue d’augmenter efficacement la résistance d’une place. L’originalité de Vauban est d’avoir su tirer toutes les conséquences logiques des principes de l’attaque pour construire ou pour rénover les places.
Toujours dans une optique défensive, doublée du souci de stabiliser les frontières nord-est du royaume, Vauban conçoit une double ligne de places fortes qu’il nomme pré carré, destinées à verrouiller les passages les plus vulnérables.
Vauban, urbaniste militaire
Pendant les guerres de la ligue d’Augsbourg et de la succession d’Espagne, Vauban se consacre aussi à la défense des côtes et met au point un type de petit fort semi-circulaire adapté aux tirs rasants sur l’eau. L’un des exemples les mieux conservés en est la tour Vauban à Camaret (Finistère). Vauban accorde aussi beaucoup d’attention au front terrestre des fortifications maritimes comme à Blaye (Gironde). Il préconise encore l’installation de phares constitués d’une tour principale et d’une tourelle d’escalier, comme celui du Stiff à la pointe ouest de l’île d’Ouessant (Finistère). Il encourage le développement de certains ports de guerre: il construit entièrement Dunkerque qu’il relie par un canal à la haute mer pour le garantir de l’ensablement. En montagne, notamment à Briançon, la nature fortement accidentée du terrain l’oblige à renoncer aux dispositions habituelles de la fortification bastionnée pour reprendre celles de la fortification médiévale afin d’échelonner ses enceintes. En plaine, Vauban utilise souvent l’eau pour améliorer le système défensif d’une place: il y fait réaliser des écluses dans le but d’inonder artificiellement celle-ci et d’arrêter la progression de l’ennemi. L’adjonction d’une citadelle érigée à distance de la ville (Arras: 1668; Besançon: 1674-1687; Strasbourg: 1681) a entraîné la construction en damier de nouveaux quartiers séparés de la citadelle par une zone interdite à la construction, appelée esplanade.
Ainsi, dans les neuf places qu’il crée de toutes pièces pour protéger les frontières (Huningue, Longwy, Phalsbourg: 1679; Sarrelouis: 1680; Montlouis: 1681; Fort-Louis-du-Rhin: 1687, détruite en 1794; Montroyal, rasée en 1702; Montdauphin: 1692; Neufbrisach: 1698), Vauban applique des principes urbanistiques simples et normalisés en matière de construction. Une enceinte le plus régulière possible: le tracé octogonal de Neufbrisach, en est l’application la mieux réussie. Une organisation urbanistique qui réponde aux exigences militaires: ce qui implique un plan en damier et une distribution fonctionnelle des bâtiments publics et des habitations groupés autour d’une place centrale carrée destinée aux manœuvres et aux parades. Les lieux du commandement militaire se combinent harmonieusement avec les lieux voués aux activités civiles (hôtel de ville, halles) et religieuses (église). Les casernes, dont les pavillons situés aux extrémités sont réservés aux officiers, et les magasins à poudre sont construits sur les remparts. La superficie de ces places est délimitée par une enceinte, dont l’extension n’est pas prévue. La construction des bâtiments militaires, qu’il s’agisse des arsenaux ou surtout des casernes, suit des normes strictes, où seuls les matériaux employés changent suivant les régions. Il en est de même pour les constructions civiles. Seules les portes de ville échappent à cette rigueur constructive car Vauban tient à leur conserver un décor sculpté à la gloire du roi.
Comme beaucoup d’hommes de son temps, Vauban a eu l’habitude de consigner ses actions et ses projets par écrit: Le Traité de l’attaque des places et Le Traité de défense des places , publiés l’un et l’autre en 1706, sont passés rapidement à la postérité. En complément à cette œuvre sur le terrain, Vauban poursuit l’initiative de Louvois et fait exécuter les plans en relief des places qu’il construit ou restructure. Ces maquettes, réalisées à l’échelle d’un pied pour cent toises correspondant dans le système métrique au 600e, reproduisent avec soin une place et les travaux prévus. Elles sont ensuite fabriquées sur place par les ingénieurs militaires chargés des travaux de fortification. Une fois achevées, elles sont transportées au Louvre où, propriété personnelle du roi, elles sont gardées aussi jalousement que des secrets militaires. Il reste une trentaine de maquettes fabriquées du vivant de Vauban sur les cent deux encore conservées. Cet ensemble, qui présente un intérêt historique et urbanistique exceptionnel, forme une collection publique appartenant à l’État, partagée depuis 1986 entre Paris (hôtel des Invalides, musée des Plans-Reliefs) et Lille (musée des Beaux-Arts).
Vauban, inventeur, penseur et réformateur
En dehors de son œuvre militaire, Vauban est à l’origine de nombreuses réalisations dans des domaines aussi variés que l’agronomie, la démographie ou encore les travaux publics. Ses connaissances techniques le conduisent à s’intéresser à la navigation fluviale qu’il considère comme essentielle au développement de l’économie française. Il essaie de faire comprendre au roi que certains travaux, comme l’aqueduc de Maintenon destiné à alimenter Versailles en eau, sont trop onéreux et pourraient aisément être remplacés par des solutions moins prestigieuses et moins coûteuses.
Comme il connaît admirablement le royaume de France qu’il traverse continuellement, Vauban se rend compte des difficultés auxquelles est confrontée sa population, en particulier les paysans, accablés par les guerres et par les impôts. Il cherche avec lucidité des solutions, qu’il consigne tout au long de sa vie dans de nombreux mémoires ou traités intitulés: Mes Oisivetés, ou Pensées d’un homme qui n’avait pas grand-chose à faire . Ces écrits, consacrés aux sujets les plus divers et réunis en une douzaine de volumes, témoignent non seulement des multiples facettes de son intelligence, mais aussi de son esprit de tolérance. Les thèmes y foisonnent et concernent aussi bien les méthodes de construction que le travail dans les mines. Les méthodes préconisées y sont parfois audacieuses: pour connaître la géographie de la région entourant ses terres dans le Morvan (Description géographique de l’élection de Vézelay , 1696), il conduit son enquête en utilisant, c’est une innovation, des formulaires de statistiques. En politique, Vauban demeure pourtant soucieux de l’autorité du roi, tout en étant conscient des erreurs commises par Louis XIV, notamment lors de la révocation de l’édit de Nantes. Dans le Mémoire pour le rappel des huguenots (1686), il énumère les conséquences tragiques pour la France, tant sur le plan humain que sur le plan économique, de cette décision arbitraire.
Soucieux de plus d’équité, Vauban en vient à s’attaquer aux inégalités fiscales, tout d’abord avec son Projet de capitation (1694), puis en rédigeant en 1698 son Projet d’une dixme royale , publié seulement en 1706 et sans l’autorisation du roi. Conclusion logique de l’évolution généreuse et lucide du maréchal, l’ouvrage préconise un impôt fiscal proportionné au revenu et l’abandon des privilèges du clergé et de la noblesse. Louis XIV condamne le livre: Vauban en meurt de chagrin quelques semaines plus tard. En prononçant son éloge funèbre devant l’Académie des sciences en 1707, Fontenelle souligne la clairvoyance du maréchal. Les générations suivantes et notamment les encyclopédistes n’ont pas saisi la modernité de la pensée économique de Vauban. Il faudra attendre le début du XXe siècle et surtout les années 1970-1980 pour que soit enfin reconnue l’originalité des travaux de Vauban dans le domaine économique.
Vauban
(Sébastien Le Prestre de) (1633 - 1707) maréchal de France. Entré dans l'armée à 18 ans, il devint en 1678 commissaire général des fortifications, qu'il adapta aux progrès de l'armement; il consolida 300 places fortes et construisit 40 places. Il dirigea plus de 50 sièges (Lille, notam., 1667). Il eut le courage d'adresser au roi des "mémoires" qui lui déplurent.
Encyclopédie Universelle. 2012.