SOVKHOZ
Le terme sovkhoz , abréviation du russe sovetskoe khozjajstvo (entreprise soviétique) servit à désigner en U.R.S.S. les grandes entreprises agricoles de l’État (d’où la traduction habituelle de sovkhoz par «fermes d’État» en français), par opposition à la coopérative de production agricole ou kolkhoz . Il existait en outre des exploitations agricoles d’État (gosudarstvennye sel’skokhozjajstvennye predprijatija ), de dimensions beaucoup plus restreintes que celles des sovkhoz, qui étaient rattachées non pas au ministère de l’Agriculture comme ces derniers, mais à des entreprises industrielles ou à des administrations, à titre d’activité «auxiliaire», pour leur servir de base vivrière. Ces exploitations auxiliaires occupaient 900 000 salariés agricoles en 1970; à la même époque, 8 900 000 salariés étaient employés dans 15 000 sovkhoz qui disposaient de plus de 300 millions d’hectares de terres, soit la moitié de la surface agricole utile du pays.
Un sovkhoz occupait en moyenne 20 800 ha de surface agricole utile. Ces dimensions géantes s’expliquaient à la fois par les origines du sovkhoz (héritier des grands domaines nobiliaires, il était devenu le pôle moteur de la mise en valeur agricole des régions nouvelles), par son niveau d’équipement privilégié, par ses finalités: le sovkhoz assurait à l’État une part grandissante de la production (40 p. 100 du total de la production commercialisée en 1970) et constituait, selon la doctrine soviétique, le modèle d’organisation vers lequel l’agriculture devait tendre dans sa progression vers le communisme.
Toutefois, la productivité du travail et les coûts de production dans les sovkhoz n’étaient jamais parvenus aux niveaux désirés, ce qui avait entraîné à partir de 1967 une série de réformes destinées notamment à améliorer leur gestion financière et à accroître leur autonomie, sur le modèle des entreprises industrielles. Le statut du personnel des sovkhoz était identique à celui des autres ouvriers et employés de l’État, avec possibilité de disposer d’un lopin personnel et d’un cheptel privé comme dans les kolkhoz (mais il ne s’agissait que d’une tolérance).
1. Formation des sovkhoz
Dans ses thèses d’avril 1917, Lénine préconisait la création d’exploitations agricoles modèles à partir des grands domaines nobiliaires et des haras de la couronne; pour cette raison, le décret de novembre 1917 sur la nationalisation des terres stipulait que certaines grandes exploitations pourraient ne pas être partagées (3 millions d’hectares au total) et serviraient de base à la formation des premiers sovkhoz. Placés d’abord sous le contrôle des soviets locaux, ces sovkhoz furent, en 1918, rattachés au commissariat à l’Agriculture et dotés d’un statut en février 1919.
Un sovkhoz comptait en moyenne, en 1920, 476 ha de terres, dont 51 d’emblavures, et 51 ouvriers permanents, soit, pour l’ensemble de ces entreprises, un total de 0,7 p. 100 des superficies cultivées et de 0,4 p. 100 du cheptel. Pendant la N.E.P. (période de la Nouvelle Politique économique: 1921 à 1928), les sovkhoz bénéficièrent en priorité des attentions de l’État pour les crédits et les attributions de machines agricoles et, de ce fait, à leurs activités de production s’ajoutèrent des activités de service. Centres de diffusion du progrès technique, les sovkhoz exécutaient aussi des travaux agricoles pour le compte des paysans. Le sovkhoz Taras Šev face="EU Caron" カenko (province d’Odessa) est considéré à ce titre comme l’initiateur, en 1927, des stations de machines et tracteurs (M.T.S.).
Le XVe congrès du Parti (déc. 1927) ayant décidé la collectivisation de l’économie paysanne, le Politburo voulut au préalable accroître l’importance des fermes d’État de façon à disposer de réserves alimentaires suffisantes. À cet effet, de nouveaux sovkhoz céréaliers furent installés dans les steppes méridionales encore disponibles, portant ainsi les superficies ensemencées du secteur étatique de 1 559 000 à 2 274 000 ha en 1929. La forte diminution du cheptel consécutive à la collectivisation forcée entraîna, à partir de 1930, la création de sovkhoz spécialisés dans l’élevage; par la suite s’ajoutèrent des sovkhoz spécialisés dans les cultures industrielles.
Les sovkhoz spécialisés dans une branche de production étaient groupés en trusts (sauf de 1935 à 1939, années pendant lesquelles leur intégration était territoriale) coiffés, à partir d’octobre 1932, par un commissariat aux Sovkhoz. Le plus important de ces trusts était le Zernotrest, créé dès avril 1928 pour les céréales. Les exploitations des années trente atteignaient des dimensions souvent gigantesques, tel le sovkhoz Gigant (province de Rostov) qui s’étendait en 1931 sur 239 000 ha. Mais la rentabilité et les rendements de ces «usines à céréales», comme on les appelait, n’étaient pas à la mesure du matériel mécanique et du personnel qualifié mis à leur disposition. De sorte qu’après une période d’expansion rapide (le nombre de sovkhoz passa de 1 407 en 1928 à 2 832 en 1932, et les superficies cultivées de 1,7 à 16,1 millions d’hectares entre ces mêmes dates) on assista, à la suite du XVIe congrès du Parti (1934), à une réorganisation qui eut pour résultat de réduire de 4 millions d’hectares les superficies ensemencées totales et de faire passer la superficie moyenne par entreprise de 82 600 ha en 1931 à 18 500 en 1940. Leur apport à la collecte de l’État (10 p. 100 des céréales et 16 p. 100 de la viande) était supérieur à leur part dans l’allocation des terres (8 p. 100 du total) à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
L’après-guerre nécessita la reconstruction de 1 876 sovkhoz détruits dans les territoires envahis. Vers 1950, le cheptel des fermes d’État était entièrement reconstitué, mais les coûts de production grevaient le budget de l’État d’importants déficits qui atteignirent 4,6 milliards de roubles en 1953.
La mise en culture de terres vierges, à partir de 1954, dans les provinces orientales de l’U.R.S.S. entraîna la formation de 425 nouveaux sovkhoz en trois ans (10 millions d’hectares d’emblavures supplémentaires); par ailleurs, des fermes spécialisées, dans le voisinage des grandes villes, améliorèrent le ravitaillement en denrées périssables; quelque 20 000 kolkhoz furent regroupés pour former 5 000 fermes d’État (en 1970, 45 p. 100 des sovkhoz étaient d’anciens kolkhoz); cela explique la rapide expansion du secteur sovkhozien depuis 1950 (tabl. 1).
2. Organisation de l’entreprise et statut du personnel
En 1962, les trusts de sovkhoz furent dissous et rattachés, ainsi que les kolkhoz d’une même région, à des unités de production agricole contrôlées, de 1962 à 1967, par les secrétaires de district du Parti, puis par les soviets locaux au niveau régional et dépendant, soit du ministère de l’Agriculture, soit, comme dans certaines républiques, d’un ministère des Sovkhoz (quelques sovkhoz étaient rattachés au ministère des Industries alimentaires).
Comme toutes les entreprises de l’État, les sovkhoz étaient dotés d’une autonomie comptable, mais seulement le tiers d’entre eux assurait l’équilibre de ses finances sans recourir aux subventions de l’État. Cette obligation fut généralisée à l’ensemble des sovkhoz. Le directeur, qui était nommé par l’administration de tutelle, exerçait l’unité du commandement; il était assisté dans ses fonctions par un corps de spécialistes et par l’assemblée de production groupant les délégués du personnel. Il avait compétence pour embaucher et licencier le personnel.
L’entreprise était organisée en plusieurs divisions (otdelenie ), subdivisées en «brigades» ou ateliers de production (u face="EU Caron" カastok ); dans les cultures sarclées la brigade se fractionnait en petites équipes (zveno ). Lorsque le sovkhoz se trouvait inséré dans un combinat «agro-industriel», l’usine devenait le pôle moteur d’une intégration verticale; mais la solution inverse était aussi fréquente: le sovkhoz gérait alors une entreprise auxiliaire de transformation de produits agricoles.
Les salaires du personnel d’exécution étaient établis à la tâche, suivant un barème qui variait selon la qualification et le rendement des intéressés; ils recevaient en outre des primes qui étaient fonction du degré de réalisation du plan de production de l’entreprise. Ces primes formaient une part importante de la rémunération du personnel d’encadrement. Le salaire moyen mensuel, qui fit l’objet de plusieurs revalorisations, atteignit 101,1 roubles en 1970, soit environ 75 p. 100 du niveau des salaires de l’industrie.
Les ouvriers et employés des sovkhoz étaient syndiqués (ce qui n’était pas le cas des kolkhoziens) et bénéficiaient à ce titre des mêmes avantages de sécurité sociale que les autres travailleurs de l’État (retraite à 55 ans pour les femmes, 60 ans pour les hommes). Ils étaient également libres de changer d’emploi alors que les kolkhoziens devaient demander une autorisation. Comme ces derniers, le personnel des sovkhoz avait généralement la possibilité de disposer d’un lopin individuel (0,15 ha en moyenne) et d’un cheptel privé, mais il s’agissait d’une tolérance et non pas d’un droit statutaire comme dans les kolkhoz. En 1961, les revenus annuels moyens qu’un sovkhozien tirait de sa ferme atteignaient 465 roubles (l’autoconsommation étant évaluée aux prix de détail officiel en vigueur), soit 23 p. 100 de ses revenus globaux (contre 628 roubles et 42 p. 100 pour un kolkhozien).
La tendance a été de concentrer la main-d’œuvre sovkhozienne, souvent dispersée dans plusieurs villages, dans des centres ruraux dotés des mêmes équipements socio-culturels qu’une localité urbaine, de façon à égaliser les conditions de vie. Le sovkhoz Zaria Kommunizma, créé en 1960 dans les environs de Moscou et qui groupait 3 000 habitants logés dans une centaine d’immeubles, fut une des premières créations exemplaires de ces «agro-villes» dont le développement était préconisé par les autorités, mais dont le type d’habitat resta controversé (car tous les travailleurs agricoles n’étaient pas mûrs pour préférer l’immeuble à leur maison individuelle et à leur ferme).
3. Production, productivité, rentabilité
Les autorités centrales avaient fixé les chiffres de contrôle de la production sovkhozienne, qui se trouvaient désagrégés au niveau régional et répartis sous forme de plans de collecte aux entreprises. Outre ces indications sur la quantité et la nature des produits à livrer à l’État, chaque sovkhoz recevait des instructions concernant son fonds de salaire (ce qui limitait les effectifs), le profit à réaliser, les affectations à verser au budget (dont un intérêt de 1 p. 100 sur les capitaux investis), les crédits et les équipements qu’il pouvait espérer obtenir au cours de l’année. Ces éléments lui permettaient d’élaborer le plan de l’entreprise.
La dotation en moyens techniques fut importante: 99 p. 100 des sovkhoz étaient électrifiés (contre 62 p. 100 en 1950); on comptait 8,8 tracteurs (290 CV au total) pour 1 000 ha de labours. Le montant du capital fixe investi dans ce secteur représentait, au 1er janvier 1971, 54,1 milliards de roubles (dont 17,4 d’installations fixes et bâtiments, 7,5 de machines et équipements, 5 de bétail, 2,5 de plantations permanentes) pour une production agricole brute sovkhozienne évaluée en 1970 (prix de 1965) à 24,3 milliards de roubles.
La dimension des sovkhoz variait en fonction du degré d’intensification qu’exigaient les différents types de culture; elle atteignit un maximum dans les sovkhoz céréaliers, qui comptaient en moyenne 20 000 ha d’emblavures, 284 tracteurs, 3 477 têtes de bovins, 1 847 porcs; la moyenne passa à 4 600 ha dans les sovkhoz cotonniers, 3 600 ha dans la production des légumes. Les sovkhoz avicoles comptaient en moyenne 151 581 volailles; le record pour l’étendue est détenu par les sovkhoz du Grand Nord qui pratiquaient l’élevage du renne sur 23,9 millions d’hectares de toundra.
La productivité du travail subit également des variations régionales sensibles en raison des fluctuations de la récolte et des différences dans le niveau de développement des républiques. Les sovkhoz du Kuban et des pays baltes se classèrent en tête du palmarès. Les coûts de production ne furent pas toujours inférieurs à ceux des kolkhoz (tabl. 2).
Ces prix de revient dictèrent la spécialisation régionale; mais la rentabilité ne fut pas le seul critère, et les disponibilités plus ou moins grandes de main-d’œuvre expliquent que les sovkhoz aient été plus nombreux dans les provinces industrialisées que dans les régions traditionnellement agricoles: on comptait, en 1970, 2 044 sovkhoz en Sibérie, mais seulement 1 605 en Ukraine, tandis que, dans la province de Moscou, 92 p. 100 des exploitations étaient des sovkhoz.
En 1970, les sovkhoz, qui occupaient 32 p. 100 de la main-d’œuvre agricole et avaient fourni 28 p. 100 de la production brute, ont livré 40 p. 100 de la production agricole commercialisée, dont 36,7 millions de tonnes de céréales, soit la moitié de la collecte; les sovkhoz fournissaient 65 p. 100 des œufs commercialisés.
Dans les années 1970, les industries rurales se développèrent rapidement dans les sovkhoz: entreprises de remise en état du matériel, raffineries, usines de conserves, moulins, entreprises beurrières, production de matériaux de construction. Ce secteur industriel s’étendit alors du fait de l’industrialisation progressive de certaines branches comme l’aviculture et l’engraissement du bétail.
Le progrès technique, dont les sovkhoz étaient les centres de diffusion, modifia peu à peu non seulement les conditions de la production, mais aussi, à long terme, l’organisation des entreprises (usage du télex pour communiquer avec les divisions d’un sovkhoz, de l’ordinateur pour calculer les variantes optimales) et la qualification professionnelle de la main-d’œuvre. En 1970, 71 p. 100 des directeurs avaient reçu une formation universitaire contre 29 p. 100 en 1953; 16 p. 100 du personnel employé appartenait alors au groupe des travailleurs mécanisés; on comptait un spécialiste pour 20 travailleurs en 1970. Cette mutation qualitative était le meilleur gage de l’avenir.
Mais l’écroulement du régime soviétique, à la fin de 1991, a compromis cette tentative de construction socialiste dans le monde agricole que constituaient les sovkhoz et il semble bien qu’ils soient appelés à se muer en coopératives de statut privé.
● sovkhoze ou sovkhoz nom masculin (russe sovkhoz, de sovetskoïe khoziaïstvo, économie soviétique) En U.R.S.S., grande exploitation agricole d'État.
[Dans l'ancienne U.R.S.S.] Entreprise agricole d'État. Administration, gestion d'un sovkhoz; ministères des sovkhozes. Plus de 26 millions de Soviétiques travaillent dans l'agriculture (...). Ils sont répartis essentiellement en deux catégories d'entreprises: les sovkhoz, successeurs des fermes modèles d'État (...) et les kolkhoz, coopératives agricoles (J. RADVANYI, Le Géant aux paradoxes, 1982, p. 200).
REM. Sovkhozien, -ienne, adj. et subst. a) Adj. Relatif aux sovkhozes. Production, secteur sovkhozien(ne). Il prévoyait le développement, sur une surface totale de 5 700 000 hectares, « des bandes forestières de protection dans les champs sovkhoziens et kolkhoziens » (Forêt fr., 1955, p. 26). b) Subst. Personne qui travaille dans un sovkhoz. Les sovkhoziens dans leur majorité restent attachés, par leur place dans le système de production et de répartition, par leur mode de vie, à une paysannerie qui se transforme (...) rapidement dans son ensemble (J. RADVANYI, Le Géant aux paradoxes, 1982, p. 94).
Prononc. et Orth.:[], [-]. Formes -khoz (ROB., Lar. Lang. fr.), -khoze (Pt ROB., Lar. Lang. fr.). CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p. 303, sovkose. Étymol. et Hist. 1922 sovkhoz (SCHKAFF, La Question agraire en Russie, p. 259 ds QUEM. DDL t. 26). Mot russe, contraction de sov[ietskoïé] « soviétique » et khoz[iaïastvo] « économie ». Bbg. QUEM. DDL t. 15, 26.
Encyclopédie Universelle. 2012.