RWANDA
Le Rwanda est, avec son voisin, le Burundi, auquel il fut administrativement uni pendant la période coloniale, l’un des plus petits États d’Afrique, mais il en est aussi le plus densément peuplé, et c’est là un facteur essentiel de son développement. Sa population d’environ 7,5 millions d’habitants vit dispersée sur les «mille» collines qui forment la plus grande partie du pays. Les villes sont peu nombreuses et le taux d’urbanisation est l’un des plus faibles du continent. L’altitude moyenne se situe à 1 700 mètres et contribue à conférer au pays son climat agréable.
La situation du Rwanda au cœur de l’Afrique centrale, à plus de 1 000 kilomètres de l’océan le plus proche, hypothèque lourdement son avenir économique: d’une part, en ajoutant le coût du transport au prix de tout produit importé ou exporté; d’autre part, en soumettant le pays aux aléas tantôt techniques des réseaux de transport d’autres États, tantôt politiques des relations entre ceux-ci. À cet égard, le Rwanda est un excellent exemple de la condition infortunée des États enclavés. Mais d’autres hypothèques pèsent sur le développement rwandais. L’accroissement régulier de la population joint à l’épuisement progressif de sols déboisés jusqu’à la limite du possible risque de précipiter le pays vers une situation alimentaire dramatique dans quelques décennies. Seul un effort extraordinaire tendant à la fois à réduire les naissances et surtout à augmenter la productivité des terres offre aux Rwandais une chance de salut.
À côté de ce problème vital se pose également celui de l’entente des deux composantes fort inégales de la société rwandaise (plus de 90 p. 100 de Hutu longtemps dominés par moins de 10 p. 100 de Tutsi). Il est l’une des conditions principales non seulement de la stabilité politique du pays mais aussi d’une réconciliation avec le Burundi voisin.
1. La coexistence de trois ethnies
En 1993, la population était estimée à 7 584 000 habitants sur un territoire de 26 338 kilomètres carrés; la densité, près de 300 habitants au kilomètre carré, est la plus forte d’Afrique subsaharienne. Cette population se compose de trois groupes ethniques: les Hutu, les Tutsi et les Twa (moins de 1 p. 100), parlant une même langue bantoue, le kinyarwanda.
À l’arrivée des premiers Européens, à l’extrême fin du XIXe siècle, les trois groupes étaient très visiblement distincts. Les Batutsi ou Tutsi, de taille élevée (1,76 m de moyenne masculine), au nez fin, à la face étroite, sont des pasteurs venus du Nord. Il est certain qu’ils ont précédé les invasions nilotiques, qui se sont arrêtées en Ouganda, et l’hypothèse qui consiste à les rattacher à ce groupe n’est pas fondée. C. G. Seligman les classe parmi les Chamites ou Hamites, mais ce terme, ayant été restreint depuis lors à son sens linguistique, ne peut plus s’appliquer dans leur cas. Toutefois, il paraît correct de situer leur origine au nord-est, car, de toutes les populations africaines, ce sont les Galla d’Éthiopie qui leur ressemblent le plus.
Les agriculteurs bahutu ou hutu (1,67 m de taille moyenne masculine) sont probablement arrivés dans la région avec les Tutsi, qui leur ont emprunté leur langue.
Les Batwa, ou Twa pygmoïdes (1,52 m de taille moyenne masculine), vivaient de chasse dans la forêt. Certains d’entre eux se sont incorporés à l’ancienne société rwandaise en tant que potiers, danseurs, bouffons; les Tutsi et les Hutu les tiennent pour une «race» inférieure.
L’économie traditionnelle
La subsistance des habitants était assurée autrefois par la culture de haricots, de pois, de sorgho, de millet, de maïs, de patates douces. Les bananes plantains servaient surtout à faire de la bière. Les champs entouraient les habitations dispersées sur les collines.
Les bovidés, source de prestige et de pouvoir, ne procuraient pas beaucoup de biens consommables: les vaches donnaient peu de lait, et la viande ne servait à l’alimentation que lorsqu’un animal mourait accidentellement. Seuls les Twa mangeaient la viande méprisée du mouton, et les Tutsi refusaient celle de la chèvre. Personne ne consommait de poisson. La chasse était pratiquée par les Tutsi comme un sport, mais le gibier n’était consommé que par les Twa et par quelques lignages hutu. La boisson favorite des Tutsi était l’hydromel, tiré du miel; ils prétendaient se nourrir surtout de lait caillé, afin de faire croire qu’ils ne dépendaient pas de la production agricole hutu.
Les artisans fournissaient l’équipement de la vie quotidienne. Les forgerons hutu, excellents, fabriquaient armes et outils à partir du minerai local. Certains d’entre eux tréfilaient du cuivre importé. Les potières twa faisaient des marmites et des cruches, leurs époux se consacrant à la confection de très jolies pipes et de vases fins. Les tailleurs de bois produisaient les cruches à lait, tabourets, écuelles, étuis à chalumeaux. Les pelletiers cousaient, pour les Tutsi, des pagnes à franges en peau de vache, à dessins incrustés. La vannerie du Rwanda, occupation préférée des filles tutsi, est célèbre pour sa finesse et la beauté de ses formes élancées. Les huttes, en forme de ruche, étaient particulièrement soignées chez les Tutsi et donnaient naissance à une construction légère d’herbes reposant sur un dôme d’osier tressé et cloisonnée de vannerie fine. Chantres et musiciens célébraient les mérites des grands et la richesse des troupeaux, et les tambourinaires du roi la majesté du souverain. Le commerce se faisait par échanges, les houes servant d’étalon monétaire. La circulation des biens la plus importante était réglée par les relations familiales et politiques.
L’organisation sociale et politique
L’exogamie pour les trois ethnies hutu, tutsi et twa était jadis la règle. La parenté, patrilinéaire, était formée de plusieurs groupements plus ou moins larges. Le ménage polygame constituait l’unité de base, chaque femme travaillant son champ avec ses enfants. Chez les Tutsi, les femmes étaient souvent indépendantes d’un domaine de leur époux. Plusieurs familles nucléaires apparentées par les hommes formaient l’inzu , ou maison, unité à laquelle le pouvoir politique réclamait des impôts en nature et des prestations militaires. Les inzu appartenaient à des lignages exogames qui remontaient à un ancêtre commun, dépassant rarement six générations. Dans le nord du pays, certains lignages hutu formaient encore au XIXe siècle des unités politiques indépendantes. Dans le Rwanda central, au contraire, seuls les lignages tutsi étaient puissants, et leurs chefs influents à la cour royale. L’administration tutsi ne traitait qu’avec les inzu, ignorant les chefs des lignages hutu.
Le groupe le plus large était le patriclan, uni par un lien imprécis à un ancêtre commun. Ces patriclans, une quinzaine environ, comprenaient des membres des trois castes et n’étaient donc pas des groupes de parenté réels. Ce fait est sans doute dû aux liens de patronage féodal qui incitaient les subordonnés à s’assimiler à leurs supérieurs. Certains clans avaient des fonctions rituelles; ils étaient symbolisés par un animal.
Le mariage était considéré comme une union entre deux lignages, mais le consentement des deux jeunes gens était requis. Il était légalisé par le transfert des biens matrimoniaux, une vache en principe, de la famille du jeune homme à celle de la fille, qui plus tard rendait un cadeau de valeur comparable.
Le roi, ou mwami , possédait en principe un pouvoir absolu d’origine divine. Un rituel précis le séparait du profane. Des tambours vénérables, transmis de monarque en monarque, étaient l’image et la garantie de son caractère sacré. Ils n’étaient jamais battus, mais on battait d’autres tambours en leur honneur; des taureaux leur étaient sacrifiés, et les organes génitaux des ennemis vaincus et tués leur étaient offerts.
La reine mère partageait le pouvoir de son fils. Le roi, toujours tutsi et appartenant au clan nyiginya , désignait secrètement un de ses fils comme son successeur. Un code secret, le bwiru , était connu exclusivement par douze dignitaires, les biru , prêtres héréditaires chargés des rites liés à la royauté et à la vie du pays.
Le mwami, propriétaire de tout le bétail du Rwanda, en octroyait l’usufruit à certaines personnes, qui pouvaient le transmettre à d’autres. Tous les Rwandais étaient ainsi insérés dans un système, le buhake , qui assurait efficacement la domination tutsi. Car, si le patron était tenu de protéger son dépendant, il exigeait de lui, et tout spécialement des Hutu, des prestations en travail (construction et entretien de sa maison) et en produits agricoles, qui n’étaient guère compensées par le lait rare des vaches. De ses «vassaux» tutsi le seigneur n’exigeait que bons conseils et courtoisie. Le buhake se transmettait de père en fils; il était résiliable par le dépendant ou le seigneur, qui avait le droit de confisquer plus de bétail qu’il n’en avait prêté.
Ce système, souvent qualifié de féodal, n’entraînait pas l’affaiblissement du pouvoir central, soutenu par une forte structure administrative. Le pays était divisé en provinces, districts et sous-chefferies, dirigés par des chefs hiérarchisés nommés par le mwami et révocables par lui sans conditions. Habituellement, ces fonctions étaient dédoublées, le «chef de terre» ayant la charge de collecter les impôts, en nature et en travail, auprès des agriculteurs, et le «chef de bétail» auprès des pasteurs. Ce dualisme permettait au roi un meilleur contrôle de ses subordonnés, choisis d’ailleurs en majorité parmi ses propres parents. Les tributs en nature, dont le montant était laissé à l’estimation du chef, qui pouvait en garder pour lui le tiers, étaient déposés à la résidence royale la plus proche. Ces résidences étaient éparpillées dans le pays et dirigées par une épouse ou une concubine royale.
Seuls les jeunes Tutsi étaient guerriers. À la cour du roi ou d’un grand chef, ils recevaient un entraînement physique sévère qui faisait partie d’un programme éducatif allant de la danse, de la poésie, de la conversation spirituelle aux vertus qui caractérisaient leur caste: courage militaire, fidélité aux supérieurs, sens des responsabilités, maîtrise de l’expression des sentiments.
Hutu et Twa n’avaient pas un rôle militaire direct, mais ils étaient incorporés aux armées en tant que fournisseurs des biens nécessaires à l’entretien de celles-ci. Le roi, sa famille et les chefs militaires percevaient une part de ces biens, l’armée exerçant ainsi une fonction fiscale. De plus, chaque armée avait un troupeau prélevé sur ceux de ses membres et confié à son chef. L’organisation militaire n’avait donc pas pour but unique la défense du pays et l’extension de son territoire. Elle jouait un rôle important dans la redistribution du bétail, source de pouvoir, au profit du mwami et de quelques chefs.
Les Hutu s’acquittaient de leurs obligations militaires par l’intermédiaire de leur chef d’inzu, qui les répartissait entre ses subordonnés; ceux-ci pouvaient toutefois s’adresser au chef d’armée sans passer par le chef d’inzu, ce qui avantageait les Tutsi aux dépens des autorités hutu.
Deux faits étaient remarquables dans l’organisation politique coutumière du Rwanda: la puissance du pouvoir central; l’exploitation de la masse hutu par la minorité tutsi.
Le premier fait s’explique par la présence, à côté de la féodalité, d’une administration à filières multiples: tout subordonné, soumis à plusieurs chefs, était encouragé à se faire protéger par l’un d’eux si les autres exigeaient trop. D’où les rivalités entre chefs de même rang et l’arbitrage nécessaire du mwami. Peut-être les Tutsi sentaient-ils aussi que la manifestation de leurs querelles affaiblirait leur prestige, et leur dévotion au mwami était le modèle de la déférence qu’ils souhaitaient inspirer aux Hutu. Car leur domination, qui n’était fondée ni sur le nombre ni sur un équipement technique plus efficace, n’a pu s’imposer que par la persuasion de leur supériorité innée, physique et intellectuelle. Cela explique la soumission des Hutu, dans tous les domaines et tout au long de la vie, semblable à celle d’enfants mineurs envers un père puissant et protecteur.
La religion
Le mwami était l’image d’Imana, dieu créateur et lointain, dispensateur de la vie et donc maître absolu de tout. Ce dieu suprême sanctionnait la désobéissance aux autorités; aucun rituel ne l’honorait, mais tout ce qui causait la fécondité et la prospérité était censé participer à sa nature; les devins agissaient en son nom et les oracles favorables, appelés aussi imana , étaient conservés religieusement.
Des ancêtres, les Rwandais n’attendaient guère qu’avanies et ennuis; ils n’étaient honorés que sur la recommandation d’un devin, pour écarter un malheur imminent. Ainsi tout bonheur venait, au Rwanda, du dieu suprême et de son représentant, le mwami, et les lignages étaient en quelque sorte dévalués mystiquement.
Il n’y avait pas, chez les Rwandais, de classe d’âge ni d’initiation de tous les jeunes. Seuls les Tutsi recevaient une éducation formalisée. Sans doute la force de caractère et la conscience de soi n’auraient pas favorisé l’attitude de dépendance attendue des Hutu.
Une association culturelle, celle des Imandwa ou héros, dont le principal était Ryangombe, était ouverte à tous les Rwandais, excepté le mwami. Chacun était libre d’y entrer pour y trouver un réconfort à ses difficultés. Ryangombe et ses compagnons se réincarnaient dans leurs fidèles au cours de cérémonies licencieuses et libertaires, qualifiées par l’ethnologue Luc de Heusch d’exutoire aux tensions engendrées par la soumission perpétuelle. Cet exutoire ne sortant pas du domaine de l’imaginaire était évidemment toléré.
Conquête et unification
Les sources de l’histoire du Rwanda sont nombreuses, les principales étant les récits historiques coutumiers et les généalogies dynastiques. Diverses chronologies ont été proposées, notamment par Alexis Kagame, qui fait remonter la généalogie des rois du Rwanda au Xe siècle. Un autre historien, Jan Vansina, propose le XIVe siècle comme première date sûre. Des éclipses solaires, citées dans les traditions et connues par ailleurs, ont fourni des jalons dont le premier date de 1506. Il est probable qu’avant cette date le mwami n’était que le chef d’une petite chefferie. La conquête et l’unification des chefferies voisines furent la conséquence du développement de l’idéologie royale, peut-être empruntée par les pasteurs tutsi aux Hutu. Cette conquête se fit en plusieurs étapes: razzias de bétail, infiltration pacifique parmi les agriculteurs, victoires militaires et assimilation psychologique. Ce processus n’était pas terminé au XIXe siècle: il restait encore à cette époque des lignages hutu indépendants.
Des recherches archéologiques ont mis au jour, au Rwanda, une culture associant la métallurgie du fer à la fabrication d’une belle poterie, dite à fossette basale (dimplebased pottery ), et dont la très large aire de diffusion a été rapprochée de celle de l’expansion bantoue. Une datation au carbone 14 situe au IIIe siècle après J.-C. certains de ces sites au Rwanda. Il se pourrait donc que les ancêtres bantous des Hutu soient déjà arrivés à cette époque.
2. Le Rwanda au XXe siècle
Évolution politique
La tutelle
Au début du XXe siècle, le Rwanda est sous protectorat allemand. En 1896, en effet, Yuhi V Musinga accepte de confier les relations extérieures de son pays à l’Empire. Le fait constitue en lui-même un tournant car il ouvre le pays aux influences européennes: celles des missions, sans doute, bien plus que celles des fonctionnaires de la Deutsch Ost-Afrika englobant le Burundi, le Rwanda et le Tanganyika; c’est en 1900 que la première mission des Pères blancs est fondée, et ce n’est qu’en 1907 qu’une résidence du Rwanda est organisée par l’Allemagne. Elle fonctionne moins de dix ans et laisse peu de traces sur le pays au moment où, en 1916, les troupes belges l’envahissent dans le cadre des opérations menées par les Alliés contre les possessions allemandes d’Afrique orientale.
La seconde tutelle est celle de la Belgique qui reçoit le Rwanda et le Burundi en mandat de la Société des Nations; ce mandat débute légalement en 1926, après environ dix ans d’occupation du pays. Il confie à la Belgique une «mission sacrée de civilisation» au bénéfice des populations locales. L’utilisation à cette fin des institutions autochtones traditionnelles aura un triple effet: la désacralisation de la monarchie, l’extension et le renforcement du pouvoir central et du pouvoir tutsi et enfin la bureaucratisation de la chefferie telle qu’elle s’était maintenue jusqu’en 1926. Ces transformations profondes du système politique rwandais permettent de s’interroger sur le caractère indirect du système de gouvernement appliqué par la Belgique. En fait, il s’agit bien d’un interventionnisme constant, direct et efficace dans les affaires du Rwanda.
En même temps que la puissance mandataire, devenue tutélaire après la Seconde Guerre mondiale, renforce le pouvoir tutsi tout en le contrôlant étroitement, elle impose aux Hutu les cadres administratifs et surtout fiscaux de l’État moderne. Même si le montant nominal de l’impôt demeure faible, même si les prestations en nature permettant de le remplacer ne sont pas exorbitantes, leur poids sur les populations est suffisant pour encourager l’exode régulier de celles-ci vers les territoires voisins. La contrepartie de cette pression est la prise de conscience dans différents cercles coloniaux belges, tant dans la métropole qu’en Afrique, chez les missionnaires et chez les agents de l’administration, de la possibilité d’une indépendance du pays qui consacrerait le fait majoritaire hutu.
L’indépendance
L’indépendance du Rwanda, telle qu’elle est acquise en 1962, est le fruit d’un processus qui débute une dizaine d’années auparavant et qui est sans doute caractérisé autant par l’émancipation des Hutu par rapport aux Tutsi que par celle des Rwandais par rapport à la Belgique. À partir de 1952, année où sont introduits les premiers conseils représentatifs à tous les échelons de la structure administrative, jusqu’en 1962, l’histoire politique du pays sera celle de l’abandon progressif, par la puissance tutélaire, du groupe dominant au profit de la masse des dominés. D’élections en élections, les Hutu s’imposeront davantage dans les structures représentatives de base du pays. Le contraste entre ce poids réel des masses dans la vie nationale et le quasi-monopole des Tutsi dans les organes du sommet de la hiérarchie politique n’en rendra que plus inévitable la révolution de 1959-1961.
Dès 1957, des mouvements politiques embryonnaires sont créés et un Manifeste des Bahutu publié. En 1958, l’Administration admet publiquement l’existence d’un problème politique réel lié à la prise de conscience hutu. Et, en 1959, l’Église prend fait et cause pour la majorité numérique. La même année, le gouvernement belge définit sa politique à l’égard des deux territoires confiés à sa tutelle; mais il ne le fait qu’après que les événements de la Toussaint rwandaise (révolte de novembre 1959) eurent ensanglanté le pays qui a dû être placé sous régime militaire. Cette pression des événements et le régime d’exception qui en découle justifient une accélération du processus consistant à confier davantage de pouvoirs aux Hutu. Assurés du soutien de la Belgique, ceux-ci proclament la république au début de 1961. Cette prise de position est confirmée par un référendum qui a lieu quelques mois plus tard: 80 p. 100 des votants rejettent la monarchie. Aux élections législatives qui se tiennent simultanément, le parti hutu le plus radical, le Parmehutu, réunit 77,7 p. 100 des suffrages. Un mois plus tard, le 26 octobre 1961, Grégoire Kayibanda est élu premier président de la République rwandaise.
Pendant plus de dix ans, le Rwanda va vivre à l’heure de Kayibanda et de son parti. Cependant, au fil du temps, l’unanimité résultant du combat pour l’indépendance va s’effriter. Les Hutu vont voir naître entre eux les dissensions qui sépareront le nord, le centre et le sud du pays. Simultanément, le charisme du président s’use et les modifications constitutionnelles tendant à assurer la pérennité de son pouvoir ne peuvent empêcher un coup d’État militaire au début de juillet 1973.
La décolonisation
Institutionnellement, le Rwanda avait amorcé sa décolonisation sous la Ire République. Mais cette émancipation n’était que partielle. Les structures mises en place par la première Constitution étaient en effet fortement tributaires du modèle français, que ce soit directement dans la Constitution de la Ve République ou indirectement à travers les lois fondamentales des États africains de la Communauté. La décolonisation rwandaise prendra progressivement les mêmes aspects que dans les autres États du continent: consécration du pouvoir personnel du président, projet de rendre ce pouvoir illimité dans le temps et suprématie du parti unique – le Parmehutu – qui fera disparaître tous ses rivaux hérités du multipartisme cher au colonisateur belge.
Mais c’est sans conteste la IIe République qui conférera au système rwandais son caractère spécifique, d’abord par la substitution du Mouvement au parti et par une large décentralisation de l’effort de développement au niveau des communes. Le constituant de 1978, à l’encontre de celui du Zaïre, s’est toutefois gardé d’opérer une fusion des organes de l’État et du Mouvement. L’ensemble institutionnel ainsi formé est en outre une émanation directe du pouvoir militaire, artisan et garant du nouveau régime. Le Mouvement révolutionnaire national pour le développement regroupe indistinctement tous les Rwandais et, de la sorte, n’est pas un parti, mais – c’est ainsi que le formule l’article 7 de la Constitution – le peuple rwandais organisé politiquement. Le président du Mouvement est par ailleurs le seul candidat à la présidence de la République.
Quant à la décentralisation, elle se manifeste à travers le plan d’action communale qui confère à ces entités administratives de base de très larges compétences en matière de travaux publics et les autorise à en rechercher elles-mêmes le financement, même à l’extérieur du pays. Enfin l’armée, qui s’était résolue à intervenir en 1973 pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle l’avait lentement enlisé le régime de G. Kayibanda, joue un rôle de soutien efficace à l’action du chef de l’État, son ancien chef d’état-major.
Une société rurale en mutation
La jeunesse
Le Rwanda est un pays de jeunes. Sur une population estimée à 6,5 millions d’habitants en 1987, 50 p. 100 environ ont moins de quinze ans et environ 60 p. 100 moins de dix-neuf ans. Cela est le résultat d’un taux de croissance annuel en augmentation régulière depuis un demi-siècle et qui se situe actuellement au seuil des 4 p. 100. Ces jeunes cohabitent par ailleurs avec leurs aînés dans un pays de 26 338 kilomètres carrés dont la surface utile est de 17 759 kilomètres carrés. Cela donnait en 1987 une densité globale de 245 habitants par kilomètre carré dans le premier cas et de 271 habitants par kilomètre carré dans le second; c’est la plus forte d’Afrique.
Cette situation, économiquement alarmante, est le résultat de la combinaison de deux facteurs. Le premier, psychologique, est profondément enraciné dans les mentalités et renforcé par la christianisation du pays. La naissance d’enfants est considérée comme un bonheur. Toute politique de planification des naissances se heurte donc à ce sentiment profond. Cependant, des signes encourageants permettent de voir l’accroissement démographique se ralentir sous l’impulsion du gouvernement qui, notamment par le biais d’un Office national de la population, aborde courageusement le problème. Mais il serait illusoire d’y voir un remède à court terme à l’explosion démographique des dernières décennies. Le second facteur est la salubrité relative du pays dont l’altitude moyenne oscille entre 1 600 et 2 200 mètres, conférant au climat son caractère équatorial tempéré avec des températures moyennes s’étalant entre 18 0C et 25 0C. Il en résulte une mortalité infantile relativement réduite par rapport à d’autres pays d’Afrique.
Faute de pouvoir trouver encore des moyens de subsistance en milieu rural, cette jeunesse tend à migrer vers les principales agglomérations du pays. Cependant, cet exode rural n’a pas le caractère dramatique qu’il a dans d’autres pays africains. La population urbanisée ne représente que 4 p. 100 de la population totale du pays (c’est avec celui du Burundi voisin le pourcentage le plus bas d’Afrique à cet égard). Et la plus grande agglomération du pays, la capitale, Kigali, comptait 237 782 habitants au recensement de 1991. Même si, actuellement, le taux d’occupation de la population active est de 76 p. 100, chiffre très élevé pour une ville du Tiers Monde, un nombre croissant de chômeurs sont condamnés à vivre soit de la solidarité familiale, soit d’expédients. Il en résulte un accroissement de la délinquance en milieu urbain, que le gouvernement a essayé de traiter à la fois par la prévention et la rééducation; celle-ci a impliqué une réforme de l’enseignement de base.
La formation
La révolution rwandaise des années 1960 a eu pour effet de décapiter l’élite intellectuelle, essentiellement tutsi. Le Rwanda s’est donc trouvé dans l’obligation de dispenser très rapidement à sa jeunesse, et de la manière le plus large possible, une formation susceptible de fournir au pays les cadres indispensables à son développement. Mais il est tout aussi évident qu’il y eut dans le système beaucoup d’appelés et peu d’élus. Car, dans bien des cas, on se trouvait dans les familles hutu à la première génération éduquée. Enfin, un système d’enseignement modelé sur celui du colonisateur entraînait chez ceux qu’il rejetait toute espèce de préjugés à l’égard de la condition paysanne. Une des grandes options du régime étant la revalorisation du travail agricole et de l’agriculture en général, il était essentiel de réviser fondamentalement la démarche éducative adoptée à l’indépendance.
C’est ce à quoi s’attachèrent les C.E.R.A.I., ou centres d’éducation rurale et artisanale intégrée, mis en œuvre en 1980. Dérivés de centres expérimentaux créés par un missionnaire en 1966, les C.E.R.A.I. avaient pour ambition de doter le Rwanda d’agriculteurs et d’artisans susceptibles de contribuer à son développement par la maîtrise des exigences techniques indispensables à une meilleure productivité de son agriculture. Les C.E.R.A.I. s’articulaient sur un enseignement primaire de huit années donné en langue nationale avec le français comme seconde langue à partir de la quatrième année d’études. À l’issue des huit années, les meilleurs poursuivaient un enseignement général. Les autres devaient être, dans leur quasi-totalité, orientés vers les C.E.R.A.I., où, en trois ans, toujours dans leur langue maternelle, ils se formaient de manière essentiellement pratique à la production agricole et artisanale.
Une telle réforme rencontra bien des obstacles: inquiétude et surtout résistance des parents face à une formation qui ne pouvait faire de leurs enfants des «clercs»; difficultés financières pour l’État qui consacre ainsi un quart de son budget à l’enseignement; pénurie de maîtres capables d’encadrer des écoles dont l’effectif devait doubler entre 1980 et 1986. C’est dire l’étendue de l’effort qu’il faudrait accomplir pour fournir au pays les nouveaux paysans dont il a besoin.
L’intégration
Il est essentiel pour le Rwanda de réintégrer sa jeunesse dans le milieu rural que les structures actuelles et surtout passées de l’enseignement l’encouragent à quitter. Mais il est tout aussi important pour l’avenir du pays de réaliser la réintégration de l’élément tutsi dans la communauté nationale.
Les premières heures de l’indépendance nationale furent en effet d’abord celles de l’exode volontaire d’une partie de la population, puis celles de la guerre civile. Dès la victoire hutu aux élections communales de 1960 et après les élections législatives et le référendum sur la monarchie de 1961, nombre de Tutsi, souvent accompagnés de leurs clients hutu et twa, quittèrent le pays; c’est ainsi qu’ils s’installèrent par centaines de mille dans les pays limitrophes. Puis survint en 1963 la tentative de reconquête armée du pouvoir par des Tutsi venus principalement du Burundi. Son échec fut d’abord l’occasion d’une élimination radicale de la plupart des politiciens tutsi jouant encore un rôle dans la vie politique nationale, puis d’une réaction populaire attisée par le gouvernement qui aboutit aux violences de la fin de 1963. Entre 10 000 et 15 000 Tutsi furent massacrés tandis que de nombreux autres se réfugiaient dans les pays voisins. Le gouvernement qui, faute de terres disponibles, ne peut les réintégrer les encourage au contraire à se fixer dans leur pays d’accueil.
Mais, à côté de ces Tutsi de l’extérieur, ceux de l’intérieur constituent encore après les événements de 1963 environ 10 p. 100 de la population totale du pays. Ils réussirent ultérieurement à s’insérer dans les circuits scolaires et professionnels. Dans les années 1970, ils représentaient près de la moitié des effectifs à l’école ou au travail, alors qu’en principe ils ne devaient pas y dépasser les 10 p. 100. En 1972, à la suite des événements du Burundi dont avaient été victimes les Hutu, le régime de la Ire République entreprit de rétablir l’équilibre entre les deux populations. On assista à de véritables «purges» des Tutsi dans les écoles d’abord, dans l’administration et dans le secteur privé ensuite. Il en résulta, en outre, une tension entre ethnies en différents endroits des campagnes. Des conflits d’ordre régional, sous-jacents jusque-là, vinrent se greffer sur une situation déjà fort instable. Ces événements furent le catalyseur du mécontentement qui devait amener l’armée au pouvoir en juillet 1973. Le nouveau président de la République, Juvenal Habyarimana, s’efforça alors de réaliser la réconciliation nationale, non sans rencontrer de sérieuses oppositions. Certaines débouchèrent sur une tentative de coup d’État en 1980, et le Rwanda s’enfonça dans la guerre civile en octobre 1990.
De l’explosion à la recomposition
La guerre et la fin du parti unique
Le 1er octobre 1990, quelques milliers de combattants du Front patriotique rwandais (F.P.R.) passent la frontière ougando-rwandaise sous la direction du major général Fred Rwigyema (tué dès le lendemain et devenu figure emblématique du mouvement). Créé à Kampala en décembre 1987, le F.P.R. regroupe des éléments de la diaspora rwandaise issue de l’immigration économique qui a eu lieu depuis la colonisation, mais aussi des massacres de 1959, de 1963-1964 et de 1973. À la suite de la déclaration de Kigali de 1986, qui lui refuse le retour au pays sous le prétexte du manque d’espace, alors que l’Ouganda est de plus en plus réticent à intégrer ces Rwandais qui ont pris trop d’importance dans la vie du pays, le F.P.R. a décidé d’attaquer. Des opposants au régime de Kigali ont régulièrement rejoint ses rangs, car, parallèlement à une démocratisation imposée par le sommet franco-africain de La Baule (juin 1990), les dirigeants se durcissent de plus en plus, laissant largement apparaître l’usure de leur pouvoir au bout de dix-sept ans de présence.
L’avancée du F.P.R. est contenue, notamment grâce à une aide militaire française, belge et zaïroise, mais des négociations sont prévues à Arusha (Tanzanie). Elles sont longues et laborieuses, n’aboutissant qu’en août 1993 à un accord. Il prévoit, à terme, une fusion des armées des deux belligérants et, dans l’immédiat, une présence militaire du F.P.R. à Kigali et une participation de ce dernier au gouvernement.
Pendant ce temps, la nouvelle Constitution de 1991 ayant instauré le multipartisme, le M.R.N.D. gouvernemental s’est transformé en M.R.N.D.D. (Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement); les partis d’opposition se sont multipliés et les principaux (M.D.R., Mouvement démocratique républicain; P.S.D., Parti social démocrate; P.L., Parti libéral) ont été finalement associés au pouvoir, en 1992, dans un gouvernement de coalition, dirigé par Dismas Nsengiyaremye (M.D.R.). Parmi les nouvelles formations, certaines se réclament d’un extrémisme hutu, comme la C.D.R. (Coalition pour la défense de la république); en fait, il s’agit surtout d’une minorité liée aux proches de l’épouse du président Habyarimana. Ceux-ci détiennent des postes clés, tel celui de directeur de l’Office rwandais d’information; ce dernier, qui a lancé des appels au meurtre, est à l’origine de massacres, comme ceux du Bugesera le 3 mars 1992; ces extrémistes tentent de freiner les processus en cours, par exemple en finançant des milices dévouées et prêtes à en découdre. Parallèlement, le budget du ministère de la Défense nationale est doublé, les effectifs de l’armée régulière sont multipliés par quatre ou cinq, amenant un recrutement massif de soldats inexpérimentés voire indisciplinés. Ces mesures répondent aux incursions incessantes du F.P.R. dans le nord du pays: celle du 23 janvier 1991 sur Ruhengeri libère 1 780 prisonniers; celle de février 1993 s’arrête à trente kilomètres de la capitale; des milliers de réfugiés fuyant les zones de combats s’installent dans des camps aux portes de Kigali, en dépit d’une succession de cessez-le-feu.
La tragédie
Le 6 avril 1994, au retour d’une réunion en Tanzanie, les chefs d’État rwandais Juvénal Habyarimana et burundais Cyprien Ntaryamira disparaissent dans l’attentat perpétré contre leur avion qui allait se poser à Kigali, sans qu’on ait pu encore établir de manière irréfutable l’origine des commanditaires de l’opération. Quoi qu’il en soit, c’est le signal de massacres programmés sur des listes soigneusement préétablies. Ils touchent d’abord des personnalités du gouvernement, parmi lesquelles le nouveau Premier ministre, Agathe Uwilingiyimana (M.D.R.), professeur d’université que son intégrité a rendu populaire, son mari et les dix Casques bleus belges chargés de sa sécurité. Les opposants de tous bords sont visés: militants d’associations des droits de l’homme, intellectuels et, plus largement, Tutsi soupçonnés d’être partisans du F.P.R.
Le retrait des Belges des troupes de l’O.N.U., suivi, après bien des atermoiements, par une réduction drastique du contingent de la Minuar (Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda, installée en 1993), l’évacuation rapide des étrangers et des personnels étrangers des ambassades excluent toute interposition; cela explique en partie l’ampleur du génocide, pour lequel les estimations varient entre 500 000 et un million de victimes.
Le F.P.R., à l’aide de son bataillon stationné à Kigali et de troupes venues du Nord, tente de protéger les siens (un certain nombre de victimes potentielles réussissent à rejoindre ses rangs), puis se lance à la conquête du pays. Sous les ordres d’un gouvernement autoproclamé, constitué d’opposants aux accords d’Arusha, qui s’est installé d’abord à Gitarama puis à Gisenyi, l’armée gouvernementale, tout en continuant son «travail» (terme officiel utilisé pour désigner l’élimination physique programmée), entraîne dans sa retraite des centaines de milliers de réfugiés. La capitale est prise, le 4 juillet, et, dès le 17 juillet, tout le pays est contrôlé par le F.P.R., à l’exception de la «zone humanitaire sûre» installée par la France dans le sud-ouest au début du mois; cette «opération Turquoise» a été menée avec l’aval de l’O.N.U., qui a délégué ses pouvoirs. La fin de la mission, le 21 août 1994, amène un nouveau flot d’émigrants vers d’immenses camps, situés en territoire zaïrois mais à proximité du Rwanda, entretenant une menace constante. Parmi la masse des gens fuyant l’horreur, se trouvent des responsables de l’ancien régime, les troupes des Forces armées rwandaises (F.A.R.) vaincues par l’Armée patriotique rwandaise (du F.P.R.) et tous les miliciens tueurs, fanatisés par les discours extrémistes comme ceux du journal Kangura ou de la Radio des Mille Collines. D’autres fuient en Tanzanie et au Burundi. Au total, près de deux millions de Rwandais ont quitté le territoire tandis qu’arrivent des États voisins un nombre élevé d’anciens exilés ou leur descendance.
Un nouveau Rwanda
Le F.P.R. met en place un «gouvernement d’union nationale» dans lequel il est très largement majoritaire mais qui comporte des membres des principaux partis d’opposition déjà associés au pouvoir. Progressivement, cette base relativement large va se réduire par des défections (en particulier en août 1995 avec le remplacement du Premier ministre), qui contribuent à renforcer le rôle de l’armée. Le général Paul Kagame, vice-président et ministre de la Défense, parti de son pays à l’âge de deux ans, ancien bras droit du président ougandais Yoweri Museveni, qu’il a aidé à conquérir le pouvoir, apparaît alors de plus en plus comme l’homme fort du régime.
Plusieurs problèmes obscurcissent l’avenir: les incursions menées à partir du Zaïre se sont raréfiées, à la fin de 1996, avec le retour au pays de la plus grande partie des réfugiés, poussés par les Banyamulenge lancés à la conquête du Kivu zaïrois (seuls quelques centaines de milliers se sont enfoncés dans la forêt, vers l’ouest); mais l’arrivée massive de ces Rwandais ramène des opposants, ravive des tensions et complique un peu plus les questions de propriété, tandis que, à l’extérieur, des partis d’opposition se structurent. La détermination des responsabilités dans les massacres traîne en longueur, malgré la volonté générale de vouloir faire justice. Le personnel judiciaire national a été décimé, l’appareil est désorganisé, et les tribunaux rwandais ont du mal à traiter sereinement les dossiers des nombreux emprisonnés. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, installé par l’O.N.U. à Arusha en novembre 1994, n’a pas la confiance des nouvelles autorités et il a tardé à ouvrir les procès, tant les problèmes sont complexes.
La cohésion nationale aura sans doute du mal à se reconstituer. Se retrouvent en présence anglophones et francophones, même si tous parlent kinyarwanda; ressortissants du Rwanda, nordistes et sudistes; anciens réfugiés du Burundi (appelés Burundais à Kigali, ils sont au moins 400 000, repoussés par cet État également en crise), d’Ouganda, de Tanzanie, du Zaïre ou d’Europe, voire des États-Unis; réfugiés de la première ou de la deuxième génération; Hutu ou Tutsi affirmés – voire ultras – ou non; etc. La mise en place d’une nouvelle hiérarchie catholique (la précédente a été décapitée) dans ce pays où le christianisme a toujours eu un rôle important provoque bien des frictions au sein d’Églises déchirées.
Les problèmes économiques assombrissent encore plus l’horizon: le pays, déjà pauvre, a été détruit en partie par la guerre civile et la reconstruction coûte cher; les bailleurs de fonds, autrefois nombreux, sont devenus attentistes; l’aide militaire apportée à la cause de Laurent-Désiré Kabila au Zaïre grève les finances, même si elle procure un dérivatif à l’armée, mal payée, dont les exactions ont été dénoncées, en particulier l’attaque du camp de réfugiés de Kibeho en avril 1995. Le contexte de l’Afrique des Grands Lacs, de surcroît, n’est guère favorable. Le Rwanda est ainsi entraîné dans des conflits régionaux qui ont altéré ses relations avec le Zaïre et le Kenya alors que ce dernier contrôle la route des échanges. Les incertitudes de la sous-région risquent de peser lourd sur les destinées du pays.
Une économie prisonnière des bouleversements démographiques et politiques
L’économie rwandaise repose sur une paysannerie très dense qui pratique la polyculture et l’élevage (plus de 80 p. 100 de la population active). Au XXe siècle, une nouvelle économie d’exportation s’est constituée, avec le café comme produit de base. Mais, en dehors de ces activités, le pays n’a pas pu mettre en place de véritables solutions de remplacement: les espoirs fondés sur l’exploitation minière ont fait long feu, l’industrialisation est demeurée marginale, le tourisme, essentiellement tourné vers les parcs nationaux (56 500 visiteurs en 1989, après la sortie du film Gorilles dans la brume ), a cessé avec la guerre...
Le Rwanda souffre de lourds handicaps: son enclavement (il est séparé du port kenyan de Mombasa par 1 000 kilomètres et deux frontières) pèse sur les coûts, ses ressources énergétiques et minières sont médiocres ou difficilement exploitables, son espace est saturé, ses capacités d’autofinancement réduites. Pourtant, il s’est largement ouvert à l’économie mondiale, au point que l’aide extérieure est devenue l’une des principales ressources de ce pays très pauvre; mais la crise des années 1980 et 1990 a fortement secoué tout l’appareil de production.
Une économie fondée sur l’agriculture paysanne
Les paysans rwandais, dispersés dans une myriade de petites exploitations de moins d’un hectare en moyenne, cultivent bananier, céréales, légumineuses et tubercules.
Le bananier, omniprésent, est surtout utilisé pour fabriquer la bière de banane, l’un des ressorts de la vie sociale: boisson de la convivialité, de la fête, elle fait l’objet d’incessants échanges, dons, achats, ventes. La plupart des familles, en effet, tantôt disposent temporairement d’excédents de bière – quand elles ont pu récolter suffisamment de régimes pour effectuer un brassage –, tantôt sont demandeuses – car les parcelles de bananiers ne sont pas suffisamment grandes pour permettre d’en fabriquer assez souvent; en outre, la boisson ne peut se stocker car elle se conserve très mal. Le bananier sert aussi de marqueur foncier, procure de l’engrais vert et de la nourriture pour le bétail. La consommation des fruits, qui ne font l’objet d’aucune exportation significative, se répand mais reste secondaire.
La principale culture céréalière est celle du sorgho, destiné à la fabrication de bières, de bouillies, de pâtes, de farines. La culture du maïs, moins ancienne, est pratiquée à la fois dans les terres les plus hautes et dans les zones les plus sèches. Quelques périmètres rizicoles ont été établis dans des fonds de vallée.
Le haricot, base de l’alimentation, est partout. Il est complété par divers tubercules, surtout par la patate douce dans les fonds de vallées humides. La culture du manioc, encouragée sous la tutelle belge, s’est répandue sur les versants peu fertiles. La diffusion de la pomme de terre, introduite au XXe siècle et souvent accompagnée de cultures légumières plus récentes (choux, carottes, oignons), est un exemple de spécialisation commerciale stimulée par la demande urbaine.
La paysannerie entretient ainsi une large palette de cultures, dans un système ouvert aux innovations mais de plus en plus enfermé dans ses contraintes foncières (manque de terres à mettre en valeur). La tendance actuelle est à une diminution de la part des céréales au profit des tubercules, moins exigeants, mais plus pauvres en éléments nutritifs. La bananeraie résiste, progresse même, tout en se transformant peu à peu. Les cultures maraîchères et fruitières se multiplient.
La place de l’élevage n’a plus rien à voir avec la dualité Hutu-Tutsi telle qu’elle fut si souvent évoquée. Tous les paysans sont confrontés au manque de terre, et les bovins ont de plus en plus de mal à se nourrir. Mais le lait, la fumure, le capital que représente un animal demeurent des motivations pour ceux qui peuvent entretenir une ou deux bêtes. Certaines familles s’essaient à la stabulation, beaucoup se tournent vers le petit élevage, dont l’essor a été considérable (caprins surtout) depuis l’indépendance.
En fait, l’enjeu alimentaire est au cœur de cette polyculture. Après la grande famine de 1944, les quantités produites ont peu ou prou suivi le rythme de la croissance démographique; du coup, le pays, pendant les années 1960 et 1970, était parvenu à une relative autosuffisance. Mais les années 1980 ont montré un renversement de tendance, faisant resurgir ce détonateur de crise.
Des exportations de plus en plus dépendantes du café
La caféiculture est la seule culture d’exportation qui a pu s’intégrer dans une trame agraire si dense. Née dans un cadre coercitif pendant la colonisation, elle s’est ensuite largement diffusée, toujours soutenue et encadrée par l’État. Faite de minuscules plantations d’arabica, elle concerne plus d’une famille sur deux; elle occupait 11 250 hectares en 1957, 53 750 en 1988. La production est passée de 18 000 tonnes en 1975 à 30 000 en 1981 et à 43 000 en 1988. La vente fournit, selon les années, de 60 à 80 p. 100 du montant total des exportations.
Jusqu’en 1982, la deuxième ressource provenait de l’étain, principale composante de l’économie minière. Mais, en 1985, la société Somirwa fit faillite alors que le marché mondial s’effondrait. C’est tout un pan de l’économie rwandaise qui disparaissait, si bien qu’en 1986-1987 le café représentait à lui seul 80 p. 100 des recettes, au lieu de 60 p. 100 dix ans plus tôt.
Depuis lors, le thé, dont la qualité est reconnue sur le marché, est devenu, en dehors du café, le seul produit dont l’exportation est significative; à eux deux, ils ont rapporté 96,5 p. 100 de la valeur totale des exportations de 1991. C’est la plus récente des cultures industrielles, la seule aussi qui se pratique, en partie, en grandes plantations, depuis que le quinquina et le pyrèthre ne subsistent qu’à l’état de reliques. La contribution du thé aux exportations a augmenté (10 p. 100 en 1986, 27 p. 100 en 1991), non seulement parce que la production s’est accrue (7 000 tonnes en 1983, 11 000 en 1987, 13 000 en 1991) et que les prix se sont maintenus, mais aussi parce que la coïncidence de la disparition de l’économie minière et de la chute des prix du café suscitait une crise économique sans précédent.
Faillite et reconstruction
La fin des années 1980 a été marquée par une rupture du processus de développement économique engagé dans les décennies précédentes.
La première alerte a été la dégradation de la situation alimentaire, à partir de 1984. Une succession d’accidents climatiques et phytopathologiques a brutalement mis en lumière les limites du système: la production vivrière marque le pas à partir de 1988, la disette redevient latente, puis la famine réapparaît, en particulier dans le Sud en 1989.
La chute des revenus du café, après ceux de l’économie minière, est l’autre fait marquant. En 1987, la valeur des exportations diminue brutalement de 43 p. 100. À la baisse des cours mondiaux vont s’ajouter les effets de la réduction des quantités (moins de 40 000 tonnes dès 1989 et moins de 30 000 tonnes en 1993) et de la détérioration de la qualité (de 1986 à 1989, la part du café ordinaire est montée de 42 à 96 p. 100). Les petits planteurs sont fragilisés par la baisse de 20 p. 100 de leur rémunération en mars 1990; l’État, à partir de 1987, perd de l’argent sur chaque kilo exporté et se trouve brutalement confronté à un déficit de la balance commerciale qui devient supérieur au montant de l’ensemble des exportations, puis au double, au triple et au quadruple.
Ainsi, les fondements de l’économie s’écroulent les uns après les autres. Le franc rwandais (RWF) est dévalué de 40 p. 100 en novembre 1990 – première mesure de mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel –, puis de 15 p. 100 en juillet 1992. Les réserves de change fondent, et disparaissent en 1990, la dette extérieure double (452 millions de dollars en 1986, 954 en 1994), le P.I.B. par habitant diminue de 7,6 p. 100 par an de 1986 à 1990.
Le pays passe alors sous perfusion, avec une augmentation massive du volume de l’aide extérieure – 184 millions de dollars en 1987, 351 en 1991 –, dont une partie est, pour la première fois en 1989, consacrée au soutien de la balance des paiements, à l’aide alimentaire et aux secours d’urgence. Alors que le montant des exportations représentait encore 83 p. 100 du total de l’aide extérieure en 1986, en 1990, il n’était plus que de 30 p. 100. La guerre éclate dans une conjoncture gravissime et va achever de ruiner le pays.
Les données économiques de l’après-génocide sont encore rares. D’après la Banque mondiale, le Rwanda est devenu le pays le plus pauvre du monde (le P.N.B. par habitant est de 80 dollars en 1995 au lieu de 210 dollars au début des années 1990). En 1995, les exportations n’ont couvert que 15 p. 100 des importations. Le franc rwandais, monnaie flottante depuis mars 1995, a été dévalué de fait de 85 p. 100 par rapport au dollar; quatre mois après, il avait encore perdu 40 p. 100 de sa valeur et, aujourd’hui, le taux de dépréciation annuelle est de l’ordre de 50 p. 100. Le nouveau régime, malgré des options économiques libérales, a maintenu l’essentiel de la mainmise de l’État sur la filière café et a décidé, en juin 1995, de tripler le montant versé aux planteurs (300 RWF). La production de 1996, stimulée par un programme d’aide européen, serait remontée à 21 000 tonnes. Un tiers des entreprises industrielles avaient été remises en marche en 1995, deux tiers un an plus tard; la plupart des usines à thé ont été dévastées et l’effort de réhabilitation porte d’abord sur les quatre les moins endommagées (sur dix). Quant à la paysannerie, elle doit faire face à de nouveaux défis: déstructuration et recomposition de familles décimées et éclatées, nouvelles tensions foncières engendrées par l’ampleur des mouvements migratoires récents, remise en culture de terres, qui ont été parfois abandonnées voire minées, restructuration d’un gros élevage mis à mal par la guerre et fragilisé par l’arrivée, dans le Nord-Est, de centaines de milliers d’animaux à l’état sanitaire médiocre.
Plus que jamais la reconstruction de l’économie rwandaise implique à la fois la mise en œuvre d’une nouvelle dynamique sociale à l’intérieur du pays, la recomposition des solidarités à l’échelon de l’Afrique des Grands Lacs et une aide internationale appropriée.
● rwanda ou ruanda nom masculin Langue bantoue parlée par plus de 5 millions de locuteurs au Rwanda, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), en Ouganda et au Burundi.
Rwanda ou Ruanda
(Republika y'u Rwanda, République rwandaise) état d'Afrique centrale. V. carte et dossier, p. 1490.
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Rwanda
population établie dans l'est de la rép. dém. du Congo (env. 4 500 000 personnes) et en Ouganda (env. 1 000 000 personnes). Ils parlent une langue bantoue, le rwanda ou kinyarwanda, langue nationale du Rwanda, parlée aussi en Ouganda.
Encyclopédie Universelle. 2012.