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BABYLONE
BABYLONE

Babylone, qui doit à son prestige un passé légendaire et une étymologie «populaire» (Babylone, Porte du dieu), avait une réalité politique. Elle apparaît brusquement comme une grande ville, et, de 1894 à 301 environ avant J.-C., des Amorrites aux Macédoniens, des conquérants étrangers la choisissent comme capitale, y fondent des dynasties et construisent là forteresses, murailles, palais et temples, avec des dimensions toujours plus imposantes. Centre intellectuel de l’Orient, elle est, par excellence, la ville des scribes employant l’écriture cunéiforme pour des buts nobles: écrivant en sumérien ou en akkadien, ils composent ou copient des œuvres liturgiques, «scientifiques» et littéraires. Une forte valeur symbolique est liée à cette grande capitale qui, avec ses monuments, a impressionné le peuple de la Bible. Déjà, un récit de la Genèse y avait situé la tour de Babel, symbole de l’orgueil humain. Plus tard, les Prophètes annoncent que les rois de Juda, infidèles à Dieu, seront châtiés par le souverain de Babylone; mais, lorsque ce dernier a profané le Temple de Jérusalem, les porte-parole de Dieu déclarent que Babylone sera châtiée, et font d’elle la Grande Prostituée, symbole du mal (ainsi l’Apocalypse appellera Rome «Babylone la Grande»). Cessant d’être une capitale (301 env. av. J.-C.), Babylone est abandonnée par sa population au début de notre ère. Recherchée par les voyageurs du Moyen Âge et des Temps modernes, elle est fouillée à partir de 1899. Les tablettes et les monuments de la dynastie chaldéenne (626-539) – comme le palais d’Été ou la porte d’Ishtar – sont dégagés. Mais la remontée de la nappe phréatique interdit l’accès aux couches plus profondes. La Babylone de Hammourabi se dérobe encore.

1. Histoire

Les origines

Les Anciens expliquaient le nom antique de Babylone (Babilou) comme signifiant Porte du dieu (bab-ili , en akkadien). Les Modernes ne voient là qu’une étymologie populaire et rejettent toute parenté de babilou avec l’akkadien ou le sumérien; le mot appartiendrait à une langue fort ancienne, encore inconnue.

Et bien plus, une bonne partie de l’histoire de la cité nous échappe. Babylone est restée longtemps une petite ville; par ailleurs, la remontée de la nappe phréatique jusqu’aux couches du IIe millénaire nous prive d’une masse de documents locaux. Les premières mentions sûres faites de Babylone datent de la IIIe dynastie d’Our.

La Ire dynastie de Babylone (1894-1595)

La Ire dynastie de Babylone est aussi appelée la dynastie amorrite, car elle est fondée par un de ces Sémites qui parcourent la steppe pastorale de l’Amourrou (l’Ouest en langue sémitique). La basse Mésopotamie a subi, vers la fin du XXe siècle, une nouvelle invasion de ces groupes nomades, et un de leurs chefs, Sou-aboum (1894-1881), s’installe à Babylone où il prend le titre royal. Sa famille, qui régnera là pendant trois siècles, et sa tribu se laissent très vite assimiler par les citadins dont ils adoptent la vie sédentaire, le parler sémitique (le babylonien, variante locale de l’akkadien) et les cultes.

La nouvelle «ville de royauté» rivalise bientôt avec celles d’Isin et de Larsa (en Sumer), qui prétendaient prolonger l’empire des rois d’Our, disparu depuis 2002. Mais la basse Mésopotamie, partagée entre trois royaumes et une douzaine de principautés, connaît longtemps des luttes mesquines, au cours desquelles la suzeraineté passe rapidement d’un État à l’autre. Les premiers rois de Babylone se distinguent par de nombreux travaux, fortifications, canaux, temples (connus seulement par les inscriptions); c’est le signe de l’enrichissement de leur cité, qui exploite un riche terroir et dont les notables pratiquent le prêt et le grand commerce. Puis des royaumes étrangers à la région, Eshnounna, Assour, Mari, l’Élam, tentent d’imposer leur suzeraineté en basse Mésopotamie; Babylone est un moment vassale de Shamshi-Adad Ier (1813 env.-1783), qui possède déjà, d’Assour à Mari, toute la haute Mésopotamie, mais la situation est complètement renversée au cours du règne du Babylonien Hammourabi.

L’abondance des textes administratifs datés de son règne et retrouvés à Sippar, Nippour, Larsa, ainsi que le caractère unique du Code qui porte son nom ont entraîné les historiens à exagérer les talents et les réalisations de ce roi, qui a surtout eu le mérite de savoir attendre son heure. Il écrase alors ses adversaires épuisés par des guerres incohérentes, annexe toute une série de «villes de royauté» (Larsa, 1763; Mari, 1759; Eshnounna, 1755) et aide Ishmé-Dagan Ier, héritier de Shamshi-Adad Ier, à récupérer sa cité d’Assour, occupée par les Soubaréens (princes du nord-est de la Mésopotamie). Hammourabi se retrouve maître d’un empire qui comprend toute la basse Mésopotamie et une partie de la haute Mésopotamie; mais, sur ce territoire plus petit que celui où régnait la IIIe dynastie d’Our, il ne reste plus de dynastie locale, et les villes sont administrées par des fidèles du roi, qui les surveille étroitement. C’est là d’ailleurs une construction éphémère, terminée seulement à la fin du règne de Hammourabi et qui ne survit pas à son fondateur.

En effet, si Babylone est maintenant la première ville du Proche-Orient par son activité, sa richesse et sans doute déjà par son activité intellectuelle, les autres cités de basse Mésopotamie, qui se souviennent de leur passé glorieux, n’ont pas renoncé à recouvrer leur indépendance. Samsou-ilouna (1749-1712), fils et successeur de Hammourabi, doit faire face aux révoltes des villes et des tribus, et, finalement, une partie de Sumer lui échappe et reconnaît une dynastie dite du Pays de la Mer (la région d’accès difficile, aux bouches de l’Euphrate et du Tigre), qui durera plus longtemps (1735 env.-1530) que celle des Amorrites. En outre, l’héritier du grand roi a, dès 1740, subi le choc des Kassites (un peuple à moitié barbare sorti du Zagros central); ces envahisseurs n’ont pu atteindre la basse Mésopotamie, mais une partie s’est installée, sous une dynastie nationale fondée en 1735, au voisinage de la Babylonie, peut-être dans la région de Hana, sur l’Euphrate moyen. Les derniers successeurs de Hammourabi règnent sur un territoire réduit, mais sans difficultés supplémentaires jusqu’à l’attaque du roi hittite Mourshilish Ier, qui prend et pille Babylone et met fin à la dynastie amorrite dont le dernier représentant doit avoir péri lors de sa défaite (1595).

La dynastie kassite à Babylone (1595 env.-1153)

Tandis que l’armée hittite se retire avec son butin dans la lointaine Anatolie, le roi du Pays de la Mer accapare une partie du domaine babylonien, mais la capitale est occupée presque aussitôt, semble-t-il, par les Kassites. On sait que la dynastie de ce peuple dure cinq cent soixante-seize ans (chiffre conventionnel), de sa fondation (1735 env.), en un lieu encore inconnu, à sa ruine par l’Élam (1150 env.), mais l’histoire de ses rois nous échappe presque complètement jusqu’au XIVe siècle. Agoum II ramène en 1571 dans leurs temples de Babylone les statues de Mardouk, le dieu de la ville, et de son épouse divine Tsarpanitoum, enlevées par les Hittites; ses titres, «roi du vaste pays de Babylone, du pays des Kassites» et d’un certain nombre de peuples du Zagros central, indiquent un empire basé à la fois sur la montagne et sur la plaine. Vers 1530, le royaume kassite annexe le Pays de la Mer, dont la dynastie s’est éteinte. On peut dès lors donner à la basse Mésopotamie le nom de Babylonie, car aucune cité de Sumer (le Sud) ou d’Akkad (le Nord) ne viendra plus rompre l’unité de ce pays en contestant la prédominance de la capitale.

Ayant définitivement éclipsé les vieux centres de la culture sumérienne, la capitale les remplace à la tête du mouvement intellectuel mésopotamien, plus dynamique que jamais; son influence s’étend à la majeure partie du Proche-Orient et surtout à l’Assyrie dont les scribes se mettent à l’école de leurs voisins du Sud. Les lettrés de Babylone constituent peu à peu les grandes collections de textes religieux, littéraires, divinatoires et scientifiques (lexiques, problèmes d’arithmétique, recettes médicales et pharmaceutiques); ils traduisent les œuvres sumériennes, d’interprétation difficile, en babylonien. D’autres scribes continuent à tenir la comptabilité du palais et des temples et à rédiger les innombrables contrats des milieux d’affaires.

La faiblesse du pouvoir royal à cette époque nous est révélée par les textes des koudourrou (stèles qui, suivant un usage traditionnel en Mésopotamie, placent sous la protection des dieux les donations de terre et les immunités accordées par les souverains). En outre, les relations accrues avec les grands États du Proche-Orient amènent les scribes, qui sont chargés également de la correspondance avec les cours étrangères, à faire désormais œuvre d’historiens en rédigeant des chroniques qui manifestent une impartialité inconnue dans les autres pays; peut-être est-ce là l’indice de l’indifférence éprouvée par le personnel des temples des grands dieux à l’égard de ce pouvoir éphémère qu’est la royauté humaine. À partir des Lettres d’Amarna (archives diplomatiques égyptiennes de la première moitié du XIVe siècle retrouvées sur ce site qui fut celui du palais d’Akhenaton), on voit se développer l’hostilité des rois de Babylone à l’égard de l’Assyrie qui, disent-ils, avait été leur vassale et tend à devenir une puissance. La dynastie kassite, qui doit un moment accepter la protection de l’Assyrien Assour-ouballith Ier (1365-1330), se ressaisit, et Kourigalzou II (1346-env. 1325) conquiert l’Élam; mais ce pays, se réunifiant à la fin du XIVe siècle, échappe à la domination babylonienne. C’est le début d’un conflit chronique qui oppose les trois royaumes (Assour, Babylone, Élam) et qui est particulièrement acharné entre l’Assyrie et la Babylonie. Longtemps, ces deux États se disputent le pays à l’est du Tigre qui permet de contrôler les caravanes venant d’Iran. Puis l’équilibre est rompu avec l’Assyrien Toukoulti-Ninourta Ier (1245-1208) qui bat et fait prisonnier le Kassite Kashtiliash IV et se proclame roi de Sumer et d’Akkad, roi de Babylone, roi de Kardouniash (nouveau nom de la Babylonie). Mais la domination assyrienne provoque un soulèvement de l’aristocratie locale, qui rétablit la dynastie kassite en la personne d’Adad-shouma-outsour (1217-1187). Celui-ci chasse définitivement les envahisseurs (1203) et, profitant de l’anarchie qui sévit en Assyrie, la vassalise un moment. Un roi assyrien qui avait attaqué Adad-shouma-outsour est vaincu par le Babylonien et livré au vainqueur par les Grands de l’Assyrie (1193). Mais c’est l’attaque de l’Assyrien Assourdan Ier (1156) qui affaiblit la dynastie kassite au point de la laisser sans défense devant les Élamites venus piller les riches cités de Mésopotamie. L’avant-dernier roi kassite est emmené captif en Élam (1153), ainsi que les grands de son peuple et les ex-voto des temples babyloniens que les archéologues français retrouveront à Suse au début du XXe siècle.

L’épopée de Mardouk et de Nabuchodonosor Ier (XIIe s.)

Un certain nombre de Kassites sont restés en basse Mésopotamie, et ils joueront encore un rôle important dans la société et l’armée babyloniennes. Mais, après 1153, la royauté passe à des rois de langue sémitique. C’est d’abord la dynastie d’Isin (en Sumer), qui a pris la tête d’un soulèvement national contre les Élamites qui tentaient de se maintenir dans leur conquête. Après son installation à Babylone, elle reprend la politique traditionnelle en essayant de vassaliser le royaume assyrien et parvient à se faire restituer (1134) les statues de Mardouk et de Tsarpanitoum enlevées par Toukoulti-Ninourta Ier en 1203. Mais à peine ces idoles ont-elles réintégré leurs sanctuaires qu’elles sont enlevées par un nouveau raid des Élamites (1129). Nabuchodonosor Ier (1124-1103), troisième roi de la dynastie d’Isin, est un grand guerrier: il fait campagne dans le Zagros central et en Assyrie, dont il assiège même la capitale; surtout, il met en déroute le roi d’Élam et, après avoir pillé le pays vaincu, il ramène à Babylone les statues du couple divin.

Cette revanche éclatante – l’Élam tombe alors dans une anarchie qui durera quatre siècles – vaut au vainqueur une réputation de héros. Les scribes exaltent également Mardouk qui, après ce retour triomphal, achève d’éclipser les divinités protectrices des autres cités de basse Mésopotamie et de mériter le surnom de Bêl (Seigneur, en babylonien). Désormais, à chaque changement de règne, le roi va «saisir la main de Bêl» en un geste symbolique qui lui confère le pouvoir. C’est alors, semble-t-il, que le clergé de la capitale donne sa forme définitive au rituel de la grande fête du Nouvel An, qui se déroule à l’équinoxe de printemps. Durant les sept premiers jours, la population se lamente sur le sort de Mardouk qui est mort et séjourne sous terre; son retour est préparé par les prêtres qui purifient les temples, récitent et miment l’Enouma élish (en babylonien, «Lorsqu’en haut», premiers mots du poème qui exalte les hauts faits de Mardouk, vainqueur des puissances maléfiques et organisateur du Cosmos). De façon symbolique, le grand prêtre humilie le roi et le contraint à faire pénitence, puis lui rend les insignes de la royauté dont il s’était dépouillé. Le huitième jour, Mardouk reparaît, et les dieux des cités de Babylonie, dont les idoles ont été rassemblées dans la capitale, lui confèrent le pouvoir suprême. Il part alors pour la «maison de campagne» de la Fête, située un peu à l’extérieur de la cité. Le onzième jour, il en revient en une procession triomphale et on va célébrer son union avec Tsarpanitoum; alors, les dieux proclament des destins favorables à Babylone pour une nouvelle année.

La poussée des Araméens, le déclin de la monarchie (XIe-VIIIe s.)

Comme les autres pays civilisés de l’Asie occidentale, la Babylonie subit des attaques des Araméens, pasteurs nomades sortis du désert de Syrie, qui pillent les campagnes et attaquent les caravanes, échappant aux armées régulières.

Le prestige royal s’en ressent: le trône de Babylone est fréquemment usurpé, les dynasties ne durent guère. Incapables de défendre leurs cités, les souverains doivent leur concéder une large autonomie sous la direction des clergés locaux. Les citadins riches achètent la protection des Araméens en leur abandonnant une partie de leurs terres. Les tribus qui commencent à se fixer forment à l’intérieur de l’État babylonien autant de petits royaumes dont les chefs, donnant l’exemple à leurs guerriers, tendent à adopter la civilisation des citadins. Mais, sur le pourtour de la basse Mésopotamie et spécialement au Pays de la Mer – le traditionnel refuge des insoumis –, l’esprit guerrier est maintenu par l’arrivée continuelle de nombreux nomades, parmi lesquels on remarque, à partir du VIIIe siècle, une foule d’Arabes.

L’appui de ces auxiliaires incite les rois de Babylone à reprendre la guerre traditionnelle contre l’Assyrie, au moment où cette dernière, en plein relèvement, entreprend de refouler les Araméens qui l’ont si longtemps harcelée. L’Assyrien Adad-nirari II (911-891), attaqué par les Babyloniens, vainc successivement deux de leurs rois; il a la sagesse de se réconcilier avec le second et peut ainsi inaugurer ce protectorat que la cour assyrienne exercera pendant près de deux siècles sur l’État du Sud. Cette modération, inhabituelle chez les cruels Assyriens, s’explique par le prestige que possèdent à leurs yeux les dieux, les prêtres et les scribes des cités babyloniennes: c’est l’époque où l’Assyrie adopte le culte de Mardouk et de Nabou (dieu de l’Écriture et protecteur de la ville de Barsippa, au sud de Babylone). Les rois d’Assyrie prennent donc l’habitude d’aller périodiquement châtier quelque tribu araméenne pour le compte de leurs vassaux babyloniens, et de terminer leur expédition par un pèlerinage aux villes saintes de basse Mésopotamie.

Prompts à invoquer le secours des Assyriens contre un prétendant ou contre un groupe de nomades particulièrement exigeants, les rois de Babylone n’en tentent pas moins de secouer ce joug incommode. Ainsi, en 878, l’un d’eux essaie de secourir les Araméens du moyen Euphrate attaqués par l’Assyrien Assour-natsir-apli II; ce dernier, vainqueur, déclare avoir frappé de terreur le pays de Kaldou. C’est la première mention des Chaldéens, cette grande fédération de tribus araméennes, qui sont déjà au service du roi de Babylone. Les hommes sortis de la steppe forment bientôt la majorité de la population de la basse Mésopotamie qui dans son ensemble parle maintenant l’araméen, et, au VIIIe siècle, les rois de Babylone sont d’origine chaldéenne, mais leur domination, acceptée par les citadins, n’est pas plus solide que celle de leurs prédécesseurs.

Les rois assyriens à Babylone (729-626)

Les souverains de l’Assyrie ne peuvent supporter indéfiniment les attaques des Araméens de basse Mésopotamie contre leur propre royaume. Pour mettre fin à cette anarchie dangereuse et peut-être pour devancer une intervention de l’Élam qui vient de se réunifier, Toukoulti-apil-esharra III détrône le roi de Babylone et se fait proclamer souverain dans cette ville sous le nom de règne de Poulou (729), indiquant par là que la Babylonie n’est pas annexée à l’Assyrie. Mais, tout comme les turbulents Araméens, les citadins du royaume du Sud, mus par un véritable esprit national, refuseront la domination des rois assyriens, qui se vengeront cruellement des révoltes incessantes de leurs nouveaux sujets.

Si Shoulman-asharédou V (726-722) succède à son père, à Babylone, sous le nom d’Ouloulaï, lors du changement de règne, le trône babylonien est saisi par le Chaldéen Mardouk-apal-iddin II (le Mérodach-Baladan de la Bible), roi du Pays de la Mer, qui est protégé par les Élamites. Mais l’Assyrien Sargon II (721-705), ayant assuré sa domination sur le reste de l’Asie occidentale, s’empare de Babylone, où il néglige de prendre un nom de règne particulier. À l’avènement de son fils, Sin-ahé-ériba (704-681), en Assyrie, le désordre s’installe à Babylone. Pendant plusieurs années, l’Assyrien tente de régner à Babylone par personne interposée (un Babylonien, puis son propre fils), mais la Babylonie est sans cesse soulevée par des prétendants chaldéens appuyés par l’Élam. Rentré une nouvelle fois en vainqueur dans la capitale (689), Sin-ahé-ériba la fait détruire, et l’eau de l’Euphrate passe sur les ruines de ses temples.

L’assassinat du conquérant par deux de ses fils est attribué à la vengeance divine; aussi le nouveau roi d’Assyrie, Assour-ah-iddin (680-669), adopte-t-il une politique de conciliation. Il fait reconstruire les temples de Babylone et constitue un petit royaume de Babylone pour son fils aîné, Shamash-shoum-oukin, qui restera vassal cadet de son cadet, Assourbanipal (669-630 env.). Mais le nouveau roi de Babylone ne peut supporter longtemps cette position subordonnée et se révolte contre son frère (652); vaincu, il périt dans l’incendie de son palais (648), et Assourbanipal le remplace par un vassal babylonien, Kandalanou (648-627).

La dynastie chaldéenne (627-539), les splendeurs de Babylone

Après la mort de Kandalanou, le trône de Babylone est saisi par le Chaldéen Nabou-apla-outsour (626-605), qui fonde une dynastie. Après avoir éliminé les garnisons assyriennes, il part à l’attaque de l’Assyrie qui est finalement détruite avec l’aide du roi mède Cyaxare: malgré l’intervention tardive de l’Égypte en faveur des Assyriens, Assour tombe en 614 et Ninive en 612. Le pharaon Néchao est battu à Kargamish (605), sur l’Euphrate, et contraint d’évacuer la Syrie par le Babylonien Nabuchodonosor II (604-562), qui succède bientôt à son père. Le nouveau roi, qui ne parvient pas à conquérir l’Égypte, détruit le royaume de Juda (587) et oblige Tyr bloquée (585-572) à capituler. Sa domination sur l’ensemble du couloir syrien et le nord de l’Arabie lui permet de contrôler le grand commerce qui fait de nouveau la fortune des villes de basse Mésopotamie et surtout de Babylone.

Pendant que les scribes continuent à recopier les textes sacrés et à perfectionner l’observation astronomique pour les besoins de l’astrologie, leur souverain consacre ses revenus et une bonne part de ses activités aux travaux commencés par son père. Contre la menace des Iraniens, l’isthme entre l’Euphrate et le Tigre, à 40 kilomètres au nord de Babylone, est barré par un canal et une muraille («mur des Mèdes»). Séparées par l’Euphrate et reliées par un pont de 115 mètres, les deux moitiés de Babylone, la ville neuve à l’ouest, la vieille ville à l’est, sont entourées d’une double muraille (dont les murs ont respectivement 6,50 m et 3,75 m d’épaisseur), complétée par des canaux. À l’est de l’Euphrate, une enceinte plus longue englobe le palais d’Été. Les fouilleurs, opérant sur des bâtiments maintes fois pillés et rongés par les intempéries, ont reconnu outre ces fortifications quelques-uns seulement des monuments de la vieille ville, mais c’était assez pour démontrer le caractère fantaisiste de la description d’Hérodote. Au nord-ouest, une acropole portait la citadelle et le trésor et dominait le palais royal (322 m 憐 190 m), dont une petite partie semble avoir constitué les «jardins suspendus». Au cœur de la cité s’élevaient le temple de Mardouk (85 m 憐 80 m), l’E.SAG. IL («Maison à tête haute», en sumérien) et sa ziggourat (91 m à la base et autant de haut), l’E.TEMEN. AN.KI («Maison fondement du ciel et de la terre»), qui est peut-être la tour de Babel. Une voie processionnelle, dallée et bordée de murs à reliefs de brique émaillée, conduisait l’idole de Mardouk de la Maison de la fête (un peu au nord de la vieille ville) jusqu’à l’E. SAG. IL en passant par la porte d’Ishtar (conservée jusqu’à 12 m de hauteur). Les artistes du temps ne représentaient plus les dieux que par leurs symboles: aussi la Porte et la Voie sacrée sont-elles ornées de frises figurant le dragon de Mardouk, le lion d’Ishtar et le taureau d’Adad (le dieu de l’Orage).

Les dominations étrangères, le déclin de Babylone (VIe s. av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.)

Plus guerrier qu’on ne le pense généralement, le royaume néo-babylonien tient tête aux États voisins et défend les merveilles de ses cités restaurées. Mais Nabuchodonosor n’a que des successeurs médiocres; le seul qui se maintienne quelque temps sur le trône, Nabou-naïd (556-539), suscite par ses bizarreries une solide impopularité et doit passer huit ans loin de sa capitale dans l’oasis arabe de Teima (actuellement Taima’, au nord de Médine). Son domaine est peu à peu rongé par le Perse Cyrus (555 env.-530), qui s’est d’abord emparé de l’empire mède. En 539, une dernière campagne des Perses amène leur souverain dans Babylone: le conquérant se proclame roi de Babylone et honore les dieux de basse Mésopotamie; ses successeurs, qui ont souvent leur résidence d’hiver dans la grande ville de l’Euphrate, entretiennent ses palais, Artaxerxès III y fait construire un Apadana (343 env.), et d’innombrables tablettes attestent la prospérité de Babylone à cette époque. Mais l’esprit national y est encore très fort: en 522-521, profitant de la crise de succession qui vient d’éclater chez les Perses, les Babyloniens proclament rois successivement deux aventuriers qui se prétendent fils de Nabonide et qui sont pris et mis à mort par Darius Ier. Vers 477, une révolte analogue réprimée par Xerxès Ier amène le roi des Perses à supprimer de sa titulature toute référence au royaume de Babylone.

Alexandre le Grand, qui s’était emparé de la grande ville en 331, décide d’y installer la capitale de son empire et y meurt en 323. La satrapie de Babylonie, attribuée en 321 au Macédonien Séleucos, est le point de départ du grand royaume asiatique (dit de Syrie) fondé par cet officier d’Alexandre. Séleucos, chassé de la région en 316 par Antigonos le Borgne, reprend pied dans la région avec l’appui des indigènes qui ont gardé un bon souvenir de son administration et qui situent à son retour (312-311) le début de l’ère séleucide qui sera utilisée pendant plus de quatre siècles. C’est pourtant Séleucos qui amorce le déclin de Babylone en fondant, à proximité, une ville nouvelle, Séleucie du Tigre, qui est peuplée de Babyloniens déplacés de force et qui devient la capitale des régions orientales du royaume séleucide. Les rois de Syrie ne se désintéressent pourtant pas de Babylone, et l’un d’eux, Antiochos IV (175-164), en fait une polis (ville autonome à la façon des cités grecques). Une élite indigène, qui a reçu les privilèges de la citoyenneté, se mêle aux colons grecs de Babylone et fréquente comme eux le gymnase et le théâtre de la ville.

Puis les Parthes, qui ont fondé un grand royaume en Iran, entament la conquête de la Mésopotamie (141), et l’ensemble de cette région est entre leurs mains après la défaite du Séleucide Antiochos VII (129). Sous la domination des nouveaux venus, les textes économiques se raréfient, manifestant l’aggravation du déclin de la cité sur ce plan, mais les scribes de Babylone copient encore assez souvent des textes religieux en babylonien et en sumérien. En 27 après J.-C., le culte de Bêl est encore attesté, mais le géographe Strabon, qui a visité le site un peu avant, l’a déjà trouvé désert. Le sable et la poussière de brique s’accumulent sur les ruines de la ville qui avait conservé, fait fructifier et diffuser l’héritage culturel de Sumer, qui avait perfectionné la divination et l’astrologie que les Chaldéens devaient répandre dans le monde méditerranéen à la fin du Ier millénaire avant J.-C. Alors commence pour Babylone la désolation annoncée par les prophètes juifs qui ne voulaient connaître de la grande ville que les massacres et les déportations de l’époque de Nabuchodonosor.

2. Civilisation

Le roi et les institutions publiques

Dès sa première dynastie, la Babylonie est une grande monarchie centralisée qui a profité des expériences unificatrices des royaumes sumériens et akkadiens. Le prince, «roi de la totalité», prétend à une domination universelle. Vicaire du dieu national, Mardouk, il est à la fois législateur, juge suprême, administrateur et chef militaire. Dans son Code (1694 env. avant J.-C.), Hammourabi transmet à ses sujets des lois inspirées par les dieux, mais couvertes de son autorité temporelle. On possède des édits émanant du premier (Samsou-ilouna) et du quatrième (Ammi-tsadouqa) successeur de ce roi, et quelques débris d’une loi néo-babylonienne. La juridiction même s’est laïcisée: les juges de Hammourabi sont des officiers civils et le roi rend la justice, non plus en qualité de grand-prêtre, mais de magistrat souverain. L’administration du royaume est dirigée par le Palais, sous le contrôle d’un Premier ministre. Des inspecteurs parcourent le pays pour transmettre les ordres du roi et veiller à leur exécution. Les lettres royales révèlent la multiplicité de ses tâches: comme juge, le roi prescrit des enquêtes sur les plaintes des particuliers, notamment contre les abus des fonctionnaires; comme administrateur, il veille aux travaux publics (curage des canaux par les riverains, entretien des temples), à la collecte de l’impôt et même à l’unification du comput du temps (auparavant chaque cité décidait si l’année en cours compterait douze ou treize mois); il prescrit le mode de gestion de son domaine, pour partie exploité en régie, pour partie affermé à des particuliers ou concédé en bénéfice à des fonctionnaires. Les rois kassites et surtout les monarques de l’empire néo-babylonien reprennent les grandes lignes de cette organisation. Cette dernière période connaît une nouvelle accentuation de la laïcisation du pouvoir: la classe sacerdotale entre en conflit avec la monarchie et contribue à l’abattre avec l’aide de l’étranger.

Tout au long de l’histoire babylonienne, l’accession au trône se fait en principe par dévolution héréditaire. Mais les prêtres et l’aristocratie militaire livrent parfois le pouvoir à des usurpateurs: tel roi kassite, Nazibougash, et le fondateur de la dynastie néo-babylonienne, Nabopolassar, se disent ouvertement «fils de personne». Nabonide, dernier roi de Babylone, est un Araméen qui a gagné sa légitimité par de riches donations aux temples.

La structure sociale

La fusion des ethnies sumérienne et sémitique, juste avant le XIXe siècle, marque la naissance de la Babylonie. Le sumérien, devenu langue savante, est supplanté par l’akkadien, et c’est dans cet idiome, désormais seul officiel, que Hammourabi entend parachever, au moyen de son Code, l’unification du droit: il semble avoir tenu compte, notamment en matière de mariage, de la coexistence de deux traditions.

La société babylonienne se compose en majorité d’hommes libres. La classe supérieure est celle des citoyens (awilouti ), stratifiée, suivant la fortune et la fonction, depuis la famille du prince jusqu’aux simples paysans en passant par les hauts fonctionnaires, les prêtres, les propriétaires fonciers, artisans et commerçants. La distinction entre ces catégories trouve des applications en droit pénal: ainsi, la violence légère commise envers un membre du même échelon social est frappée d’une peine pécuniaire, une mine d’argent, tandis que le même délit perpétré sur une personne de la classe supérieure entraîne un châtiment corporel, soixante coups de nerf de bœuf. Les «mesquins» sont encore des hommes libres, mais ils constituent une classe inférieure: la compensation qui leur est due à l’occasion de certains délits est inférieure à celle que reçoit l’awilou , mais supérieure à celle qu’obtient le maître d’un esclave. La lumière n’est pas faite sur l’origine de cette condition. Les mesquins ne correspondent pas à la population indigène soumise par les Sémites, puisqu’ils existaient déjà dans les principautés sumériennes et akkadiennes. L’opinion la plus répandue voit en eux des individus vivant, en dehors des communautés villageoises, sur des terres qui leur ont été concédées par le Palais et qu’ils ne peuvent abandonner. À l’époque néo-babylonienne, cette condition n’a pas disparu, elle a tout simplement changé de nom (shoushane ).

L’esclavage est connu en Babylonie comme il l’avait été en Sumer et en Akkad. Son origine historique se trouve dans la captivité de guerre: l’idéogramme désignant l’esclave (ardou ) signifie «l’étranger». Des causes secondaires et accessoires de la servitude sont la vente d’enfants par des familles pauvres, l’asservissement pour dette ou à titre de peine et la naissance de parents esclaves. La condition servile est, à bien des égards, supérieure à celle qu’on observe dans les mondes grec et romain. L’esclave oriental est certes une chose que le maître engage et aliène librement, en principe: il porte une marque (tatouage, front rasé, tablette pendue à son cou) et la loi protège le droit de propriété du maître sur l’esclave. En revanche, l’absence d’esprit systématique chez les Babyloniens a fait que l’esclave a pu acquérir des biens, passer des contrats et se marier, parfois même avec des personnes libres; les enfants issus de ces unions mixtes naissent libres ou le deviennent. Le maître ne peut aliéner les fils qu’il a eus de son esclave, ni leur mère; il peut les légitimer et, même s’il ne le fait pas, ils sont affranchis, ainsi que leur mère, à la mort du père. Toutes ces dispositions révèlent le souci de ne pas disperser la famille servile. Les esclaves «publics», serviteurs du palais ou du temple, jouissent d’une condition encore plus favorable. Les causes et les modes d’affranchissement sont nombreux.

L’économie

Le développement de l’agriculture, principale ressource de l’économie babylonienne, dépend d’une bonne irrigation, d’autant plus nécessaire que le climat est sec et la salinité du sol, en basse Mésopotamie du moins, très élevée. L’orge vient en tête dans la culture céréalière, le sésame est important pour la fabrication de l’huile, le dattier joue un rôle primordial en raison de la multiplicité de ses produits et sous-produits... On élève ovidés et bovidés, l’âne a toujours été connu, mais l’emploi du cheval n’est répandu qu’à partir des Kassites. Les structures agraires sont diverses: à côté des grands domaines du palais et des temples, des collectivités villageoises sont attestées à toutes les périodes, mais la propriété individuelle l’emporte à l’époque hammourabienne. La rareté des matières premières importantes (bois de construction, pierre, métaux) gêne l’essor de l’artisanat qui dispose, en fait de matériaux locaux, d’argile, de roseaux, de peaux, de laine et de lin. Ces besoins ont créé un intense trafic commercial qui se déploie par voie de terre et par voie fluviale. Il développe l’usage de l’argent pesé comme étalon des valeurs, l’apparition des opérations de crédit et l’influence du grand négociant (tamkarou ). L’activité commerciale est telle que le Code de Hammourabi est le premier à accorder une place notable au droit des obligations, le premier à pouvoir être qualifié de «code d’une société de marchands». Les rois babyloniens ont continué, en matière économique, la politique dirigiste de leurs prédécesseurs, comme en témoignent les mercuriales de prix, les tarifications de salaires, les limitations du taux d’intérêt, qui abondent dans les lois. Mais leurs efforts n’ont pas obtenu le succès espéré; les actes de la pratique révèlent des prix et des intérêts supérieurs, des salaires inférieurs aux tarifs légaux.

La famille et le droit privé

La famille babylonienne est fondée sur un mariage qui n’est pas rigoureusement monogamique. En principe, l’homme n’a qu’une épouse en titre, procréatrice de fils qui assureront le culte des ancêtres et continueront l’exploitation du domaine familial. Néanmoins, non seulement les rapports sexuels du maître avec les concubines esclaves sont licites, mais encore les enfants issus de ces relations sont soit légitimés, soit affranchis. Une atténuation, moins importante, du principe monogamique consiste dans la possibilité donnée à l’homme qui a contracté un mariage «blanc» avec une naditou (prêtresse vouée à la chasteté) d’avoir une épouse «secondaire», mais authentique, dans la personne d’une shoughetou (sœur converse). Le mariage est constitué par un acte solennel qui fut d’abord le versement d’une terhatou au futur beau-père: l’opinion qui y voyait un achat de la femme ou de la puissance sur une femme est aujourd’hui, à juste titre, presque unanimement rejetée. À partir de Hammourabi au moins, un acte écrit est nécessaire à la réalisation du mariage, mais l’usage de la terhatou s’est perpétué, assumant dans une certaine mesure le caractère d’une arrhe pénitentielle que le fiancé perd s’il se dédit, et que le beau-père restitue au double si la rupture lui est imputable. Assez souvent, le père de la mariée transmet à sa fille tout ou partie de la terhatou : celle-ci devient alors un complément de la dot (sheriktou ) qui lui est donnée en avancement d’hoirie. Si le mari ne constitue pas de douaire à l’épouse, celle-ci reçoit à la mort de l’époux une part d’enfant.

La répudiation, décidée librement par le mari, entraîne la restitution de la dot et le versement d’une indemnité ou l’entretien de la femme sous le toit conjugal. Si le mari invoque des griefs contre sa femme, il la répudie sans indemnité ou la réduit au rang d’esclave dans sa propre maison. En revanche, la séparation demandée par la femme n’est accordée que pour des torts graves du mari, et la femme qui échoue dans cette procédure encourt la peine capitale. La femme de l’absent, dénuée de ressources, peut se remarier, mais la seconde union est dissoute si le premier époux reparaît; les enfants suivent leurs pères respectifs; si l’absence du mari est délictueuse (fuite à l’étranger), le mariage est définitivement dissous.

Le chef de famille peut engager pour ses dettes sa femme et ses enfants, mais leur libération intervient de plein droit au bout de trois ans. Il ne semble pas avoir droit de vie et de mort sur sa progéniture: c’est la loi qui châtie par la mutilation de la main le fils qui a frappé son père; pour des fautes assez graves et répétées, il peut être chassé et exhérédé, mais sous le contrôle de la justice. Le mineur a une capacité réduite: comme l’esclave, il ne peut vendre ou déposer un bien appartenant au chef de famille, sans un écrit et des témoins, forme qui implique l’autorisation du père. La femme, même mariée, ne paraît pas dépourvue de toute capacité juridique, mais celles qui apparaissent le plus souvent dans les contrats sont peut-être des femmes indépendantes, veuves ou prêtresses.

L’adoption comporte des fins très diverses, la principale demeurant celle de procurer un héritier à l’adoptant. La survenance d’enfant peut la faire révoquer, mais l’enfant adopté garde un droit successoral réduit. L’adoption sert également à opérer un contrat d’apprentissage, à procurer une future bru que l’adoptant unira à tel de ses descendants qu’il lui plaira de désigner – pratique qui équivaut à une sorte de lévirat contractuel et prénuptial – à affranchir un esclave, à légitimer un enfant, à constituer une rente viagère, enfin, à tourner, à basse époque surtout, la règle de l’inaliénabilité des fiefs.

L’égalité est assurée entre les héritiers: le fils pour qui le père a versé une terhatou doit la rapporter à la succession. Seule trace d’un droit de primogéniture primitif, l’aîné ou le «fils préféré» choisit sa part le premier. Les filles sont exclues ou, si l’on préfère, elles ont reçu, en avancement d’hoirie, la dot qui accompagne leur mariage ou leur entrée en religion. La prêtresse à qui le père n’a pas laissé la libre disposition de sa dot, reçoit l’usufruit viager d’une part d’enfant. La veuve ne se remarie librement que si elle n’a pas la charge d’enfants mineurs; sinon, le remariage doit être autorisé par les juges, et la loi protège les biens des enfants du premier lit en prescrivant l’inventaire.

Le droit pénal

Le droit pénal porte l’empreinte des inégalités sociales: la condition de la victime retentit sur la rigueur de la peine, même parmi les hommes libres; si la victime est un esclave, le délit est regardè comme une atteinte au patrimoine du maître. On note un effort pour dégager l’intention délictueuse: la blessure involontaire n’entraîne qu’une obligation de réparer, le maître d’un bœuf agressif n’est pas responsable si le vice de l’animal avait été notifié; la contrainte devient une cause d’irresponsabilité. Le stade de la vengeance privée est dépassé, la répression est assurée presque toujours par juridiction publique. La mort est comminée près de quarante fois dans le Code de Hammourabi pour crimes contre l’État, attentats à la vie, délits sexuels et atteintes graves à la propriété. La mutilation et les autres peines corporelles ont le plus souvent un caractère talionique (par exemple, par ablation des seins de la nourrice qui a provoqué par sa faute la mort du nourrisson); la peine peut, en conséquence, être exécutée sur la personne d’un sujet du coupable: ainsi l’agresseur d’une femme enceinte est puni de la mort de sa propre fille; l’entrepreneur responsable, par la ruine de l’édifice qu’il a mal construit, du trépas du fils du propriétaire est puni par la mort de son propre fils. On s’est étonné de constater que le Code ait, par rapport aux législations antérieures, développé la peine talionique au détriment de la compensation pécuniaire, mais cette évolution n’est pas régressive. La plupart des délits perpétrés sur la personne des citoyens sont, à juste titre, punis d’une peine corporelle, moins éloignée de la peine afflictive moderne qu’un droit, monnayable, à exercer la vengeance privée. L’intention intimidatrice du législateur est tellement évidente qu’on s’est demandé si le droit pénal était appliqué dans la pratique avec toute sa rigueur. La compensation pécuniaire prévaut pour les autres cas, lésion corporelle d’un esclave, dommages aux biens.

La procédure pénale use dans toute la mesure du possible de la preuve rationnelle par témoins. Lorsque cette preuve manque, on recourt à la preuve surnaturelle, ordalie du fleuve ou serment; la première est aménagée de façon à donner au prévenu le maximum de chances ou à permettre au juge de traduire son intime conviction, la seconde équivaut à la relaxe du défenseur au bénéfice du doute.

Babylone
anc. v. de Mésopotamie, sur l'Euphrate, à 160 km au S.-E. de Bagdad. Cette ville existait dès le XXIIIe s. av. J.-C., au temps de la splendeur d'Akkad. Elle passa ensuite sous la domination des Amorrites (XIXe s. av. J.-C.) pour devenir la cap. de leur sixième roi, Hammourabi. Razziée par les Hittites au XVIe s. av. J.-C., elle fut dominée par les Kassites jusqu' au XIIe s. av. J.-C., puis par les élamites, avant de devenir assyrienne (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.). La liberté lui fut rendue par Nabopolassar, qui fonda l'Empire néo-babylonien (626 av. J.-C.). Sous le règne de son fils Nabuchodonosor II, la ville resplendit: elle comprenait une double enceinte fortifiée jalonnée de tours, la porte d'Ishtar, des palais pourvus de toits en terrasses (les Jardins suspendus), la colossale ziggourat étemenanki, des temples du dieu Mardouk richement décorés. Devenue prov. perse sous Cyrus II (539 av. J.-C.), elle entra en décadence. Alexandre le Grand l'annexa en 331 av. J.-C. et y mourut. En 300 av. J.-C., Séleucos Ier la délaissa au profit de Séleucie. Dès le Ier s. av. J.-C., le site était désert.
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Babylone
(Captivité de) ou Exil déportation de nombr. juifs à Babylone par Nabuchodonosor II en 586 av. J.-C. En 538, Cyrus II autorisa leur rapatriement.

⇒BABYLONE, subst. fém.
Grande cité qui par son gigantisme ou la corruption des mœurs de ses habitants rappelle la capitale de l'ancienne Babylonie :
1. La foule, le mouvement prodigieux d'Amsterdam, favorisaient sa solitude. Ces babylones du commerce sont pour le penseur de profonds déserts. Dans ce muet océan d'hommes d'une activité mercantile, au bord des canaux dormants, il vivait à peu près comme Robinson dans son île.
MICHELET, L'Insecte, 1857, p. 95.
2. Sa manière appliquée [de Theodore Dreiser], un peu lourde, donne rarement l'impression de la maîtrise; ses effets d'amertume et de pathétique, parfois puissants et concentrés, perdent la vertu de l'implicite par la faute d'un style trop laborieux. Mais, le premier, il fit passer dans le roman américain, avec une vérité frappante, l'indicible tristesse des vies anonymes que la civilisation industrielle et les babylones modernes ont broyées.
Arts et litt. dans la société contemp., 1936, p. 4207.
P. ext. Le monde, la société :
3. Ce gros garçon (...) affectait la plus grande austérité d'attitude et de parole; au fond, un vulgaire homme d'affaires qui savait que les pasteurs de Paris se mariaient richement, et s'était mis en tête d'utiliser son passage à Babylone pour ramasser quelque grosse dot.
A. DAUDET, L'Évangéliste, 1883, p. 41.
PRONONC. ET ORTH. :[]. Lar. 20e enregistre Babylone ou Babel.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1838 (Ac. Compl. 1842 : Babylone [...] [a] dans l'Écriture, se dit pour signifier, Un lieu de désordre et de crimes. Dans le langage de la chaire, il veut dire Le monde. C'est une [b]Babylone. Renoncer à Babylone); 1857 « ville qui par sa taille et son animation rappelle l'ancienne Babylone », supra ex. 1.
P. antonomase de Babylone, nom de l'ancienne capitale de la Chaldée, sur l'Euphrate; av. 1598 (PH. DE MARNIX, Differ. de la Relig., II, IV, 2 ds HUG. : si j'entreprenoy de deduire tous ces misteres par le menu, ce seroit une vraye Babilon, c'est à dire confusion et désordre); lat. Babylon (gr. ) LUCILIUS, 403 ds TLL s.v., 1653, 49).
BBG. — ALLMEN 1956. — BACH.-DEZ. 1882. — Bible Suppl. t. 1 1928. — GOTTSCH. Redens. 1930, p. 354. — PIERREH. 1926. — ROG. 1965, p. 115.

Encyclopédie Universelle. 2012.