PURGATOIRE
PURGATOIRE
Il prolonge l’ambivalence du sentiment de la mort dans la tradition catholique. Apparue avec le péché, contre le dessein du Créateur, la mort est une malédiction (Rom., V, 12); mais le Christ, vainqueur à la fois du péché (par la Rédemption) et de la mort (par la Résurrection), a transformé toute malédiction en épreuve, en chance de rachat — jusqu’au trépas, sanctifié dans le martyre. Il est des pécheurs qui meurent pardonnés, mais sans avoir tout à fait purgé leurs fautes. Sainte Catherine de Gênes identifie pour eux le feu du purgatoire (similaire à la peine infernale du «sens» — précisément signifiée par le feu) au «feu amoureux», tourment mystique du manque et du désir de Dieu (peine du dam); la souffrance croît avec le désir, le mal devient la simple privation du bien: les âmes justes se trouvent enfin purifiées (Traité du purgatoire , éd. posthume, 1571). La doctrine n’a pas voulu préciser la réalité de ces peines (leur détail, leur localisation, leur durée), laissant aux fidèles leur opinion. Le concile de Florence (1439) se refuse ainsi à condamner la tradition grecque, qui voit au mieux dans le feu du purgatoire un feu métaphorique (A. Michel, «Feu du purgatoire», in Dictionnaire de théologie catholique , t. V, 1913); il est acquis depuis Bellarmin que la tradition romaine, qui ne doute pas de cette réalité mais dont la base scripturaire est assez faible (essentiellement I Cor., III, 13-15), ne saurait valoir comme certitude. Seul, pourrait-on dire, le processus purgatoire appartient au dogme.
Jacques Le Goff (La Naissance du purgatoire , 1981) a pu montrer, en effet, que «le besoin du purgatoire» correspond surtout à «une exigence de la masse»: il procède du grand renouveau de la spiritualité occidentale au XIIe siècle, centrée désormais moins sur la figure terrible du Père que sur celle du Sauveur, du Fils de l’homme, moins sur l’Apocalypse que sur le Jugement dernier... Pour ceux, de plus en plus nombreux, qui ne se satisfont pas de la condamnation du monde (contemptus mundi ) et de la soumission aveugle aux pasteurs, il importe — parfois jusqu’à détailler le compte des peines — que les laïcs puissent participer à leur propre salut, que les vivants puissent aider les morts par leurs suffrages, que tous enfin puissent espérer en un temps de purgation outre-tombe. L’historien des religions retiendra peut-être moins les emprunts obligés à d’autres traditions (topographie de l’au-delà, vertu purificatrice du feu, etc.) que l’éclatement des catégories dualistes. Cette promotion, dans tous les domaines, du milieu fait alors du christianisme une croyance en une voie médiane de salut, comparable par exemple à la métempsycose hindoue ou à la réincarnation platonicienne, mais subordonnée au jugement suprême, qui décide entre deux destinées définitives: la damnation ou la béatitude.
Le «dogme» du purgatoire permet cependant à la doctrine catholique d’éviter deux tendances hétérodoxes: d’une part, l’apocatastase origéniste (ou restauration finale de tous, même les damnés et les démons, dans l’amitié de Dieu), qui suppose l’homme libre après sa mort d’opter pour le bien et qui ouvre un cycle infini de consentements et de refus, une extension indéterminée de la miséricorde divine, contraire à l’idée du jugement comme sanction irrévocable de la liberté des créatures (il n’y a au purgatoire que des élus); d’autre part, la double prédestination, qui, à l’opposé, nie cette même liberté durant notre passage sur terre (le purgatoire suppose une sorte de bilan des vies humaines). La principale assise de la doctrine se trouve, en fait, dans une pratique que Rome juge fondée par l’Écriture (II Macc., XII, 39-46) et par la Tradition: la prière pour les défunts — pratique commune avec les Églises d’Orient, mais généralement rejetée (sinon comme consolation pour les vivants) par les Églises protestantes, ce qui rend plus radical le différend avec elles sur ce point (A. Michel, «Purgatoire», in Dictionnaire de théologie catholique , t. XIII, 1936).
On peut se demander si l’étude de la croyance au purgatoire, de son ampleur dans la sensibilité catholique post-tridentine comme de sa désaffection au XXe siècle, n’exige pas quelques préliminaires: sur les relations entre culture savante et culture populaire (sociologie des comportements et histoire des doctrines); sur la caractérisation (analysée par Michel de Certeau, deuxième partie de L’Écriture de l’histoire , 1975) des Églises des Temps modernes plus par leurs pratiques que par leurs doctrines; en un mot, sur la place de la religion dans la société, notamment sur la fonction de l’au-delà comme «espace de sa théorie» (M. de Certeau), impossible depuis l’émergence en nombre des infidèles, athées, primitifs et indifférents.
purgatoire [ pyrgatwar ] n. m.
• fin XIIe; lat. médiév. purgatorium, bas lat. purgatorius « qui purifie »
1 ♦ D'après la théologie catholique, Lieu où les âmes des justes expient leurs péchés avant d'accéder à la félicité éternelle. Les âmes du purgatoire : l'Église souffrante. Aller au purgatoire.
2 ♦ Fig. (1573) Lieu ou temps d'épreuve, d'expiation. Loc. Faire son purgatoire sur terre.
● purgatoire nom masculin (latin ecclésiastique purgatorius, du latin classique purgare, purger) Lieu, état de purification temporaire pour les défunts morts en état de grâce, mais qui n'ont pas encore atteint la perfection qu'exige la vision béatifique. (Reconnu par les catholiques, indécis chez les orthodoxes, le purgatoire est rejeté par les protestants.) Lieu, état provisoire où l'on souffre : Cette épreuve est pour lui un purgatoire.
purgatoire
n. m. RELIG CATHOL Lieu dans lequel les âmes des justes achèvent l'expiation de leurs fautes avant d'être admises au Paradis.
|| Fig. Un purgatoire: un temps d'épreuve, une période difficile.
⇒PURGATOIRE, subst. masc.
A. — RELIG. CATH. ET ORTHODOXE. Selon la Tradition, lieu (étant représenté souvent comme enflammé) où les baptisés, morts en état de grâce mais non entièrement purifiés par la pénitence des traces de leurs péchés, achèvent leur purification avant la vision béatifique. Croyance au purgatoire; aller en (vx), au purgatoire; feu, peines du purgatoire. L'église (...) avait admis un purgatoire, un moyen terme entre l'éternelle damnation et l'éternelle béatitude (SAND, Hist. vie, t. 1, 1855, p. 25). Combien cette vie douloureuse ressemble à ce qu'on dit du Purgatoire! Privation de la vue de Dieu. Désir jamais assouvi et de plus en plus véhément de la Beauté infinie (BLOY, Journal, 1901, p. 76).
♦ Âmes du purgatoire. Prier pour délivrer, soulager les âmes du purgatoire. Marthe (...) s'arrêtait, en voyant la fusée d'or de quelque étoile filante. Elle souriait, la tête un peu renversée, regardant le ciel. — Encore une âme du purgatoire qui entre au paradis, murmurait-elle (ZOLA, Conquête Plassans, 1874, p. 988):
• ... le sentiment chrétien passait vraiment dans la vie (...) l'on avait coutume (...) de penser, si quelque braise vous brûlait les doigts en nettoyant le four, aux pauvres âmes du Purgatoire, et de dire un De profundis pour elles.
POURRAT, Gaspard, 1922, p. 211.
♦ Flammes du purgatoire. V. flamme1 I B 2 b.
— P. méton.
♦ État d'expiation des âmes des défunts baptisés précédant la vision béatifique; peines, souffrances encourues dans cet état. [Les] moines (...) criaient, ils s'indignaient et damnaient tous les acquéreurs de biens nationaux; mais pour de si beaux biens on pouvait risquer le purgatoire, et maître Jean n'avait pas peur de sentir le roussi; ça rentrait même dans son état de forgeron (ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 286). Le péché de Lucienne était si simplement instinctif qu'il sentait plutôt le purgatoire que l'enfer (AYMÉ, Jument, 1933, p. 185).
♦ Durée d'expiation où les âmes sont aidées par les prières et les sacrifices des vivants et des saints. Temps de purgatoire. Maritain me citait un jour un mot prononcé par la supérieure d'un couvent à propos d'une religieuse trop attachée à la règle: « Elle fera un long purgatoire à cause de ses vertus... » (GREEN, Journal, 1938, p. 135).
Loc. verb. fig. Faire son purgatoire (sur terre/en ce monde). Souffrir beaucoup, subir bien des désagréments. Enfin, il m'a joliment ennuyée, allez. Je puis bien dire que j'ai fait mon purgatoire avec lui (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 291). Ah! je puis bien le dire, j'ai fait mon purgatoire dans cette sacrée ville (HUYSMANS, Sœurs Vatard, 1879, p. 167).
B. — Au fig., fam. Espace de temps ou situation difficile et pénible qui constitue une épreuve ou une expiation. Long, douloureux purgatoire; être dans le, dans un, au purgatoire. Pour moi, le délicieux purgatoire que les femmes aiment à nous faire ici-bas avec leur coquetterie est un bonheur atroce auquel je me refuse (BALZAC, Modeste Mignon, 1844, p. 258). Tu ne peux pas t'imaginer, Archie, ce qu'un homme tel que moi souffre, par la faute des agents de publicité! Certaines affiches font de mon existence visuelle un purgatoire inouï (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 123).
REM. Purgatorial, -ale, -aux, adj. De purgatoire, propre au purgatoire. Autour de 1200, on va faire beaucoup mieux: les jours de la vie sur terre se compteront en « années purgatoriales » dans l'au-delà (Le Nouvel Observateur, 17 oct. 1981, p. 89, col. 2).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1190 purgatore théol. cath. (MARIE DE FRANCE, Purgatoire, 3 ds T.-L.); 2. 1671 faire son purgatoire « mener une vie de souffrances » (POMEY). Empr. au lat. eccl. médiév. purgatorium (2e moit. du XIIe s. d'apr. J. LE GOFF, La Naissance du purgatoire, 1981, p. 489), empl. subst. de l'adj. purgatorius « qui purifie » que l'on trouve souvent chez St Augustin en rapport avec la purification des péchés (v. BLAISE Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.:259. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 453, b) 198; XXe s.: a) 381, b) 378.
purgatoire [pyʀgatwaʀ] n. m.
ÉTYM. V. 1220; purgatore, v. 1190; lat. ecclés. purgatorius « qui purifie », de purgare. → Purger.
❖
1 Lieu où les pécheurs morts en état de grâce expient leurs péchés jusqu'à ce que leurs âmes soient purifiées et puissent accéder à la vie éternelle. ⇒ Expiation, purification. || Croire au purgatoire (→ Enfer, cit. 8). || Les âmes du purgatoire : l'Église souffrante (→ Finir, cit. 24). || Peines, supplices du purgatoire (→ Indulgence, cit. 14). || Intercéder (cit. 2) pour ceux qui souffrent dans le purgatoire. || Prière pour les âmes du purgatoire. — Le feu, les flammes (cit. 2) du purgatoire et de l'enfer. — Être, aller en purgatoire (Nerval, Daudet, in Grevisse), au purgatoire, dans le purgatoire.
1 La peine du purgatoire la plus grande est l'incertitude du jugement.
Pascal, Pensées, VII, 518.
2 Le purgatoire surpasse en poésie le ciel et l'enfer, en ce qu'il présente un avenir qui manque aux deux premiers.
Chateaubriand, le Génie du christianisme, II, IV, XV.
2 (1862). Fig. Lieu où l'on souffre pour expier des fautes; période, temps d'épreuve. || Faire son purgatoire en ce monde. ⇒ Souffrir. — Le mariage (cit. 25), enfer, purgatoire ou paradis ?
3 (…) la ville en son ampleur,
Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne (…)
Baudelaire, le Spleen de Paris, Épilogue.
Encyclopédie Universelle. 2012.