PHYTOSOCIOLOGIE
La phytosociologie est l’étude descriptive et causale des associations végétales. Le concept d’association végétale résulte de la constatation suivante: pour une personne connaissant suffisamment les plantes, le rappel du nom de l’une d’elles évoque immédiatement non seulement son image mais encore celles d’un certain nombre d’autres plantes que l’on trouve ordinairement dans les mêmes endroits qu’elle. La notion d’association végétale ne doit pas être confondue avec celle de formation végétale, dérivée de celles, banales, de forêt, lande, prairie, etc., et qui s’applique à des groupements de végétaux présentant des caractères biologiques et morphologiques similaires indépendamment de la composition spécifique.
Par la nature des caractères mis en cause, une même formation végétale peut se retrouver en des points éloignés du globe nécessairement distincts par leur flore et où, par conséquent, on ne doit pas espérer reconnaître les mêmes associations végétales: en d’autres termes, à une formation végétale donnée correspondent le plus généralement plusieurs associations végétales, la réciproque n’étant d’ailleurs jamais vraie. Comme la connaissance des espèces implique celle de leur morphologie et de leur biologie, il résulte de ce qui précède qu’en présence d’une étude sur les associations végétales d’un territoire il est possible de se faire une idée des formations qui y sont représentées sans retourner sur le terrain, alors que l’inverse est impossible: l’association végétale a donc une valeur d’information supérieure à celle de la formation végétale, même en faisant intervenir l’espèce dominante, ce qui est du reste un acheminement vers la prise en considération de la composition floristique. Ainsi, aux pinèdes de pin d’Alep correspondent, rien que dans le midi de la France, au moins deux associations végétales, l’une dite à romarin et grémil buissonnant, l’autre à calycotome et myrte, très différentes par leur composition floristique et les conditions édaphiques qui leur sont associées.
Comme celle de formation, la notion d’association végétale a reçu des acceptions diverses: elle sera essentiellement traitée, ici, dans l’esprit de l’école dite sigmatiste (de S.I.G.M.A.: Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine, fondée à Montpellier par J. Braun-Blanquet), dont la majorité des phytosociologues d’Europe occidentale et d’autres pays – tel, depuis quelque temps, le Japon – sont, directement ou indirectement, les disciples. Beaucoup de botanistes soviétiques sont parvenus, d’une manière tout à fait indépendante et en employant une terminologie un peu différente, à des conceptions très proches de celles de l’école sigmatiste. Seuls les Anglo-Saxons paraissent, dans leur ensemble, manifester une certaine répugnance à l’égard des notions d’individu d’association et d’association végétale , qui sont les fondements de la phytosociologie européenne.
La première démarche de cette phytosociologie est la comparaison de listes d’espèces, c’est-à-dire de descriptions floristiques complètes de surfaces de végétation, pour les distribuer ensuite entre des catégories, nommées associations végétales, réunissant celles qui se ressemblent plus entre elles qu’elles ne ressemblent aux autres: cela implique deux types d’opérations fondamentales, les unes analytiques, concernant l’exécution des relevés floristiques, les autres synthétiques, relatives à la confrontation de ceux-ci.
1. Analyse des individus d’association
L’analyse des individus d’assocation consiste en l’exécution de relevés floristiques. Chaque relevé ne doit porter que sur un seul individu d’association, c’est-à-dire sur une surface de végétation de composition floristique homogène. Si certains individus d’association se laissent assez aisément délimiter, il n’en est pas toujours ainsi. Tout d’abord parce que l’on est impressionné par les espèces dominantes qui n’indiquent pas obligatoirement et généralement une homogénéité floristique concomitante: il est d’observation courante qu’une même espèce peut dominer deux ou plusieurs individus d’association adjacents. Ensuite parce qu’il n’y a presque jamais de limite tranchée, mais une zone dite de transition, plus ou moins large, dans laquelle des éléments de l’un et de l’autre sont mélangés. Espèces dominantes et zones de transition confèrent fréquemment au tapis végétal une apparente continuité, qui masque plus ou moins l’existence d’individus d’assocation caractérisés. C’est sur ce fait que s’appuie la théorie du continuum de l’école nord-américaine de J. T. Curtis, pour qui le tapis végétal ne serait pas constitué d’une mosaïque d’unités distinctes, mais serait au contraire continu, ce qui ne permettrait de mettre en évidence que des gradients ou des champs floristiques en fonction de facteurs d’ordre climatique, édaphique, etc. Cette théorie, qui ne semble d’ailleurs pas encore avoir produit des résultats généralisables, prête le flanc à de sérieuses critiques épistémologiques. Il n’est, de toute manière, pas nécessaire de partir de l’hypothèse que la végétation est une mosaïque d’unités élémentaires pour rechercher, à travers une éventuelle continuité apparente du tapis végétal, des surfaces présentant sensiblement les mêmes propriétés floristiques sur leur totalité, surfaces que l’on qualifiera de floristiquement homogènes et qui définissent chacune un individu d’association. Cette notion d’homogénéité floristique d’une surface s’applique aux espèces, concepts abstraits, et non aux individus par lesquels elles sont représentées: une surface est donc réputée floristiquement homogène lorsqu’en l’explorant dans toutes les directions on ne constate pas de changements floristiques appréciables; dès qu’il en apparaît, on est en présence d’un autre individu d’association. Cela peut se traduire plus rigoureusement par une courbe (fig. 1) exprimant l’augmentation du nombre d’espèces en fonction de celle de la surface inventoriée: après une ascension plus ou moins rapide, la courbe s’infléchit pour rester à peu près parallèle à l’axe des abscisses. L’aire qui correspond au point de courbure maxima de la courbe est ce que l’on nomme l’aire minimale .
À mesure que la surface inventoriée s’étend, on trouve une valeur de celle-ci pour laquelle la courbe subit une inflexion ascendante, ce qui indique un changement de composition floristique. Dans toute la surface correspondant au palier approximatif de la courbe, on pourra délimiter, au hasard, autant de fois qu’on le voudra, des surfaces égales à l’aire minimale dont on est assuré qu’elles présentent, à de légères fluctuations aléatoires près, la même composition floristique. C’est dans ce sens, par rapport à un bloc d’espèces, que l’on parle de surface floristiquement homogène. Il ne faut, en effet, pas perdre de vue qu’une condition fondamentale pour définir correctement une homogénéité est de fixer la nature et l’ordre de grandeur des surfaces ou des volumes comparés.
Les individus par lesquels chacune des espèces participant à la constitution d’un individu d’association est représentée ne sont ni en nombre égal ni de mêmes dimensions: en première approximation, ces deux types de données sont évaluées globalement à l’aide de valeurs, dites d’abondance-dominance, attribuées en quelque sorte à la quantité relative de matière vivante par laquelle chaque espèce est représentée dans l’individu d’association considéré: l’échelle établie par J. Braun-Blanquet, échelle qui est la plus couramment utilisée, attribue les notes 5, 4, 3, 2, 1 aux espèces occupant des surfaces respectivement supérieures aux 3/5 de celle de l’individu d’association étudié, puis comprises entre 3/4 et 1/2, 1/2 et 1/4, 1/4 et 1/5, inférieures à 1/5, et l’on assigne une croix (+) à celles qui ne sont représentées que par quelques individus, parfois un seul. Il est évident que, pour ces estimations, un arbre et une plante herbacée ne peuvent pas être mis en comparaison: elles doivent être faites séparément pour chaque strate, à savoir: les strates herbacée, arbustive, arborescente, les deux dernières pouvant être subdivisées, comme par exemple dans le cas de certaines forêts denses intertropicales. L’abondance-dominance d’une même espèce peut varier, parfois considérablement, d’un type d’individu d’association à l’autre, c’est-à-dire d’une association végétale à l’autre. En revanche, tandis que les individus de certaines espèces sont dispersés isolément sur la surface de l’individu d’association, d’autres sont agglutinés en plus ou moins grand nombre, ce que l’on note à l’aide de valeurs dites de sociabilité . Enfin, les individus d’une même espèce peuvent ne pas faire preuve de la même vitalité dans les individus d’association de toutes les associations auxquelles cette espèce participe: ils peuvent, par exemple, ne pas fleurir.
Bref, la description floristique d’un individu d’association est constituée de la liste totale des espèces, le nom de chacune étant accompagné des données relatives à l’abondance-dominance, la sociabilité, la vitalité, etc. À cela peuvent être ajoutées, outre les indispensables indications de situation topographique de l’individu d’association étudié, toutes autres observations possibles, notamment en ce qui concerne l’environnement.
La notion d’invidu d’association ne doit pas être assimilée à celle de station , que l’on définit le plus souvent comme une surface où les conditions écologiques sont homogènes et qui est caractérisée par une végétation uniforme. Dans une station donnée, il existe ordinairement plusieurs individus d’association; celui qui est formé de plantes vasculaires enracinées dans le sol constitue en quelque sorte le cadre, le support des autres: l’ensemble constitue une phytocénose. À celle-ci se superpose une zoocénose, composée d’individus d’associations animales, car, en dépit des réticences de la majorité des zoologistes, il a été démontré que les modes de pensée de la phytosociologie sont applicables aux animaux. L’ensemble d’une phytocénose et d’une zoocénose réunies en une station constitue une biocénose [cf. BIOCÉNOSES].
2. Mise en évidence des associations végétales
Les relevés phytosociologiques établis en nombre suffisant dans un territoire donné sont ensuite comparés pour être distribués entre des catégories distinctes, rassemblant chacune ceux qui se ressemblent plus qu’ils ne ressemblent à tous les autres, c’est-à-dire en associations végétales.
Traitement des relevés floristiques
Pour ce faire, on établit des tableaux à double entrée (cf. tableau) dont les lignes sont consacrées aux espèces, les colonnes aux relevés, les intersections aux indications correspondantes (par exemple: abondance-dominance, sociabilité). Ce sont, en fait, des matrices. Les premiers confectionnés sont des tableaux bruts, dans lesquels les relevés et les espèces ne sont pas classés. Sur une telle matrice, on peut alors calculer le «degré de présence», c’est-à-dire la fréquence, au sens mathématique, des espèces, puis les classer en fonction des valeurs décroissantes de celle-ci. En s’intéressant à celles dont la fréquence est plus ou moins voisine de 50 p. 100, il est généralement possible de répartir les relevés en deux groupes. En recommençant à l’intérieur de ceux-ci et en renouvelant l’opération autant de fois qu’il est nécessaire, on parvient à mettre en évidence des groupes de relevés ayant sensiblement plus d’espèces en commun qu’ils n’en ont avec les autres et auxquels certaines de celles-ci apparaissent liées d’une manière statistiquement significative: on les nomme espèces caractéristiques de l’association végétale définie par l’ensemble de relevés correspondants. Les autres, qui peuvent se retrouver dans plusieurs associations, sont des espèces dites compagnes .
À cette méthode des débuts de la phytosociologie tendent à se substituer, progressivement, des méthodes mathématiques de classification. Elles consistent à quantifier, au moyen des caractères pris en considération, les ressemblances ou les dissemblances entre les objets à classer, envisagés deux à deux. L’ensemble des valeurs obtenues, dites indices de similarité , donne une nouvelle matrice qui peut être exploitée selon deux grandes familles d’algorithmes: ceux qui aboutissent à une classification hiérarchisée, telle que chaque sous-groupe soit formé de l’union de deux groupes plus petits, et ceux qui, chaque objet étant considéré comme un point dans un espace à n dimensions (n = nombre de caractères utilisés), conduisent à une projection de ces points dans un espace de moindres dimensions. Les résultats des premiers se traduisent sous la forme de dendrogrammes, c’est-à-dire de graphiques formés de bifurcations successives dont chaque branche ultime correspond à l’un des objets à classer. Les seconds conduisent à l’élaboration de cartes où des nuages de points représentent les objets à classer.
Dans le cas de la phytosociologie, les caractères sont les espèces, les objets à classer les individus d’association ou, plus exactement, leur description, c’est-à-dire les relevés. Ces méthodes, inapplicables sans le secours d’une calculatrice électronique, permettent de traiter simultanément avec une certaine objectivité un nombre considérable de données, mais elles ne dispensent pas encore totalement les phytosociologues de faire appel à leur discernement pour placer des coupures dans les dendrogrammes ou dans les systèmes de nuages de points, c’est-à-dire pour faire ressortir des catégories définies chacune par un ensemble de caractères; ces méthodes n’ont cependant pas encore atteint leur complet épanouissement et l’on travaille activement à leur perfectionnement: une voie relativement nouvelle et qui semble devoir être féconde est celle qui s’oriente vers la mise en œuvre de la théorie de l’information (cf. théorie de l’INFORMATION). Celle-ci a déjà, entre autres, permis de confirmer ce que l’on avait démontré par d’autres voies, à savoir que l’on parvient à un classement plus rigoureux des relevés en ne tenant compte, lors des opérations de triage, que des présences ou absences des espèces, les autres données n’intervenant, ensuite, que comme des compléments, d’ailleurs fort utiles, des descriptions des associations une fois qu’elles ont été circonscrites.
Quelle que soit la méthode de triage et de classement employée, classique ou numérique, et nonobstant un inévitable résidu dont il sera question ultérieurement, il est toujours possible d’extraire, d’un ensemble de relevés, des sous-ensembles bien définis et bien distincts les uns des autres par leur composition floristique.
Pour qu’un nouveau relevé soit rattaché à l’une de ces catégories, il n’est ni nécessaire qu’il possède la totalité des espèces qui définissent celle-ci, ni suffisant qu’il en recèle une seule: il est simplement nécessaire et suffisant qu’il ait plus d’espèces en commun avec cette catégorie qu’avec les autres. Des catégories ainsi définies sont dites polythétiques .
Associations végétales
Il résulte de ce qui précède qu’une association végétale est définie par une liste d’espèces formée par la réunion de celles des individus d’association se ressemblant, à cet égard, plus entre eux qu’ils ne ressemblent aux autres, et différant des ensembles comparables par la possession d’au moins une espèce caractéristique, au sens qui en a été donné plus haut.
Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, une espèce caractéristique n’est pas forcément constante ou dominante; ce n’est même généralement pas le cas: ainsi, la plupart, sinon la totalité, des espèces rares ne peuvent subsister que dans des individus d’association d’une association déterminée. En outre, les aires de distribution géographique des associations végétales et de leurs espèces constituantes ne pouvant pas être intégralement concordantes, il en résulte que, sur diverses parties de son aire de distribution, une espèce peut être caractéristique d’associations végétales différentes: de telles espèces sont dites caractéristiques transgressives .
Comme pour les individus d’association, on peut distribuer les associations végétales dans des catégories d’ordre supérieur appelées alliances et les définir par leur composition floristique; celle-ci est la somme des compositions floristiques des associations constituantes, dans laquelle on met en évidence des espèces caractéristiques d’alliance. Les alliances peuvent être réparties dans des ordres et ceux-ci dans des classes .
À l’intérieur d’une association végétale, on peut être conduit à distinguer, à l’aide d’espèces dites différentielles , des sous-associations: les espèces différentielles ont, vis-à-vis de celles-ci, la même signification que les espèces caractéristiques pour les associations, mais on ne peut pas les assimiler aux espèces caractéristiques, car elles se retrouvent dans d’autres associations avec une fréquence plus ou moins équivalente. Ces espèces différentielles sont, le plus souvent, des indicatrices d’une propriété particulière du milieu physique (sol et microclimat).
De telles espèces sont à l’origine de la notion de groupes écologiques (H. Ellenberg, P. Duvigneaud, M. Gounot): ce sont, en gros, des groupes de quelques espèces présen tant une forte corrélation entre elles et avec un facteur du milieu physique. Pour les auteurs qui ont introduit ce concept, une association végétale est une composition de groupes écologiques, de sorte que l’analyse du tapis végétal doit commencer par la recherche de ceux-ci; ensuite, en les combinant et en éliminant les combinaisons incompatibles (par exemple, un groupe d’espèces xérophiles ne peut pas être associé à un groupe d’espèces hygrophiles), on peut définir des associations végétales. Cette méthode, qui présente divers inconvénients – dont, notamment, la dépendance des résultats de la nature et du nombre des facteurs envisagés, la lourdeur des opérations, l’incitation à une multiplication exagérée des catégories reconnues comme associations végétales, etc. –, n’a pas eu un grand succès et tend même à être abandonnée par certains de ses adeptes.
Lorsque, d’un ensemble de relevés, on a extrait tous les groupes pouvant définir des associations végétales, il en reste ordinairement un certain nombre. Ce résidu est constitué soit de quelques relevés uniques d’associations végétales, soit de relevés plus nombreux, correspondant à des zones de transition entre individus d’association ou à des stades intermédiaires entre associations consécutives dans une succession progressive ou régressive (cf. infra ), ou encore tout simplement à des «mélanges d’associations»: ces mélanges sont, mutatis mutandis , comparables aux hybrides entre espèces.
Il est nécessaire de nommer les diverses associations végétales, alliances, etc.: le nom d’une association végétale est formé à partir de ceux de une ou deux espèces de son ensemble spécifique, en adjoignant le suffixe -etum (-eto pour la première, lorsqu’il y en a deux) à la racine du nom de genre et en mettant au génitif l’épithète spécifique, par exemple: Thlaspeetum rotundifolii , Berardieto-Brassicetum repandae . On procède de même pour les alliances, ordres et classes, en utilisant les suffixes respectifs: -ion , -etalia , -etea . Pour les sous-associations, c’est le suffixe -etosum qui est employé.
3. Signification et dynamique des associations végétales
L’implantation, la croissance, le développement et la reproduction d’un végétal sont sous l’étroite dépendance de son environnement, c’est-à-dire de tout ce qui lui est immédiatement extérieur: organismes et milieu physique (sol, eau, air). À cet égard, chaque espèce réagit différemment, selon, en quelque sorte, son propre tempérament. Un individu d’association est donc le résultat d’un triage parmi les éléments de la flore du territoire. Un exemple est nécessaire pour comprendre comment il s’effectue. On choisira celui de l’étage alpin des Alpes centrales où, pour la première fois, dans un mémoire devenu classique, J. Braun-Blanquet et H. Jenny (1926) ont décrit avec précision l’évolution parallèle de la végétation et du sol. Un éboulis calcaire venant de se former est rapidement ensemencé par les diaspores des espèces de la flore du massif montagneux dans lequel il se trouve. Mais seules s’implanteront celles qui peuvent supporter un milieu aussi inhospitalier, grâce en particulier à la faculté de développer un très important appareil souterrain et de régénérer assez aisément leur système aérien plus ou moins constamment mutilé par les déplacements des pierres. Il s’organise ainsi un individu d’association d’une association végétale particulière, le Thlaspeetum rotundifolii . Lorsque la pente est forte et, par conséquent, l’éboulis instable, les choses en restent là. Sinon, les plantes du Thlaspeetum rotundifolli contribuent à la fixation et au colmatage de l’éboulis par rétention, autour de leurs parties aériennes, d’ailleurs assez espacées les unes des autres, d’éléments minéraux fins résultant de l’érosion des pierres avoisinantes et des apports éoliens, éléments auxquels elles ajoutent, par la chute de leurs parties mortes et par leurs cadavres, des matériaux organiques. Bref, du fait de leur existence même, elles créent des conditions nouvelles permettant l’installation d’autres espèces qui finiront par les supplanter. À l’individu d’association du Thlaspeetum rotundifolii , il en succédera ainsi un autre, appartenant au Caricetum firmae (fig. 2). Ce type de végétation est déjà plus fermé, c’est-à-dire que l’ensemble des parties aériennes des plantes constituantes recouvre une plus grande surface: il en résulte que le processus d’accumulation d’éléments minéraux fins et de matière organique non seulement continue, mais encore s’accentue. En outre, à l’étage alpin des Alpes centrales, la fréquence des précipitations et les faibles moyennes thermiques sont les causes respectives d’un entraînement vertical des cations et d’un ralentissement très considérable de la décomposition de la matière organique brute: il commence, ainsi, à se constituer un sol dont, progressivement, la partie supérieure s’enrichira en matière organique et s’acidifiera. Des espèces plus tolérantes à l’égard de ces conditions s’installeront au détriment des précédentes, et il s’organisera, à partir et à la place du précédent, un troisième individu d’association, à peu près complètement fermé, d’une autre association, l’Elynetum . La continuation du processus aboutit à un sol dont l’horizon supérieur, enrichi en matière organique non ou mal décomposée et complètement lessivé, est très acide, et à un nouvel individu d’association appartenant au Caricetum curvulae . Le sol étant totalement lessivé, les choses ne peuvent aller plus loin, et l’on est en présence d’un état d’équilibre entre le climat, la végétation et le sol, qui doit se maintenir aussi longtemps qu’existent les conditions dont il dépend, à moins qu’un accident remette la roche mère à nu. On nomme respectivement phytoclimax et pédoclimax l’association végétale et le sol correspondant à un tel état terminal d’évolution de la végétation et du sol. Dans le cas de l’étage alpin des Alpes centrales, on a montré qu’à partir d’éboulis siliceux il se constitue, en passant par des individus d’associations pionnières et transitoires différentes, un climax similaire. Cependant, il n’y a pas de territoire dont toute l’étendue se prête à une telle évolution de la végétation: ainsi, à l’étage alpin, outre les éboulis mobiles, les creux où la neige séjourne très longtemps, les crêtes fortement ventées, les parois rocheuses, etc., forment des stations particulières où ne peuvent subsister que les espèces d’associations végétales spécialisées qui s’installent directement et se maintiennent telles en subissant plus qu’elles ne les modifient les conditions du milieu physique ou, du moins, une partie d’entre elles.
En s’appuyant sur les progrès réalisés dans la connaissance des humus [cf. HUMUS], on a finalement proposé (P. Duchaufour) de distinguer des climax climatiques et des climax stationnels : les sols d’une association climacique climatique, même installée dans des stations différentes par la roche mère, l’exposition, etc., montrent une grande similitude des horizons de surface, en particulier des types d’humus; les associations climaciques stationnelles, au contraire, diffèrent entièrement de l’une à l’autre, notamment par leurs types d’humus, même si elles sont installées sur un même type de roche. Ainsi, dans un même territoire, il y a des individus d’une association climacique climatique, comme le Caricetum curvulae à l’étage alpin, marquant l’aboutissement d’une évolution convergente, des individus d’associations climaciques stationnelles, provenant d’une évolution divergente, et des individus d’associations spécialisées. La fréquence relative des unes et des autres varie d’un territoire à l’autre en fonction de la diversité pétrologique et de la topographie, notamment. En Europe, en dehors de l’étage alpin, le climax climatique est toujours une association forestière.
Dans ce qui précède, on a mis principalement l’accent sur l’évolution concomitante de la végétation et du sol; mais il se produit, parallèlement, des modifications du microclimat, c’est-à-dire du climat au niveau des végétaux. Pour un individu d’association comme pour un organisme, l’environnement ne comprend pas que des facteurs du milieu physique: il comporte aussi une composante biologique, relevant de l’histoire et de la genèse des flores et des faunes d’une part, et, d’autre part, des relations sociales (compétition, coopération, etc.) entre les plantes aussi bien de même espèce que d’espèces différentes, et entre celles-ci et les animaux dont l’homme n’est pas le moins agissant. Ce problème fort complexe des relations sociales entre les végétaux et entre ceux-ci et les animaux, longtemps négligé, est désormais à l’ordre du jour.
Bref, tout élément de végétation résulte des interactions d’une multitude de facteurs, le nombre de possibilités étant, de surcroît, considérablement augmenté du fait des variations quantitatives de beaucoup d’entre eux. Ils ne sont, néanmoins, ni équivalents ni indépendants les uns des autres, ce qui explique que seules certaines combinaisons, en nombre limité, sont régulièrement réalisées, d’où la possibilité de reconnaître des individus d’association et de les classer en associations végétales de composition floristique définie, auxquelles correspondent des conditions édaphiques, microclimatiques et biologiques déterminées. Ainsi, dans l’exemple précédemment traité, seuls les éboulis calcaires nouvellement formés représentent un ensemble de conditions physiques préexistantes, indépendantes de la végétation; mais, dès qu’ils commencent à être colonisés, il s’institue des relations réciproques entre les végétaux et le milieu physique, ainsi que des relations sociales entre les organismes concernés, de sorte que, étant donné une flore, une faune, un climat et un type de roche, les choses ne peuvent évoluer que de la même façon.
Il faut, cependant, bien comprendre qu’il s’agit de phénomènes fondamentalement statistiques; or, qui dit statistique pense courbes ou, mieux, surfaces de distribution. Les «pics» de telles surfaces représentent les associations végétales, la base de chacun de ces pics étant en chevauchement avec celles de ses voisines: à ces zones de chevauchement correspondent les «mélanges d’associations», les stades de transition entre individus d’association de deux associations se succédant au cours de l’évolution de la végétation, etc.
4. Conséquences théoriques et pratiques
Les développements précédents inspirent quelques conclusions importantes. Ils soulignent, tout d’abord, la relativité de la notion de milieu en biologie: un milieu ne peut être défini que par rapport à quelque chose, ici les végétaux. Les éboulis calcaires vierges ne constituent pas, à proprement parler, un milieu: ce n’est qu’à partir du moment où ils commencent à être colonisés qu’ils prennent le caractère de composante physique d’un milieu biologique. C’est sur cette indissociabilité de la notion de milieu et de celles d’organismes et de groupements d’organismes qu’est fondé le concept d’écosystème. Il peut s’appliquer à tous les niveaux: organisme, population, phytocénose et zoocénose, biocénose, voire à la biosphère elle-même. L’écosystème envisagé au niveau de la biocénose, acception conforme à l’idée du créateur du terme (A. G. Tansley) et à l’usage le plus courant, correspond à la notion de biogéocénose des auteurs soviétiques. Un écosystème est un ensemble de relations extrêmement complexe dont on ne peut – et ne pourra probablement jamais – saisir qu’une partie. Les innombrables observations, mesures, expériences (dont certaines mettent en jeu des moyens très onéreux) suggérées par les écosystèmes s’exercent donc inévitablement dans une multitude de directions divergentes dont il résulte une accumulation de données en apparence assez disparates: il est donc capital, si l’on veut qu’elles aient une signification scientifique, donc une véritable valeur de prédiction, qu’elles soient recueillies en fonction de systèmes de référence bien définis: les plus naturels sont les unités systématiques, espèces, genres, familles, etc., dans le cas des organismes individuels, les associations, alliances, ordres, etc. phytosociologiques dans celui des biocénoses. En effet, au moins dans le cas des écosystèmes continentaux, l’association végétale principale sert, en quelque sorte, de cadre à la biocénose dont elle reflète la constitution intime, comme le fait la morphologie externe pour les organismes, du moins en première approximation.
Cette remarque conduit à souligner que la relation entre la systématique des organismes et la phytosociologie est encore plus intime que ne le laisserait supposer le seul fait que les associations végétales sont définies d’après la composition floristique des individus d’association. Il est, tout d’abord, évident qu’étant donné une espèce l’énumération des associations végétales auxquelles elle participe est, pour sa définition, une propriété aussi importante que celles qui émanent de l’examen de sa morphologie, de son anatomie, de sa constitution chimique, etc. Mais, en outre, on a pu mettre en évidence qu’une espèce participant à plusieurs associations végétales est représentée dans chacune d’elles par des collections de génotypes plus ou moins différentes, constituant, chacune, ce qu’à la suite de G. Turesson on appelle un écotype . Selon l’intensité de leur individualisation, ces écotypes occupent un rang variable dans la hiérarchie systématique infraspécifique. Les caractéristiques phénotypiques distinctives de certains écotypes ne sont cependant pas immédiatement décelables sur le terrain – lorsqu’elles correspondent par exemple à des interprétations statistiques de propriétés biométriques –, et ils ne peuvent par conséquent être identifiés que par l’intermédiaire de l’individu d’association de l’association dans laquelle ils se trouvent.
Ainsi, la phytosociologie et la systématique sont bien intimement liées et ne peuvent désormais progresser que de concert.
La connaissance des associations végétales constitue donc un système de référence précis et fidèle dans de nombreux domaines de la recherche, aussi bien fondamentale qu’appliquée: études sur l’évolution des populations et la biosystématique, voire la systématique tout court, sur l’auto-écologie, sur la productivité du tapis végétal, les problèmes de mise en valeur des territoires et de protection et conservation de la nature, bref d’utilisation rationnelle de la nature.
phytosociologie [ fitosɔsjɔlɔʒi ] n. f.
• 1936; phytosociologique 1920; de phyto- et sociologie
♦ Bot. Étude des associations végétales.
● phytosociologie nom féminin Étude scientifique, à caractère statistique, de l'association entre les espèces végétales, exprimée en termes de fréquence, de dominance en vue de définir des ensembles floristiques en rapport avec le climat, le sol, etc. (L'une des principales applications de la phytosociologie est l'établissement de cartes de la végétation.) ● phytosociologie (synonymes) nom féminin Étude scientifique, à caractère statistique, de l'association entre les espèces...
Synonymes :
- sociologie végétale
phytosociologie
n. f. BOT étude des associations végétales.
phytosociologie [fitosɔsjɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1936; phytosociologique, 1920; de phyto-, et sociologie.
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♦ Didact. Étude des associations végétales.
0 (…) la distribution et les caractères de la faune sont, dans leur ensemble, plus rudimentaires que pour la flore. Rien d'étonnant à cela : les méthodes statistiques qui motivent le développement de la phytosociologie n'ont, ici, que fort peu de prise, la mobilité des individus, les éventuelles migrations saisonnières de colonies rendent les recensements bien aléatoires (…)
Jacques Guillerme, la Vie en haute altitude, p. 46.
Encyclopédie Universelle. 2012.