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PESTICIDES
PESTICIDES

Quoiqu’on puisse relever dans un lointain passé des recettes qui témoignent du désir de l’homme de protéger ses récoltes par une chimie primitive, ce n’est qu’au XIXe siècle que la lutte chimique a pris naissance: emploi du soufre (1843), de la bouillie bordelaise (1885) pour la protection du vignoble, de dérivés arsenicaux contre le doryphore (1872). Ainsi se créèrent une industrie et un commerce des produits antiparasitaires destinés à l’agriculture, et aussi à des usages ménagers.

La découverte des propriétés du D.D.T. par P. Muller (1940) marque le début de l’ère des pesticides. La puissante action insecticide de contact de ce produit associée à une faible toxicité aiguë pour les Vertébrés à sang chaud et à une synthèse industrielle simple à partir de matières premières courantes lui ouvrait un vaste champ d’application. Presque simultanément apparurent le parathion, l’H.C.H. et le 2,4 D rendant possible le désherbage sélectif (fig. 1). Des milliers de substances ont depuis été synthétisées et étudiées; quelques centaines ont résisté à l’épreuve de la pratique; elles entrent actuellement dans la composition des spécialités autorisées à la vente dans nombre de pays, dont la France.

Le terme «pesticide» est donc d’introduction récente. Il s’est substitué à «produit antiparasitaire» et à «produit phytopharmaceutique», qui n’ont pas exactement le même contenu. On peut définir un pesticide comme étant, à l’exclusion des produits pharmaceutiques et vétérinaires, une substance ou une préparation utilisée pour lutter contre des êtres vivants nuisibles à l’homme de façon directe ou indirecte.

Selon la nature des nuisibles auxquels ils sont destinés, les pesticides seront dénommés insecticides, acaricides, nématicides, fongicides, rodenticides ou herbicides. Les pesticides agricoles, très importants par la diversité de leur action et de leurs applications et par les répercussions de leur usage, par les études auxquelles ils donnent lieu, ne représentent cependant qu’une partie des pesticides. Le terme général englobe les insecticides utilisés pour détruire les insectes vecteurs de maladies et ceux qui dans nos maisons nuisent à notre confort, les fongicides qui protègent les bois ouvrés contre les champignons destructeurs, les insecticides encore, qui évitent ou limitent les dégâts des insectes du bois ou des charpentes, etc.

Mode d’action

Le mode d’action des pesticides varie selon la nature des organismes à détruire.

Insecticides

On distingue plusieurs voies d’intoxication possibles pour les insectes:

– l’ingestion , dont l’action s’exerce sur les insectes brouteurs par pénétration au niveau du tube digestif;

– le contact , mode d’intoxication qui permet d’atteindre de nombreux insectes non sensibles aux produits d’ingestion en raison de leur mode de vie (mouches des fruits, mouches domestiques, mouches du bétail, moustiques). L’intérêt de cette voie est que l’insecticide agit non seulement sur les insectes directement touchés par le toxique, mais aussi sur ceux qui viennent ultérieurement au contact des plantes traitées (pucerons, doryphores), des murs des étables ou des habitations (mouches domestiques, moustiques);

– l’inhalation où les insecticides, appliqués sous forme de gaz ou de vapeurs, pénètrent dans l’organisme par le système respiratoire; ils sont introduits dans des entrepôts de denrées stockées, dans des silos ou dans des chambres de fumigation, ou encore dans des espaces à diffusion lente tels les sols;

– la systémie , qui permet aux produits systémiques de pénétrer dans les plantes à travers les tissus des feuilles ou par les racines à partir du sol et de circuler dans la plante, où ils sont absorbés par les insectes piqueurs (pucerons, cicadelles, aleurodes) ou les acariens.

Au niveau biochimique et physiologique, la découverte des propriétés insecticides du D.D.T. et de son effet neurotoxique a entraîné la recherche et le développement de nouvelles molécules essentiellement neuroactives: tous les insecticides autorisés en France entre 1947 et 1975 sont, sans exception, actifs sur le système nerveux des insectes. Ils interagissent avec diverses protéines indispensables aux fonctions nerveuses: canaux-sodium voltage-dépendants (D.D.T., pyréthrinoïdes), acétylcholinestérase (organophosphorés et carbamates), canaux-chlore (cyclodiènes), etc.

Ce n’est qu’à partir de 1975 que sont apparues des molécules agissant sur d’autres cibles ayant un rôle spécifique dans la physiologie de l’insecte: ce sont les régulateurs de croissance d’insecte (R.C.I.), qui agissent sur la mise en place de la chitine dans le tégument (benzoyl-urées) ou en perturbant les mues et les métamorphoses.

Fongicides

Les fongicides s’opposent aux maladies cryptogamiques des plantes en empêchant la germination des spores contaminatrices ou le développement du mycélium des champignons phytopathogènes. Les produits préventifs doivent être employés avant la contamination, tandis que les produits systémiques exhibent une action curative. Ces derniers, en pénétrant par les racines ou par les graines enrobées, permettent la lutte contre les charbons nus de l’orge et du blé (carboxine, triazoles).

Herbicides

Les herbicides agissent sur les mauvaises herbes (cf. plantes ADVENTICES) soit par contact s’ils détruisent les parties de plante sur lesquelles ils sont déposés, soit par pénétration et diffusion, lorsqu’ils sont absorbés par les feuilles ou les racines et exercent leur effet toxique sur l’ensemble du végétal. Il existe des herbicides totaux détruisant toute végétation herbacée et des herbicides sélectifs épargnant la plante cultivée. La sélectivité peut être due à la morphologie de la plante, qui défavorise la pénétration, et à la physiologie particulière de l’espèce (ou même de la variété), peu sensible à l’action des herbicides ou capable de les dégrader. Un autre type de sélectivité (dit de position) repose sur le développement relatif de la plante et des mauvaises herbes [cf. AUXINES] ou sur les positions de leurs graines par rapport à la couche de sol contenant le produit qui peut être absorbé.

Produits actifs

Nature chimique

La nature chimique des pesticides est très variée. On a pu les classer en une trentaine de familles dont certaines reposent sur des analogies très vagues: par exemple, l’origine végétale. Parmi les plus cohérentes d’un point de vue structurel, on peut citer (fig. 1): les dérivés organophosphorés et les pyréthrinoïdes de synthèse (fig. 2) (insecticides), les carbamates (insecticides et herbicides), les dithiocarbamates et les triazoles (fongicides), les acides phénoxyarylcarboxyliques, les triazines, les urées (herbicides). Les insecticides organochlorés, famille chimiquement hétérogène, ont été les produits les plus utilisés après la Seconde Guerre mondiale. Les membres de ce groupe où figurent le D.D.T., l’H.C.H., l’aldrine et le toxaphène (fig. 3) présentent généralement une trop grande stabilité chimique, et leur accumulation progressive dans l’environnement a entraîné leur interdiction dans la plupart des pays.

Chaque produit reçoit un nom commun reconnu internationalement par l’intermédiaire de l’I.S.O., et qui est souvent utilisé au lieu du nom chimique.

Préparation et emploi

La matière qui possède des propriétés pesticides peut très rarement être utilisée telle quelle. Selon le type de matière active, les doses d’application sont très différentes: de 5 grammes à 1,5 kg par hectare cultivé. Elle est répandue sous forme de poudre fine ou par pulvérisation d’une suspension ou d’une émulsion de particules préparées par addition d’eau (parfois d’un solvant pétrolier) au moment de l’emploi. Elle doit être formulée soit en poudre pour poudrage , soit en poudre mouillable , en solution émulsionnable ou en émulsion concentrée.

La formulation en poudre mouillable met en œuvre une ou plusieurs charges inertes qui permettent la division et la dispersion d’une matière active solide ou l’absorption d’une substance liquide, le tout associé à des agents tensioactifs qui favorisent le mouillage, la dispersion des particules solides au cours de la phase dispersante et la répartition régulière du liquide pulvérisé sur la surface végétale. La formulation en liquide nécessite des solvants diluant la matière active, des composés tensioactifs pour réaliser par simple addition d’eau une émulsion homogène et stable et donner les propriétés d’étalement requises. En outre, la réglementation ou l’usage peut nécessiter l’addition de colorants. Il existe également: des formulations liquides pour des usages particuliers (par exemple, traitement par avion) qui ne sont pas diluées au moment de l’emploi; des formules où l’insecticide est associé à un engrais, des granulés qui s’épandent sur le sol; des formulations adhésives pour l’enrobage des semences; des appâts où l’un des composants doit attirer l’animal à détruire. Les insecticides ménagers et certains pesticides polyvalents pour jardin d’amateur sont présentés dans des bombes avec un gaz liquéfié propulseur (butane, fréon). Des préparations fumigènes qui dégagent l’insecticide ou le fongicide par combustion d’un mélange approprié sont très utilisées dans les serres. Enfin, des préparations sous forme de plaquettes imprégnées d’un insecticide adapté, qui se libère dans l’atmosphère à température ambiante ou par chauffage, sont d’un très grand usage ménager ou industriel.

Inconvénients

Toxicité et risques

Il faut distinguer la toxicité aiguë et la toxicité chronique ou à long terme. Les intoxications du premier type se manifestent rapidement après l’absorption de doses relativement importantes par l’utilisateur et son entourage. Les intoxications à long terme surviennent après des absorptions longtemps répétées de petites doses. Les risques de ce type pourraient résulter de la présence de résidus dans les aliments. Les toxicologues peuvent définir une dose journalière acceptable (D.J.A.) pour la plupart des substances. Afin d’écarter tous risques, les pouvoirs publics fixent une tolérance , quantité de résidus qui ne doit pas être dépassée dans un aliment donné. Les quantités apportées par les différents composants de la ration alimentaire doivent être inférieures à la dose journalière acceptable.

Dépôts et résidus

Le résidu, dans une denrée alimentaire, est superficiel dans le cas d’un dépôt sur les parties aériennes, ou interne dans le cas d’une absorption à partir du sol ou à partir du film superficiel. Sa concentration dépend de la quantité déposée et du temps écoulé entre le traitement et la récolte. Les résidus diminuent au cours du temps sous l’influence de l’élimination par la pluie et le vent, de la volatilisation, de la dégradation, voire sous l’influence de la croissance végétale. Les résidus internes sont transformés par les métabolismes: hydrolyse, oxydation, réduction, décarboxylation, conjugaison, etc. Certains produits dérivés sont plus toxiques que le produit initial, puis ils sont dégradés à leur tour en composés généralement moins toxiques. La dégradation peut se caractériser par un temps de demi-vie (dégradation de 50 p. 100) du dépôt initial. Les composés organophosphorés ont une vie courte. Certains hydrocarbures chlorés employés autrefois étaient très persistants. Après quinze ans, plus de la moitié des quantités de Dieldrine ou de D.D.T. demeurent encore dans les sols traités par ces insecticides. Les divers mécanismes permettent, en interrompant les traitements suffisamment avant la récolte, et à condition que les doses d’emploi préconisées n’aient pas été dépassées, d’avoir des résidus inférieurs à la quantité tolérée. Dans les eaux ou dans les sols, les pesticides subissent des dégradations chimiques et microbiologiques sous l’action des bactéries, des algues et des champignons; des réactions chimiques abiotiques transforment aussi les pesticides. Ils peuvent être dissous dans les solutions du sol et entraînés petit à petit vers les nappes phréatiques, malgré leur fixation plus ou moins forte sur les constituants du sol. Une certaine volatilisation se produit, ainsi qu’une codistillation lorsque certains de ces produits sont sur des nappes d’eau.

Contamination de l’environnement

Les insecticides organochlorés autrefois utilisés (D.D.T., H.C.H., heptachlore), absorbés par les animaux, se fixaient dans les graisses et passaient dans le lait ou dans les œufs. Les quantités de «résidus» indirects restaient cependant faibles et ne faisaient courir aucun risque au consommateur. Les sources de contamination étaient les murs des étables et des poulaillers. Certains aliments traités eux-mêmes ou cultivés dans des sols traités peuvent renfermer des résidus, mais le lavage élimine une partie des résidus superficiels. L’épluchage est extrêmement efficace. La cuisson détruit certains produits et peut favoriser l’élimination d’autres produits par volatilisation.

Les animaux sauvages dans un biotope, qui a été traité, absorbent les pesticides avec leur nourriture; s’ils sont persistants, ceux-ci peuvent se retrouver dans leurs viscères et dans leurs graisses et s’y concentrer. Si un animal consommateur primaire est à son tour la proie d’un autre, le phénomène se reproduit à un niveau d’absorption plus élevé. Lorsque la «chaîne alimentaire» s’allonge, il y a concentration à chaque étape, et les espèces en bout de chaîne, les rapaces, peuvent présenter des résidus de pesticides dans leurs œufs. On a ainsi imputé à la concentration des composés chlorés la raréfaction de certaines espèces (fragilisation des coquilles par perturbation du métabolisme du calcium sous l’effet du D.D.T.). Le concentration des résidus est particulièrement importante dans la faune aquatique.

Le potentiel de bioaccumulation de la nouvelle génération de pesticides est beaucoup plus faible.

Résistance

L’application régulière et intensive des pesticides peut entraîner l’apparition de souches résistantes des organismes visés: insectes, acariens, champignons phytopathogènes, rongeurs, mauvaises herbes, etc.

On entend par résistance la faculté qu’acquièrent certains individus, races ou souches, de tolérer une dose de substance toxique qui aurait provoqué un effet léthal chez la majorité des organismes composant la population normale de la même espèce. La résistance trouve son origine dans les modifications génétiques aboutissant à des mutations qui rendent les individus résistants à un pesticide. Ces nouveaux allèles se transmettent ensuite de génération en génération, et la résistance se développe au sein des populations par l’élimination progressive des génotypes sensibles effectuée par des traitements successifs. Le pesticide ne crée donc pas la résistance mais il la sélectionne.

Au niveau génétique, les résistances aux pesticides résultent donc de mutations ponctuelles entraînant des modifications de structure des gènes et de phénomènes d’amplification génique, qui modifient la production des enzymes de détoxication.

Ces modifications génétiques font jouer plusieurs mécanismes simultanément ou de façon isolée qui entraînent:

– des diminutions de la vitesse de pénétration des pesticides chez l’organisme cible;

– des augmentations des vitesses de dégradation et d’élimination des produits (résistances métaboliques);

– des modifications de la structure des cibles du toxique (résistance aux insecticides organophosphorés et carbamates, aux fongicides benzimidazoles ou aux herbicides triazines).

Conditions d’utilisation

Pour les raisons qui précèdent, les traitements systématiques selon un programme déterminé sont à déconseiller, car ils occasionnent une consommation superflue de produits qui viennent contaminer inutilement l’environnement [cf. POLLUTION].

La bonne pratique agricole consiste à n’entreprendre une application de pesticides que lorsqu’elle a le plus de chances d’être efficace, compte tenu de la biologie du parasite. À cet égard, les stations d’avertissement, qui suivent le développement des nuisibles et prévoient les périodes d’infestation, lancent des avis d’alerte qui déclenchent la mise en œuvre des opérations de traitement.

Depuis une vingtaine d’années, les organismes responsables de la recherche agronomique préconisent, dans la plupart des pays développés, le recours à la lutte intégrée. Celle-ci consiste à combiner un emploi judicieux des pesticides, permettant de limiter la pollution par ces substances avec l’usage de la lutte biologique contre les ravageurs.

En France, la vente d’un pesticide agricole doit être autorisée par le ministère de l’Agriculture. Auparavant, la Commission des toxiques donne son avis sur les risques résultant de la toxicité de la substance active. Des mesures de protection analogues sont en vigueur dans de nombreux pays, et actuellement harmonisées au sein de l’Europe.

Encyclopédie Universelle. 2012.