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NIGERIA
NIGERIA

La Fédération nigériane a survécu au double choc de la décolonisation et d’une guerre civile particulièrement meurtrière. C’est l’un des rares États africains dont les frontières délimitent un espace porteur de substantielles potentialités de développement. La refonte de la géopolitique interne du pays et la disponibilité d’importantes ressources pétrolières ont permis une consolidation de son unité durant les années 1970. Ces acquis sont fragilisés par les difficultés financières consécutives au déclin des ressources pétrolières et à la spirale non maîtrisée des revendications ethnorégionales.

1. L’espace nigérian

Le Nigeria est le seul État ouest-africain qui englobe au sein d’un même espace des aires culturelles et climatiques soudano-sahéliennes et côtières. D’une superficie de 923 773 kilomètres carrés, le quadrilatère nigérian est entouré par le Bénin, le Niger, le Tchad et le Cameroun: il dispose d’une façade atlantique longue de 800 kilomètres.

Les reliefs nigérians sont dans l’ensemble peu marqués. Les vallées du Niger et de son affluent, la Bénoué, définissent la limite entre le sud et le nord du pays et constituent l’élément majeur du relief; le Y du confluent figure sur les armes du pays. Le territoire comporte une série de plateaux dont la composition est cristalline au sud-ouest, basaltique au centre (régions de Bauchi et de Jos) et granitique au sud-est. Cette dernière zone est dominée par le pic Vogel qui s’élève à 2 043 mètres. Des plaines basses et sableuses bordent le littoral atlantique où l’embouchure du Niger est à l’origine d’un immense delta couvert d’une végétation luxuriante. À l’extrême nord du pays, c’est à l’inverse une végétation de type sahélien qui prédomine dans les hautes plaines de Sokoto et du bassin du lac Tchad.

2. Le peuplement

Le Nigeria est l’État le plus peuplé du continent et l’un de ceux dont le taux d’urbanisation est le plus élevé. Les statistiques démographiques disponibles ne fournissent qu’une image imprécise de cette réalité du fait de la politisation des enjeux des trois recensements (1962-1963, 1973 et 1991) organisés depuis l’indépendance. Leurs incidences ont toujours été considérables, tant du point de vue politico-administratif (prise en compte pour définir la représentation à l’échelon fédéral ou la création de nouveaux États et collectivités locales) qu’en matière d’accès aux ressources financières (prise en compte de la population des États pour la répartition des revenus de la Fédération). Sur la base des données du recensement de 1991 (88,5 millions d’habitants), la population du Nigeria serait de 91,5 millions en 1993. Ce résultat est toutefois bien inférieur aux estimations précédemment retenues par les experts des Nations unies (120 millions d’habitants en 1991). Les densités démographiques les plus fortes s’articulent autour de trois pôles, respectivement situés dans le Nord (Kano, Zaria et Jos), le Sud-Est (Enugu, Port Harcourt, Calabar) et l’Ouest (Lagos, Abéokouta, Ibadan, Ogbomosho). Les zones du plateau central, du bassin du lac Tchad, du delta du Niger et du bassin de la Cross River sont à l’inverse faiblement peuplées.

Le Nigeria compte plus de deux cents groupes ethniques. Sur la base de la classification des langues africaines établie par Joseph Harold Greenberg, trois cent quatre-vingt-quinze langues distinctes ont été répertoriées. Un peu plus de la moitié de la population nigériane (52 p. 100) vivrait dans les États du Nord et dans le Territoire de la capitale fédérale (F.C.T.). Trois conglomérats ethnoculturels prédominent. Au nord, les Haoussa et les Peuls représentent de 40 à 45 p. 100 de la population nigériane; à l’est, les Ibo comptent pour 10 à 15 p. 100 de la population totale de la Fédération, tandis qu’à l’ouest, les Yorouba en constituent de 20 à 25 p. 100. Le tiers restant de la population du Nigeria est formé de minorités, une mosaïque de populations dont les principales composantes sont les Kanouri, les Noupé et les Tiv dans le Nord, les Efik, les Ijaw et les Ibibio dans le Sud-Est.

Les clivages religieux ne recouvrent qu’imparfaitement la dichotomie entre régions situées au nord ou au sud du confluent du Niger et de la Bénoué. En 1963, 47 p. 100 des Nigérians se disaient musulmans (72 p. 100 dans le nord du pays et 43 p. 100 dans l’ouest du pays), tandis que le christianisme occupait une place prépondérante dans l’Est (77 p. 100). L’arrivée de l’islam dans le nord du Nigeria remonte au IXe siècle; aux XIVe et XVe siècles, le développement du commerce transsaharien et la venue de commerçants arabes à Kano et à Katsina favorisent son expansion. Puis le mouvement s’accélère avec les campagnes militaro-religieuses lancées par le réformateur musulman Ousmane Dan Fodio à partir de Sokoto, vers le pays haoussa et au-delà, dans la zone du plateau central (Middle Belt). La djihad s’étend également vers le sud-ouest où elle englobe Ilorin, avant d’être brisée militairement à Oshogbo, en 1840, par les Ibadan. Il faudra attendre l’imposition de la «paix coloniale» pour que la progression de l’islam reprenne, mais cette fois de manière pacifique, en pays yorouba et parmi les populations non ibo du Sud-Est.

Le christianisme est la religion prédominante dans le Sud nigérian. C’est à partir de la côte que s’est faite l’implantation du christianisme qui date du XIXe siècle bien que des prêtres catholiques aient, dès le XVe siècle, accompagné des commerçants portugais qui se rendaient à Bénin. Cette première prise de contact étant restée sans lendemain, il faut attendre l’installation à Badagri d’esclaves libérés venus de Sierra Leone pour qu’en 1842 des missionnaires anglicans et méthodistes y introduisent la religion chrétienne ainsi qu’à Abéokouta et à Lagos. L’expansion du christianisme va se poursuivre dans le Sud grâce à l’action missionnaire protestante et catholique relayée par la construction d’hôpitaux, d’écoles et la diffusion des valeurs du colonisateur.

La mobilisation du fait religieux à des fins politiques a suscité de violentes tensions intercommunautaires qui, durant la période de la guerre civile, ont menacé l’unité même du Nigeria. Après une période d’accalmie, une montée du fondamentalisme islamique et une politisation croissante du fait religieux sont intervenues depuis 1977. De sanglants affrontements ont provoqué à plusieurs reprises des milliers de morts dans le Nord, du fait de rivalités entre courants islamiques ou de conflits entre musulmans et chrétiens.

3. L’histoire précoloniale

De nombreux vestiges archéologiques témoignent de la richesse de l’histoire précoloniale du Nigeria, tant au nord qu’au sud. C’est à la civilisation de Nok que l’on doit les plus anciennes sculptures en terre cuite connues en Afrique subsaharienne. La culture de Nok aurait couvert une aire de quelque 500 kilomètres, au nord du confluent du Niger et de la Bénoué. Les objets découverts ont été datés entre 500 avant J.-C. et 200 après J.-C. L’art de Nok évoque celui d’Ifé-Bénin, et l’hypothèse d’une filiation est renforcée par des découvertes faites à Abuja, à environ 300 kilomètres de Ilé-Ifé (Oyo State). Ifé semble dès le IXe siècle avoir été un centre de moyenne importance qui devient, entre les XIe et XIVe siècles, le siège d’une cour royale pleine de magnificence. C’est de cette époque que datent les sculptures de bronze et les terres cuites qui valent sa renommée mondiale à Ifé.

L’évolution des formations politiques précoloniales du Nord nigérian doit être située dans le contexte plus général des évolutions propres à la ceinture soudanienne. Au IXe siècle apparaît l’empire du Kanem-Bornou dont le territoire s’étend du lac Tchad au Niger. Son émergence est une conséquence du dessèchement du Sahara qui suscite d’importantes migrations de populations nomades. L’empire Kanouri atteint son apogée sous la dynastie de la Sefawa avant de connaître une série de conflits dynastiques qui prennent fin au XVe siècle avec l’avènement du mai Ali Gaji. C’est toujours en liaison avec les mouvements qui affectent la ceinture soudanienne que se développent, à partir du XIe siècle, les royaumes haoussa de Kano, Biram, Daura, Rano, Katsina, Zassau (Zaria) et Gobir dont la prospérité repose sur le développement du commerce transsaharien. Au début du XIXe siècle, la djihad d’Ousmane Dan Fodio (1754-1817) bouleverse radicalement la configuration politico-religieuse du Nord nigérian. Au début de l’année 1804, le prédicateur réformiste prend la tête d’une offensive qui, en l’espace de quelques années, renverse les monarchies haoussa ou les contraint à l’exil.

L’empire de Old Oyo est la formation politique la plus puissante et la mieux organisée qu’ait connue le golfe de Guinée jusqu’à l’imposition de l’autorité coloniale. L’empire se développe à partir du XVIe siècle en tirant parti de sa situation le long de la zone de contact entre la savane et la forêt. Doté d’une cavalerie bien organisée, l’empire englobe, au XVIIe siècle, une grande partie du pays yorouba, ainsi que des régions substantielles du pays noupé, du Borgou et de l’actuelle république du Bénin. L’empire d’Oyo commence à décliner au XVIIIe siècle, du fait d’une crise des institutions et de conflits entre notables: aucun des alafin ne semble être décédé naturellement. Ce sont des institutions déliquescentes que vient menacer la djihad, ce qui conduit à l’abandon de la capitale de l’empire (Old Oyo) en 1810 et marque l’effondrement de l’empire d’Oyo; les États nouveaux qui se forment plus au sud (New Oyo, Ibadan, Ijaye et Abéokouta) vont se livrer les uns aux autres des conflits qui ne prendront fin qu’avec la paix armée du colonisateur.

Plus à l’est, le royaume de Bénin aurait été fondé entre les XIIIe et XIVe siècles. À partir du XVIe siècle, ses rois (les obas ) disposent d’une armée importante et contrôlent de facto un territoire plus étendu que celui de l’alafin d’Oyo. La prospérité du royaume repose sur les échanges commerciaux, y compris avec les Portugais qui y débarquent en 1472. Les cités-États du delta du Niger (Brass, Bonny et Calabar) entretiennent également avec les commerçants européens des contacts qui, à partir du XVIe siècle, influent de plus en plus fortement sur la composition des échanges et l’organisation des rapports sociaux. Le commerce des esclaves est relayé, après son abolition en 1807, par celui des produits palmistes. Plus au nord, les Ibo constituent un groupe de population acéphale mais largement homogène. Les perles et les bronzes magnifiques découverts sur le site d’Igbo-Ukwu et datés du IXe siècle témoignent de l’ouverture de cette région de la ceinture forestière aux contacts avec le monde oriental et l’Europe méridionale.

4. La colonisation

La présence européenne demeure concentrée autour de quelques enclaves côtières jusqu’au début du XIXe siècle. À compter de 1840, la marine britannique, tirant prétexte de l’interdiction de la traite, entreprend de consolider ses positions commerciales en négociant avec les souverains locaux des traités visant à l’abandon de cette pratique. L’interventionnisme croissant des représentants de la Couronne aboutit à la création de la colonie de Lagos en 1861. La Grande-Bretagne acquiert ainsi la mainmise sur le commerce avec l’hinterland yorouba; dans l’est du Nigeria, la situation de monopole des intermédiaires du delta est également brisée; parallèlement, les expéditions se multiplient (Park, Clapperton, Barth, Baikie, les frères Lander) et fournissent les éléments d’information qui permettront de remonter à l’intérieur des terres. Les bases d’une reconnaissance de l’influence britannique sont posées.

Le mouvement s’accélère après la Conférence de Berlin (1884-1885). Diverses missions d’exploration aboutissent à la formation, par George Goldie, d’une compagnie unique qui, en 1886, est dotée d’une charte royale. La Royal Niger Company reçoit le monopole de la colonisation administrative et économique des territoires autour du Niger: outre le pouvoir de négocier des traités, la compagnie dispose de sa propre armée, la West African Frontier Force. En 1899-1900, la juridiction de la Royal Niger Company est transférée au Colonial Office: le protectorat de la côte du Niger est rebaptisé protectorat du Sud nigérian (avr. 1899), puis un protectorat du Nigeria du Nord est également créé en fonction de l’espace délimité par la Convention franco-britannique de 1898. Un haut-commissaire, Frédéric Lugard, et chargé de mettre en place un contrôle effectif du territoire. En 1906, la colonie de Lagos et le protectorat du Sud nigérian sont fusionnés. Puis, en 1914, c’est au tour des protectorats du Nord et du Sud d’être réunis et placés sous l’autorité de Frédéric Lugard qui en devient le gouverneur général. Le Nigeria est né.

Le nom de sir Frédéric Lugard est intimement associé à la formation du Nigeria. C’est à lui que l’on doit la politique dite d’administration indirecte (Indirect Rule) qui assoit l’autorité coloniale en se servant des autorités traditionnelles. D’abord expérimentée dans le Nord avant d’être étendue à l’ensemble du pays, cette approche présente l’avantage de réduire considérablement le nombre de fonctionnaires nécessaires à l’encadrement du territoire nigérian. Son application s’avère toutefois problématique dans les régions du Centre et du Sud-Est où, faute de chefs traditionnels suffisamment influents, on est contraint d’en désigner (warrant chiefs ).

Les premières revendications nationalistes se font jour dans les années 1920 (Herbert Macauley fonda le Nigerian National Democratic Party), mais il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le principe même de la colonisation soit remis en question: les mouvements sociaux se radicalisent; des associations panethniques ou explicitement politiques se forment. Ces initiatives se traduisent par la formation de trois grandes forces dont les bases électorales coïncident avec les trois régions mises en place lors de la transformation du Nigeria en un État fédéral (1954). Le National Council for Nigeria and Cameroons (N.C.N.C.) de Nnamdi Azikiwe est essentiellement implanté dans l’Est; l’Action Group de Obafemi Awolowo tire ses soutiens les plus fidèles dans l’Ouest, tandis que le Northern People’s Congress (N.P.C.) de Ahmadu Bello (le puissant sardauna , c’est-à-dire «chef de guerre» du califat de Sokoto) doit l’essentiel de ses suffrages à la région septentrionale.

Promulguée sans aucune consultation des Nigérians, la Constitution du gouverneur général Arthur Richards (1946) suscite une campagne de réactions telle que son auteur est remplacé dès avril 1948. Son successeur, John Macpherson, reçoit alors pour consigne de préparer le Nigeria à l’autonomie interne (self-government ), voire à l’indépendance. Issue d’une conférence constitutionnelle organisée à Ibadan, la Constitution Macpherson (1951) s’avère d’emblée caduque, l’Action Group ayant déposé une motion exigeant l’autonomie interne pour 1956. Une telle échéance inquiète les dirigeants du Nord qui craignent une domination des rouages politico-administratifs de leur région par des élites du Sud, plus nombreuses du fait de l’influence des écoles chrétiennes dans cette région. Le N.P.C. menace de faire sécession, l’application de la Constitution est alors suspendue, tandis que de nouvelles négociations constitutionnelles s’ouvrent à Londres en 1952 et en 1953. Leurs conclusions sont reprises dans la Constitution Lyttleton (1954) qui transforme le Nigeria en une véritable fédération composée de trois régions et d’une capitale fédérale (Lagos); un système parlementaire est établi, avec élection au suffrage universel d’une Chambre basse composée à parts égales de députés du Nord et du Sud. La Constitution Lyttleton subit des modifications mineures en vue de l’accession à l’indépendance du Nigeria. Celle-ci a lieu le 1er octobre 1960, à l’issue d’élections générales (oct. 1959) au cours desquelles aucune des trois principales forces politiques n’a obtenu une majorité absolue des suffrages. Le N.P.C. disposant de la majorité relative, Abubakar Tafawa Balewa forme un gouvernement de coalition avec le N.C.N.C., reléguant du même coup l’Action Group dans l’opposition.

5. Le Nigeria indépendant

Un système fédéral dominé par les régions (1960-1966)

L’autonomie concédée aux trois régions dans le cadre du système fédéral a permis de préserver l’unité nigériane, mais constitue également une entrave à l’exercice de l’autorité fédérale. Les trois forces politiques principales contrôlent le gouvernement des trois régions et, dès 1961, tendent à s’y ériger en partis uniques. Dans le Nord, il en résulte de violents incidents en pays tiv dès 1960, puis à nouveau en 1964. Dans la région orientale, le N.C.N.C. est également hostile à toute représentation autonome des minorités du Sud-Est qui expriment de manière parfois violente leurs revendications. Toutefois, les tensions les plus graves éclatent dans la région occidentale contrôlée par l’Action Group: en mai 1962, les partisans de Obafemi Awolowo au sein de l’Assemblée régionale adoptent une motion de défiance à l’égard du gouvernement régional de S. Akintola, jugé trop conciliant envers la coalition gouvernementale à l’échelon fédéral. De graves incidents provoqués par les partisans d’Akintola aboutissent à une proclamation de l’état d’urgence, puis à la nomination d’administrateurs et de ministres intérimaires par le gouvernement fédéral. Awolowo et ses principaux partisans sont arrêtés et condamnés pour haute trahison à de lourdes peines de prison. Enfin, la région ouest est affaiblie par un redécoupage qui se traduit par l’établissement d’une quatrième région, le Midwest, en 1964. Parallèlement, les rapports entre les composantes de la coalition fédérale se dégradent: les élections générales de 1964 provoquent un éclatement de la coalition N.P.C.-N.C.N.C. au profit d’alliances organisées sur la base d’une dichotomie entre le Nord (Nigerian National Alliance comprenant le N.P.C. et la faction Akintola de l’Action Group) et le Sud (United Progressive Grand Alliance, ou U.P.G.A., formée par le N.C.N.C., les membres de l’Action Group encore en liberté et les partis du Nord minoritaires). Les fraudes électorales dans le Nord conduisent l’U.P.G.A. à boycotter le scrutin dans le Sud. Une grave crise politico-constitutionnelle s’ensuit entre le Premier ministre et le président de la Fédération (le Nigeria est devenu une république au sein du Commonwealth en 1963). Un compromis sera finalement trouvé avec la formation d’un cabinet fédéral élargi et l’organisation de nouvelles élections dans l’Est et dans l’Ouest (nov. 1965) où la violence politique atteint à cette occasion des sommets inégalés.

L’unité nigériane en crise

Le 14 janvier 1966, c’est un régime discrédité qu’un petit groupe d’officiers supérieurs renverse: vingt-sept personnalités civiles, dont le Premier ministre fédéral (A. Tafawa Balewa), ainsi que les Premiers ministres du Nord (A. Bello) et de l’Ouest (S. Akintola), sont assassinées. Le coup d’État, conduit par le major Nzéogwu, échoue toutefois lorsque le général Aguiyi-Ironsi, chef d’état-major des forces armées et ibo, comme la quasi-totalité des putschistes, prend la tête d’un contrecoup d’État et négocie la reddition des mutins. Sa popularité initiale subit une érosion rapide du fait de son refus de traduire les putschistes devant les tribunaux, mais aussi et surtout de son annonce (mai 1966) de l’abolition prochaine du système fédéral au profit d’un gouvernement unitaire. Une violente réaction s’ensuit dans le Nord où les nouvelles dispositions sont considérées comme un moyen d’asseoir la domination du Sud, et tout particulièrement des Ibo. À Zaria, dans le Nord, des manifestations estudiantines dégénèrent en émeutes au cours desquelles une centaine d’Ibo sont tués. Le 29 juillet 1966, le général Aguiyi-Ironsi est à son tour assassiné à Ibadan par des soldats du Nord; de nombreux soldats de l’Est périssent également dans des mutineries qui éclatent au même moment dans des garnisons du Nord, de l’Ouest et de Lagos. Le pays est au bord de la désintégration lorsque le lieutenant-colonel Yakubu Gowon, officier le plus gradé de la région septentrionale, est nommé président du Conseil militaire suprême. Yakubu Gowon est originaire d’un groupe minoritaire du Nord nigérian. De religion chrétienne, il n’a pas participé au coup d’État ni trempé dans les mutineries. Son premier geste est de rapporter les décrets centralisateurs du mois de mai, avant de convoquer une conférence constitutionnelle qui s’ouvre en présence de représentants de toutes les régions, le 12 septembre 1966, à Lagos. Les discussions sont brutalement interrompues le 30 septembre par l’annonce d’une série de massacres organisés dans le Nord. Les populations originaires de la région orientale sont impitoyablement traquées; près de deux millions de réfugiés regagnent la région orientale et le Midwest, traumatisés par les violences qu’ils ont subies. La région orientale réagit en procédant à d’intenses préparatifs en vue d’une sécession qui devient effective le 30 mai 1967. Le gouverneur militaire de la région orientale, Chukwuemeka O. Ojukwu, proclame alors l’indépendance de la république du Biafra.

La guerre qui s’ensuit va durer vingt-neuf mois (juill. 1967-janv. 1970) et provoquer près de deux millions de morts, victimes de la famine et de la malnutrition pour la plupart. La portée du conflit dépasse largement les frontières du Nigeria, en raison des appuis internationaux dont bénéficient les belligérants. La Grande-Bretagne, l’Union soviétique et la majorité des États membres de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.) accordent des soutiens politico-diplomatiques ou militaires au gouvernement fédéral, au nom du principe de l’intangibilité des frontières coloniales. À l’inverse, la reconnaissance du droit à l’autodétermination fonde les soutiens accordés à la cause du Biafra par la France, la Chine, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, la Zambie et la Tanzanie. Le drame vécu par les populations civiles fait l’objet d’une large couverture dans les médias internationaux, ce qui contribue à une mobilisation des opinions publiques et à des actions d’intervention humanitaire qui inaugurent un nouveau type d’approche. La reddition du Biafra intervient le 14 janvier 1970. Elle n’est suivie par aucun génocide de la population ibo, mais, au contraire, par une remarquable politique de réconciliation nationale, complétée par une redéfinition radicale des rapports entre le pouvoir central et les groupes géoculturels du pays.

La refonte de la géopolitique interne

Dès 1967, la menace de la sécession biafraise a permis au général Gowon d’imposer une refonte des rapports entre les trois grands conglomérats ethniques et leurs régions respectives, en procédant à une division en douze États. Les groupes ethniques minoritaires à l’intérieur des anciennes régions voient ainsi satisfaite une de leurs revendications principales. La nature hiérarchisée du pouvoir militaire, les impératifs de la conduite de la guerre puis l’accroissement spectaculaire des ressources pétrolières du Nigeria favorisent un élargissement des champs de compétence du pouvoir fédéral et une consolidation de son autorité au cours des années 1970. Une collecte centralisée des revenus de la Fédération est organisée, complétée par une formule de redistribution qui, depuis 1969, minore l’importance des ressources internes des États au profit des critères d’égalité de traitement et de pondération démographique. Le Nigeria dispose désormais des instruments nécessaires à la promotion d’un accès équitable aux ressources de la Fédération. Le souci de prendre en compte le «caractère fédéral» et la «diversité des populations» tend à être érigé en doctrine et devient la clé de voûte de la Constitution adoptée dans le cadre du transfert du pouvoir à un régime civil élu.

Le transfert du pouvoir à un régime civil

Dès le 1er octobre 1970, le général Gowon présente une ambitieuse liste de mesures destinées à préparer un retour du Nigeria à la démocratie en 1976. Le processus s’enlise toutefois en raison des controverses suscitées par les résultats provisoires du recensement de 1973, de la montée incontrôlée de l’agitation autour de la création de nouveaux États et d’une perte de contrôle du gouvernement fédéral sur des gouverneurs militaires qui se comportent en caciques locaux. Le 1er octobre 1974, le transfert du pouvoir est ajourné sine die. La nouvelle avive les mécontentements, d’autant qu’elle intervient dans le contexte d’une situation économique qui s’avère de plus en plus chaotique à partir du début de l’année 1975: des hausses salariales massives sont consenties dans la fonction publique, afin de répercuter l’accroissement des revenus pétroliers et tenter de répondre aux revendications sociales. Il en résulte des pénuries d’essence, une montée de l’inflation et un engorgement spectaculaire du port de Lagos. Le 29 juillet, alors que Yakubu Gowon est à l’étranger, son régime est renversé sans coup férir par le général Murtala Mohammed, originaire de Kano. Les gouverneurs militaires des États sont démis de leurs fonctions et les résultats du recensement de 1973 sont annulés. Une vaste campagne de lutte contre la corruption se traduit par le licenciement de plus de dix mille employés des secteurs public et parapublic durant les semaines suivantes. Un vaste mouvement de réflexion est engagé sur les questions laissées en suspens par l’administration Gowon. Dès le 1er octobre 1975, un calendrier fait d’échéances précises est rendu public, dans l’optique d’un transfert du pouvoir le 1er octobre 1979.

Ce calendrier sera scrupuleusement respecté malgré la disparition du chef de l’État, assassiné lors d’une tentative de coup d’État conduite par des mutins originaires du plateau central (la région du général Gowon), le 13 février 1976. Le général Olusegun Obasanjo, le chef d’état-major des forces armées et second de Murtala Mohammed, lui succède. Le nombre des États est porté de douze à dix-neuf (avr. 1976); l’organisation des collectivités locales (local governments ) unifiée (déc. 1976); enfin, et surtout, une nouvelle Constitution nigériane est préparée par un comité puis une Assemblée constituante (oct. 1977-juin 1978) dont les membres sont élus au suffrage universel indirect. Le texte finalement adopté par le Conseil militaire suprême introduit une Constitution de type présidentiel avec une nette séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La clé de voûte de la nouvelle Constitution est le principe du caractère fédéral qui vise à ce qu’aucune prépondérance ne soit accordée à des personnes «originaires d’un petit nombre d’États ou d’ethnies ou d’autres groupes minoritaires dans le gouvernement ou dans l’un de ses organes». Promulguée par décret le 21 septembre 1978, la Constitution entre en vigueur un an plus tard.

En décembre 1978, dix-huit formations déposent leur candidature au statut de parti politique, mais seules cinq sont finalement jugées en conformité avec les dispositions constitutionnelles (sur l’assise nationale des partis) et autorisées par la Commission fédérale électorale (Fedeco) à présenter des candidats. Leur implantation évoque fortement celle des forces politiques de la Ire République. Le Great Nigerian People’s Party d’Ibrahim Waziri recouvre l’aire Kanouri; le National Party of Nigeria (N.P.N.) de Shehu Shagari a son assise principale sur l’aire d’extension de l’empire de Sokoto, tout en comportant d’importantes ramifications parmi les minorités du Sud-Est, du plateau central et au nord du pays yorouba; le Nigerian People’s Party (N.P.P.) de Nnamdi Azikiwe est surtout implanté en pays ibo et parmi les communautés chrétiennes du plateau central; le People’s Redemption Party de Mallam Aminu Kano est un parti populiste fondé sur une opposition à l’emprise oligarchique du N.P.N. dans le Nord; enfin, le Unity Party of Nigeria (du chef Obafemi Awolowo) dispose d’une assise électorale focalisée autour du pays yorouba.

Les consultations électorales organisées en juillet-août 1979 se déroulent dans un climat souvent passionné, mais sans violence. Le N.P.N. devient la première formation politique du Nigeria en raison de sa capacité à mobiliser des soutiens à l’extérieur de son aire d’implantation principale: son candidat à la présidence, Shehu Shagari, est proclamé élu avec 33 p. 100 des suffrages contre 27 p. 100 à Obafemi Awolowo; sept des dix-neuf postes de gouverneur reviennent également au N.P.N. qui dispose de la majorité relative des sièges dans chacune des deux Assemblées fédérales.

La IIe République

Le 1er octobre 1979, les militaires remettent le pouvoir au président Shehu Shagari qui forme un cabinet d’union avec le soutien du N.P.P. La IIe République devient rapidement synonyme d’affairisme et de corruption. Visées électorales et logiques clientélistes priment sur les considérations d’efficacité ou d’éthique dans les processus de décision ou lors des nominations. À la veille des élections générales de 1983, l’emprise du N.P.N. sur l’administration et la vie politique mine la capacité d’opposition des autres partis. L’accord de gouvernement N.P.N.-N.P.P. n’a fonctionné que superficiellement jusqu’à sa rupture formelle à l’initiative du N.P.P. en juillet 1981. Irrégularités et violences (dans les États d’Oyo et d’Ondo) entachent les élections d’août-septembre 1983 qui aboutissent à conférer un quasi-monopole de représentation au N.P.N.: Shehu Shagari est réélu avec 47,5 p. 100 des voix tandis que dans douze des dix-neuf États des gouverneurs N.P.N. arrivent au pouvoir. Le parti acquiert également la majorité absolue des sièges dans les deux Chambres fédérales et une majorité des sièges dans dix des dix-neuf États. Le consensus sur lequel reposait la stabilité du système politique nigérian est doublement fragilisé par la remise en question du pluripartisme et par la gestion de plus en plus arbitraire des ressources tirées du pétrole.

L’armée revient au pouvoir

La IIe République prend brutalement fin lorsqu’une poignée d’officiers supérieurs des forces armées démet de ses fonctions Shehu Shagari, puis dissout les Assemblées et abroge la Constitution de 1979. Le général Mohammed Buhari, apparenté à une famille aristocratique de Daura (État de Kaduna), devient chef de l’État. La gestion des affaires publiques est confiée à un Conseil exécutif fédéral où la majorité des portefeuilles est attribuée à des civils.

Les nouveaux dirigeants se réclament du modèle réformiste de Murtala Mohammed et entreprennent, dès leur arrivée au pouvoir, d’établir un strict contrôle sur les États, les médias et les citoyens. Accusées de détournements de fonds publics, plusieurs milliers de personnalités sont condamnées à des amendes et à des peines de prison. La liberté de la presse est également réglementée (décret no 4), tandis que des campagnes sont lancées afin de lutter contre l’indiscipline, la fraude et le marché noir... Ces orientations sont raidement impopulaires, car la conjoncture économique ne cesse de se détériorer. Le 27 août 1985, le général Ibrahim Babangida (Niger State) prend le pouvoir sans coup férir. Il s’engage à organiser une transition vers un régime civil et nomme, en janvier 1986, un groupe de personnalités chargées de réfléchir sur les dysfonctionnements de la vie politique sous la IIe République afin d’y remédier. Sur la base des recommandations qui s’ensuivent, un programme de transition est annoncé en juin 1987. Parmi les objectifs que les militaires s’assignent figurent la révision de la Constitution, l’organisation d’un nouveau recensement, la poursuite du programme d’ajustement structurel lancé en 1986 et surtout l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes politiques. Un Directorat de la mobilisation sociale (Mamser) est créé à cet effet et directement rattaché à la présidence.

En novembre 1987, la création de deux nouveaux États (Akwa Ibom et Katsina) bouleverse une fois de plus la géopolitique interne du Nigeria. Ce redécoupage est présenté comme sans appel par le général Babangida, mais il décide en 1991 de créer neuf États supplémentaires (soit 30 au total) et deux cent cinquante-six collectivités locales (457 au total) afin de tenter de réduire la montée des oppositions à sa politique.

L’élection des conseillers locaux (déc. 1987) constitue une étape dans la désignation (avr. 1988) des membres de l’Assemblée constituante (juin 1988-mars 1989). Les prérogatives de cette dernière sont considérablement limitées par l’interdiction qui lui est faite par les militaires de débattre de questions telles que la nature fédérale de l’État ou le caractère présidentiel, bicaméral et bipartite du futur régime civil. Le texte de la Constitution finalement adopté par les militaires en 1989 reste, de ce fait, extrêmement proche de celui de la Constitution de 1979. Le 3 mai 1989, l’interdiction de toute activité politique est levée pour permettre le dépôt de candidature au statut de parti politique. Treize formations sont présélectionnées par la Commission électorale nationale, mais aucune d’entre elles ne sera retenue par le Conseil de gouvernement des forces armées. Le 7 octobre 1989, à la surprise générale, le général Babangida prononce leur dissolution en invoquant leur inaptitude à assurer l’émergence d’un «nouvel ordre socio-politique». La Commission nationale électorale est chargée de confectionner les programmes de deux partis conçus de manière que l’un soit «un peu à gauche», ce sera le Social Democratic Party (S.D.P.), l’autre «un peu à droite du centre», ce sera la National Republican Convention (N.R.C.).

Les fortes contraintes qui caractérisent la gestion de la transition par le régime militaire s’alourdissent encore après la sanglante tentative de putsch du 22 avril 1990. Des mutins originaires du Sud et du plateau central prennent le contrôle de Lagos durant quelques heures au cours desquelles ils dénoncent l’emprise exercée par les États du Nord sur le système politique nigérian. L’échec du coup d’État est prétexte à de multiples arrestations de journalistes, universitaires et militants des droits de l’homme. Soixante-neuf militaires sont également exécutés après avoir été jugés par des tribunaux siégeant à huis clos. L’engagement de transférer le pouvoir à un régime civil en 1992 demeure officiellement à l’ordre du jour: les conventions nationales du S.D.P. et de la N.R.C. se réunissent à Abuja, la nouvelle capitale fédérale, en juillet 1990. Il faut toutefois attendre près d’un an pour qu’aient lieu (oct. 1991) les primaires en vue de la désignation des candidats aux fonctions de gouverneur. Elles révèlent surtout l’influence que conservent en sous-main les hommes politiques de la IIe République, officiellement interdits de candidature. À l’issue des élections organisées le 14 décembre 1991, seize gouverneurs N.R.C. sont élus contre treize pour le S.D.P. C’est toutefois ce dernier qui obtient la majorité absolue des sièges dans les deux Assemblées fédérales (juill. 1992). Le S.D.P. affirme ainsi sa capacité à mobiliser un réseau d’alliances beaucoup plus large que celui de la N.R.C. puisqu’il englobe le pays yorouba, les minorités chrétiennes du plateau central, le pays kanouri ainsi que l’Iboland.

L’ultime étape de la transition est le scrutin présidentiel qui débute le 1er août 1992 par des primaires. Celles-ci, après avoir été reportées une première fois pour cause d’irrégularités, sont finalement annulées le 16 octobre. Un mois plus tard, le général Babangida annonce un report de l’élection présidentielle au 12 juin 1993; le transfert du pouvoir est prévu pour le 27 août au lieu du 2 janvier 1993 annoncé jusqu’alors. L’élection présidentielle a effectivement lieu le 12 juin 1993, dans un calme et une discipline rarement égalés dans l’histoire du Nigeria. Les réactions n’en sont que plus exaspérées lorsque la confusion juridique entretenue par un lobby favorable au maintien d’Ibrahim Babangida au pouvoir (l’Association pour un Nigeria meilleur) sert de prétexte à interdire la publication des résultats définitifs du scrutin. Le candidat du S.D.P., Moshood Abiola (Ogun State), est privé de sa victoire.

Un tollé de protestations s’ensuit. À l’issue de près de deux mois d’affrontements au cours desquels plus d’une centaine de morts sont enregistrées, le général Babangida se démet de ses fonctions (26 août 1993), sans qu’aient été validés les résultats du scrutin. Le pouvoir est transmis à un gouvernement civil intérimaire de transition placé sous la direction d’Ernest Shonekan, un administrateur de société d’origine yorouba. La tâche principale qui lui a été confiée est l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle, un projet qui divise profondément la classe politique et entraîne une série de batailles politico-juridiques. Le Nigeria est dans l’attente d’un jugement imminent de la Cour suprême d’Abuja sur la légalité du gouvernement Shonekan lorsque, le 17 novembre, ce dernier est contraint de remettre le pouvoir au général Sani Abacha, ministre de la Défense et chef d’état-major des forces armées. La passation des pouvoirs intervient alors que le gouvernement de transition est confronté à une grève générale consécutive à sa décision d’accroître le prix des carburants, dans le cadre d’une tentative de reprise en main des dérives budgétaires – le déficit légué par l’administration militaire est cinq fois supérieur aux prévisions.

Dès le 18 novembre, le général Sani Abacha interdit le S.D.P. et la N.R.C. Il dissout toutes les assemblées élues et démet de leurs fonctions les gouverneurs des États. En avril 1994, un nouveau programme politique de transition est annoncé au nom du Conseil de gouvernement provisoire, l’instance militaire qui désormais gouverne le pays. Le schéma présenté prétend tirer un trait sur l’ensemble du processus laborieusement engagé sous l’égide du régime Babangida dont Sani Abacha était pourtant le plus fidèle lieutenant. Une révision de la Constitution est annoncée et des élections au suffrage indirect sont organisées les 23 et 28 mai en vue de l’élection des deux tiers des trois cents soixante-neuf délégués à la Conférence constitutionnelle. Le scrutin se déroule dans un climat politique qui oscille entre le désintérêt et, dans le Sud-Ouest, le boycottage actif. Un vaste mouvement d’opposition s’est mis en place avec la formation, en avril 1994, d’une Coalition démocratique nationale (Nadeco) composée des partisans de Moshood Abiola ainsi que des personnalités politiques dont l’élection a été annulée par le général Abacha.

L’économie nigériane

Le pétrole représente plus de 95 p. 100 des exportations du Nigeria officiellement recensées. Ses réserves pétrolières sont estimées à 17,9 milliards de barils, soit vingt-sept années de production au rythme actuel. Il s’y ajoute des réserves de gaz estimées à 3 400 milliards de mètres cubes, soit une production de 4,5 millions de tonnes d’équivalent pétrole. Les cultures de rente sur lesquelles furent bâties la prospérité des régions du Nord (arachides et coton), de l’Est (palmistes et caoutchouc) et de l’Ouest (cacao) ont cessé d’être l’importante source de devises qu’elles étaient jusqu’à la veille de la guerre civile. La contribution de l’agriculture au P.I.B. est passée de 55 à 20 p. 100 entre 1968 et 1980. Sa part dans les exportations totales a chuté de 62 à 2,6 p. 100 au cours de la même période. À l’inverse, les revenus des exportations pétrolières qui s’élevaient à 250 millions de dollars en 1970 atteignaient plus de 25 milliards une décennie plus tard. Le Nigeria devient durant cette période l’un des marchés les plus attrayants de la planète, ce qui incite ses responsables à pratiquer une politique économique nationaliste fondée sur une politique industrielle d’import-substitution. Une nigérianisation des entreprises est imposée par les décrets de 1972 et de 1977 sur la promotion des entreprises indigènes qui réservent certains secteurs à des entreprises indigènes ou limitent la participation des investisseurs étrangers. La politique suivie permet une forte croissance des emplois industriels, bien que l’apport de l’industrie à l’économie nigériane demeure limité (8,6 p. 100 du P.I.B. en 1983).

Les ressources pétrolières du Nigeria et la taille de son marché lui valent de jouer un rôle plus actif dans les relations internationales. Il contribue de manière décisive aux négociations qui se traduisent par la signature de la Convention de Lomé (févr. 1975) entre la Communauté européenne et les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (A.C.P.). En Afrique de l’Ouest, la volonté du Nigeria d’exercer une influence régionale se traduit par la signature de la Charte de Lagos (mai 1975) qui regroupe tous les États indépendants de la sous-région au sein d’une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.). Cette montée en puissance du Nigeria dans les relations internationales est brutalement interrompue par les contre-chocs pétroliers de 1978 puis de 1981. Le Nigeria enregistre une chute soudaine de ses recettes extérieures: alors qu’elles étaient égales à 25,6 milliards de dollars en 1980, elles ne sont plus que de 10,7 milliards de dollars en 1983. L’endettement extérieur du pays s’accroît au point d’atteindre 18 milliards de dollars en 1983, soit plus que la valeur des exportations. Le Nigeria rejoint le groupe des pays les plus endettés. Une politique d’ajustement structurel est mise en œuvre à compter de 1986, après que le gouvernement eut refusé les conditions posées par le Fonds monétaire international. L’approche retenue par le gouvernement implique une réduction des dépenses, un blocage de l’emploi et des salaires et une privatisation des entreprises; les subventions à la consommation sont également supprimées, hormis dans les secteurs jugés trop sensibles (engrais et carburants). Cette politique, extrêmement impopulaire, produit des résultats mitigés. La montée de l’endettement du Nigeria se poursuit pour atteindre 33 milliards de dollars au début de l’année 1994, lorsque la fin de la politique d’ajustement structurel est alors proclamée par le général Abacha. Malgré une inflation estimée à 80 p. 100, le taux de change flottant de la naira est abandonné au profit d’une parité fixe égale au double de sa valeur antérieure vis-à-vis du dollar. Les effets immédiats de cette politique sont une aggravation des pénuries de devises et un creusement du déficit budgétaire. Les pratiques frauduleuses qui obèrent la gestion du secteur pétrolier se traduisent par des pénuries d’essence qui atteignent des sommets inégalés durant le premier semestre de 1994.

Nigeria
(République fédérale du) état d'Afrique occid., sur le golfe de Guinée, limité à l'O. par le Bénin, au N. par le Niger, au N.-E. par le Tchad et à l'E. par le Cameroun; 923 768 km²; env. 100 millions d'hab., état le plus peuplé d'Afrique, croissance démographique: 3,3 % par an; cap.: Abuja. Nature de l'état: rép. fédérale. Langues off.: anglais, français. Monnaie: naira. Princ. ethnies: Haoussa (21 %), Yoruba (21 %), Igbo (18 %), Peul (11 %); on compte environ 200 ethnies. Relig.: islam (45 %), christianisme (40 %), relig. traditionnelles (15 %). Géogr. phys. et hum. - Au N. du pays se trouvent des plateaux accidentés qui s'abaissent vers une large plaine littorale bordée de mangrove. Les vallées de la Bénoué et du Niger (qui se termine par un vaste delta) donnent au pays son unité géographique. La zonation climatique fait se succéder, du S. au N., un domaine subéquatorial forestier, un domaine tropical de savane et une zone plus sèche, steppique. La population présente une grande diversité ethnique et une forte densité (125 hab./km²); le centre est le moins peuplé; le S. l'est le plus. L'exode rural est important, lié à une croissance démographique rapide et trois villes dépassent le million d'hab.: Lagos (le Grand Lagos regroupe 9 millions de personnes), Ibadan, Kano. écon. - Le décollage économique du Nigeria, amorcé au début des années 80, ne s'est pas confirmé dix ans plus tard. L'agriculture reste une activité essentielle, employant 40 % des actifs et assurant une production très diversifiée, grâce à la variété des terroirs et des climats: maïs, manioc, millet, riz, sorgho, pour les cultures vivrières; cacao, caoutchouc, arachide, coton et bois, pour les produits exportés. Mais le déficit agricole demeure important. Le pays a durement souffert de l'effondrement de ses revenus pétroliers, divisés par trois entre 1980 et 1990, en raison de la chute de la prod. et de la baisse des cours; cela a compromis les efforts de développement et provoqué des troubles sociaux dans les villes. Le Nigeria garde cependant de nombreux atouts: développement agricole; réserves de gaz naturel; diversification industrielle: pétrochimie, usine de liquéfaction de gaz, essor de la filière agro-alimentaire. Hist. - Sur le plateau de Jos, la culture de Nok fut l'une des prem. du continent africain (Ve s. av. J.-C.-IIe s. apr. J.-C.). Aux XIIIe-XIVe s., la culture d'Ife atteignit son apogée. à cette époque, les cités-états haoussa forment un réseau solidaire qui leur permet de résister au Kanem-Bornou et au Songhay, notam. Aux XVIIe-XVIIIe s., les royaumes du Bénin et d'Oyo atteignent leur apogée. En 1804, le Peul musulman Ousmane Dan Fodio attaqua les Haoussa et fonda le royaume théocratique de Sokoto. Dès 1631, les Anglais avaient implanté des comptoirs sur la côte, où ils contrôlèrent le commerce. L'exploration de l'intérieur commença seulement en 1849. Les Anglais imposèrent leur protectorat à Lagos en 1861. En 1897, ils s'emparèrent du royaume du Bénin, après avoir vaincu le pays yoruba. En 1900, lord Lugard entreprit la conquête du Nord. En 1914, il fusionna le Nord et le Sud, et le Nigeria attaqua le Cameroun allemand. Les Britanniques encouragèrent la formation d'une élite locale et, à partir de 1945, l'évolution vers l'indépendance se fit par étapes. Le Nigeria accéda à l'indépendance en 1960 et forma une république en 1963. Les oppositions ethniques provoquèrent la sécession du Biafra (1967-1970), province du S.-E. riche en pétrole. En 1975, le général Gowon, chef de l'état depuis 1966, fut renversé par le général Mohammed, lui-même renversé (1976) par le général O. Obasanjo. Après la défaite biafraise, la conjoncture écon. intern. (hausse des cours du pétrole) a fait du Nigeria un pays riche, consommant beaucoup mais investissant peu. Le régime militaire ne fit rien pour réprimer une corruption dont il profita largement, mais le phénomène s'amplifia encore sous le gouvernement civil du prés. A.S. Shagari (1979 à 1983). Ayant repris le pouvoir en 1983, l'armée dut tenir compte de la chute des cours du pétrole. Après le coup d'état du général Babangida en 1985, le clientélisme et la corruption sont restés de règle, tandis que la polit. d'austérité recommandée par le F.M.I. entraînait en 1992 des émeutes de la faim dans la capitale. Ne cessant de différer la remise du pouvoir aux civils, Babangida a déclenché une grave crise polit. et a démissionné en août 1993, mais deux mois plus tard, les militaires, dirigés par le général Sanni Abacha, ont repris le pouvoir. En 1995, une répression sanglante s'abattit sur les partisans de la cause des Ogoni: huit personnes, dont l'écrivain Ken Saro-Wiwa, furent pendues. Le Nigeria fut exclu du Commonwealth et l'Afrique du Sud orchestra le boycott du pays. En 1996-1998, le régime a maintenu sa ligne dure et a fixé au 1er août 1998 l'élection présidentielle. En mai 1997, le Nigeria est intervenu en Sierra Leone.

Encyclopédie Universelle. 2012.