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MEZZOGIORNO
MEZZOGIORNO

Avec 19,6 millions d’habitants, le Midi italien abrite 36,5 p. 100 de la population du pays. Il s’étend depuis les portes de Rome sur toute la péninsule et les îles de Sicile et de Sardaigne. Les problèmes économiques et sociaux du Sud constituent une des questions fondamentales de la société italienne, malgré les énormes efforts de l’État à travers les actions de la Caisse du Midi (Cassa del Mezzogiorno devenue en 1986 l’Agenzia per il Mezzogiorno) pour combler le retard de ces régions par rapport au Nord et au Centre. Si le niveau de vie du Midi a considérablement progressé depuis les années 1950, le fossé reste encore très large et les difficultés, liées à la crise mondiale qui s’est développée depuis 1973, prennent souvent un tour dramatique pour les grandes implantations industrielles basées sur la pétrochimie et la sidérurgie. Or, le Sud garde le souvenir de son ancienne prospérité et voit dans l’État, unifié en 1861, l’origine de tous ses maux. Les investissements massifs ont-ils été inefficaces? Les difficultés liées à la géographie sont-elles insurmontables? La société méridionale traditionnelle est-elle immuable, figée par le clientélisme politique, la Mafia et le caractère toujours très parasitaire des villes? La situation va-t-elle encore se dégrader avec le ralentissement de l’émigration qui a été la soupape de sûreté et la planche de salut pour plus de 10 millions de méridionaux en un siècle?

Le bilan, très discuté, de la politique menée en faveur du Midi intéresse tous les pays sous-développés de la Méditerranée qui sont à la recherche de techniques efficaces pour assurer leur modernisation.

Les origines du sous-développement du Midi

Les origines du sous-développement du Midi sont lointaines. Il s’est aggravé au cours des siècles, d’autant que les données naturelles ne sont pas toujours favorables. La longue sécheresse estivale craquèle les sols et rend l’irrigation indispensable si l’on veut moderniser l’agriculture. La violence des pluies ravage les collines de roches tendres et inonde les plaines longtemps paludéennes qu’il a fallu bonifier. Les montagnes, bien arrosées, ont un climat rude mais accueillant l’été pour les troupeaux des plaines. Enfin le Midi est loin de l’Europe industrielle, même s’il offre un carrefour au milieu de la Méditerranée qui lui a permis de bénéficier des apports techniques et culturels des civilisations grecques et arabes. Mais le Midi a partagé la décadence économique de la Méditerranée pendant que le Nord participait avantageusement au développement de l’Europe industrielle et commerçante.

L’histoire pèse lourd sur la société méridionale. Si l’activité économique et culturelle s’épanouit dans le sud de la péninsule et en Sicile, dès le VIIIe siècle avant J.-C., grâce aux Grecs, la victoire de Rome marque l’avènement des grands domaines aristocratiques qui se perpétueront jusqu’à la Réforme agraire de 1950. Sauf quelques plaines comme celles de Campanie, qui connaissent très tôt les cultures intensives, c’est l’agriculture extensive des céréales et les ovins transhumants qui constituent les piliers de l’activité économique. La féodalité subsiste jusqu’en 1812 et les villes tirent une rente foncière d’une terre dans laquelle les propriétaires non résidents investissent très peu. Le mouvement communal ne touche pas le Midi qui s’enfonce au XVIIe siècle dans le déclin méditerranéen, les luttes, l’intervention étrangère et le protectionnisme économique que fera éclater l’Unité italienne en 1861. Le Sud sera désormais sacrifié au Nord jusqu’à ce que ses problèmes passionnent le pays à partir de 1950-1955. Mais le retard économique et social, malgré quelques opérations spectaculaires de bonification des Maremme et la «bataille du blé» sous le fascisme, s’est considérablement accéléré.

Vers 1950, le Midi connaît un vrai sousdéveloppement: le revenu par tête représente entre 40 et 60 p. 100 de celui du Nord, 13 000 propriétaires contrôlent 4,5 millions d’hectares tandis que 4 millions de petits paysans se partagent à peine 1 million d’hectares à côté des braccianti sous-employés. On compte de 20 à 30 p. 100 d’analphabètes et des centaines de milliers de chômeurs. La natalité atteint de 26 à 30 p. 1 000 malgré une émigration intense vers les Amériques et le reste de l’Europe. Les infrastructures sont médiocres et seule Naples possède une importante métallurgie liée à l’I.R.I. Le Sud est en situation de colonie et commence à fournir ses hommes au Nord industriel par trains entiers. Le cinéma italien fait découvrir au reste du monde, étonné, les misères de Naples, les luttes paysannes, la Maffia. L’État italien décide d’intervenir et crée la Caisse du Midi, en 1950, pour essayer de corriger ce retard et de transformer les structures afin d’assurer le décollage économique.

L’évolution de la politique d’intervention

L’évolution de la politique d’intervention en faveur du Sud apparaît à travers les diverses orientations qui ont commandé les investissements considérables faits sur 43,5 p. 100 du territoire italien par la Cassa, qui est soumise aux directives des Conseils des ministres depuis plus de trente ans.

En 1950, il lui faut assurer le succès de la réforme agraire et des bonifications. Jusqu’en 1957, 77 p. 100 des crédits (en plus de ceux, normaux, des ministères et des collectivités locales) vont à l’agriculture, que l’on modernise. On partage plus de un million d’hectares entre 45 000 fermes neuves. Les plaines sont drainées et irriguées, mais les échecs sont nombreux et les problèmes de l’emploi restent sans solution malgré 4 millions de départs vers le Nord et les grandes villes.

En 1957, une nouvelle loi affirme la nécessité de l’industrialisation du Midi sur des critères inspirés de l’économiste F. Perroux: création de pôles industriels où des investissements massifs doivent permettre à des «noyaux» puis à des «aires» plus larges de décoller. Il en va de même pour l’essor touristique et agricole, auquel on travaille sur les mêmes principes, en fonction des facteurs naturels, de la démographie et de l’amélioration des infrastructures. La Caisse aide la formation de consorzi (sociétés d’économie mixte) pour cogérer les zones industrielles et les nuclei («noyaux»). L’ensemble des choix est approuvé en Conseil des ministres. Des lois successives, tenant compte de la réforme régionale, favorisent une meilleure planification et l’association plus étroite avec les milieux économiques et politique régionaux. Une cinquantaine de pôles et d’aires reçoivent des investissements massifs de l’État, des sociétés nationales et privées ainsi que des multinationales de la pétrochimie. Les «projets spéciaux» prennent en compte des espaces plus vastes mais le gouvernement apporte aussi des aides plus considérables aux petites et moyennes industries, créatrices d’emplois plus nombreux que les grosses implantations de la chimie ou de la sidérurgie. Car les méridionaux protestent contre la création des «cathédrales dans le désert» que sont les complexes métallurgiques de Tarente ou les complexes pétrochimiques de Augusta et de Gela en Sicile: des crédits énormes pour peu d’emplois et une dépendance totale vis-à-vis des directions et des marchés du Nord. Les meilleurs résultats sont obtenus dans les Pouilles, devenues la «Lombardie du Sud», en Campanie tout autour de Naples (automobile, aviation, électronique, etc.), dans le sud du Latium, les bassins et le littoral des Abruzzes, les zones de Cagliari et du Tirso en Sardaigne.

Un bilan partiellement positif

Entre 1950 et 1980, la Caisse du Midi a investi plus de 36 000 milliards de lires, et un nouveau plan de cinq ans octroie des aides aux «projets spéciaux» pour 40 000 milliards. L’essentiel va au développement industriel, avec un effort pour les activités manufacturières à taux d’emplois plus élevés. Un vaste programme d’infrastructures se poursuit dans le cadre des politiques régionales et inter-régionales.

La Caisse gère les aqueducs qui ont apporté l’eau potable à plus de 7 millions d’habitants. Elle a réalisé plus de 50 barrages qui stockent plus de 35 milliards de m3. Grâce aux bonifications, un bon million d’hectares ont été mis en valeur, plus de 660 000 sont irrigués et 860 000 sont au-dessous des canalisations. 16 000 kilomètres de routes nouvelles ont été tracés et des centaines de milliards de lires ont permis la modernisation des voies ferrées, des hôpitaux, des ports et aéroports, des écoles et des universités, etc. Le tourisme ne représente pourtant que 24 p. 100 des structures d’accueil offertes par l’Italie et ce, malgré des progrès récents très rapides. La consommation privée des méridionaux a triplé depuis 1951 et les genres de vie traditionnels ont éclaté. Mais le revenu moyen du Sud n’atteint que 50 p. 100 de celui du Nord. Le chômage progresse, l’enseignement technique laisse à désirer et les mentalités ne sont pas encore très ouvertes aux activités modernes: l’esprit d’entreprise, en particulier demeure insuffisant.

Les structures de l’emploi ont subi de profonds changements: recul des actifs agricoles, essor des secteurs industriel et tertiaire, mais aussi une fâcheuse poussée de l’administration du commerce de détail et du sous-emploi clientéliste. Le secteur manufacturier n’occupe que 20 p. 100 de la main-d’œuvre industrielle. À côté des célèbres «cathédrales», l’État a financé 5 600 projets industriels; mais les économistes du Midi notent leur trop grande concentration géographique: 80 p. 100 des crédits sont allés à quatre régions (Pouilles, Campanie, Sardaigne, Sicile) et, à l’intérieur de celles-ci, se sont limités à quelques aires : les deux tiers à Tarente pour les Pouilles, autant à Palerme et Syracuse en Sicile, Cagliari en Sardaigne, Naples en Campanie. Cette dernière contrôle 50 p. 100 des emplois industriels du Midi, ce qui n’a guère fait reculer le chômage. L’Osso (l’intérieur) semble sacrifié et l’exode rural y a progressé de 80 p. 100 depuis 1961.

Les façades maritimes et les villes subissent un gros afflux de population: de vastes quartiers d’H.L.M. s’y développent ainsi que des bidonvilles. La spéculation immobilière y sévit, source de bien des scandales; elle est plus ou moins contrôlée par la Mafia. Celle-ci – et la Camorra en Campanie – pèse sur les marchés agricoles mais évolue vers des trafics plus lucratifs – la drogue, le racket, la fraude fiscale, les grands travaux – et recourt à l’assassinat: plus de 200 morts à Palerme en 1982. Les vieux centres historiques urbains se dégradent. Ils sont parfois ravagés par des séismes comme ce fut le cas à Naples en 1980. Il n’y a pas de création d’un réel réseau urbain capable d’animer les régions, à la différence des impulsions urbaines précoces qu’ont connues le nord et le centre de l’Italie. Si la vieille aristocratie des barons latifundiaires a perdu ses pouvoirs, les villes ne sont pas devenues pour autant des pôles d’activité. La vie culturelle méridionale ne favorise guère l’ouverture des esprits, même si l’analphabétisme est en train de disparaître.

L’industrie reste fortement dépendante de l’État et des sociétés du Nord ou des multinationales. Sa production ne représente que 18 p. 100 de la masse nationale et l’État est accusé de favoriser scandaleusement les grands groupes monopolistes que la loi oblige d’ailleurs à diriger vers le Midi une partie de leurs investissements (60 p. 100 pour les groupes I.R.I. et 40 p. 100 pour les sociétés privées). Les grands travaux programmés dans le cadre des «projets spéciaux» ne marquent-ils pas un retour à une politique favorisant les entreprises du Nord ? Une des preuves de l’échec n’est-elle pas donnée par la nécessité de maintenir l’émigration? La Caisse intègre dans ses plans de développement de 100 000 à 150 000 départs par an, alors qu’ils ont déjà atteint 4 262 000 Méridionaux entre 1951 et 1971. Or la crise économique qui frappe le monde industriel limite considérablement les appels de main-d’œuvre, ce qui se traduit non seulement par une reprise de la progression globale de la population du Sud mais aussi par une croissance plus rapide du chômage.

Le retard du Mezzogiorno n’a donc pas été comblé et le développement «spontané» de l’industrie ne s’est pas produit. Les efforts, alimentés par le Nord, ont été cependant considérables et les activités de l’Agenzia per il Mezzogiorno se poursuivent en particulier dans la sidérurgie et la pétrochimie. La politique des aires et des pôles a outrancièrement favorisé les zones littorales et urbaines et a accru les déséquilibres entre l’Osso (l’os) intérieur et la Polpa (la chair) des plaines périphériques. L’achèvement du gazoduc qui relie l’Algérie au nord de l’Italie suscite des espoirs qui risquent d’être déçus. Certaines régions du Tiers Monde sont devenues de redoutables concurrentes pour les industries de main-d’œuvre. Les problèmes à résoudre restent donc nombreux et délicats, mais tout n’est pas négatif. Quelle serait la situation du Mezzogiorno si l’État italien et les régions riches n’avaient rien fait pour essayer de combler son retard historique?

Mezzogiorno
(mot ital. signif. Midi) ensemble des régions d'Italie mérid. (Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre, Sicile, Sardaigne): 131 000 km²; plus de 20 millions d'hab. L'importance de l'agric., la faiblesse de l'industrie, le chômage persistent, bien que, dep. 1957, des mesures aient atténué le déséquilibre avec l'Italie du Nord.

Encyclopédie Universelle. 2012.