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LUCAIN
LUCAIN

Lucain se place dans la lignée des écrivains espagnols de Rome. D’une œuvre abondante, voire considérable, touchant les genres les plus divers, poèmes de fantaisie, tragédie, ballets-pantomimes..., il ne reste qu’une épopée en dix chants, La Pharsale , récit de la guerre civile menée entre César et Pompée. Dans ce récit, l’utilisation des données contemporaines, qui insèrent l’histoire immédiate dans l’épopée, modifie les stylisations propres au genre. Le baroque de l’écriture fait contrepoint avec le réalisme didactique et confère à l’œuvre d’ailleurs inachevée son caractère à la fois original et hybride.

Un poète sous Néron

Neveu de Sénèque, né, comme lui, à Cordoue, Lucain fit ses études à Rome et s’y tailla précocement une situation de choix: la chronique rapporte, en effet, qu’après avoir rimé dès l’âge de seize ans, il avait, cinq années plus tard, été lauréat officiel en poésie, grâce, peut-être, à la faveur de Néron, laquelle l’abandonna très vite, au point que l’Empereur lui interdit de déclamer publiquement ses œuvres. Est-ce par rancune que le poète se lia à la conspiration assez hasardeuse de Calpurnius Pison? Toujours est-il qu’il y perdit la vie, comme Sénèque et Pétrone.

Un climat d’épopée

Le genre épique est très ancien dans l’histoire des écrits latins. À l’exemple d’Homère, obéissant aussi aux leçons d’Aristote, qui plaçait l’épopée et le théâtre parmi les plus nobles manifestations littéraires, les premiers écrivains de Rome cultivent le genre épique: Livius Andronicus, traducteur de L’Odyssée en vers saturniens; Naevius et Ennius, soucieux de créer une épopée nationale à la gloire de la ville, et dont les œuvres préfigurent L’Énéide de Virgile. L’épopée est un genre difficile parce qu’elle est à la fois, comme le souligne justement E. Fuzellier, un genre primitif et un genre total; elle apparaît au début de toutes les littératures, étroitement liée à un patrimoine de mythes et de légendes, et met en jeu, outre la poésie avec tous ses aspects de dépaysement et de liberté, les formes diverses de la narration: historique, nationale, romancée, dramatique, oratoire. Virgile, son génie aidant, a victorieusement soutenu la gageure, encore que les dieux apparaissent comme un peu «plaqués» sur la trame de l’action. «Il est assez bizarre, écrit A. Bellessort, que les dieux nous gênent dans un poème dont le sentiment religieux est une des grandes beautés.» Mais le roman du Mantouan se développe dans les clairs-obscurs d’une époque lointaine, pénétrée d’étranges rites et de populaires adorations. Énée, tout civilisé qu’il est devenu, et, pour ainsi dire, accordé au siècle d’Auguste, demeure pourtant une figure de rêve. Nous sommes dans un climat d’épopée.

Au-delà de la chronique

Toutes différentes sont les données de La Pharsale : les événements qu’elle relate, depuis le moment où César passe le Rubicon jusqu’à celui où, séduit par Cléopâtre, il s’établit à Alexandrie – et le poète songeait à pousser son œuvre au moins jusqu’à la mort du dictateur –, sont d’une époque encore proche dans le passé, consignés dans nombre d’ouvrages: ces événements sont, de surcroît, relatifs à la fondation de l’Empire. César et Pompée sont amplement connus, ainsi que leurs démêlés politiques et militaires. Il fallait une belle assurance de jeune auteur pour tenter d’écrire, «en contre-pied», une épopée sur ce thème; d’autant plus que Lucain choisit, pour conduire son récit, tout bonnement l’ordre chronologique, se piquant en outre d’une documentation aussi exacte que possible et d’une précision dans l’écriture qui le conduit parfois jusqu’à l’aridité. Car l’épopée est tout autre chose que de l’histoire mise en vers. Comment Lucain va-t-il nourrir cette chronique pour lui conférer les caractères d’un genre entre tous consacré par la tradition?

Un merveilleux actuel et vivant

Il se trouve d’abord que, répondant à l’esprit de son temps, il est curieux des sciences en vogue: géographie, astronomie, ethnographie, physiologie, histoire naturelle, et particulièrement de magie, laquelle, dit Pline l’Ancien, «est du petit nombre des choses sur lesquelles il importe de s’étendre, ne serait-ce qu’à ce titre qu’étant le plus trompeur de tous les arts elle a eu par le monde, et en tous temps, le plus grand crédit». De cette science «noble» et aussi, un peu, de la sorcellerie, Lucain subit l’attrait commun, ce qui nous vaut çà et là, et un peu pêle-mêle, quelques passages bien venus sur les prodiges, l’astrologie – qui était, on ne sait trop pourquoi, assez mal considérée à Rome –, et même sur la nécromancie (voir, par exemple au livre VI, les vers 719-760, un des plus beaux «morceaux» du genre). Dans tout cela Lucain trouve des sources de poésie, qui alimentent dans l’œuvre «un merveilleux actuel et vivant» (Jean Bayet), lequel fait songer à ce merveilleux scientifique, plus ou moins lié à la fiction, qu’ont recréé les formes modernes de l’épopée, littéraires ou cinématographiques.

Il fallait aussi, selon la norme essentielle du genre, installer un héros dans cette aventure: le poète donnera cet emploi, que ne pouvaient décemment remplir ni César ni Pompée, à Caton d’Utique, un Caton fortement idéalisé, représentant de toutes les vertus républicaines, en même temps que de la pensée stoïcienne alors toute-puissante.

Tout cela ne va pas, dans l’expression, sans nombre d’outrances et de boursouflures rhétoriques, sans surcharges d’imagination, qui frôlent souvent le baroque. Par moment, le récit apparaît obscur, fatigant, ennuyeux, mais par contre il atteint parfois au sublime, grâce aux dons de visionnaire que possède le poète, et à sa voix très personnelle, dont on ne saurait nier la chaleur et la portée pathétique.

Lucain
(en lat. Marcus Annaeus Lucanus) (39 - 65) poète latin; neveu de Sénèque. La Pharsale narre le conflit milit. entre César et Pompée. Accusé d'avoir conspiré contre Néron, il s'ouvrit les veines.

Encyclopédie Universelle. 2012.