LOUIS XV
LOUIS XV (1710-1774) roi de France (1715-1774)
Celui qui sera plus tard surnommé Louis le Bien-Aimé par ses sujets apparaît un peu, à la mort de Louis XIV, son arrière-grand-père, comme l’enfant miraculeux qui va sauver la dynastie. Le Grand Dauphin, fils du Roi-Soleil, est mort en 1711; en 1712, c’est le tour de son petit-fils, le duc de Bourgogne, de la femme de celui-ci, Marie-Adélaïde, et de leur fils aîné, le duc de Bretagne, âgé de cinq ans, tous trois enlevés par la rougeole pourprée et par les pratiques des médecins de la cour: la purge et la saignée. Le jeune Louis est sauvé de leurs mains par son rang infime dans la succession; sa gouvernante, Mme de Ventadour, se borna à le tenir au chaud jusqu’à sa guérison. Héritier du trône à cinq ans, le jeune Louis commence dès lors à subir les contraintes de la vie publique et d’une étiquette minutieuse voulues par son aïeul; mais ce qui convenait à un homme fait pétri d’orgueil et de volonté ne réussit pas à l’enfant émotif et secret. Dans une lettre destinée à Mme de Maintenon, sa gouvernante raconte que Louis aime jouer «à ne plus faire le roi». À sept ans, il est séparé de sa gouvernante et confié à son gouverneur, le maréchal de Villeroi, un vieux courtisan vaniteux qui adore faire admirer la grâce et les talents de son élève. Celui-ci, au cours d’interminables cérémonies publiques, doit apprendre à dissimuler ses besoins comme ses sentiments, à cacher sa timidité naturelle. Il acquiert alors cet air de froideur et de majesté qu’il montrera toute sa vie en public et le goût des petits appartements, des cercles intimes, d’une vie presque bourgeoise. De Fleury, son précepteur, il reçoit une excellente instruction, un penchant pour les sciences et les techniques (fortement encouragées sous son règne), et il concevra pour cet homme ambitieux, secret lui aussi mais d’abord aimable, une admiration qui va marquer fortement sa vie. À onze ans, Louis voit arriver sa fiancée, une infante de trois ans qui ne lui inspire que de l’ennui. Déjà des pamphlets circulent contre le roi; en 1722, l’avocat Barbier note dans son journal: «Il a un bon et beau visage, bon air, et n’a point la physionomie de ce qu’on dit de lui, morne, indifférente et bête.» L’année suivante voit la proclamation de la majorité royale (et, quelques mois après, la mort du régent Philippe d’Orléans). Louis-Henri de Bourbon-Condé, dit Monsieur le Duc, prend la tête du gouvernement et, très vite, s’inquiète de la santé du roi; non par attachement à la dynastie, mais pour empêcher l’accession au pouvoir des Orléans qu’il considère comme ses ennemis. Or le roi est de constitution fragile, et manifeste des troubles qui font craindre pour sa vie. Monsieur le Duc décide de marier le roi au plus vite, renvoie la trop jeune infante en Espagne et, entre tous les partis d’Europe, choisit une princesse pauvre et vertueuse, mais non sans charme, qui a vingt et un ans, l’âge de procréer. Le 5 septembre 1725 fut célébrée l’union de Louis XV et de Marie Leszczy ska, fille du roi détrôné de Pologne.
En 1726, le roi, qui vient d’atteindre seize ans et à qui le mariage a donné une autorité que chacun remarque à la cour, disgrâcie Monsieur le Duc devenu très impopulaire et appelle à la direction du ministère son cher Fleury, qui demeurera à ce poste jusqu’à sa mort en 1743. Ce sera la période la plus calme et la plus prospère du règne, en dépit de l’agitation parlementaire et janséniste. Il est difficile de déterminer quelle part Louis XV prend aux décisions, mais on sait qu’il soutient constamment son ministre contre les cabales de cour et les intrigues ministérielles. Malheureusement, lorsque la querelle européenne autour de la succession d’Autriche éclate, le vieux Fleury n’a plus assez d’énergie pour s’opposer à la guerre et le roi cède aux pressions du parti anti-autrichien. À la mort de son ancien précepteur, Louis a trente-trois ans; il a connu quelques années de bonheur auprès d’une épouse qui lui voue presque autant de dévotion qu’à Dieu. Presque chaque année un enfant est né, des filles surtout, mais aussi un dauphin qui donnera le jour à Louis XVI. Mais Marie s’est lassée d’éternelles grossesses, et son époux d’une adoration sans conditions. Pour la première fois en 1734, Marie se plaint à son père des infidélités de Louis. Le roi a découvert l’amour avec Mme de Mailly, puis avec Mme de Châteauroux, la sœur de cette dernière, tandis que la reine se réfugiait dans la religion et les œuvres charitables. Ces amours n’ont pas fait oublier au souverain les devoirs de sa charge qu’il remplit scrupuleusement, mais il manque du feu sacré de son aïeul et il a pris l’habitude de se reposer sur Fleury des tâches d’exécution, de s’appuyer sur ses conseils pour les décisions. Pendant les dix-sept ans de ce long ministère, il a formé son jugement mais n’a pu forger sa volonté. C’est un an après la mort du ministre que se déroule le drame de Metz (1744) qui va laisser des cicatrices profondes dans l’âme du roi et dans la vie politique de la France. Parti aux armées, Louis XV tombe gravement malade à Metz. On le croit alors perdu. Mme de Châteauroux qui avait suivi le roi doit partir sous les huées tandis que Marie est accourue de Paris. Poussé par le parti dévôt, Mgr de Fitz-James, premier aumônier du roi, exige pour lui donner l’absolution une confession publique de ses fautes dans laquelle il déclare être indigne du nom de Roi Très Chrétien; répandue à travers le royaume par les soins du clergé, cette confession stupéfie le peuple; le scandale éclabousse la monarchie; réchappé de la mort, le monarque est rejeté vers ses penchants les plus détestables. Rencontrée en 1746, Mme de Pompadour est une maîtresse plus qu’honorable; belle, cultivée, intelligente et sincèrement attachée au roi, elle a pourtant un défaut qui la rend impopulaire aux yeux de la cour et du peuple: celui d’être une bourgeoise qui, de plus, se mêle de politique. Mais peu sensuelle et de santé fragile, la maîtresse n’est plus qu’une amie dès 1750 et Louis s’enlise dans les amours éphémères et peu reluisantes qu’il cache dans sa petite maison du Parc-aux-Cerfs, amours que la légende a démesurément grossies et dont l’objet le plus célèbre fut Louise O’Murphy.
Depuis 1743, le roi n’a plus de Premier ministre; il a lu et relu les instructions de son aïeul: «Écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez.» Mais, sans doute plus intelligent et plus cultivé que lui, Louis XV manque de confiance en soi; sa correspondance politique montre sa connaissance des affaires, la justesse de ses vues; mais il hésite à trancher, pensant que son interlocuteur peut avoir raison contre lui, et ce n’est que poussé à bout, souvent lorsqu’il est trop tard, qu’il se décide à l’action avec une brutalité qui étonne. Sa disgrâce tombe comme la foudre sur le ministre estimé coupable; ainsi en est-il pour Maurepas, pour d’Argenson, pour Choiseul. Seul Machault qui conserve toute son estime sera remercié avec les honneurs. Cet homme si sensible à l’opinion n’ose entreprendre les réformes indispensables par crainte de perdre sa popularité; en décembre 1756, le roi a obligé le parlement à enregistrer des édits le privant de ses moyens d’action, il est décidé à mettre fin à la rébellion des magistrats. Le coup de couteau de Damiens, le 5 janvier suivant, le persuade qu’il fait fausse route puisque son peuple le désavoue. La réforme de Machault ne sera réalisée qu’avec Maupeou en 1771.
De ses déboires politiques, Louis ne se console pas seulement avec ses maîtresses; il aime tendrement ses enfants qui le lui rendent bien; l’une de ses filles, Louise, prendra le voile en expiation des péchés de son père. La mort du Dauphin, en 1765, le plonge dans une douleur d’autant plus grande qu’il ne reste pour lui succéder qu’un enfant de onze ans. Peu auparavant, il écrivait à Choiseul: «Au moins avec mon fils, je suis sûr d’un successeur fait et ferme. Et c’est tout vis-à-vis de la multitude républicaine.» Louis XV était lucide sur l’état dans lequel il laisserait la France; de ses mots: «tout cela durera bien autant que moi», les manuels d’histoire ont fait le célèbre: «Après moi le déluge». Sa «révolution royale», il ne la réalise que trois ans avant sa mort. Depuis 1768, il a auprès de lui une nouvelle favorite, Jeanne du Barry née Bécu, encore plus détestée que la Pompadour. Il sait qu’il n’est plus le Bien-Aimé. La petite vérole l’emporte à l’âge de soixante-quatre ans au milieu de l’indifférence générale. Louis XV demeure l’une des figures les plus attachantes de sa lignée: fin, généreux, sensible, il partagera largement les goûts de son temps,; il lui manqua sans doute l’essentiel pour un souverain: l’esprit de décision, une volonté ferme et constante. Pendant les cinquante-quatre ans que dura son règne, Louis XIV avait habitué la France à obéir, et incarné l’État. Sa grande ombre devait éclipser son successeur en proie à trop de faiblesses humaines. Le Siècle de Louis XIV n’a-t-il pas été conçu par Voltaire pour démontrer cette écrasante supériorité?
Encyclopédie Universelle. 2012.