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INSECTIVORES
INSECTIVORES

Tous les Insectivores présentent un certain nombre de traits archaïques: extrémité des membres généralement pentadactyle, faible degré d’évolution encéphalique, etc. Le relief de la surface masticatrice des dents jugales est très voisin de celui de certains Mammifères mésozoïques. En revanche, beaucoup de formes strictement spécialisées dans le fouissage, la vie aquatique, la course ont des caractères anatomiques très évolués. La coexistence chez les mêmes animaux de traits ancestraux et de dispositifs perfectionnés, corrélatifs à d’étroites spécialisations, fait des Insectivores un magnifique exemple d’évolution buissonnante, illustrant ce fait bien connu des zoologistes: tous les organes n’évoluent pas à la même vitesse, et tel type évolué sous certains aspects demeure primitif sous tels autres.

Particularités anatomiques

La diversité anatomique de ces animaux ne permet que d’énumérer un certain nombre de caractères très généralement présents et permettant de définir un Insectivore.

C’est d’abord la taille très réduite: les plus grands, comme Solenodon ou Echinosorex , n’excèdent pas 50 centimètres de long (queue non comprise), et les plus petits, les pachyures (Suncus ), avec 4 centimètres de long et un poids de 2 grammes, détiennent le record absolu du nanisme pour les Mammifères.

Les membres, dont l’appui sur le sol est le plus souvent plantigrade ou semi-plantigrade, sont presque toujours pourvus de cinq doigts munis de griffes; jamais le pollex et l’hallus ne sont opposables aux autres doigts. La clavicule est toujours présente, sauf chez les potamogales. Le sternum est surmonté d’un épisternum.

La tête est de forme allongée; le museau est très souvent prolongé par une trompe charnue ou rhinarium , à l’extrémité de laquelle s’ouvrent les narines.

Le crâne est riche en caractères archaïques, et les mâchoires portent de nombreuses dents: quarante-quatre en principe (I 3/3, C 1/1, Pm 4/4, M 3/3), quoique certains genres en possèdent beaucoup moins. La table d’usure des dents jugales porte des crêtes dessinant un V (ou un), ou un W, d’où la dénomination des deux types: zalambdodonte et dilambdodonte, séparant en deux groupes systématiques l’ensemble des Insectivores actuels (fig. 1).

L’encéphale, dépourvu de circonvolutions (lissencéphalie), est toujours du type macrosmatique avec un rhinencéphale très important.

Les organes génitaux de la femelle comportent toujours un utérus bicorne; chez le mâle, les testicules sont en position très variable: intra-abdominaux, inguinaux ou contenus dans un scrotum.

Classification

L’absence de cæcum intestinal sépare les Lipotyphla de deux autres taxons autrefois inclus dans les Insectivores (cf. tableau), les Macroscelidoidea et les Tupaioidea , dont les caractéristiques seront néanmoins indiquées à la fin de cet article.

Lipotyphla

La monophylie des Lipotyphla est attestée par les spécialisations que l’on retrouve dans chacun des deux sous-ordres: Érinacéomorphes et Soricomorphes.

Les Érinacéomorphes ne sont plus représentés dans la nature actuelle que par les Érinacéidés (hérissons), alors que l’on regroupe dans les Soricomorphes les familles des Talpidés (taupes et desmans), des Soricidés (musaraignes), des Tenrécidés (tenrecs), des Solénodontidés (solénodontes) et des Chrysochloridés (taupes dorées).

Parmi les apomorphies ostéologiques unissant les Érinacéomorphes et les Soricomorphes, mentionnons des caractères liés à la possession d’un museau mobile, une participation du palatin à la constitution de la paroi de l’orbite se limitant au plancher de celle-ci, un jugal réduit, voire absent, la participation du basiphénoïde à la formation de la bulle tympanique (si celle-ci ne s’est développée qu’une fois dans le groupe), la présence d’assez fortes crêtes sur la surface basale des molaires, entre les racines, une symphyse pubienne minime et située très en arrière.

Érinacéomorphes

Les Érinacéomorphes sont caractérisés par le développement de la fonction de cisaillement entre la quatrième prémolaire supérieure et la première molaire inférieure, ce qui peut rappeler la fonction des carnassières chez les Carnivores. En outre, le paraconide des deux dernières molaires inférieures est réduit. De nombreuses formes fossiles ont été décrites, dont la position phylétique peut encore être discutée. Le genre Adunator , du Paléocène d’Europe et d’Amérique du Nord, est un des genres les plus primitifs des Érinacéomorphes; Diacodon de l’Éocène inférieur d’Amérique du Nord en est très proche.

La famille des Dormaaliidés, d’âge principalement éocène, se différencie des Érinacéidés par des caractères dentaires moins spécialisés. Les Érinacéidés regroupent en plus des deux sous-familles encore représentées dans la nature actuelle, les Erinaceinae et les Galericinae (lesquelles envahirent l’Europe à partir de l’Asie à l’Oligocène, puis l’Amérique du Nord et l’Afrique au cours du Miocène), les sous-familles fossiles des Neurogymnurinae , de l’Oligocène d’Europe et d’Asie, des Protericinae , de l’Oligocène d’Amérique du Nord, et des Brachycericinae , de l’Oligocène d’Asie et du Miocène d’Amérique du Nord.

Les Érinacéidés actuels ont pour type le hérisson (genre Erinaceus ). La présence de piquants dorsaux n’est pas absolument générale: Echinosorex n’a que des poils longs et grossiers sur le dos. Les vrais hérissons possèdent une musculature sous-cutanée très particulière; deux muscles, l’orbiculaire et le cordo dorsalis , constituent un véritable manteau permettant à l’animal de se mettre en boule. Tous les Érinacéidés sont pourvus d’oreilles et d’yeux bien développés. Leur activité est essentiellement nocturne. Le régime alimentaire est omnivore avec une forte prédominance pour les aliments d’origine animale (insectes, lombrics, escargots, limaces, grenouilles, lézards, serpents, petits oiseaux et mammifères). Un caractère fort curieux des hérissons est leur immunité relative aux venins: un hérisson résiste à des doses de venin de vipère trente-cinq à quarante fois plus fortes que celles qui tuent un cobaye. Les hérissons, hibernants typiques, tombent en léthargie dès que la température s’abaisse au-dessous de 15 0C. Après trente-quatre à quarante-neuf jours de gestation, la femelle met bas des petits munis de piquants mous et décolorés; ils sont cinq en moyenne par portée.

Erinaceus est eurasiatique; d’autres genres sont connus en Afrique, à l’exception de Madagascar; Echinosorex habite l’Indochine, la Malaisie et Bornéo.

Soricomorphes

Les Soricomorphes se différencient depuis le Paléocène des Érinacéomorphes par des yeux plus petits, un canal infra-orbitaire plus court, l’absence de constriction vers le milieu du crâne et la perte du processus ectoptérygoïde.

Dans la nature actuelle, l’ensemble Talpidés-Soricidés constitue le taxon frère des Solénodontidés nord-américains, le groupe formé par ces trois familles ayant pour taxon frère la branche africaine des Soricomorphes (Teurécidés et Chrysochloridés).

Les Chrysochloridés ou taupes dorées sont de petits Insectivores d’Afrique du Sud et de la majeure partie de l’Afrique tropicale; les chrysochlores, qui doivent leur nom à leur pelage soyeux et irisé, ont un aspect voisin de celui des taupes, mais se distinguent immédiatement de celles-ci par la réduction à quatre du nombre des doigts aux membres antérieurs, et la présence d’énormes griffes aux deux doigts médians. En relation avec la vie endogée, leurs yeux sont toujours réduits, et le genre Amblysomus atteint un terme évolutif pour ce caractère (disparition des nerfs optiques). Le type dentaire, différent de celui des taupes, souligne la précoce divergence entre les deux lignées.

Les Solénodontidés, de taille relativement importante, localisés aux Grandes Antilles, Cuba et Haïti, y sont en régression; Solenodon ressemble à une grande musaraigne ; ses glandes axillaires et inguinales sécrètent un liquide à odeur musquée; son activité est essentiellement nocturne et son régime surtout insectivore, enrichi parfois d’éléments végétaux. Les Tenrécidés, par leur denture intermédiaire entre les types zalambdodonte et dilambdodonte, constituent une famille charnière divisée en trois sous-familles: les Tenrecinae , strictement localisés à Madagascar, ont le dos muni de piquants; les Oryzorictinae , également malgaches, ressemblent à des taupes ou à des musaraignes; les Potamogalinae , habitants de la zone forestière congolaise, rappellent en plus petit la loutre, dont ils ont les mœurs aquatiques.

Les Soricoidae se divisent en Soricidés, ou musaraignes, et Talpidés, ou taupes.

Les musaraignes, et en particulier les pachyures (Suncus ), sont de très petits animaux au pelage velouté; des glandes cutanées sécrètent sur les flancs de l’animal un liquide à odeur désagréable. La présence de deux incisives inférieures proclives permet de reconnaître facilement un crâne de musaraigne. Ces animaux à activité surtout nocturne, souvent commensaux de l’homme, se nourrissent d’insectes, de lombrics, voire de petits rongeurs. L’espèce aquatique Neomys fodiens dévore crustacés, insectes d’eau, œufs d’Amphibiens, etc. Le métabolisme basal extrêmement élevé des musaraignes explique leur extraordinaire voracité; elles mangent plusieurs fois leur propre poids par jour, et un jeûne d’une dizaine d’heures entraîne immanquablement la mort par inanition. Autre fait, exceptionnel chez les Mammifères: les glandes sous-maxillaires sécrètent une salive venimeuse. Une espèce américaine, Blarina brevicauda , renferme dans ces glandes deux cents fois la dose mortelle pour une souris. La période de reproduction ne s’interrompt que durant l’hiver; la gestation dure de treize à vingt jours et aboutit à la mise bas de trois à dix jeunes, selon les espèces. Par les destructions d’insectes et de rongeurs qu’elles effectuent, les musaraignes doivent être considérées comme de précieux auxiliaires de l’homme. On en connaît plus de trois cents espèces, peuplant la totalité du globe, à l’exception de l’Australie et des régions polaires; en Amérique du Sud, une seule espèce du genre Cryptotis se rencontre dans les Andes de Colombie et de l’Équateur. Les musaraignes à dents blanches (Crocidurinae ) sont les musaraignes de l’Ancien Monde, tandis que les musaraignes à dents brunâtres (Soricinae ) habitent surtout le Nouveau Monde.

Les taupes et les desmans se rapprochent des musaraignes par le type dilambdodonte de leurs dents. Le corps, toujours cylindrique, est terminé vers l’avant par un museau conique en forme de trompe; les yeux sont petits, souvent recouverts par la peau; les pavillons auditifs sont généralement absents. Les taupes sont remarquablement adaptées à la vie fouisseuse (cf. milieu TELLURIQUE). Grâce à de profondes modifications squelettiques, surtout des membres antérieurs et de la ceinture pectorale (fig. 2), cet animal possède un instrument de terrassement très efficace, qui lui permet de creuser jusqu’à 100 mètres de galeries en une seule nuit. Le terrier forme un ensemble complexe comprenant un «donjon» ou nid central, servant au repos et à la reproduction; de cette chambre partent de nombreuses galeries de communication permanentes et collectives qui conduisent à d’autres galeries, provisoires, lesquelles représentent le territoire de chasse de chaque animal; il y capture insectes et lombrics, base de son alimentation.

Les taupes se reproduisent une fois par an, et la gestation dure de quatre à six semaines avec des portées de un à six petits selon les espèces. La totalité de l’Eurasie et de l’Amérique du Nord est peuplée par une vingtaine d’espèces différentes.

Les desmans sont des Talpidae aquatiques, aux pattes postérieures palmées; Galemys pyrenaicus habite les Pyrénées françaises et la péninsule Ibérique.

«Microscelidoidea» et «Scandentia»

Les Macroscelidoidea ou rats à trompe au museau très allongé, au corps ramassé, aux oreilles bien développées ont des membres postérieurs plus longs que les antérieurs, indiquant l’adaptation au saut. Ce sont des animaux de régions arides ou tropicales de l’Afrique centrale, mais une espèce, Elephantulus rozeti , peuple l’Afrique du Nord.

Les Macroscelidoidea n’étaient classés parmi les Insectivores lato sensu que sur la base de caractères primitifs (symplésiomorphies); l’analyse cladistique a permis de les rapprocher des Glires, taxon regroupant les Lagomorphes et les Rongeurs, avec lesquels ils partagent une orientation particulière du disque embryonnaire lors de l’implantation intra-utérine du fœtus, l’existence de canaux dans l’alisphénoïde pour le passage des branches du nerf maxillaire innervant le masséter et le buccinateur, ainsi que la position dorsale, par rapport au tegmen tympani , du nerf pétreux inférieur et de la branche inférieure de l’artère stapédiale.

Les Tupaioidea (ou Scandentia ) partagent avec les Volitantia (Dermoptères et Chiroptères) et les Primates au moins deux synapomorphies qui fondent le clade des Archonta [cf. MAMMIFÈRES]: un pénis pendulus suspendu par un fourreau de taille réduite entre le scrotum et l’abdomen, et une facette sustentaculaire médialement en contact avec les facettes distales de l’astragale. Bien que leur situation dans la phylogénie des Primates reste discutée (surtout lorsqu’il est tenu compte des Plésiadapiformes, un groupe de Mammifères fossiles présentant plusieurs similitudes avec les Primates, en particulier au niveau des dents), il n’en reste pas moins que les Scandentia «préfigurent ou figurent les tout premiers ancêtres des Primates», comme le note Pierre-Paul Grassé. Ces petits Insectivores rappellent des écureuils, tout en étant moins arboricoles que ceux-ci. Ils mangent surtout des insectes, mais aussi des fruits et des graines. Répartis en six genres, regroupés en deux sous-familles, les Tupaioidea peuplent les régions boisées de l’Inde, de l’Indochine, des Philippines, de Malaisie et d’Indonésie.

Encyclopédie Universelle. 2012.