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TURCS
TURCS

Étrange destin que celui de ces peuples turcs dont les origines demeurent encore mystérieuses et les débuts dans l’histoire si vagues que c’est en scrutant minutieusement les sources chinoises qu’on peut tirer quelques éléments d’information. Et pourtant le nom de certains peuples turcs a été bien connu dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, tels les Huns, ou plus tard les Ottomans, et il est remarquable que l’on trouve des gouvernements turcs à différentes époques, dans des régions aussi différentes que la Chine, l’Inde, le Proche-Orient, l’Europe orientale et l’Afrique méditerranéenne. Le nom des Turcs a pu apparaître comme un symbole de force, de puissance, mais aussi comme un symbole d’oppression ou de terreur. C’est là le sort des peuples qui, à un moment, ont exercé une domination sur d’autres peuples. Aujourd’hui, les Turcs n’habitent pas la seule Turquie; ils sont présents en de nombreuses régions d’Europe et d’Asie.

Des origines obscures

Le nom de Turc (türk ) s’est appliqué à l’origine à un certain nombre de peuples nomades de Haute-Asie dont l’histoire n’est véritablement attestée qu’à partir du VIe siècle après J.-C., lorsque fut fondé un grand empire turc qui s’étendait sur la quasi-totalité de la Sibérie. Plus anciennement, des groupes nomades étaient connus en haute Asie et en Mongolie, mais il est encore difficile de savoir s’il s’agissait de peuples turcs, mongols ou toungouses; il semble en fait que c’étaient plutôt des confédérations de peuples, rassemblés occasionnellement.

Les sources chinoises du Ier millénaire mentionnent un groupe, dénommé Xiongnu, de peuplades nomadisant surtout dans la région de l’Ordos: ces peuplades n’étaient probablement pas turques dans leur totalité, mais les éléments turcs devaient y être prépondérants, d’où le fait que les Chinois aient ensuite considéré les Turcs comme les descendants des Xiongnu. Ceux-ci ont constitué, au IIIe siècle avant J.-C., un État puissant, établi d’abord en Mongolie, puis en Chine septentrionale (IIe s. av. J.-C.). Vaincus en 44 après J.-C., ils se sont alors scindés en deux groupes: les Xiongnu orientaux qui, au IVe siècle après J.-C., réapparaissent en Chine où ils ont fondé la dynastie des Bei Han, ou Han du Nord, et les Xiongnu occidentaux qui, chassés vers l’ouest par des tribus mongoles, ont traversé toute la Sibérie, sont passés en Russie, puis en Europe centrale, et sont parvenus jusqu’en Europe occidentale où on les a connus sous le nom de Huns. Défaits aux champs Catalauniques en 451, ils ont alors reflué vers l’est et se sont établis en Russie.

Des Tukue aux Ouïgours

Parmi les voisins orientaux des Xiongnu, les Xianbei, longtemps considérés comme des Toungouses, seraient peut-être des Turcs: ils ont fondé plusieurs dynasties, notamment celle des Wei en Chine du Nord (386-584). Après eux apparaissent ceux à qui les sources chinoises donnent le nom de Tukue (ou Türküt ), dans lequel il faut reconnaître le mot «turc». Les Tukue ont fondé un État dans la région du haut Orkhon, peu avant le milieu du VIe siècle: leur premier grand chef, Boumin, prit le titre (probablement mongol) de qagan (souverain). Après sa mort, son fils aîné, Muhan, gouverna la Mongolie tandis que le cadet, Istémi, régnait sur la Dzoungarie et le Haut-Irtych et fondait la dynastie des Tukue occidentaux. Istémi étendit sa domination vers l’ouest, conquit la Sogdiane (alors grand entrepôt de la soie entre l’Extrême-Orient et le Proche-Orient) et fut même en relation avec l’empereur byzantin Justin II. Après une période où s’instaura la domination chinoise, l’État des Tukue redevint puissant au VIIIe siècle, notamment sous les règnes de Qoutlouq et de Bilghè Qagan: c’est de cette période que datent les fameuses inscriptions de l’Orkhon (715 et 735), premiers documents authentiques en langue turque, qui se rapportent plus spécialement aux Tukue orientaux, ou Turcs célestes (Kök Türk ), et fournissent de précieux renseignements sur l’histoire et la civilisation des Tukue. On a longtemps admis que le mot türk (ou türük ) signifiait «force, vigueur»; les études les plus récentes permettent de montrer que ce mot s’applique essentiellement à un peuple, et c’est pour désigner celui-ci que les Arabes ont repris ce terme, lui donnant un sens péjoratif («fruste», «grossier»).

D’autres peuples que les Tukue se rattachaient au groupe türk, et parmi eux les Oghouz, les Qarlouq, les Kirghiz et les Ouïgours (Uigur). Ces derniers, établis sur l’Orkhon, ont succédé en 744 aux Turcs célestes et ont créé un empire qui a duré un siècle, jusqu’à sa destruction par les Kirghiz en 840: certains Ouïgours se sont alors repliés vers le nord du Turkestan chinois, à Beshbaliq, où ils sont demeurés jusqu’au XIVe siècle; d’autres ont émigré en Chine, dans la région du Gansu: ils sont à l’origine des Sari Ouygur (Ouïgours jaunes). Le groupe principal des Ouïgours s’est établi dans le Turkestan chinois et y a créé un État qui s’est étendu jusqu’au Turkestan occidental, lequel a été alors turquifié. L’État ouïgour a connu une civilisation brillante, marquée par la création d’une littérature nationale, écrite en caractères sogdiens et non plus en caractères runiques, et enrichie par des textes traduits du chinois ou du sanscrit.

D’autre part, vers la fin du VIIIe siècle, les Ouïgours se convertirent du chamanisme au manichéisme, et connurent aussi le bouddhisme et le nestorianisme, religions envers lesquelles ils se montrèrent tolérants. Les Ouïgours ont facilité aux Turcs le contact avec les civilisations voisines de l’Inde et surtout de la Transoxiane et de l’Iran où l’islam avait déjà fait son apparition.

Premiers contacts avec l’Islam

C’est dans le courant du Xe siècle que le mouvement de conversion à l’islam est né et s’est développé chez les Turcs du Khw rezm, de Transoxiane et des régions comprises entre la mer Caspienne et l’Oural; les conversions étaient surtout dues au fait que nombre de Turcs furent pris comme esclaves ou recrutés comme soldats dans l’armée des Samanides de Transoxiane. Le premier État turc musulman a été celui des Qarakhanides, dans la région de Kashgar (Xe-XIe s.); ces Qarakhanides (peut-être descendants des Qarlouq) ont été en lutte contre d’autres Turcs, les Ghaznévides, qui avaient fini par éliminer les Samanides en Transoxiane et en Afghanistan. La dynastie des Ghaznévides, fondée en 962, a connu son apogée à la fin du Xe siècle et au début du XIe, et a étendu sa domination sur le Kh r s n, l’Afghanistan, la Transoxiane et l’Inde occidentale; son souverain le plus célèbre, Ma ムm d de Ghazna (999-1030), a été un conquérant plus qu’un souverain éclairé. Après lui, son fils Mas‘ d a été aux prises avec de nouvelles tribus turques, d’origine oghouz, les Seldjoukides. Vaincus en 1040, les Ghaznévides furent rejetés vers l’est, en Afghanistan oriental et en Inde, tandis que les Seldjoukides commençaient vers l’ouest une progression qui les a amenés jusqu’en Asie Mineure dans le dernier quart du XIe siècle, après qu’ils eurent imposé leur autorité sur le Kh r s n, le Khw rezm, l’Iran et l’Iraq.

Les Turcs islamisés, adeptes du sunnisme (islam orthodoxe), se sont imprégnés peu à peu de culture iranienne et de culture arabe, et ont adopté l’alphabet arabe.

Cependant, d’autres peuples turcs s’étaient établis à l’ouest de l’Oural dès la fin du VIIIe siècle, tels les Bulgares, dits de la Volga, islamisés assez rapidement, les Khazars de la région de la mer Caspienne, dont la religion officielle fut le judaïsme, et les Karaïtes de Crimée, eux aussi de religion juive. Les uns et les autres ont dû faire face aux attaques des peuples russes aux Xe et XIe siècles, et ils passèrent plus tard sous la domination des Mongols.

L’Asie centrale

La fondation de l’Empire mongol aurait pu porter un coup fatal à l’expansion turque. En fait, après l’islamisation des Mongols, les Turcs ont joué un rôle de plus en plus grand dans les différents États nés du démembrement de l’empire de Gengis kh n, en Asie centrale, en Russie méridionale et au Proche-Orient; simultanément, cette islamisation alla de pair avec la turquisation; ainsi l’empire de la Horde d’Or était-il turquisé, et plus encore l’empire de T 稜m r-Leng (Tamerlan). Le nom Tatar , qui désignait à l’origine les Mongols, fut employé, notamment par les Russes, pour désigner aussi bien les Mongols que les Turcs, d’où l’expression turco-tatar qui a été employée jusqu’à une période récente.

En Asie centrale, l’effondrement des États mongols à la fin du XVe siècle donna naissance à des États de dimensions plus modestes, les kh nats, tels, par exemple, ceux des Özbek, de Khiva, de Boukhara ou de Khoqand, où prédominaient les éléments turcs, tandis qu’ailleurs d’autres peuples turcs créaient des entités propres, comme les Kirghiz, les Kazak ou les Qalmouq. Plus au sud, la domination turco-mongole s’est établie sur l’Inde à partir de 1526, sous la forme de l’empire des Grands Moghols qui a duré jusqu’à la conquête anglaise au XVIIIe siècle.

Les Turcs en Asie occidentale

En Anatolie orientale, en Azerbaydjan et dans le Caucase dominèrent aux XIVe et XVe siècles les empires turcomans (türkmen ) du Mouton-Noir (Qara Qoyunlu) et du Mouton-Blanc (Aq Qoyunlu) qui furent en leur temps de brillants foyers de civilisation et ont contribué à la turquisation de l’Azerbaydjan iranien et russe. Au Proche-Orient, les Seldjoukides ont établi leur autorité sur l’Iran et l’Iraq dès le milieu du XIe siècle, puis sur la Syrie du Nord et l’Anatolie orientale et centrale. L’implantation turque en Asie Mineure fut assez rapide et assez dense pour que, dès la fin du XIIe siècle, des chroniqueurs occidentaux aient pu donner à ce pays le nom de Turchia .

Plus au sud, nombre de sultans mamelouks d’Égypte et de Syrie (à partir du milieu du XIIIe s.) étaient d’origine turque.

Aux Seldjoukides succédèrent, au XIVe siècle, des tribus turques ou turcomanes; l’une d’entre elles affirma peu à peu sa supériorité sur les autres à partir du milieu du XIVe siècle et, passée en Europe, étendit progressivement sa domination sur les Balkans; il s’agit des Osmanlis, ou Ottomans, qui, deux siècles plus tard, ont fait planer la menace turque sur l’Europe, dominé les rivages orientaux et méridionaux de la mer Méditerranée et constitué le dernier grand empire musulman, dont l’existence a pris fin avec la Première Guerre mondiale; ils ont en outre implanté des noyaux de population turque en Europe balkanique et orientale.

Du XVIe au XIXe siècle, les territoires s’étendant de l’Europe centrale aux frontières de la Chine se trouvaient pour la majeure partie sous la domination de peuples ou de régimes turcs ou turquisés; il n’y eut cependant pas d’union politique entre ces peuples, situation qui a facilité – par exemple au Turkestan – leur conquête par d’autres puissances.

Aujourd’hui encore, on trouve des Turcs, des turquisés ou des turcophones en Europe et en Asie: si les noms de Turquie et de Turkestan sont évocateurs, on ne saurait oublier qu’ailleurs, en Iraq, en Iran, au Caucase, en Chine, dans diverses régions de la Sibérie comme dans certains pays balkaniques, nombre d’individus peuvent prétendre se rattacher au groupe des Turcs.

Turcs ou Türks
ensemble de populations, vraisemblablement originaires de l'Altaï, parlant des langues turques (env. 75 millions de personnes), réparties auj. entre la Turquie, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Xinjiang chinois. Turcs et Mongols étaient des peuples très proches, tous deux nomades, mais on ne sait si les Mongols (et les Huns) font partie du groupe turc (V. Mongols). Répandus en Chine du N., en Iran, les Turcs Tujue soumirent la Mongolie au VIe s., puis furent réduits par la Chine (630). à partir du VIIIe s., les Turcs s'islamisèrent au contact du monde arabe. Des dynasties turques musulmanes, notam. les Ghaznévides, s'imposèrent en Inde et en Perse (Xe-XIIe s.); au début du XIIIe s., le Mongol Gengis khan ruina la domination turque, mais les Seldjoukides maintinrent leur pouvoir à l'O. de l'actuel territoire afghan. (V. Turquie.)

Encyclopédie Universelle. 2012.