POLYARCHIE
POLYARCHIE
Ce terme a été introduit par le politologue américain Robert Dahl pour décrire le fonctionnement politique des sociétés industrielles occidentales. Les caractères constitutifs de la polyarchie sont la dispersion des sources du pouvoir, le droit pour tous de participer à la désignation des autorités politiques et une organisation qui tend efficacement au règlement pacifique des conflits. Dahl a voulu éviter la confusion, si dangereuse dans le vocabulaire de la science politique, des faits et des valeurs, et il a clairement distingué l’idéal de la démocratie du fait polyarchique, tout en admettant que les diverses formes de la polyarchie puissent être considérées comme des approximations, plus ou moins bonnes, de la démocratie.
Cependant, si l’on replace la notion de polyarchie dans l’histoire des idées, il est clair qu’elle trouve son origine dans la tradition des théories de la démocratie libérale, ou, pour parler comme Madison, dans la recherche d’une république non despotique. L’insistance mise par Dahl sur la dispersion des pouvoirs rappelle «les poids et contrepoids» des auteurs du Federalist et prolonge la recherche libérale d’une limitation du pouvoir, inspirée, en dernier ressort, de Montesquieu. Le modèle polyarchique de Dahl se situe à l’opposé de la conception de la démocratie selon Rousseau et de son absolutisme de la volonté générale, et on peut estimer que les analyses de Tocqueville dessinent pour la première fois les traits essentiels de la polyarchie, lorsqu’il montre, dans sa Démocratie en Amérique , comment les Américains ont su établir d’efficaces contrepoids au principe majoritaire, notamment par la décentralisation et l’importance accordée aux associations. Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et démocratie a montré, avant Dahl, que les théories classiques de la démocratie, et en particulier celle de Rousseau, n’apportaient ni description, ni explication du fonctionnement des démocraties modernes et il a récusé ces théories dites «du mandat» au bénéfice d’une théorie dite «de la concurrence» qui définit la démocratie comme une méthode de désignation des dirigeants à l’issue d’une lutte concurrentielle pour les votes du peuple. Dans la mesure où il considère la démocratie, non pas comme une fin en soi, mais comme une méthode, Schumpeter apporte à la constitution du concept de polyarchie une contribution qui fait de lui une étape importante entre Tocqueville et Dahl.
À la suite de Madison qui avait compris le rôle équilibrant de la diversité des intérêts particuliers, et, comme les théoriciens contemporains du pluralisme, notamment Arthur Bentley et David Truman, Dahl montre que le système polyarchique fonctionne grâce au processus de «marchandage» (bargaining ) qui naît de la rencontre de groupes aux intérêts et aux statuts socio-économiques divers. Mais alors que dans la vision des théoriciens pluralistes les groupes sont directement les acteurs du marchandage, dans le modèle polyarchique, ce sont les leaders qui négocient, et ce sont eux qui mènent la lutte concurrentielle pour le pouvoir. En outre, deuxième différence avec les théories pluralistes, dans la recherche de l’équilibre entre les groupes, Dahl souligne l’importance du rôle joué par les partis politiques. Mais l’insistance mise sur le rôle des leaders ne doit pas donner à penser que les théoriciens de la polyarchie affirment, comme le font les théoriciens élitistes, l’existence d’une classe dirigeante homogène et cohérente. Tout au contraire, Dahl constate dans les polyarchies l’existence de catégories dirigeantes multiples et rivales, et, de plus, en ce qui concerne les élites politiques, il s’oppose aux théories élitistes en soulignent l’influence réelle et le rôle d’arbitre du peuple appelé à choisir et à contrôler ses dirigeants.
Encore faut-il, pour que les conflits soient réglés pacifiquement, que soient respectées certaines conditions minimales, soigneusement analysées par Dahl et Lindblom. Outre le pluralisme social, déjà évoqué, avec la diversité et l’autonomie des organisations sociales qu’il implique, il est indispensable que règne un accord sur les pratiques politiques essentielles qui facilitent la compétition pacifique. Ce qui suppose, en premier lieu, que les droits des particuliers soient effectivement garantis et que les conditions soient réunies pour la sécurité psychologique des individus et l’épanouissement de leurs libertés. En second lieu, un accord minimal est requis sur les règles du jeu social et politique. Mais la stabilité des règles ne doit pas exclure une certaine flexibilité des structures, et, pour que la compétition politique reste dans les limites raisonnables, un taux suffisant de circulation des élites doit être assuré. Enfin, dernière condition requise: les disparités de richesse, de revenu, d’éducation ne doivent pas être trop fortes, ou, pour parler le langage plus précis de Dahl, la répartition des ressources politiques ne doit pas être trop inégalitaire, ces ressources regroupant, par définition, tous les moyens par lesquels une personne peut influencer le comportement d’une autre personne, c’est-à-dire: l’argent, le temps, le savoir, l’information, les relations, la position sociale, le droit de vote, etc.
L’originalité de Dahl est d’avoir montré que les conflits politiques limités, caractéristiques des polyarchies, reposent sur un certain type de relations entre le sous-système politique et les sous-systèmes culturel et économique. Il a établi, en particulier, par des études statistiques qui prolongent celles de Martin Lipset et de Bruce Russett, que le niveau de conflit s’abaisse dans les sociétés qui jouissent d’un haut développement culturel et économique et que la répartition des ressources politiques devient au cours des étapes du développement socio-économique moins inégalitaire, surtout par un effet de dispersion, qui, sans annuler les inégalités pour chacune des ressources, met fin à l’accumulation des avantages observée dans les sociétés agraires, où les mêmes familles détiennent simultanément le plus haut rang pour la possession de toutes les ressources politiques. Il résulte de ces analyses que les chances de bon fonctionnement de la polyarchie s’élèvent avec le développement socio-économique et l’on peut considérer que le modèle apporté par Dahl a une valeur non seulement descriptive, mais aussi explicative du fonctionnement des polyarchies dans les sociétés industrielles avancées.
● polyarchie nom féminin Système politique caractérisé par une pluralité des forces politiques et des centres de décision.
Encyclopédie Universelle. 2012.