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PARTHÉNOGENÈSE EXPÉRIMENTALE
PARTHÉNOGENÈSE EXPÉRIMENTALE

Il est conforme à la finalité de la reproduction sexuée que l’ovule non fécondé soit voué à l’inertie. Il existe néanmoins nombre d’espèces – notamment divers Insectes, d’autres Invertébrés et même une race sélectionnée de dindons – pour lesquelles cette règle n’est pas absolue. Le fait que l’état habituel d’inertie puisse être spontanément surmonté suggère la possibilité d’y parvenir aussi chez les formes où l’œuf vierge est condamné à périr. C’est l’objet de la parthénogenèse expérimentale (du grec parthénos , vierge), dite aussi artificielle. Son but immédiat est de déclencher le développement de l’œuf. Son ambition serait d’obtenir ainsi des adultes capables de se reproduire.

Cet objectif a suscité un mouvement de recherches qui, commencé vers 1890, a connu son apogée dans le premier tiers du XXe siècle, et s’est ensuite poursuivi plus discrètement, mais connaît actuellement un regain de faveur. Il s’inscrit dans un cadre assez complexe par rapport à ses antécédents et à la progression générale de la biologie. Il se rattache à l’embryologie et à la cytologie, car il a concouru à faire connaître le dynamisme du germe et maints aspects de la vie cellulaire. Quant à ses antécédents, l’étude de la parthénogenèse naturelle [cf. REPRODUCTION] est évidemment primordiale. Découverte en 1740 par Charles Bonnet, son exploration s’est poursuivie pendant le XIXe siècle et a bénéficié, dans la seconde moitié de celui-ci, du progrès des techniques de la microscopie. Celles-ci ont alors permis de connaître les deux principaux organes de la cellule, les chromosomes et le centrosome, toujours impliqués et associés dans une division typique. En outre, grâce à Édouard Van Beneden, on a reconnu en 1882 que les cellules reproductrices sont le siège, au moment de leur formation, d’une réduction numérique de leurs chromosomes de 2 n à n .

1. Notions de méiose et d’œuf vierge et mûr

L’essor des premières tentatives de parthénogenèse artificielle a été favorisé par tout le mouvement scientifique contemporain. Entre 1890 et 1900, la technique de manipulation des œufs a été précisée par les embryologistes qui ont réalisé la séparation des premiers blastomères chez l’oursin, l’amphioxus et le triton (cf. EMBRYOLOGIE).

Notion de méiose

Peu après, les cytologistes ont montré que, lors de la formation des cellules reproductrices, le mode de division cellulaire est profondément modifié par rapport à son déroulement habituel. On assiste alors à la méiose , au cours de laquelle les chromosomes homologues s’apparient, de sorte que si l’assortiment total comptait 2 n , c’est-à-dire n paires (nombre diploïde), désormais on observe n chromosomes (nombre haploïde). Une première mitose de maturation se borne à faire passer un chromosome de chaque paire dans chaque cellule fille. Ensuite, chacun de ces n éléments se clive longitudinalement et une seconde mitose répartit finalement les n moitiés dans les noyaux fils. Ceux-ci sont ainsi devenus haploïdes (fig. 1). Normalement, c’est l’union de l’œuf et du spermatozoïde qui rétablit l’état diploïde [cf. FÉCONDATION].

Notion d’œuf vierge et mûr

Le matériel auquel peut s’adresser l’expérimentateur pour tenter de vaincre l’inertie de l’œuf vierge n’est pas exactement au même stade de maturation dans les divers groupes zoologiques. Pour préciser ce point, rappelons d’abord que la différence évidente de taille entre les cellules reproductrices des deux sexes retentit sur la manière dont se déroulent les deux mitoses de maturation. Tandis que, dans la spermatogenèse, celles-ci donnent deux cellules filles de même volume (fig. 1 a), dans l’oogenèse elles sont très inégales et conduisent à l’émission successive de deux globules polaires, cellules abortives (fig. 1 b). De plus, la capacité d’évolution autonome de l’œuf n’est pas uniforme. Les quatre modalités rencontrées dans le règne animal sont rendues par la figure 2.

2. Traitements parthénogénétiques

Aperçu général

Entre 1900 et 1930, maints biologistes ont œuvré dans ce domaine. Dans de nombreux cas, ils ont réussi, en recourant à des moyens divers, physiques ou chimiques, à provoquer un développement plus ou moins prolongé des œufs vierges. On a même été tenté de considérer que la parthénogenèse était possible chez toutes les espèces, mais c’eût été imprudent, divers ordres ayant été peu explorés sous ce rapport. Ce mouvement de recherches s’est ensuite ralenti, mais il a permis de temps à autre des progrès appréciables. La conjonction de la microscopie électronique et de la cytologie moléculaire ont mis en évidence des faits de plus en plus significatifs quant au mécanisme intime de l’inertie et des procédés susceptibles de la surmonter.

Empiriquement, ces techniques ont paru devoir être divisées en deux catégories: celle, la plus banale, ou un seul traitement (physique, chimique ou opératoire) provoque la segmentation; celle, plus stricte, où deux traitements successifs (une brusque agression et son correctif) se montraient spécialement efficaces. Il a fallu une longue analyse, à laquelle ont concouru d’éminents chercheurs des États-Unis et d’Europe, pour décanter les enseignements respectifs des méthodes en un et en deux temps et les concilier en une interprétation satisfaisante et féconde, puisque génératrice des progrès accomplis après 1930. C’est la seconde technique qui a d’abord paru la plus fructueuse.

Technique en deux temps

Chez les Oursins, le biochimiste Jacques Loeb, formé à Strasbourg mais qui a fait sa carrière aux États-Unis, a réussi en 1915, après de longs travaux d’approche, à provoquer une parthénogenèse presque idéale. Sa méthode comporte deux temps:

– On soumet les œufs à un bain d’acide butyrique dilué dans l’eau de mer. Au retour dans le milieu normal, le soulèvement de la membrane se produit, comme dans la fécondation. Si l’on se borne à ce traitement, il survient un éveil mesurable du métabolisme, puis apparaît une irradiation périnucléaire atypique, qui engage un cycle monoastérien: c’est le tableau de la simple activation , encore abortive.

– Pour obtenir l’apparition d’un édifice mitotique bipolaire et une première division normale, amorce d’une segmentation typique, il faut, dès que la membrane est soulevée, plonger très brièvement les œufs dans une eau de mer enrichie en chlorure de sodium (NaCl). On rectifie ainsi l’orientation donnée par le premier temps, et le cycle des belles mitoses bipolaires s’engage alors correctement.

Ce procédé est passible de diverses variantes à la fois quant aux réactifs utilisés (autres acides gras, autres milieux hypertoniques), et quant à l’ordre de leur utilisation. Cette latitude complique évidemment l’interprétation.

Les méthodes en un temps

Si le procédé élaboré par Jacques Loeb est remarquablement efficace sur les œufs d’oursin, c’est là un cas particulier, et, dans bien d’autres, une manœuvre unique suffit à obtenir la segmentation: c’est parfois un choc mécanique (brossage des œufs de ver à soie), un refroidissement brusque ou un choc électrique (c’est la cas chez les Mammifères, cf. infra ), l’addition de tanin à l’eau de mer où sont recueillies les pontes, ou encore la saturation momentanée du même milieu par l’acide carbonique; ces deux derniers procédés ont été employés avec succès sur les œufs d’oursin et d’astérie par Yves Delage, qui dirigeait le laboratoire de Roscoff avant la Première Guerre mondiale. Peu après 1920, A. M. Dalcq a effectué, également à Roscoff, une investigation des effets qu’a, sur le déroulement de la maturation, la modification du rapport normal entre les cations du milieu. Les résultats ont fait apparaître qu’en milieu hypercalcique certaines proportions des autres chlorures provoquent la mise en marche de la segmentation dans ce milieu même. Il y aura lieu de revenir à cette modalité bien physiologique de parthénogenèse pour interpréter des informations plus récentes.

Parallèlement à cette exploration portant sur les œufs d’Invertébrés marins, est apparue la possibilité de provoquer le développement des œufs de grenouille par une simple piqûre. Eugène Bataillon, auteur de cette trouvaille étonnante, a su, avec un rare mérite, analyser le mécanisme d’une intervention en apparence très simple.

La parthénogenèse traumatique chez la grenouille

La parthénogenèse traumatique chez la grenouille, découverte en 1909, est le fruit d’une intuition surgie au cours d’une étude de l’hybridation entre Anoures et Urodèles. Examinés sur coupes sériées, des œufs de crapaud, qui avaient été imprégnés de sperme de triton alpestre et de ce fait activés, montraient les grosses spermies étrangères fichées, sans plus, dans la couche corticale de l’œuf. Or, c’était aussi la période du frai des grenouilles rousses. Sur le champ, Bataillon prélève des œufs vierges et mûrs, les pique individuellement avec une fine aiguille et constate bientôt que la majorité des opérés se divisent en deux blastomères, puis poursuivent leur segmentation.

L’admirable analyse expérimentale qui fut alors menée à Dijon, jusqu’en 1919, réservait une autre surprise. En fait, l’acte unique de la piqûre implique deux opérations combinées: perforation de la membrane plasmique et inoculation fortuite d’une cellule provenant du peu de sang qui a souillé les œufs au cours de leur prélèvement. Si les précautions nécessaires sont prises pour éliminer ce facteur insidieux, l’œuf simplement piqué montre seulement le tableau de l’activation: soulèvement de la membrane, achèvement de la maturation par l’expulsion du deuxième globule polaire, perte de la fécondabilité, engagement dans des cycles monoastériens qui redoublent plusieurs fois de suite le nombre de chromosomes (fig. 3, A-D). En revanche, si l’inoculation a eu lieu, le noyau étranger agit comme un «levain de gel», et provoque une vaste irradiation du cytoplasme. Quand celle-ci a régressé, un édifice mitotique bipolaire assure une première division normale (fig. 4). La segmentation se poursuivant, un embryon se formera. Ainsi, l’activation pure et simple laisse l’ovule dans un état de monocentrie dont il ne peut sortir par ses propres moyens. L’introduction d’une cellule étrangère qui peut être quelconque, pourvu qu’elle soit nucléée (cette réserve ne s’est pas vérifiée valable, cf. infra ), suscite une régulation qui assure l’acquisition de la dicentrie, grâce à laquelle une première mitose typique, bipolaire, engage la segmentation normale.

3. Interprétations du mécanisme de la parthénogenèse

Aperçu des interprétations «classiques»

Les techniques efficaces établies par Loeb et par Bataillon ont été l’objet, de leur part et de celle de maints autres biologistes, de travaux visant à élucider le mécanisme des résultats obtenus. Les notions ainsi acquises ont été fructueusement confrontées avec celles résultant d’études parallèles sur la fécondation. Le soulèvement de la membrane a été beaucoup discuté. On a reconnu sa complexité microstructurale. Bien qu’il ne soit pas indispensable (cf. infra ), il pourrait favoriser une certaine désintoxication. Il a, d’autre part, un caractère lytique que soulignait Loeb et qui retient de nouveau l’attention, en raison de l’importance acquise par les lysosomes. Le rôle souvent favorable des milieux hypertoniques, qui réduisent la quantité d’eau imprégnant le cytoplasme, a fait penser à Bataillon que le deuxième temps de Loeb tirait de là sa vertu régulatrice. Le physiologiste américain Ralph S. Lillie et bien d’autres ont insisté sur des changements de perméabilité. De tout cela a résulté que, vers le milieu du XXe siècle, l’inertie de l’œuf vierge et mûr pouvait être attribuée à un état d’intoxication combiné avec une certaine hypertension et quelque imperméabilité, interprétation qualitative qui mérite d’être rappelée.

La parthénogenèse artificielle, plagiat de la fécondation

De ces multiples supputations a émergé une notion capitale, celle d’un étroit parallélisme entre les aspects cytologiques de la parthénogenèse artificielle et ceux de la fécondation. Dans celle-ci, l’introduction du centrosome spermatique produit constamment un premier cycle d’activité s’exprimant par un monoaster qui régresse bientôt. Toutefois, cette sorte d’essai fait qu’au cycle suivant la dicentrie est acquise et permet l’édification d’un premier édifice mitotique bipolaire; celui-ci inaugure les cycles de segmentation (fig. 3, a-h).

Lorsqu’on active des œufs d’oursin selon le premier temps de Loeb, on y engendre bien une gélification astérienne, mais elle n’a pas le caractère progressif du monoaster spermatique; elle piétine et s’épuise en vains efforts de lobulations désordonnées. Le deuxième temps vient corriger cette tendance abortive; grâce à la pénétration, au moment opportun, de «certains» éléments minéraux, le premier cycle monoastérien, abrégé, devient efficace, et une modification intime assure qu’une belle mitose normale lui succède. De même, quand on pique «simplement» un œuf de grenouille, sa membrane vivante réagit comme elle l’eût fait au spermatozoïde, mais l’éveil des activités internes ne conduit qu’à la série infructueuse des cycles monoastériens. Si toutefois les conditions de la piqûre ont permis l’introduction d’une cellule, sa présence – et c’est là la notion féconde qu’on doit à Bataillon – amende la nature intime du monoaster, et, dès le second cycle, la gélification devient bipolaire. On en sait plus à présent sur le sens profond de ces constatations; mais c’est le mérite du grand zoologiste et cytologiste français Bataillon de les avoir alors interprétées correctement, spécialement dans son admirable testament scientifique, ouvrage posthume publié en 1955 par Jean Rostand. Le secret des techniques de la parthénogenèse est de s’approcher autant que possible, par d’insidieux détours, des événements intimes de la fécondation; elles en réalisent donc bien le plagiat.

Telle est, en somme, la manière de voir que l’on pouvait nourrir vers 1930. À cette époque, on était certes pleinement conscient de ce que la mise en marche du développement impliquait une évolution profonde du chimisme cellulaire, et l’on pouvait pressentir que dans celle-ci devaient intervenir les organes cardinaux de la cellule-œuf, sa membrane plasmique, son noyau, son centrosome. Les quatre décennies à venir allaient jeter maintes clartés sur ces rouages en révélant l’incessante activité du plasmolemme, le rôle biochimique primordial du noyau, la microstructure du centrosome, des gélifications astériennes et fusoriales. Ces divers progrès ont contribué à faire mieux comprendre, sans l’élucider encore complètement, le mécanisme de la parthénogenèse expérimentale.

La régulation de l’assortiment chromosomial

L’importance du rôle joué par le noyau semble aujourd’hui évidente à la lumière des connaissances acquises depuis 1950 environ sur le mécanisme de synthèse des protéines. Il ne pouvait en être ainsi au moment où les spécialistes de la parthénogenèse se sont rendu compte de la faible viabilité des embryons obtenus par leurs divers procédés.

Alors que la fécondation normale produit évidemment des embryons viables, capables de franchir une éventuelle métamorphose, il n’en va guère de même pour les produits de la parthénogenèse. Il y eut bien un oursin obtenu par Yves Delage à Roscoff et une grenouille élevée au laboratoire de Jacques Loeb, mais ce furent des réussites exceptionnelles. On se rendit bientôt compte de ce que les rares survivants des élevages parthénogénétiques n’étaient pas restés haploïdes, comme on s’y serait attendu, mais avaient insidieusement redoublé le nombre de leurs chromosomes. Il est au moins un cas où le mécanisme de ce retour à la diploïdie a été élucidé, et c’est encore Bataillon qui y a réussi. Il a suffi pour cela qu’en 1930 il applique à des œufs d’oursin le premier temps de la méthode de Loeb en abaissant légèrement le titre de l’acide butyrique et en réduisant son temps d’action à trente secondes; à la suite de cette minime modification, la membrane ne se soulève pas immédiatement, l’activité monoastérienne ne s’éveille pas, mais, à un moment plus tardif, la membrane du noyau disparaît et un édifice mitotique singulier se constitue. Son fuseau est plutôt cylindrique, ses pôles sont des sphères transparentes sans irradiation. L’évolution de cette «mitose bipolaire anastrale» amène le redoublement du nombre des chromosomes. Si les conditions internes sont «favorables», au cycle suivant une mitose typique se constituera en même temps que – fait remarquable – la membrane d’activation se soulèvera enfin, ce qui montre bien que cet épisode ne joue qu’un rôle secondaire.

Ce déroulement des événements confirme bien que, pour assurer un développement normal, il faut obtenir l’éveil harmonieux des trois activités envisagées plus haut: celle du complexe nucléaire, celle des facteurs de gélification fusoriale puis astérienne, et celle de la membrane plasmique, régulatrice des échanges. Chacune de ces activités a son rythme propre, et ces rythmes – intuition chère à Bataillon – doivent être dûment associés.

4. Les progrès récents de l’interprétation

Au cours des dernières décennies, cette notion générale a pu être précisée dans une certaine mesure grâce à la convergence graduelle d’informations acquises par des travaux poursuivis sur les deux matériaux déjà tant explorés, les œufs des Échinodermes (surtout ceux de l’oursin), et ceux des Batraciens. Parallèlement, les possibilités de parthénogenèse ont été examinées chez plusieurs Mammifères, mais ce sont surtout jusqu’ici de remarquables performances techniques. Avant de les relater, considérons les apports relatifs à la synthèse des protéines et à l’intervention du complexe centrosomial.

Que le développement embryonnaire implique dès son début l’éveil de synthèses protéiques est une certitude, mais le degré de participation, à ces jeunes stades, des constituants nucléaires est un problème encore débattu. À ce point de vue, il a été d’une grande utilité de pouvoir étudier la capacité de développement parthénogénétique d’un fragment anucléé d’œuf d’oursin. C’est ce que permet la technique inventée en 1935 par Ethel Brown-Harvey. Une centrifugation appropriée permet de subdiviser par étirement les œufs vierges en deux parties, dont une seule est nucléée. En soumettant les fragments anucléés à une hypertonie momentanée, on provoque une segmentation pas très typique, mais qui peut donner des complexes comptant jusqu’à 500 cellules, et assez longuement viables. C’est une indication formelle de l’ampleur que peut prendre l’activité autonome de l’appareil centrosomial.

Ultérieurement, ce procédé a permis à Jean Brachet et à ses collaborateurs de préciser la nature de l’activité biochimique que l’activation suscite dans le cytoplasme. En 1963, une synthèse de protéine, aussi active dans les fragments purement cytoplasmiques que dans ceux pourvus d’un noyau, a été révélée par l’incorporation d’un isotope précurseur des protéines, c’est-à-dire d’un acide aminé marqué, la 14C-leucine. En 1965, des fragments nucléés et anucléés ont été traités par les isotopes de précurseurs des acides nucléiques et des protéines, c’est-à-dire par des ribonucléosides et des acides aminés, tous marqués. Il est apparu que le cytoplasme pur contient de l’ADN et incorpore des acides aminés aussi activement que si un noyau était présent, ce qui révèle une synthèse autonome de protéines. En 1967, Brachet a précisé que cette incorporation est massive et presque instantanée – et même plus intense – dans les fragments anucléés, s’ils ont été dûment activés. Elle porte sur une ou plusieurs protéines spécifiques, dont le rôle biologique reste inconnu. En 1970, le même auteur considère, en outre, comme probable une certaine synthèse d’acides nucléiques, dont il resterait à surprendre le siège, éventuellement mitochondrial, et en tout état de cause cytoplasmique.

En ce qui concerne l’œuf vierge normal, nanti chez l’oursin de son noyau haploïde, ou chez l’astérie de sa figure de maturation, deux ordres de constatations ont, depuis lontemps, suggéré l’intervention du centrosome ovulaire. D’une part, lorsqu’on soumet des oocytes d’astérie à des milieux salins où la balance des cations a été rendue anormale, on peut certes obtenir une parthénogenèse typique (cf. supra ), mais pour peu qu’on s’écarte du mélange le plus favorable, on observe des images aberrantes caractérisées par une amplification variable des gélifications (fig. 5). D’ailleurs, l’eau de mer rendue hypercalcique produit un remaniement étonnant de la première mitose de maturation, qui se transforme directement en un énorme édifice pluripolaire. D’autre part, dans la méthode de Loeb, le traitement hypertonique du deuxième temps de l’oursin suscite, pour peu qu’on l’exagère, des asters accessoires qui constellent le cytoplasme. On a d’abord cru à des gélifications sans grande signification, mais on a ensuite observé que les asters accessoires ont toutes les capacités dynamiques des centrosphères normales (Henri J. Fry, 1928). Ultérieurement, le microscope électronique a permis d’observer la microstructure des centres cellulaires, et notamment des centrioles ou diplosomes qui en sont l’élément essentiel. En 1961, R. E. Dirken a pu démontrer la présence de ces microstructures caractéristiques dans les asters accessoires, ce qui a levé tout doute quant à la nature de ceux-ci. Ce fut d’ailleurs une des indications qui conduisit à établir, dans diverses cellules, une véritable néogenèse du complexe centrosomial (Dalcq, 1964). Une fois ce pas franchi, la même technique, toujours plus raffinée, parvint à faire voir que ces structures, aussi complexes que délicates, résultent de l’association d’infimes et innombrables éléments protéiques, très minuscules cylindres ou fuseaux à contenu fluide. Ces microtubules , de nature protéique, sont le matériau dont sont faits les centrioles, organites le plus souvent permanents, ou les structures temporaires de l’édifice mitotique. Ainsi s’expliquerait l’apanage le plus frappant de l’activité cellulaire, la morphopoïèse (Kellenberg).

C’est à cette notion générale que fait appel la contribution de Lynn R. Fraser (1970) consacrée au thème de cet article. Avant d’en indiquer la teneur, il convient de mentionner que l’énigme posée par la parthénogenèse traumatique des Batraciens n’a guère cessé, au cours des cinq dernières décennies, d’intriguer les biologistes américains. Grâce aux travaux de Charles L. Parmenter, puis de son élève John R. Shaver, ainsi que d’autres chercheurs des États-Unis, on s’est rendu compte de ce que le facteur initiateur de la segmentation (FIS) n’est pas nécessairement, comme le pensait Bataillon, l’introduction d’une cellule nucléée. En effet, la substitution de la micro-injection contrôlée à la piqûre, technique peu précise, a permis d’établir que ce facteur est présent dans la portion cytoplasmique – et non nucléaire – de divers extraits cellulaires. Des globules rouges de souris, cellules sans noyau, possèdent d’ailleurs cet agent. Celui-ci existe dans au moins sept tissus de la grenouille adulte. Au cours du développement, on le décèle de plus en plus aisément durant la segmentation, et il atteint son efficacité maximale lors de la gastrulation. Déjà Shaver, à qui l’on doit ces précision (1953), considérait qu’une synthèse de protéines était en cause. Par ailleurs, les essais tentés avec des produits riches en acides nucléiques et en substances connexes sont restés infructueux.

Actuellement, Fraser a repris l’étude des propriétés du FIS extrait de cinq tissus de grenouille adulte. Cet auteur s’est assuré de ce qu’il s’agit de constituants membranaires de nature protéique. Il a aussi montré que cette substance doit être polymérisée et qu’elle migre par électrophorèse au niveau caractéristique des microtubules. Procédant alors à l’examen sur coupes ultrafines de condensés extraits du cerveau de grenouille, l’organe le plus riche en FIS, Fraser a pu y observer nombre de vésicules contenant des fragments de microtubules. Il semblerait donc que ces parcelles agiraient en ensemençant le cytoplasme de l’œuf vierge de manière à favoriser la polymérisation du matériau microtubulaire que contient celui-ci et à permettre ainsi la réduplication du centriole et la formation du fuseau mitotique. C’est là une hypothèse de travail extrêmement séduisante.

5. Parthénogenèse expérimentale chez les Mammifères

Chez les Mammifères, le problème se pose au niveau cytologique comme chez les Amphibiens, puisque les œufs quittent l’ovaire après avoir expulsé leur premier globule polaire et sont alors, sauf fécondation, voués à l’inertie. En outre, on peut s’attendre à des réactions favorables, car un début de parthénogenèse spontanée a été souvent rencontré. Les expériences ont été réalisées après laparotomie, et c’est au moment où les œufs vierges parviennent dans l’oviducte (ou trompe utérine) qu’on peut aisément agir sur eux à travers la paroi de cet organe, soit par échauffement local ou surtout par refroidissement (cas du lapin), soit par un choc électrique. Dès 1939, Gregory Pincus a signalé la possibilité d’obtenir chez la lapine un développement parthénogénétique complet, mais ce résultat est resté isolé. En France, Charles Thibaut (1949) a confirmé dans une large mesure chez la même espèce les résultats de Pincus; il a obtenu des segmentations et même un très jeune embryon au stade blastocyste, en appliquant simplement pendant plusieurs minutes et au moment voulu un bloc de glace sur l’oviducte (fig. 6). À l’instar d’Andrzej Tarkowski, Christopher Graham a repris en 1970, à Oxford, les essais d’excitation électrique du renflement tubaire chez la souris. Il s’est efforcé en vain d’obtenir des blastocystes capables de s’implanter dans la muqueuse utérine et de se développer complètement. Visiblement, la condition d’haploïdie n’a pu être surmontée, peut être parce qu’on n’est pas parvenu à susciter une activation avec fuseau bipolaire anastral.

La parthénogenèse expérimentale a été et reste un des grands thèmes de la biologie animale. Après avoir eu surtout pour objectif de montrer que des manipulations adéquates pouvaient être substituées à l’intervention du spermatozoïde, elle est devenue un puissant moyen d’analyse des processus initiateurs du développement embryonnaire, événements d’une importance plus qu’évidente. Bénéficiant des possibilités inhérentes à la biologie moléculaire, les investigations sur la parthénogenèse ont déjà jeté une vive lumière sur ce domaine passionnant. Des voies pleines de promesses sont aujourd’hui ouvertes aux chercheurs, qu’il s’agisse de surmonter les difficultés techniques que présentent encore les Mammifères, ou de comprendre le mécanisme de la synthèse protéique dans les œufs marins privés de leur noyau, ou de vérifier le rôle attribué aux microtubules, ou encore de définir certaines des activités enzymatiques sous-jacentes au dynamisme ovulaire.

Encyclopédie Universelle. 2012.