HISTOIRE NATURELLE
HISTOIRE NATURELLE
La constitution d’une histoire naturelle à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe est fondée sur le souci de substituer à l’explication de la nature sa description intégrale, considérée alors comme seul moyen de préserver la richesse des formes naturelles dans leur singularité. Décrire, selon Tournefort (1656-1708), c’est dire avec toute la précision et la concision nécessaires ce que l’on voit d’un être, en faisant abstraction de tout ce qui «ne tombe pas sous le sens sans le secours d’une loupe». Buffon (1707-1788), de même, conçoit la «vraie méthode» de l’histoire naturelle «comme la description complète et l’histoire exacte de chaque chose en particulier» et pour lui «il n’y a rien de bien défini que ce qui est exactement décrit» (De la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle , 1749).
Contrairement aux modalités suivant lesquelles la connaissance du monde vivant s’est organisée depuis l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, l’appréhension de l’univers se fait désormais par l’aspect visible des choses exclusivement. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, connaître la nature, c’était d’abord déchiffrer le réseau des ressemblances par lesquelles les choses dispersées dans l’espace étaient en correspondance les unes avec les autres, découvrir au-delà des analogies visibles les secrets de la nature, décrypter sur chaque chose la marque qui renvoie aux similitudes enfouies. L’âge classique, en privilégiant la vue, sens de l’évidence et de l’étendue, à l’exclusion des autres sens, écarte tout ce qui est lien occulte entre les choses au profit de leur seule structure visible; c’est cette structure, capable de se maintenir dans son identité à travers les générations successives, qui est l’objet par excellence de l’histoire naturelle. Celle-ci se présente comme un savoir des êtres vivants, comme une entreprise de dénomination et de classification du visible en même temps. Pour Linné (1707-1778), le naturaliste est celui qui «distingue par la vue les parties des corps naturels, il les décrit convenablement selon le nombre, la figure, la position et la proportion, et il les nomme» (Systema Naturae , 1766). De la même manière, selon Buffon, «la méthode d’inspection se portera sur la forme, la grandeur, sur les différentes parties, sur leur nombre, sur leur position, sur la substance même de la chose» (op. cit. ). Dans la mesure où elle n’a pas pour objet des fonctionnements ou des tissus invisibles, mais des surfaces et des lignes, dans la mesure où elle ignore les rapports internes d’organisation et de subordination, l’histoire naturelle à l’âge classique est incapable de se constituer comme biologie. Pour elle, en effet, la vie n’est encore rien d’autre qu’une catégorie de classement, un caractère dans la distribution des êtres. Il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la structure laisse place à l’organisme et le caractère visible à la subordination interne, créant ainsi les conditions d’émergence de la biologie.
Dans sa double tâche de dénomination et de classification, l’histoire naturelle se heurte à trois difficultés majeures. La première tient à la diversité du monde vivant; à la fin du XVIIe siècle, plusieurs dizaines de milliers de variétés sont connues. Buffon, dès le début du premier discours (De la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle ) de l’Histoire naturelle , souligne l’infinie diversité des productions naturelles et la multiplicité des voies que la Nature emprunte pour exécuter ses desseins. Il voit dans cette richesse de la Nature la marque de la puissance de son Auteur, mais aussi ce qui rend les formes naturelles irréductibles au cadre rigide de la taxinomie et des concepts classificatoires. La deuxième difficulté réside dans la continuité du monde vivant: la nature ne fait pas de saut. Charles Bonnet (1720-1793) se demande quelle serait la raison du passage d’un être à l’autre s’il existait un vide entre eux. Cette continuité, il la conçoit tantôt comme une grande échelle linéaire, tantôt comme un tronc central d’où partent des branches ramifiées, celle des coquillages et des crustacés d’un côté, celle des insectes et des grenouilles de l’autre. Buffon se la représente comme «une large trame, ou plutôt un faisceau qui d’intervalle en intervalle jette des branches de côté, pour se réunir avec des faisceaux d’un autre ordre» (Histoire naturelle des Oiseaux , 1770); cette échelle continue va par nuances imperceptibles du plus parfait au plus informe, «de l’animal le mieux organisé jusqu’au minéral le plus brut» (De la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle ). Enfin, la troisième difficulté vient de ce qu’«il n’existe réellement dans la nature que des individus, et que les genres, ordres et classes n’existent que dans notre imagination» (Buffon, ibid. ). Buffon reproche à la classification de Linné de ne pas comporter assez de divisions et d’être pour cette raison arbitraire et incomplète. Il est partisan d’une division très fine, permettant de serrer au plus près la singularité de chaque être; à la limite, une classification vraiment fidèle à la nature mettrait en jeu la possibilité même de la science, car elle devrait comporter autant de divisions qu’il y a d’individus.
Il s’agit donc de trouver l’ordre le moins arbitraire et le plus naturel qui soit. Pour ce faire, il faut situer chaque être par rapport aux autres dans un système d’identités et de différences. C’est le caractère qui marque l’individu comme tel et lui assigne sa place dans un espace de voisinage. Deux techniques différentes permettent d’effectuer ce travail de comparaison. La technique du système (Tournefort) consiste à choisir un ensemble limité de traits dont on étudie les constances et les variations chez tous les individus qui s’offrent à l’observation; la technique de la méthode (Adanson, 1727-1806), au contraire, ne part d’aucun a priori; elle déduit progressivement les différences à partir d’une comparaison rigoureuse des objets. Les deux démarches se rejoignent en ce qu’elles sont toutes deux des «manières de définir les identités par le réseau général des différences» (M. Foucault, Les Mots et les choses , 1967), et ont pour objectif de retrouver l’ordre véritable qui existe dans la nature.
● Histoire naturelle étude descriptive de la nature et des principaux « objets » qui la peuplent : animaux, plantes, minéraux et roches, etc. (On y distingue aujourd'hui les sciences biologiques et les sciences de la terre.)
Encyclopédie Universelle. 2012.