FAUVISME
Le mot «fauvisme» dérive d’une boutade du critique Louis Vauxcelles, prononcée à l’occasion du Salon d’automne de 1905. Au milieu de la salle où étaient rassemblées les œuvres de Matisse et de ses amis, trônait une statuette d’Albert Marque dans le style de la Renaissance italienne; Vauxcelles s’écria: «Donatello chez les fauves!»
Le qualificatif «fauve», qui convenait bien à l’art violent de ce groupe de peintres, est resté. Le mot «fauvisme» devait apparaître un peu plus tard, pour désigner à la fois le groupe et son art. Consacré par l’usage, ce terme n’en garde pas moins une extension incertaine sur trois points.
Le fauvisme a été la réunion d’artistes ayant mêmes admirations, mêmes goûts, et que les attaques de la critique vont encore rapprocher. Ce n’est ni une association organisée comme la Brücke, ni même un groupe solidement lié par l’amitié et par un credo artistique assez précis, comme celui des nabis. Il n’y a pas de liste type des fauves, et nul n’a jamais songé à retenir celle des exposants de la cage aux fauves du Salon d’automne. En plus des membres incontestés du groupe, qui ne sont guère qu’une dizaine, et parmi lesquels Van Dongen et surtout Rouault occupent une place un peu à part, il faut ajouter ceux que des amitiés personnelles ou le hasard des circonstances en ont rapprochés un instant, et surtout ceux que les classements traditionnels rangent, en raison de leurs œuvres postérieures, dans d’autres groupes, comme Braque, Metzinger, R. et S. Delaunay. En revanche, ce n’est que par une extension discutable qu’on y inclut des artistes dont les recherches offrent des parentés certaines avec le fauvisme, mais qui ne se sont pas moins tenus à l’écart du groupe.
Les dates posent aussi un problème. S’il est difficile de fixer un début au fauvisme, les premières œuvres déjà fauves de Matisse se plaçant vers 1896, la fin du mouvement paraît assez nette; sauf Van Dongen, tous les fauves se sont orientés à partir de 1908 vers un art très différent de ce qu’ils faisaient vers 1905. Qu’ils soient restés marqués toute leur vie par cette aventure est certain; mais le qualificatif de fauve appliqué au Derain ou au Matisse de 1925 ou de 1940 n’a plus de sens.
Van Dongen excepté, le fauvisme, phénomène parisien, n’a réuni que des Français de souche, à la différence de la plupart des autres mouvements de l’art moderne. Les mots «fauve» et «fauvisme», sous leur forme française ou adaptée (fauvismus, fauvismo , etc.) sont passés dans les principales langues occidentales avec la même acception qu’en français. Mais depuis quelques décennies, des historiens d’art allemands emploient le mot «fauve» pour désigner la période la plus «chaude» de la Brücke. Établir une comparaison et l’existence de contacts est utile. Mais l’expressionnisme allemand constitue en lui-même un phénomène suffisamment important et caractérisé pour qu’on ne crée pas à son sujet de confusion de vocabulaire avec le fauvisme français.
Historique
Quand les fauves se manifestèrent comme tels en 1905, ce fut pour la critique, et surtout pour le public, une découverte; en fait, la plupart d’entre eux travaillaient depuis quelques années déjà dans un esprit révolutionnaire et exposaient ici et là, notamment à la galerie Berthe Weil.
C’est autour de Matisse, que son âge et son autorité intellectuelle prédisposaient à jouer ce rôle, que s’est constitué le mouvement. La principale pépinière des fauves fut l’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts, où Rouault, Matisse, Marquet, Camoin, Manguin, Puy et quelques autres devaient nouer des relations durables. En 1898, Derain rencontre Matisse et Puy dans une petite académie libre où Carrière venait corriger de temps à autre et, en 1900, débute entre Derain et Vlaminck une amitié que le tempérament violent des deux hommes devait rendre orageuse. C’est vraisemblablement en 1901, à l’exposition Van Gogh, chez Bernheim-Jeune, que Derain présente Vlaminck à Matisse, tandis que le groupe des Normands (Friesz, Dufy, Braque) se retrouve à Paris.
Ces rencontres, ces amitiés sont surtout connues par des témoignages partiaux, souvent passionnés, parfois divergents. Vlaminck, en particulier, a contribué à bâtir une sorte de légende héroïque des débuts du fauvisme; d’autre part, jusqu’en 1905, les œuvres sont peu nombreuses, souvent difficiles à dater et encore mal étudiées. Quelques jalons sûrs existent cependant, ne seraient-ce que les dessins donnés à divers hebdomadaires par la plupart des fauves, et par Derain, pour des romans grivois de Vlaminck.
Matisse a incontestablement été le premier à s’affirmer dans une voie qui rompait autant avec l’académie et avec l’impressionnisme édulcoré qui régnaient alors dans les salons, qu’avec les nabis et le modern style. Il a certainement entraîné dans cette voie Marquet, Puy, Camoin et Manguin, et plus tard Dufy et Friesz (pour qui a joué aussi l’influence de Guillaumin). Quant à Derain, Vlaminck et Van Dongen, ils ont manifesté très tôt un sens du dessin simplifié, de la couleur libre et expressive, de la facture très franche, mêlé, au moins chez les deux amis de Chatou, à des gaucheries d’autodidactes.
En 1904, Matisse se rend sur la Côte d’Azur, notamment à Saint-Tropez, qui n’est alors qu’un village de pêcheurs. Il voit longuement Signac et Cross et traverse alors une période néo-impressionniste, dont l’œuvre la plus caractéristique est le fameux Luxe, calme et volupté (Musée national d’art moderne, Paris) que Signac lui acheta. Au début de 1905, Matisse présente une importante exposition particulière chez Bernheim-Jeune et participe au Salon des indépendants. Ces deux manifestations, qui constituent les deux premières affirmations publiques du fauvisme, devaient largement contribuer à orienter la foi des hésitants.
Au printemps, Matisse part pour Collioure, où il est rejoint par Derain; ils reviennent pour le Salon d’automne où le mouvement reçoit son nom. 1906-1907 vont être des années de voyage; seuls parmi les fauves Vlaminck et Van Dongen, les deux plus «instinctifs», ne s’éloignent guère de Paris et de ses environs; en 1906, Matisse entreprend son premier voyage en Afrique du Nord, à Biskra. La plupart de ces séjours sont accomplis à deux (les «couples» changent d’un voyage à l’autre), dans le Midi, à Londres, en Normandie, à Anvers. Que cherchent-ils dans ces dépaysements? Certainement des lumières neuves, et on notera qu’il s’agit presque toujours de ports ou de bords de mer. Dans quelques cas aussi, des musées: Derain, à Londres, enrichit sa connaissance de l’art nègre, Matisse visite musées et expositions à Munich. Mais, très vite, c’est eux-mêmes qu’ils trouvent dans ces voyages et, si leur évolution est liée au souvenir des sites représentés, on ne peut pas dire qu’elle en soit dépendante.
Caractères du fauvisme
Le fauvisme, on le voit, n’est pas une école pourvue d’une doctrine. On ne saurait extraire une doctrine des quelques textes anciens écrits par les fauves, comme les Notes d’un peintre de Matisse, publiées en 1908 dans La Grande Revue et aussitôt traduites en allemand et en russe: suite d’observations d’une admirable lucidité, elles n’ont aucun caractère systématique; encore moins des textes très vivants mais fort peu doctrinaires de Vlaminck ou des lettres de Derain. Le fauvisme est né de la réunion de tempéraments s’affirmant pendant quelques années dans une attitude artistique sinon identique, du moins très proche.
Le point commun le plus évident, celui qui heurta le plus les contemporains, est l’emploi de couleurs violentes; certains paysages de Derain ou de Vlaminck, où la couleur est posée telle qu’elle sort du tube, atteignent un paroxysme absolu. Hurlements de vermillon, de jaune et de vert dans les Vue de Chatou de Vlaminck, gerbes de rouge et de bleu des Tamise de Derain, oranges et violacés de Matisse et de Manguin, la gamme des couleurs n’est pas la même chez tous; il ne s’agit pas de violence gratuite, «pot de peinture jeté à la face du public», comme l’écrivait le malveillant Camille Mauclair, mais d’une volonté d’expression précédée, surtout chez Matisse, de sérieuses recherches qui doivent autant aux leçons de Gauguin qu’à l’exemple de Van Gogh. Dans certaines œuvres, la couleur est arbitraire et sans rapport avec les tons réels du sujet représenté. Dans d’autres cas, ils préfèrent chercher des sujets qui leur permettent d’utiliser des couleurs naturellement violentes; c’est une des raisons du goût de Marquet, de Dufy, de Manguin pour les Rue pavoisée , les 14 Juillet , les panneaux d’affichages bariolés. Les fauves comptent parmi les premiers peintres à venir travailler régulièrement au soleil méditerranéen.
La couleur a pour eux une valeur expressive et constitue un langage chargé d’émotion; ils l’utilisent aussi pour traduire le mouvement. Reprenant les recherches des générations précédentes, les fauves, ou au moins certains d’entre eux, ont vu comment les oppositions de plans colorés pouvaient suggérer le mouvement et la profondeur. C’est là, certainement, un des apports les plus féconds du groupe; par-delà leur période fauve, des hommes comme Matisse et Dufy l’ont continuellement approfondi; il devait atteindre son plein épanouissement chez Delaunay, adepte passager du fauvisme et grand admirateur de Matisse. À cet égard, tout un aspect de la peinture contemporaine, et en particulier de la peinture abstraite, a une dette envers le fauvisme.
On a dit parfois que les fauves, enivrés par la couleur, s’étaient désintéressés des problèmes de dessin et de composition. Il est exact que ces problèmes ne constituaient pas, au moins à la pleine époque du fauvisme, leur préoccupation prépondérante. Ils ont adopté consciemment un dessin simple et parfois même d’une gaucherie qu’il est difficile de ne pas considérer comme voulue quand on pense aux dessinateurs virtuoses que furent Matisse ou Dufy à d’autres époques de leur carrière. Cependant, leurs schémas de composition doivent souvent à Gauguin, à Degas, au Bonnard nabi, à Munch, parfois aux maîtres de l’estampe japonaise, donc à des artistes pour lesquels les problèmes de composition et de mise en page sont essentiels.
Sur ce point, comme sur bien d’autres, il est difficile de réduire le fauvisme à une définition simple. Chez Matisse, Puy, Marquet, Manguin, parfois chez Derain, s’observe une volonté de synthèse, c’est-à-dire, dans le vocabulaire du temps, une transformation voulue du contour, une stylisation. Ainsi s’explique l’intérêt des fauves pour les modes de stylisation systématique et poussée admises par les contemporains: l’affiche et surtout la caricature. Tous ont feuilleté les journaux illustrés comme Le Rire ou L’Assiette au beurre , et ont trouvé chez leurs dessinateurs, notamment chez ce curieux oublié qu’est Jossot, l’utilisation systématique de la syncope, de la déformation expressive, de la tache de couleur vive, arbitraire, signifiante. Certains fauves ont même collaboré à ces journaux et pratiqué la caricature.
Thèmes et poétique du fauvisme
Les fauves cultivèrent essentiellement le thème du paysage: Paris et ses environs, la Normandie, la Côte d’Azur, Anvers, Londres; des vues très simples, rues sans pittoresque, ports et bords de mer; pas de paysages fantastiques ou héroïques, des personnages réduits le plus souvent à des silhouettes; quelques portraits d’amis, de rares natures mortes. Sauf chez Van Dongen et Rouault, presque jamais de figures.
Cette thématique prend son sens quand on la compare à celle d’autres mouvements: les nabis sont les peintres de l’intimité bourgeoise; le cubisme se restreint, au moins chez Braque et chez Picasso, à quelques éléments familiers ou, avec Gleizes et Delaunay, réinvente de nouveaux sujets. En revanche, les thèmes des fauves sont pratiquement les mêmes que ceux des impressionnistes et sont porteurs d’une poésie assez voisine. Cette nature est une nature proche de l’homme, marquée par l’homme (sauf dans les visions cosmiques de Derain sur la Tamise), mais où l’individu n’existe pas. C’est, d’autre part, un cadre moderne avec ses maisons banales, ses bateaux à quai, ses péniches sur la Seine, ses promeneurs dans les rues. Seul Matisse représente quelquefois (Luxe, calme et volupté ; La Joie de vivre ) un Éden intemporel, renouant profondément avec Poussin. Mais – et, sur ce point, ces quelques tableaux de Matisse ne font pas exception – tout le fauvisme est profondément chargé d’une poésie vitaliste, hédoniste et constitue une sorte d’hymne à la vie, à la lumière, à la joie de vivre païenne, qui le rapproche de l’impressionnisme et de Cross. Tout un courant de la littérature du temps participe de cet esprit dont la singularité apparaît mieux quand on compare le fauvisme à l’expressionnisme allemand où des thèmes voisins et des violences de couleurs encore plus brutales aboutissent à un art inquiet, chargé d’une réserve nostalgique, comme chez O. Müller, ou grimaçant comme chez Kirchner ou Nolde. C’est un des points où Rouault, qui insuffle à toute son œuvre une puissante signification spirituelle totalement étrangère à l’univers poétique d’un Matisse, se sépare le plus profondément du fauvisme.
Les frontières du fauvisme
Les sources du fauvisme
L’accord est loin d’être fait sur les sources proches ou lointaines du fauvisme. La plupart des fauves ont laissé entendre – l’exemple de Van Gogh, trop évident pour être nié, étant excepté – qu’ils s’étaient formés à peu près seuls. Certes, le fauvisme est d’abord la libre expression d’un tempérament et une influence n’est subie qu’autant qu’on y est prêt. Il n’en reste pas moins que les fauves en ont subi de nombreuses.
La source la plus avouée, mais un peu minimisée par la suite, fut Van Gogh, et on a souvent évoqué, Vlaminck le premier, la révélation que fut pour ce groupe l’exposition Van Gogh chez Bernheim-Jeune, en 1901. À partir de 1901, les fauves eurent plusieurs occasions de voir des toiles de Van Gogh, la plus importante étant certainement la vaste présentation organisée au Salon des indépendants de 1905. Or, comme l’œuvre de Derain et de Vlaminck, de 1901 à 1904, est difficile à saisir et que l’influence de Van Gogh y est surtout perceptible à partir de 1905, on peut se demander si leurs souvenirs n’ont pas été quelque peu antidatés. Quoi qu’il en soit, les deux amis de Chatou et tous les fauves lui sont redevables de l’emploi d’une couleur arbitraire, posée avec violence.
Tous les peintres indépendants du XIXe siècle, tous ceux qui ont contribué à rendre à la couleur son pouvoir expressif ont frayé la voie au fauvisme: ainsi en est-il de Delacroix, de Turner, de Manet, de Redon, de Monet, de Cézanne, tant admiré par Matisse et par Rouault et à qui le jeune Camoin rendit visite à Aix, de Gauguin qui était devenu dans les ateliers parisiens une figure de légende.
Aux noms déjà cités on pourrait ajouter ceux de Monticelli, de Carrand, de Diaz, de Ziem, d’E. Munch dont on avait pu entrevoir les œuvres à Paris, d’Ensor et de Picasso pour ses premières œuvres.
Mais, sauf pour Munch, précurseur immédiat du fauvisme, il s’agit davantage d’une amorce, d’une préparation du fauvisme que d’une source directe. Il n’en est pas de même pour l’impressionnisme finissant, pour le néo-impressionnisme et pour G. Moreau, trois sources directes, habituellement négligées ou contestées:
L’impressionnisme: il existe quelques œuvres anciennes de Renoir et de Monet devant lesquelles on pense au fauvisme; mais surtout (est-ce coïncidence ou convergence de recherches?) vers 1898-1900, c’est-à-dire au moment où la manière de Matisse, de Marquet, de Derain commence à se préciser, Monet, Renoir, Guillaumin peignent et exposent des tableaux où la couleur se fait plus haute, irréaliste, arbitraire.
Quant au néo-impressionnisme, il semble qu’on ait longtemps négligé son influence sur les fauves. Matisse, comme tous les peintres de sa génération, a été un lecteur attentif du petit livre de Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (1899). C’est Signac qui patronne le groupe au Salon des indépendants. On a vu comment la présence de Signac et de Cross sur la Côte d’Azur contribua à y attirer Matisse pendant l’été de 1904. Cross échangea un tableau avec Matisse et, maintenant que l’œuvre de Cross est mieux connue, il est impossible de ne pas voir en elle une des sources les plus sûres non seulement de la couleur fauve, mais aussi de ce sentiment vitaliste, de cet ensoleillement qui est un des caractères les plus nets du fauvisme.
En ce qui concerne G. Moreau, plusieurs historiens – et C. Chassé principalement – ont voulu contester son rôle. Le passage d’une grande partie des peintres fauves dans son atelier et le bénéfice de son enseignement intelligent et libéral ne suffisent certes pas à expliquer son influence; mais, comme elle se retrouve même chez ceux qui n’ont pas été ses élèves, chez Derain par exemple, il est difficile de la mettre en doute. L’art de G. Moreau, peuplé de chimères et de «dieux à chaîne de montre» comme disait férocement Degas, paraît d’abord plus proche des préraphaélites ou de certains munichois fin de siècle que de Matisse ou de Derain. Mais, prônant la «richesse nécessaire de la couleur», Moreau ne conçoit de paysage que visionnaire et irréaliste et marque peu d’intérêt pour les problèmes de perspective. Enfin, si certaines aquarelles de Moreau peuvent passer pour des ancêtres du tachisme, d’autres annoncent très directement les incandescences visionnaires de Derain au bord de la Tamise.
La fin du fauvisme
La fin brutale du fauvisme est un phénomène qui a surpris les historiens. Si on excepte encore une fois Van Dongen et Rouault dont on a déjà vu qu’ils tenaient une place à part dans le mouvement, en 1907-1908, les fauves adoptent assez brusquement des couleurs sourdes (bruns, verts éteints, bleus foncés) et des schémas de constructions rigides et géométriques. Le phénomène est spécialement net chez Derain, Dufy, Braque, Vlaminck et Friesz. C’est peut-être ce dernier qui a le premier abandonné le fauvisme: les critiques du temps relèvent tous dans ses toiles de 1907-1908 l’influence nouvelle de Cézanne. Le Grand Nu de Braque, ou les toiles qu’il peint en compagnie de Dufy à l’Estaque en 1908 n’ont, elles aussi, plus rien de commun avec leurs œuvres des années précédentes. Le cas de Matisse est plus complexe, mais le grand style linéaire qui apparaît à partir de 1907 révèle des préoccupations très différentes de celles des années précédentes.
Il ne s’agit donc pas, sauf chez les moins «fauves» des fauves, comme Marquet, d’une évolution lente mais d’une rupture brutale. Quelles en furent les causes? L’influence de la sculpture nègre, celle de Cézanne dont une vaste rétrospective eut lieu au Salon d’automne de 1907, l’exemple de Picasso (dont Les Demoiselles d’Avignon sont du printemps de 1907) connu certainement de Derain et de Braque, ont joué. Mais, comme toujours, ces influences n’ont joué que parce qu’elles intervenaient au moment décisif. Ainsi, les occasions n’avaient pas manqué aux peintres fauves d’interroger l’œuvre de Cézanne avant 1907, et on a vu que Matisse, Rouault et Camoin l’admiraient depuis longtemps. En fait, le fauvisme avait atteint un point de violence et de tension au-delà duquel il était impossible d’aller et, par une sorte de purification, ces artistes en vinrent à l’austérité la plus voulue, la plus disciplinée, dans laquelle on ne peut pas ne pas voir l’amorce du cubisme.
Fauvisme et cubisme sont en quelque sorte deux moments opposés d’un mouvement pendulaire. À ses débuts au moins, le cubisme a été le fait d’hommes ayant participé au fauvisme: en 1908-1909, Derain, Dufy, Friesz, Delaunay, Braque relèvent, tout comme Picasso, de ce qu’on peut appeler le précubisme.
Plus tard, chaque fauve a eu son destin, certains restant plus fidèles aux aspects extérieurs du fauvisme, d’autres à ses leçons profondes.
Fauves français et expressionnistes allemands
La question des rapports entre fauves français et expressionnistes allemands n’est pas aisée à cerner. Des deux côtés, un certain chauvinisme a obscurci volontairement la discussion. En Allemagne, artistes et critiques ont voulu nier toute dette à l’égard des Français, et, pour justifier son antériorité, Kirchner n’a pas hésité à antidater des tableaux. En France, on a, pendant longtemps, ignoré presque totalement les peintres de la Brücke et les premières périodes de Kandinsky, de Jawlensky, d’A. Macke; puis on a, un peu vite, voulu faire découler tout leur art de celui des fauves. La discussion serait plus facile et plus sereine si on reconnaissait d’abord que, malgré des ressemblances évidentes, les deux mouvements sont d’un esprit très différent. En Allemagne, encore plus qu’en France, il s’agit d’une explosion de tempéraments indépendants et non d’un groupe ayant une doctrine stricte. Aussi, établir une comparaison et, a fortiori, des filiations entre deux phénomènes qui ne peuvent être définis qu’avec beaucoup de nuances et d’exceptions est forcément assez malaisé. Il faudrait donc plutôt reprendre le problème en étudiant chaque peintre séparément. Cependant deux faits d’ensemble peuvent être retenus.
Le premier est qu’il existe entre les deux mouvements une communauté de sources évidente, en particulier en ce qui concerne Van Gogh, Cézanne, Gauguin, Munch (plus connu en Allemagne qu’en France), Toulouse-Lautrec, le néo-impressionnisme. Cette communauté de sources a été reconnue par les artistes eux-mêmes et ne prête plus à discussion.
Les peintres de la Brücke, et c’est le second point important, sont presque tous passés d’abord par une phase voisine du néo-impressionnisme et de Van Gogh (1905-1907); leurs œuvres les plus proches du fauvisme français sont postérieures au fauvisme: elles datent de 1907-1911, lorsque les voyages, la circulation des œuvres et les publications ont fait connaître en Allemagne l’œuvre des fauves, particulièrement celle de Matisse et celle de Derain. Dire que les peintres de Dresde et de Munich y sont restés insensibles serait aussi ridicule que de nier l’originalité profonde de ce qui s’est passé en Allemagne.
fauvisme [ fovism ] n. m.
• 1927; de fauve (4o)
♦ Mouvement pictural des Fauves (4o).
● fauvisme nom masculin (de fauve) Mouvement pictural français du début du XXe s.
fauvisme
n. m. Art des peintres dits fauves.
Encycl. Le fauvisme fut, à l'origine, la réaction de divers peintres (Matisse, Rouault, Van Dongen, etc.) contre leur formation académique: ils prônèrent l'emploi généralisé des tons purs. Ils furent rejoints par Marquet, Derain et Vlaminck. Othon Friesz, Raoul Dufy et Georges Braque optèrent aussi pour cette manière dont les oeuvres les plus représentatives furent peintes en 1906.
⇒FAUVISME, subst. masc.
HIST. DE LA PEINT. Tendance, mouvement des peintres fauves au début du XXe siècle (notamment Vlaminck, Derain, Matisse, Friesz, Van Dongen, Puy, Manguin, Dufy, Marquet); caractère de leur peinture. Le fauvisme, et plus encore l'expressionnisme, ont perçu que la sensation, pourvu qu'en se concentrant elle atteigne son maximum d'intensité, provoque un ébranlement nerveux qui la prolonge en émotion (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 62). Inventions du fauvisme et, surtout, de Bonnard et de Matisse dans le domaine de la couleur (CASSOU, Arts plast. contemp., 1960, p. 642). Cf. aussi fauve ex. 6 :
• C'est en vain, en effet, que l'on chercherait parmi les Fauves un théoricien comme Signac, Sérusier, ou Maurice Denis. Ils ne se sont pas souciés de coucher sur le papier les recherches qu'ils poursuivaient, sauf Matisse dans l'article assez court et assez confus qu'il publia dans La Grande Revue le 25 décembre 1908. Ces fameuses Notes d'un peintre, quelques propos recueillis par Georges Duthuit et publiés dans ses Fauves en 1949, des textes çà et là dans la correspondance de Derain et la littérature, abondante, de Vlaminck, dans son Tournant dangereux de 1929 en particulier, voilà les seules explications données sur le Fauvisme par les Fauves.
DORIVAL, Peintres XXe s., 1957, p. 56.
Prononc. :[]. Étymol. et Hist. 1927 (A. SALMON, Les Fauves et le fauvisme [titre] ds L'Art vivant, 1er mai). Dér. de fauve subst. au sens 3; suff. -isme. Fréq. abs. littér. : 8. Bbg. DUB. Dér. 1962, p. 36.
fauvisme [fovism] n. m.
❖
0 Le fauvisme pour Matisse, c'est l'accentuation décisive d'un type de rapport à la couleur qu'il s'emploiera à cultiver : le nerf du système.
Marcelin Pleynet, Système de la peinture, p. 80.
Encyclopédie Universelle. 2012.