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FAR WEST
FAR WEST

Le terme de Far West, popularisé par le cinéma, la littérature, le folklore et la télévision, est en lui-même assez vague et ne correspond ni à une période de l’histoire américaine ni à un domaine géographique bien défini. Forgé à l’imitation de Far East, qui pour les Américains désigne ce que nous appelons l’Extrême-Orient, il désigne donc l’extrême ouest du domaine américain, aux diverses phases de l’extension de la nation. En fait, malgré les apparences, ce terme qui, à l’origine, avait un contenu géographique – le Far West succédait au Middle West quand on venait de l’Est – en est venu à qualifier une phase de l’histoire américaine, la fin de la conquête et de l’occupation territoriales, entre la guerre de Sécession et l’aube du XXe siècle.

L’épopée du Far West, terminée aux premières années du XXe siècle, est devenue une véritable mythologie qui sert d’assise à la civilisation américaine et justifie ses fins. C’est, en effet, la lutte des bons contre les méchants, la victoire du progrès sur les ténèbres, l’apothéose de l’homme blanc contre les forces de la nature, thèmes chers à un pays puritain et sans passé.

1. Définition géographique et historique

Les limites topographiques sont fort imprécises, dans la mesure où le Far West couvre l’espace situé entre le Middle West, à l’est, et la côte du Pacifique, à l’ouest. Il correspond donc à peu près aux États ou parties d’États situés dans les montagnes Rocheuses, ainsi qu’à leurs prolongements au contact des plaines, dans les deux Dakotas, et la partie occidentale du Nebraska entre la frontière canadienne, au nord, et les confins mexicains, au sud. Cet immense ensemble, qui comprend environ le tiers des États-Unis, est encore parfois désigné sous l’appellation de Far West, bien qu’on lui préfère celle d’États des Rocheuses.

Une telle définition est cependant incomplète sans le recours à l’histoire et à un phénomène typiquement américain, celui de la frontière, défini à la fin du XIXe siècle par Frederick Jackson Turner et repris depuis lors par nombre d’historiens. La frontière, c’est la zone extrême du peuplement pionnier, face au vide du continent, vide relatif d’ailleurs, puisque des Indiens n’ont cessé d’occuper, au moins en partie, les espaces vacants. Vers la fin de la guerre de Sécession, les pionniers s’étaient avancés au-delà du Mississippi jusqu’à environ un millier de kilomètres à l’ouest du fleuve. Une frange d’États avait été créée sur sa rive occidentale, le premier en date étant le Missouri (1821), le plus récent le Kansas (1861). Au même moment, des pionniers s’étaient déjà établis, par-delà les Rocheuses, en Californie et dans l’Oregon, profitant, d’une part, de l’entrée de ces régions dans l’espace américain, à la suite du traité de Guadalupe Hidalgo avec le Mexique (1848) et des négociations avec la Grande-Bretagne (1846), de l’autre, de la découverte de l’or dans les alluvions du Sacramento, en 1849. Le grand rush des «quarante-huitards» amena une animation extraordinaire, désordonnée et violente, dans la vallée intérieure de Californie et aux ports de débarquement comme San Francisco. La Californie fut admise dans l’Union en 1850, l’Oregon en 1859.

Entre ces deux espaces occupés, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, s’étend le Far West. Ses vastes étendues étaient alors parcourues par des tribus indiennes, Sioux, Blackfoot, Arapahos, Crows, Zunis, Navajos, Hopis, Nez-Percés, qui, presque toutes, relevaient de ce qu’on peut appeler la civilisation du bison, le fameux buffalo du folklore américain. Le bison était, par excellence, l’animal des hautes plaines et des plateaux et fournissait aux Indiens à la fois leur nourriture (viande et graisse), leurs vêtements (souvent tissés à partir de la toison des bisons), leur abri (les tepees sont faits en peaux de bison). Aussi les tribus suivaient-elles ces animaux dans leurs déplacements saisonniers et ne pouvaient-elles s’en passer. De là, un nomadisme commun à la plupart des Indiens, sauf ceux qui vivaient de la pêche au saumon sur le rebord occidental des Rocheuses. À cette époque, les seuls Blancs à avoir pénétré dans le Far West étaient les mormons, qui, à la suite de leur longue marche depuis Nauvoo (Illinois), avaient installé le royaume de Dieu dans les étendues désertiques et isolées de l’Utah, autour du Grand Lac Salé, coupant ainsi tout contact avec une civilisation qu’ils estimaient corrompue. Les mormons s’étaient sédentarisés sur un terrain qu’ils avaient colonisé avec un courage exemplaire, en cherchant avant tout à protéger leur isolement.

2. La ruée des mineurs

À partir de 1865, le Far West pénètre dans l’histoire américaine, à travers plusieurs expériences successives qui en hâtèrent la colonisation et l’occupation. Ce fut d’abord, autour des années soixante, la découverte d’or et d’argent dans les régions montagneuses du Nevada, du Colorado, de l’Arizona, du Montana et du Wyoming et, en conséquence, la ruée de mineurs aux mœurs rudes et violentes. Les méthodes utilisées alors consistaient à laver les alluvions des rivières et à ouvrir quelques galeries au flanc des vallées. Chacun pouvait ainsi tenter sa chance, sans capital aucun, avec des résultats variables, et un nombre élevé d’échecs. Des agglomérations sommairement construites essaimèrent dans la solitude; quelques villes apparurent près des filons plus riches, comme Central City (Colorado), Virginia City (Montana) et Virginia City (Nevada), la plus célèbre de ces ghost towns , dans laquelle Mark Twain tenta sa chance comme journaliste et reporter entre 1862 et 1864, avant de repartir pour la Californie. Ces villes avaient alors grande allure, avec leurs rues bordées de belles maisons de bois et leurs institutions typiques, les banques et les saloons, parfois même leur théâtre qui accueillait une troupe d’opéra. Elles s’animaient surtout en fin de semaine, quand les pionniers venaient dépenser, dans les saloons et les bars, les maisons de rendez-vous et les hôtels, l’argent gagné les jours précédents. Le shérif avait bien du mal à faire respecter l’ordre et à empêcher les règlements de compte qui suivaient de trop amples libations. La vie d’un homme comptait d’autant moins que nombreux étaient les aventuriers au passé douteux ou les immigrants ayant fui l’Europe pour des raisons peu avouables. La loi du plus fort finissait par l’emporter, selon l’image soigneusement entretenue par le cinéma, qui a pourtant idéalisé cette époque, en réalité très brutale.

Le peuplement par les mineurs demeurait instable et sporadique, lié qu’il était à des gîtes superficiels et à des techniques très rudimentaires. Les gisements une fois exploités, il fallait aller chercher des minerais ailleurs, en abandonnant les agglomérations existantes. Au cours des années soixante-dix, des sociétés capitalistes prirent le relais des individus, utilisèrent des méthodes plus élaborées et plus coûteuses et mirent ainsi fin à ces expériences désordonnées. Les villes retournèrent à l’abandon, vestiges de cette première poussée de fièvre. En outre, des conflits éclatèrent avec les Indiens, auxquels avaient été garanties certaines terres qui se révélèrent riches en métaux précieux, comme dans les Black Hills du Dakota du Sud (1875) occupées par des Sioux. Ceux-ci furent contraints de se laisser déposséder.

3. Chemins de fer et Indiens

À ce moment, le Far West était en train de se transformer grâce aux chemins de fer. La question d’une jonction ferroviaire entre la vallée du Mississippi et la Californie s’était posée dès les débuts de la ruée vers l’or, mais avait été constamment renvoyée en raison de l’opposition des États du Sud, qui se voyaient perdants au profit du Nord. Profitant de la guerre de Sécession, le Congrès adopta en 1862 le principe d’un transcontinental entre Omaha et Sacramento, à travers le nord de l’Utah et le Nevada. Entreprises effectivement dès la fin de la guerre, les deux branches, parties l’une de l’ouest, l’autre de l’est, se rejoignirent en 1869 à Promontary Point, dans l’Utah, donnant naissance à l’Union and Central Pacific. Avant la fin du siècle, deux nouveaux transcontinentaux avaient été construits au nord, le Northern Pacific et le Great Northern le long de la frontière canadienne, et deux autres au sud, l’Atchison, Topeka and Santa Fe Cy., le long du Santa Fe Trail, et le Southern Pacific en bordure du Mexique. Plusieurs de ces compagnies avaient reçu, outre des subventions en numéraire, des bandes de terres avec possibilité de les revendre à des pionniers.

La construction des chemins de fer, outre qu’elle attira des colons, hâta la disparition du bison. L’avance des Blancs avait déjà singulièrement restreint les terrains de parcours et entraîné une diminution considérable des troupeaux, si l’on songe qu’au XVIIe siècle ces animaux vivaient encore dans la région des Grands Lacs! Après 1865, ce fut un massacre stupide et systématique: par cupidité, car la peau des bisons était alors recherchée par les peaussiers européens; par gourmandise, car la langue constituait un aliment de choix; ou, plus simplement, par amusement, pour le plaisir de tuer un animal sans défense en dépit de ses dimensions. Les peaux de bison s’accumulèrent dans les stations des transcontinentaux avant d’être expédiées outre-mer, sans que fussent mesurées les conséquences de cette disparition, savoir la rupture de l’équilibre écologique qui assurait aux Indiens leur existence. Ces derniers réagirent par des attaques et des embuscades qui constituèrent les derniers épisodes de la lutte que menaient depuis le XVIIe siècle indigènes et pionniers dans cette partie du monde: massacre de Chivington (Colorado, 1864), massacre de Fetterman (Wyoming, 1866), bataille de Little Big Horn (Montana, 1876). La «pacification» fut confiée au général W. T. Sherman, le vainqueur des Sudistes, qui mit fin aux dernières résistances des Sioux (reddition de Sitting Bull en 1881) et cantonna les survivants dans des réserves soigneusement délimitées, à l’écart des grandes lignes de communications et sur les terres les moins hospitalières. Le soulèvement des Nez-Percés de Chief Joseph en 1877 et celui des Dakotas en 1890 marquèrent les ultimes soubresauts des Peaux-Rouges dans le Far West.

4. Le cow-boy

Place nette était ainsi faite pour un nouveau type de pionnier, le cow-boy, autre personnage caractéristique du folklore américain. Dès la fin de la guerre de Sécession, des éleveurs du Texas avaient deviné les énormes possibilités des terres de l’Ouest pour nourrir leurs troupeaux; mais la route était longue jusqu’aux pâturages d’altitude des Grandes Plaines ou des Rocheuses. Ils n’en avaient pas moins commencé un mouvement de transhumance qui, chaque printemps, les conduisait vers le nord-ouest et, en hiver, les ramenait vers des latitudes plus méridionales. Avec les chemins de fer, les possibilités de transhumance se trouvèrent multipliées et les troupeaux purent gagner le Nouveau-Mexique et le Colorado, puis les Dakotas, le Wyoming, le Montana, voire le Canada. En une quinzaine d’années, de 1865 jusqu’en 1880-1885, le Far West devint le terrain d’élection des troupeaux et de leurs gardiens, les cow-boys. Ses immenses espaces, sans clôtures, sans propriétaires, sans obstacles autres que ceux du relief, convenaient à merveille aux uns et aux autres. Des ranches s’établirent près des points d’eau, autour desquels rayonnaient les troupeaux et les cow-boys. Le métier n’était pas de tout repos, car il fallait se protéger des animaux sauvages qui saignaient les bêtes, des voleurs et aussi des Indiens. Il fallait aussi soigner des troupeaux exposés aux épidémies et souvent dispersés sur de grandes étendues. De là, une vie solitaire et sauvage que venait parfois égayer la fréquentation du marché voisin avec ses saloons et ses maisons de jeux. Une des tâches essentielles consistait à conduire jusqu’à la station la plus proche les bêtes bonnes pour la consommation et expédiées jusqu’aux abattoirs de Kansas City, Omaha, Saint Louis, Abilene ou Chicago. La vie du cow-boy est directement liée au chemin de fer, qui le met en relation avec les centres de consommation de l’Est et de l’Europe industrielle. Le souvenir de cette épopée a été perpétué par le personnage de Buffalo Bill, de son vrai nom William Frederick Cody, rancher dans le Nebraska puis dans le Wyoming, créateur d’un spectacle, le Wild West Show , qui fut apprécié aussi bien des Américains que des Européens.

L’avenir du cow-boy fut à son tour menacé par les progrès du peuplement. Ne citait-on pas le cas d’un propriétaire qui, irrité par le vol de quelques bestiaux par des Indiens, recruta une troupe de mercenaires qui se vantèrent d’avoir abattu cent soixante-quinze de leurs ennemis? L’élevage extensif aboutissait à un gaspillage qui finissait par devenir onéreux. Au cours de l’hiver rigoureux de 1886-1887, plusieurs dizaines de milliers d’animaux moururent de froid. Les pionniers, amenés aux frais des compagnies de chemin de fer ou de colonisation, s’insurgeaient contre les atteintes dont leurs terres étaient l’objet. Enfin, la chute des prix de la viande, après 1885, rendit moins rémunératrice cette forme d’élevage.

Les conditions nouvelles jouaient contre le cow-boy, comme elles avaient joué un peu plus tôt contre les mineurs. L’élément décisif fut l’introduction du fil de fer barbelé qui, après son apparition dans l’Illinois dans les années soixante-dix, gagna peu à peu l’Ouest. Pour cultiver les terres et protéger la propriété, il fallait recourir à la clôture, ce que fit la troisième génération de pionniers, les vrais colons. Ainsi se trouvait limitée la faculté de transhumer qui rendait possible l’élevage extensif. L’État fédéral lui-même, alerté par des scandales comme la disparition des bisons, interdit toute forme d’occupation dans certains espaces du domaine public: en 1872 fut créé le premier parc national, celui de Yellowstone, d’une superficie égale à celle de deux départements français environ, aux confins du Wyoming, de l’Idaho et du Montana. À mesure que de nouveaux États entraient dans l’Union, la surveillance des autorités fédérales se resserrait, et la justice se faisait moins expéditive. Dans la seule année 1889 furent admis quatre États du Nord-Ouest, les Dakotas du Nord et du Sud, le Montana et le Washington, et, l’année suivante, deux autres, le Wyoming et l’Idaho. Toute solution de continuité avait disparu dans cette région, ce qui permettait au directeur du recensement, en 1890, de signaler la fin de la frontière, de façon sans doute un peu prématurée, car les derniers États du Sud-Ouest, Arizona et Nouveau-Mexique, furent formés en 1912 seulement. De fait, entre 1885-1890 et cette date, l’élevage a cessé d’être transhumant pour se fixer dans d’immenses ranches entièrement clos. Les beaux jours du cow-boy étaient terminés.

Une des grandes ressources du Far West actuel est le tourisme, un tourisme qui se nourrit aux sources de cette épopée, grâce aux nombreux monuments qui magnifient l’effort des ancêtres, aux dude-ranches qui hébergent les visiteurs désireux de se replonger dans le passé, aux rodéos qui perpétuent les grandes traditions équestres des cow-boys, sans oublier les Indiens qui, pour leur part, témoignent d’un passé non moins glorieux, mais plus discret.

Il n’existe plus de Far West, mais il en subsiste une tradition et une épopée.

far west nom masculin (anglais far, loin, et west, ouest) Nom donné aux États-Unis, à la fin du XIXe s., aux territoires situés à l'ouest du Mississippi. Familier. Endroit où règne la loi du plus fort.

Far West
("Ouest lointain") immenses étendues herbeuses des È.-U., à l'O. du Mississippi, colonisées au cours du XIXe s. V. western.

far west [faʀwɛst] n. m.
ÉTYM. 1849; aussi far-west, 1849; angl. des États-Unis, proprt « (au) loin à l'ouest ».
Ensemble des terres situées à l'ouest du Mississippi, et, plus généralement, des grandes plaines, au-delà du Middle West [midœlwɛst].On rencontre le mot écrit avec ou sans majuscules.Le Far West comprend les États des montagnes Rocheuses et du littoral pacifique. || Plaines du Far West. || Film du Far West. Western. || Cow-boys et Indiens du Far West.
1 Il connaissait mieux que personne, aussi bien peut-être que notre jeune compatriote, M. Paul Carrey, le far west des États-Unis; il ne connaissait pas encore le far west du Canada; et là des perspectives nouvelles s'ouvraient à son aventureuse imagination.
C. Gay, le Cap Palliser et l'Exploration des montagnes Rocheuses, in le Tour du monde, 1860, t. I, p. 277.
2 Les jeunes Français connaissent mieux le Code d'honneur du Far West américain que celui des chevaliers du Moyen-Âge; ils acquièrent au cinéma et à la télévision leur vision du monde.
l'Express, Devenons-nous américains ?, 24 juil. 1967.
REM. On rencontre l'orthographe francisée (et plaisante) farouest ou faroueste.
3 Ce qu'il préfère c'est les films du farouest et après, ceux où l'on montre un beau crime bien sanglant.
R. Queneau, Loin de Rueil, p. 47.
Fig. Lieu de violence, de justice sommaire, de règlements de comptes. || C'est pas le Far West, ici !

Encyclopédie Universelle. 2012.